→ Résumé de l’affaireLes époux [C] sont propriétaires d’une maison contiguë à celle de Madame [L] [W] et Monsieur [E] [T]. Ces derniers ont obtenu des permis de construire pour une maison et un garage, ce qui a entraîné des problèmes de voisinage pour les époux [C]. Ces derniers ont assigné en justice Madame [L] [W] et Monsieur [E] [T] pour non-conformité des travaux, trouble anormal de voisinage et dommages subis. Les époux [C] demandent également la désignation d’un expert judiciaire pour évaluer les conséquences des travaux réalisés par leurs voisins. Ces derniers s’opposent à cette demande, arguant que les missions proposées par les époux [C] ne sont pas pertinentes. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
7EME CHAMBRE CIVILE
INCIDENT
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
7EME CHAMBRE CIVILE
70O
N° RG 22/08114
N° Portalis DBX6-W-B7G-XEBN
N° de Minute 2024/
AFFAIRE :
[H] [C]
[V] [C]
C/
[E] [T]
[L] [W]
Grosse Délivrée
le :
à
Me Thierry FIRINO MARTELL
SCP TMV
ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
Le NEUF AOÛT DEUX MIL VINGT QUATRE
Nous, Madame Anne MURE, Vice-Présidente, Juge de la Mise en état de la 7ème Chambre Civile,
assistée de Monsieur Eric ROUCHEYROLLES, Greffier,
L’affaire a été évoquée à l’audience d’incident du 29 Mai 2024 avec mise en délibéré au 12 Juillet 2024, délibéré prorogé au 09 Août 2024.
Vu la procédure entre :
DEMANDEURS
Madame [H] [C]
née le 24 Juin 1967 à [Localité 8] (VAL-DE-MARNE)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Thierry FIRINO MARTELL, avocat au barreau de BORDEAUX
Monsieur [V] [C]
né le 06 Août 1964 à [Localité 4] (MOSELLE)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Thierry FIRINO MARTELL, avocat au barreau de BORDEAUX
DÉFENDEURS
Monsieur [E] [T]
né le 23 Mars 1984 à [Localité 6] (GIRONDE)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Paul-André VIGNÉ de la SCP TMV, avocat au barreau de BORDEAUX
N° RG 22/08114 – N° Portalis DBX6-W-B7G-XEBN
Madame [L] [W]
né le 02 Décembre 1984 à [Localité 7] (HERAULT)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Paul-André VIGNÉ de la SCP TMV, avocat au barreau de BORDEAUX
Madame [H] [C] et Monsieur [V] [C] sont propriétaires d’une maison d’habitation située [Adresse 3] à [Localité 5], édifiée sur une parcelle cadastrée CS[Cadastre 2], contiguë à celle cadastrée CS[Cadastre 1] appartenant à Madame [L] [W] et Monsieur [E] [T].
Ces deux parcelles résultent de la division d’une même parcelle.
Le 31 octobre 2018, un permis de construire portant sur la construction d’une maison d’habitation a été délivré à la demande de Madame [L] [W] et de Monsieur [E] [T]. Une déclaration d’achèvement et de conformité des travaux a été déposée le 1er juillet 2020.
Le 03 août 2021, un permis de construire n° PC 33056 21 V0052 portant sur l’édification d’un garage a été accordé Madame [L] [W] et à Monsieur [E] [T] et a donné lieu au dépôt d’une déclaration d’achèvement et de conformité des travaux le 23 décembre 2022.
Se plaignant d’un trouble anormal de voisinage résultant de la construction du garage en limite de propriété, de l’aggravation de la servitude naturelle d’écoulement des eaux de pluie du fait du remblaiement réalisé sur le terrain voisin, du non-respect du PLU et des autorisations d’urbanisme accordées quant à la hauteur du garage, et de la pénétration d’ouvriers sur leur propre terrain sans autorisation préalable, par acte délivré le 25 octobre 2023 les époux [C] ont fait assigner Madame [L] [W] et Monsieur [E] [T] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, au visa des articles 640 et suivants ainsi que 651 et suivants du Code civil, aux fins de les voir :
– condamner à mettre en conformité leur garage avec les dispositions du plan local d’urbanisme applicable à la commune de [Localité 5], soit 3,5 mètres par rapport au niveau naturel du terrain et 4,5 mètres de hauteur totale du bâti par rapport au niveau naturel du terrain sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du délai d’un mois suivant la signification du jugement à intervenir ;
– condamner à évacuer le remblaiement mis en oeuvre entre leur maison et la limite de propriété avec le fonds propriété des époux [C] afin que le terrain soit remis dans son état initial sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du délai d’un mois suivant la signification du jugement à intervenir ;
N° RG 22/08114 – N° Portalis DBX6-W-B7G-XEBN
– condamner à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l’indemnisation de leur préjudice du fait du trouble anormal de voisinage occasionné par l’édification du garage ;
– condamner à leur verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions d’incident notifiées par voie électronique le 13 novembre 2023 et le 28 mai 2024, les époux [C] sollicitent du juge de la mise en état qu’il désigne un expert judiciaire ayant la mission suivante :
– Convoquer les parties et se faire remettre tous éléments qu’il estimera nécessaire et notamment toutes les décisions d’urbanisme obtenues par Madame [W] et Monsieur [T] tant pour l’édification du garage en limite de propriété que pour le remblaiement qui a été mis en oeuvre ;
– Déterminer à quelle date le remblaiement a été effectué ainsi que son importance et dire s’il constitue un exhaussement autorisé au sens du PLU applicable notamment en ses articles 1.2 et 1.3 ;
– Dire si le remblaiement effectué est susceptible d’avoir des conséquences sur l’écoulement naturel des eaux pluviales ;
– Dire si les claustras en planches installées par les consorts [W]-[T] en limite de propriété sont conformes aux règles de l’art ;
– Constater l’état du grillage en limite de propriété ;
– Dire si l’édification du garage en limite de propriété par les consorts [W]-[T] est de nature à occasionner un trouble d’ensoleillement aux époux [C] ;
– Dire si les époux [C] ont subi un préjudice du fait de l’édification du garage par les consorts [W]-[T] ;
– Fournir un pré-rapport sur lequel les parties disposeront d’un délai d’un mois afin de faire valoir leurs observations.
A l’appui de leur demande de désignation d’expert judiciaire, les époux [C] font valoir, au visa de l’article 145 du Code de procédure civile, que le remblaiement du terrain voisin n’a pas été réalisé conformément aux autorisations d’urbanisme accordées, que la hauteur du garage construit est ainsi non conforme aux dispositions du PLU, que la perte d’ensoleillement qui en résulte doit être appréciée contradictoirement, que le non-respect de la réglementation applicable peut constituer une faute susceptible d’engager leur responsabilité pour trouble anormal de voisinage, qu’il est de l’intérêt des parties que l’incidence du remblaiement du terrain sur l’écoulement naturel des eaux soit appréciée de façon contradictoire et que l’expert préconise, le cas échéant, les travaux nécessaires, que la détermination de l’éventuelle non-conformité aux règles de l’art du claustra installé par les défendeurs en découlera également, et que les pièces produites montrent que le grillage n’a pas été remis en état contrairement aux engagements de Madame [L] [W] et de Monsieur [E] [T].
Par conclusions d’incident notifiées par voie électronique le 27 mai 2024, Madame [L] [W] et Monsieur [E] [T], s’opposant à la demande de désignation d’expert judiciaire, demandent au juge de la mise en état de débouter les époux [C] de leurs prétentions et de les condamner à leur verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens de l’instance.
Ils soutiennent que les chefs de mission proposés par les époux [C] sont dépourvus d’intérêt, dès lors que :
– il n’appartient pas à l’expert judiciaire de juger de la conformité au P.L.U. du remblaiement effectué le 18 décembre 2019, cette question relevant de la compétence exclusive du tribunal administratif, par ailleurs saisi par les époux [C] d’une demande d’annulation pour fraude du permis de construire délivré pour l’édification du garage ;
– le chef de mission consistant à “Dire si le remblaiement effectué est susceptible d’avoir des conséquences sur l’écoulement naturel des eaux pluviales” est vague et dépourvu de sens, d’autant que le remblaiement a été effectué depuis près de cinq ans et que les époux [C] n’en ont pas constaté les conséquences ;
– le chef de mission visant à “Dire si les claustras en planches installées par les consorts [W]-[T] en limite de propriété sont conformes aux règles de l’art” est imprécis et ne repose sur aucun constat d’éventuelles conséquences préjudiciables aux demandeurs ;
– le constat de l’état du grillage en limite de propriété ne nécessite pas les lumières d’un expert judiciaire et a déjà donné lieu à une proposition de rétablissement ;
– l’appréciation d’un éventuel trouble d’ensoleillement et de l’éventuel préjudice subi par les époux [C] du fait de l’édification du garage relève de la seule appréciation du tribunal.
Aux termes de l’article 789 5°) du Code de procédure civile, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction.
Seules les dispositions des articles 146 et 232 du Code de procédure civile sont applicables devant le juge de la mise en état saisi d’une demande d’expertise, à l’exclusion de celles de l’article 145 du même Code permettant l’organisation d’une mesure d’instruction en présence d’un simple motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
Or, les dispositions de l’article 232 du Code de procédure civile, aux termes desquelles le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien, ne peuvent permettre d’ordonner une mesure d’expertise indépendamment de toute demande au fond, mais impliquent qu’une telle demande de mesure d’instruction vienne à l’appui d’une demande principale.
Par ailleurs, une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver, dès lors qu’en aucun cas une telle mesure ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence dans l’administration de la preuve de la partie à laquelle il incombe de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, tel qu’il résulte des articles 9 et 146 du même Code.
Or, en l’espèce, aucun élément n’est produit par les demandeurs, susceptible d’interroger sur l’incidence sur l’écoulement naturel des eaux pluviales qu’aurait pu avoir le remblaiement effectué sur le terrain voisin, que les défendeurs disent avoir effectué le 18 décembre 2019 et qui était à tout le moins présent le 23 décembre 2022, date de dépôt de la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux d’édification du garage. Il en est de même de l’éventuelle non-conformité du claustra installé sur le terrain voisin en limite de propriété, soutenant une partie des terres de remblaiement.
Le constat de l’état du grillage mitoyen, déjà rapporté par le procès-verbal de constat dressé le 02 août 2022 par Maître [G] [U], commissaire de justice, ne nécessite par ailleurs aucune investigation technique.
Il est en outre constaté que les époux [C] ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux le 20 février 2023 d’une requête en annulation de la décision implicite de rejet de la demande de retrait pour fraude de l’arrêté portant délivrance du permis de construire le garage litigieux, concédé à Madame [L] [W] et à Monsieur [E] [T], aux motifs que la demande d’autorisation d’édification du garage avait été présentée sur la base d’un niveau du sol naturel correspondant au remblaiement qui n’a été effectué que postérieurement à cette demande, dans le but frauduleux de permettre la construction du garage à une hauteur supérieure à la hauteur maximale autorisée tant par le permis accordé que par le PLU. Dans le cadre de cette instance, actuellement en cours devant la juridiction administrative, le mémoire de la commune de [Localité 5] versé aux présents débats montre que cette dernière conteste l’existence d’une telle fraude, aux motifs que le rehaussement du terrain naturel serait intervenu avant la demande de permis de construire litigieuse de telle sorte qu’aucune fausse indication ne figurait selon elle dans le dossier de demande d’autorisation.
Or, les demandes au fond devant le tribunal judiciaire, formées par les époux [C] aux termes de leur seule assignation du 25 octobre 2022, non suivie de conclusions au fond, tendent à la seule mise en conformité du garage voisin avec les dispositions du PLU relatives à la hauteur des bâtiments construits, à l’évacuation du remblaiement mis en oeuvre entre la maison voisine et la limite de propriété, ainsi qu’à l’indemnisation d’un trouble anormal de voisinage occasionné par l’édification du garage à une telle hauteur ne respectant pas la réglementation et générant une perte d’ensoleillement ainsi que par l’intervention d’ouvriers sur leur propre terrain.
L’analyse de ces demandes dépend donc de l’appréciation des limites de l’autorisation d’urbanisme accordée pour l’édification du garage, laquelle relève de la compétence de la juridiction administrative dans le cadre de l’instance introduite par les époux [C].
Ces derniers, qui fondent leur demande au titre d’une éventuelle perte d’ensoleillement sur le seul dépassement de cette hauteur de construction autorisée en limite de propriété, ne produisent enfin que deux photocopies en noir et blanc de photographies de maison, sans autre explication et sans visa dans leurs conclusions incidentes conforme aux dispositions de l’article 768 du Code de procédure civile.
Rien ne justifie donc en l’état de faire droit à la demande d’expertise judiciaire.
La décision de la juridiction administrative à intervenir quant à la demande d’annulation de la décision implicite de rejet de la demande de retrait du permis de construire portant sur la construction du garage étant en revanche susceptible d’avoir une incidence sur la solution du litige, il convient de faire application de l’article 378 du Code de procédure civile et de surseoir à statuer sur l’ensemble des prétentions des parties, en ce compris les dépens et la demande formée sur l’article 700 du Code de procédure civile dans le cadre de l’incident, dans l’attente de la décision irrévocable des juridictions de l’ordre administratif.
Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
REJETONS la demande d’expertise ;
DISONS qu’il est sursis à statuer sur l’ensemble des prétentions des parties dans l’attente de la décision irrévocable des juridictions de l’ordre administratif à intervenir quant à la demande d’annulation de la décision implicite du 21 décembre 2022 de rejet de la demande de retrait pour fraude de l’arrêté n° 33056 21 V0052 du 03 août 2021 pris par le maire de la commune de [Localité 5], formée par Madame [L] [W] et de Monsieur [E] [T] ;
DISONS qu’il est sursis à statuer sur les dépens et sur la demande de Madame [L] [W] et Monsieur [E] [T] formée sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
RENVOYONS l’affaire à l’audience de Mise en état du 15 Novembre 2024 pour indication par les parties de l’état d’avancement de l’instance introduite devant la juridiction administrative et observations sur un éventuel retrait du rôle dans l’attente d’une décision irrévocable à intervenir à ce titre.
La présente décision est signée par Madame Anne MURE, Vice-Présidente, Juge de la Mise en état de la 7ème Chambre Civile, et par Monsieur Eric ROUCHEYROLLES, Greffier.
LE GREFFIER LE JUGE DE LA MISE EN ÉTAT