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Contexte de l’affaireLa S.A.S Compagnie du Ponant (CDP) est une société française spécialisée dans les croisières de luxe, exploitant le navire Boréal, construit par Fincantieri en Italie. Ce navire est assuré par plusieurs compagnies, notamment Allianz et AXA, et est classé par Bureau Veritas. Le Boréal est équipé d’un système anti-incendie de Marioff et de moteurs de Wärtsilä. Abercrombie & Kent, une agence de voyage de luxe, a conclu une charte-partie avec Caroline 50 SAS pour le Boréal. Incendie à bord du BoréalLe 18 novembre 2015, un incendie s’est déclaré à bord du Boréal au large des îles Malouines. Bien que l’équipage ait maîtrisé l’incendie sans faire de victimes, des dégâts matériels importants ont été causés, entraînant un préjudice de plusieurs millions d’euros. Le navire a été remis en service en mai 2016 après des réparations. Procédures judiciairesSuite à l’incendie, Abercrombie & Kent a assigné la Compagnie du Ponant en référé-expertise devant le tribunal de commerce de Marseille pour déterminer les causes de l’incendie et évaluer les dommages. Un expert judiciaire a été désigné, et les opérations d’expertise ont débuté en décembre 2015. En avril 2016, Abercrombie & Kent s’est désistée de l’expertise après un accord transactionnel avec CDP, tandis que les assureurs ont souhaité poursuivre l’expertise. Décisions judiciaires récentesLe juge du tribunal de commerce a rendu plusieurs ordonnances concernant l’expertise, notamment en mars et avril 2023, précisant les modalités d’exploitation des données techniques et la nécessité de transmettre certains documents. En novembre 2023, une ordonnance a été rendue, mais Marioff a formé un pourvoi et un appel contre cette décision, contestant notamment le retranchement d’un paragraphe concernant la transmission d’éléments techniques. Arguments des partiesMarioff a demandé à la cour d’infirmer l’ordonnance du juge du contrôle, arguant que la ventilation du préjudice devait être chronologique plutôt que géographique. CDP et les assureurs ont soutenu que cette demande était dénuée de sens et que la ventilation par zone était inutile. Marioff a également demandé des réunions d’expertise contradictoires, ce qui a été contesté par CDP et les assureurs. Décision de la courLa cour a déclaré irrecevable l’appel de Marioff concernant le retranchement de l’ordonnance du 18 avril 2023. Elle a infirmé la décision du juge du contrôle sur la ventilation des factures par zone, considérant que cela ne relevait pas de la mission de l’expert. Les demandes de Marioff pour des réunions contradictoires ont été rejetées, la cour estimant que le principe du contradictoire avait déjà été respecté au cours des échanges précédents. Conséquences financièresMarioff a été condamnée aux dépens et à verser des sommes à la Compagnie du Ponant et aux assureurs au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La cour a également rejeté la demande de CDP pour des dommages et intérêts pour appel abusif, n’ayant pas démontré la mauvaise foi de Marioff. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Chambre 3-1
ARRÊT AU FOND
DU 23 OCTOBRE 2024
N° 2024/ 217
Rôle N° RG 24/00762 – N° Portalis DBVB-V-B7I-BMOEX
Société MARIOFF CORPORATION OY
C/
Société PROTECTION & INDEMNITY CLUB STEAMSHIP MUTUAL UNDER WRITING ASSOCIATION LIMITED
Société SWISS RE INTERNATIONAL SE
Société SYNDICATS DES LLOYD’S
Société WÄRTSILÄ FINLAND OY
Société XL INSURANCE COMPANY SE
Société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALTY SE
S.A.S. BUREAU VERITAS MARINE & OFFSHORE
S.A.S. COMPAGNIE DU PONANT
Société COMPAGNIE NANTAISE D’ASSURANCES MARITIMES ET TERRE STRES
Société FINCANTIERI – CANTIERI NAVALI ITALIANI SPA
Société GENERALI ASSURANCES IARD
S.A. HELVETIA ASSURANCES
Société MMA IARD
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Pierre-yves IMPERATORE
Me Joseph MAGNAN
Me Cléa CAREMOLI
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Tribunal de Commerce de MARSEILLE en date du 07 Novembre 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 2015R00481.
APPELANTE
Société MARIOFF CORPORATION OY
Société de droit finlandais, prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège social est sis [Adresse 10] (FINLANDE)
représenté par Me Pierre-yves IMPERATORE de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Alexandre BAILLY du PARTNERSHIPS MORGAN LEWIS & BOCKIUS UK LLP, avocat au barreau de PARIS, plaidant
INTIMEES
Société PROTECTION & INDEMNITY CLUB STEAMSHIP MUTUAL UNDERWRITTING ASSOCIATION LIMITED
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 9] – ROYAUME-UNI
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Alexandre BESNARD de la SCP STREAM, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Société SWISS RE INTERNATIONAL SE
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 11]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Alexandre BESNARD de la SCP STREAM, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Société SYNDICATS DES LLOYD’S
prise en la personne de son représentant légal en France, LLOYD’S FRANCE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux : LLOYD’S SYNDICATE 3210 MIT, LLOYD’S SYNDICATE 2987 BRT, LLOYD’S SYNDICATE 1084 CSL, LLOYD’S SYNDICATE 1882 CHB, LLOYD’S SYNDICATE 2001 AML, LLOYD’S SYNDICATE 1183 TAL, LLOYD’S SYNDICATE 1036 COF et LLOYD’S SYNDICATE 780 ADV,
dont le siège social est sis Chez LLOYD’S FRANCE SAS, [Adresse 8]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Alexandre BESNARD de la SCP STREAM, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Société WÄRTSILÄ FINLAND OY
prise en la personne de son représentant légal en exercice,
dont le siège social est sis [Adresse 12] (FINLANDE)
représentée par Me Cléa CAREMOLI de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
Société XL INSURANCE COMPANY SE
venant aux droits de la société AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 7]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Alexandre BESNARD de la SCP STREAM, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Société ALLIANZ GLOBAL CORPORATE & SPECIALTY SE
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 1]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Alexandre BESNARD de la SCP STREAM, avocat au barreau de PARIS, plaidant
S.A.S. BUREAU VERITAS MARINE & OFFSHORE
REGISTRE INTERNATIONAL DE CLASSIFICATION DE NAVIRES ET DE PLATEFORMES OFFSHORE, venant aux droits de la SA BUREAU VERITAS, prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est sis [Adresse 13]
défaillante
S.A.S. COMPAGNIE DU PONANT
prise en la personne de son représentant légal en exercice,
dont le siège social est sis [Adresse 5]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Guillaume TARIN de la SELARL TARIN LEMARIÉ, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
SA COMPAGNIE NANTAISE D’ASSURANCES MARITIMES ET TERRESTRES
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 6]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Alexandre BESNARD de la SCP STREAM, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Société FINCANTIERI – CANTIERI NAVALI ITALIANI SPA
prise en la personne de son représentant légal en exercice,
dont le siège social est sis [Adresse 14] (ITALIE)
défaillante
SA GENERALI ASSURANCES IARD
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 3]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Alexandre BESNARD de la SCP STREAM, avocat au barreau de PARIS, plaidant
S.A. HELVETIA ASSURANCES
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 4]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Alexandre BESNARD de la SCP STREAM, avocat au barreau de PARIS, plaidant
SA MMA IARD
venant aux droits de la société COVEA RISKS SA, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 2]
représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Alexandre BESNARD de la SCP STREAM, avocat au barreau de PARIS, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 27 Juin 2024 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Valérie GERARD, Présidente de chambre
Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère
Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Marielle JAMET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Octobre 2024, puis prorogé au 23 Octobre 2024.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Octobre 2024,
Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et M. Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
La S.A.S compagnie du Ponant (CDP), est une société française spécialisée dans les croisières de luxe. Elle exploite, à ce titre, le navire de croisière battant pavillon français, le Boréal, appartenant à la société Caroline 50 SAS et construit par le chantier naval de la société de droit étranger Fincantieri, ayant son siège en Italie.
Ce dernier est assuré auprès d’Allianz Global corporate & speciality SE, d’Helvetia assurances SA, d’XL insurance company SE, d’AXA corporate solutions assurance, de Generali IARD, de la MMA IARD, de Covea risks, de la Compagnie Nantaise d’assurances maritimes & terrestres, de la Swiss RE international SE et des syndicats des Lloyd’s (les assureur) en tant qu’assureurs corps et machines.
Il est également assuré au titre de sa responsabilité civile auprès du Protection & Indemnity club steamship mutual underwriting association ltd (le club)
La société de classification ayant suivi la conception et la construction du navire est la SA Bureau Veritas.
Ce dernier est, par ailleurs, équipé d’un système anti-incendie « HI-GOF », fabriqué par la société de droit étranger dont le siège est en Finlande, Marioff corporation oy, ci-après « Marioff » et de moteurs fabriqués par la société de droit finlandais Wartstila.
La société Abercrombie & Kent est une agence de voyage de luxe, proposant notamment des croisières.
Elle a conclu avec la société Caroline 50 SAS une charte-partie concernant le Boréal.
Le 18 novembre 2015, un incendie s’est déclaré à bord du Boréal alors que ce dernier se trouvait au large des îles Malouines.
L’équipage a maîtrisé l’incendie, qui n’a fait aucune victime, mais a causé des dégâts matériels.
Le Boréal a été remis en service six mois plus tard, en mai 2016, après sa remise en état par la société Fincantieri.
Le préjudice subi s’est chiffré en dizaine de millions d’euros.
La société Abercrombie & Kent a, dès lors, assigné la Compagnie du Ponant en référé-expertise devant le tribunal de commerce de Marseille afin de déterminer les circonstances et causes à l’origine de l’incendie, et évaluer l’étendue des dommages.
Les assureurs sont intervenus volontairement dans la procédure.
Le président du tribunal de commerce de Marseille a, par ordonnance du 16 décembre 2015, désigné Monsieur [X] [O] en qualité d’expert judiciaire afin, notamment, de notamment, se faire communiquer tous documents techniques et rapports utiles à ses investigations ; s’adjoindre, si besoin est, tout sapiteur de son choix dans le but de déterminer les causes et les circonstances de l’incident ; décrire les avaries subies par le navire.
Les opérations d’expertise ont débuté le 17 décembre 2015.
Le 11 avril 2016, la société Abercrombie & Kent s’est désistée de l’expertise judiciaire après avoir conclu un accord transactionnel avec la Compagnie du Ponant. Les assureurs et la Compagnie du Ponant ont, quant à eux, sollicité le maintien des opérations d’expertise.
Par ordonnance en date du 15 décembre 2016, les opérations d’expertise ont été rendues communes et opposables aux sociétés Fincantieri, Marioff, Wartstila et Bureau Veritas.
L’expertise est toujours en cours.
Le juge du contrôle des expertises a été saisi à de nombreuses reprises, notamment sur des incidents de communications de pièces dans le cadre de l’expertise.
Par ordonnance du 14 mars 2023, le juge du tribunal de commerce de Marseille a :
– dit que les données de la clé VDR sont exploitables et complètes jusqu’à 05h04 UTC ;
– dit que l’expertise tiendra compte seulement des éléments VDR existants analysés par l’expert ou disponibles sur cette clé exploitable dont les données sont en possession de l’expert et de toutes les parties ;
– débouté les sociétés Marioff et Fincantieri de la demande de transmission du VDR par CDP sous astreinte ;
– dit que le document « retranscription libre du VDR » peut être étudié dans le cadre de l’expertise, qu’il s’agit d’un document établi par la Compagnie du Ponant sur la base d’éléments non contradictoires, que son utilité est laissée à l’appréciation de l’expert qui pourra le citer ou en recouper les informations en prenant soin de préciser s’il donne lieu à utilisation de son origine non contradictoire ;
– dit que l’expert veillera à transmettre une note aux parties sur la méthode de lecture et d’exploitation du fichier concerné, et une note sur la véracité des données (recoupement avec VDR, étude de cohérence par sondage de certains éléments du fichier) ;
– dit que le protocole transactionnel entre la Compagnie du Ponant et Abercrombie & Fitch n’est pas indispensable à l’expertise dont l’objet est la détermination des causes de l’incendie à bord du Boréal ;
– débouté les sociétés Marioff et Fincantieri de leur demande de transmission dudit protocole par la Compagnie du Ponant sous astreinte ;
– pris note que la Compagnie du Ponant et les assureurs déclarent n’avoir jamais transmis à Brooks Bell ou à des tiers d’autres éléments techniques, pièces d’origines ou toutes autres données que ceux déjà transmis dans le cadre de cette expertise ;
– débouté les sociétés Marioff et Fincantieri de la demande de transmission des différents rapports Brooks Bell par la Compagnie du Ponant sous astreinte ;
– dit que les informations sur le poste de Madame [S] ont bien été transmises ;
– débouté les sociétés Marioff, Ficantieri, Bureau Veritas et Wartsila de leur demande de nomination d’un sapiteur financier ;
– prorogé jusqu’au 31 octobre 2023 le délai imparti à l’expert pour déposer son rapport.
Par ordonnance du 18 avril 2023 le juge du tribunal de commerce de Marseille a :
– ordonné la rectification de l’ordonnance en date du 14 mars 2023 ;
– dit qu’il y a lieu d’ajouter en page 14 de l’ordonnance en date du 14 mars 2023 :
« disons que tout élément ou donnée technique échangée entre la Compagnie du Ponant, les assureurs, et un tiers concernant le Boréal et son incendie doivent être transmis dans le mois suivant cette ordonnance ; qu’à défaut la bonne foi de la Compagnie du Ponant et de leurs assureurs dans cette expertise pourrait être gravement remise en cause ; »
Les autres dispositions de l’ordonnance demeurant inchangées
– dit qu’il y a lieu de porter la mention de l’ordonnance de rectification en marge de la minute de l’ordonnance en date du 14 mars 2023 ;
– dit que la présente sera communiquée aux parties à l’instance ;
– dit que la présente sera déposée au greffe du tribunal de commerce de céans et qu’elle sera revêtue de la formule exécutoire.
Enfin, par ordonnance du 07 novembre 2023, le juge du tribunal de commerce de Marseille a :
– dit n’y avoir lieu de se dessaisir au profit de la cour de cassation,
– retranché du dispositif de l’ordonnance du 18 avril 2023 rectifiant l’ordonnance du 14 mars 2023 : « disons que tout élément ou donnée technique échangés entre CDP, les assureurs, et un tiers concernant le Boréal et son incendie doivent être transmis dans le mois suivant cette ordonnance ; qu’à défaut la bonne foi de CDP et de leurs assureurs dans cette expertise pourrait être gravement remise en cause » ;
les autres dispositions de ladite ordonnance étant inchangées,
– enjoint à MM. les greffiers en chef du tribunal de commerce de Marseille de rectifier en ce sens la minute et les expéditions de l’ordonnance du 18 avril 2023 rectifiant celle du 14 mars 2023 ;
– ordonné à M. [O] de faire procéder la retranscription écrite de l’enregistrement vocal de l’accédit du 20 avril 2023 ;
– ordonné à M. [O] de recueillir l’avis écrit de M. [L] sur le fonctionnement du système HI-FOG lors de l’incendie du Boreal ;
– dit que :
– L’avis écrit du sapiteur doit intervenir le 15 décembre 2023 ;
– Les dires des parties sur cet avis doivent intervenir le 15 février 2024 ;
– Le dépôt du pré-rapport de l’expert judiciaire doit intervenir le 15 avril 2024 et le dépôt du rapport de l’expert judiciaire le 30 juin 2024 ;
– dit que M. [O], expert judiciaire, ventilera les factures par zone du navire et de l’incendie afin de faciliter le travail du tribunal.
– dit que la présente ordonnance sera déposée au greffe du tribunal de commerce de céans et qu’elle sera revêtue par les greffiers de la formule exécutoire ;
– dit que la présente ordonnance sera notifiée à l’expert et à toutes les parties.
La société Marioff, a formé un pourvoi à l’encontre de cette ordonnance, le 9 janvier 2024, par lequel elle conteste le retranchement ordonné par le juge du contrôle.
Elle a également interjeté appel par déclaration enregistrée au greffe le 19 janvier 2024.
Par conclusions récapitulatives déposées et notifiées le 17 juin 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, la société Marioff Corporation Oy (la société Marioff) demande à la cour de bien vouloir :
– infirmer l’ordonnance du juge du contrôle du tribunal de commerce de Marseille du 7 novembre 2023, en ce qu’elle a :
– retranché du dispositif de l’ordonnance du 18 avril 2023, rectifiant l’ordonnance du 14 mars 2023, le paragraphe suivant : « disons que tout élément ou donnée techniques échangées entre la Compagnie du Ponant, les assureurs, et un tiers concernant le Boréal et son incendie doivent être transmis dans le mois suivant cette ordonnance ; qu’à défaut la bonne foi de CDP et de leurs assureurs dans cette expertise pourrait être gravement remise en cause »,
– enjoint à MM. les greffiers en chef du tribunal de commerce de Marseille de rectifier en ce sens la minute et les expéditions de l’ordonnance du 18 avril 2023 rectifiant elle du 14 mars 2023,
– dit que M. [O], expert judiciaire, ventilera les factures par zone du navire et de l’incendie afin de faciliter le travail du tribunal ;
– n’a pas admis la demande tendant à ce que soient tenues une ou plusieurs réunions d’expertise permettant d’une part un débat technique contradictoire avec les sapiteurs, et, d’autre part, un débat contradictoire sur les préjudices ;
Statuant à nouveau,
– de dire que l’expert judiciaire ventilera le préjudice dont l’indemnisation est réclamée par les assureurs chronologiquement et, subsidiairement, chronologiquement et par zone du navire ;
– de dire qu’un débat technique contradictoire avec les sapiteurs (dont le CNPP) devra être organisé sous la forme d’une ou de plusieurs réunions ;
– de dire qu’un débat contradictoire sur la réclamation au titre des dommages-intérêts devra être organisé sous la forme d’une ou de plusieurs réunions ;
– de dire que l’ordonnance du 14 mars 2023 devra être rectifiée avec l’ajout du paragraphe suivant : « disons que tout élément ou données techniques échangés entre CDP, les assureurs, et un tiers concernant le BOREAL et son incendie doivent être transmis dans le mois suivant cette ordonnance ; qu’à défaut la bonne foi de CDP et de leurs assureurs dans cette expertise pourrait être gravement remise en cause »,
– débouter les assureurs et CDP de l’ensemble de leurs demandes ;
– de condamner les assureurs et CDP solidairement à payer à la société Marioff la somme de 30.000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– de condamner les Assureurs et CDP solidairement aux entiers dépens, qui seront directement recouvrés par le cabinet LX Avocats, au titre de l’article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions en réplique déposées et notifiées le 24 mai 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, la SAS Compagnie du Ponant (la société CDP) demande à la cour de bien vouloir :
in limine litis,
– sur l’appel de l’ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu’elle a fait droit à la demande de retranchement de la Compagnie du Ponant :
– déclarer irrecevable l’appel de la société Marioff Corportation Oy tendant à infirmer l’ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu’elle a retranché « du dispositif de notre ordonnance du 18 avril 2023 rectifiant notre ordonnance du 14 mars 2023 « disons que tout élément ou donnée technique échangées entre CDP, les assureurs, et un tiers concernant le Boréal et son incendie doivent être transmis dans le mois suivant cette ordonnance ; qu’à défaut la bonne foi de CDP et de leurs assureurs dans cette expertise pourrait être gravement remise en cause » ;
à titre subsidiaire, si l’appel devait être déclaré recevable,
– confirmer l’ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu’elle a retranché « du dispositif de notre ordonnance du 18 avril 2023 rectifiant notre ordonnance du 14 mars 2023 « disons que tout élément ou donnée techniques échangées entre CDP, les assureurs, et un tiers concernant le Boréal et son incendie doivent être transmis dans le mois suivant cette ordonnance ; qu’à défaut la bonne foi de CDP et de leurs assureurs dans cette expertise pourrait être gravement remise en cause » ;
– confirmer l’ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu’elle a enjoint à Messieurs les greffiers en chef du tribunal de commerce de Marseille de rectifier en ce sens la minute et les expéditions de l’ordonnance du 18 avril 2023 rectifiant celle du 14 mars 2023 ;
en tout état de cause,
– rejeter la demande de la société Marioff Corportation oy visant à ordonner à l’expert judiciaire de ventiler le préjudice dont l’indemnisation est réclamée par les assureurs chronologiquement et, subsidiairement, chronologiquement et par zone du navire ;
– infirmer l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a dit que M. [O], expert judiciaire, ventilera les factures par zone du navire et de l’incendie afin de faciliter le travail du tribunal ;
et statuant à nouveau,
– rejeter la demande de Marioff Corportation oy visant à dire qu’un débat technique avec les sapiteurs (dont le CNPP) devra être organisé sous la forme d’une ou plusieurs réunions et confirmer l’ordonnance en ce qu’elle n’a pas admis cette demande ;
– rejeter la demande de la société Marioff Corportation oy visant à dire qu’un débat technique contradictoire sur la réclamation au titre des dommages et intérêts devra être organisé sous la forme d’une ou plusieurs réunions et confirmer l’ordonnance en ce qu’elle n’a pas admis cette demande ;
– débouter la société Marioff Corportation oy de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner la société Marioff Corportation oy à payer à la société la Compagnie du Ponant une somme de 100.000 € au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
– condamner la société Marioff Corportation oy à payer à la société la Compagnie du Ponant une somme de 50.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions en réplique déposées et notifiées le 24 mai 2024, auxquelles il est expressément référé en application de l’article 455 du code de procédure civile, les sociétés Allianz Global corporate & speciality SE, Helvetia assurances SA, XL insurance company SE, AXA corporate solutions assurance, Generali IARD, de la MMA IARD, Covea risks, la Compagnie Nantaise d’assurances maritimes & terrestres, la Swiss RE international SE, les syndicats des Lloyd’s 3210 MIT, 2987 BRT, 1084CSL, 1882 CHB, 2001 AML, 1183 TAL, 1036 COF, 780 ADV, 1967 WRB, 2488 AGM, 5151 MAL et Hiscox Syndicate 0033 ainsi que la Protection & Indemnity club steamship mutual underwriting association limited (les assureurs) demandent à la cour de bien vouloir :
in limine litis,
– déclarer irrecevable l’appel de la société Marioff Corportation oy tendant à infirmer l’ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu’elle a retranché « du dispositif de notre ordonnance du 18 avril 2023 rectifiant notre ordonnance du 14 mars 2023 « disons que tout élément ou donnée technique échangées entre CDP, les assureurs, et un tiers concernant le Boréal et son incendie doivent être transmis dans le mois suivant cette ordonnance ; qu’à défaut la bonne foi de CDP et de leurs assureurs dans cette expertise pourrait être gravement remise en cause » ;
à titre subsidiaire, si l’appel devait être déclaré recevable,
– confirmer l’ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu’elle a retranché « du dispositif de notre ordonnance du 18 avril 2023 rectifiant notre ordonnance du 14 mars 2023 « disons que tout élément ou donnée technique échangées entre CDP, les assureurs, et un tiers concernant le Boréal et son incendie doivent être transmis dans le mois suivant cette ordonnance ; qu’à défaut la bonne foi de CDP et de leurs assureurs dans cette expertise pourrait être gravement remise en cause » ;
– confirmer l’ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu’elle a enjoint à MM. les greffiers en chef du tribunal de commerce de Marseille de rectifier en ce sens la minute et les expéditions de l’ordonnance du 18 avril 2023 rectifiant celle du 14 mars 2023 ;
en tout état de cause,
– infirmer l’ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu’elle a :
« disons que Monsieur [O], expert judiciaire, ventilera les factures par zone du navire et de l’incendie afin de faciliter le travail du tribunal ; »
– confirmer l’ordonnance du 7 novembre 2023 en l’ensemble de ses autres dispositions ; statuant à nouveau,
– débouter la société Marioff de l’ensemble de ses demandes, fins et moyens ;
– condamner la société Marioff à verser aux assureurs et au club la somme de 80.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Marioff aux entiers dépens.
La société de droit finlandais Wärtsilä Finland Oy a constitué avocat, mais n’a pas conclu.
La SAS Bureau Veritas marine & offshore et la société de droit italien Fincantieri Cantieri Navali SPA n’ont pas comparu.
La société CDP et les assureurs ont déposé et notifié des conclusions le 26 juin 2024, veille de la date prévue pour l’ordonnance de clôture.
Par conclusions de procédure du 26 juin 2024, la société Marioff a sollicité le rejet desdites conclusions, n’ayant pas eu matériellement le temps d’en prendre connaissance en précisant que la société CDP et les assureurs n’avaient pas cru bon de matérialiser ce qui changeait au regard des conclusions déjà notifiées et déposées le 24 mai 2024.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 juin 2024 avant l’ouverture des débats.
1. Sur le rejet des conclusions déposées par la société CDP er les assureurs le 26 juin 2024 :
Les parties ont été informées le 28 mai 2024 du report du prononcé de l’ordonnance de clôture au 27 juin, jour de l’audience des plaidoiries
Les conclusions litigieuses ont été notifiées et déposées respectivement à 12h26 et 13h52 le 26 juin 2024 alors que l’ordonnance de clôture devait être prononcée le 27 juin avant l’ouverture des débats à 9 heures.
Les conclusions déposées le 26 juin par la société CDP comportent 6 pages supplémentaires par rapport à celles déposées le 24 mai 2024, et trois pièces nouvelles, sans que, comme le souligne la société Marioff, les conclusions ne matérialisent, conformément à l’article 954 du code de procédure civile, les moyens nouveaux soutenus.
Il en va de même pour les conclusions déposées par les assureurs le même jour, qui comprennent 6 pages supplémentaires, sans que ne soient matérialisés les moyens nouveaux, et deux pièces nouvelles.
Il résulte de l’article 16 du code de procédure civile que le juge, doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
En outre, conformément à l’article 15 du même code, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.
La société CDP et les assureurs en déposant ces conclusions quelques heures avant l’ouverture des débats et le prononcé de l’ordonnance de clôture, n’ont pas mis la société Marioff en mesure même de prendre connaissance de ces écritures afin d’apprécier la suite à leur donner dans des délais raisonnables.
En conséquence, les conclusions notifiées et déposées le 26 juin 2024 par la société CDP et les assureurs sont écartées des débats, la cour ne statuant que sur leurs dernières conclusions et pièces déposées le 24 mai 2024.
2. Sur la recevabilité de l’appel de l’ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu’elle a procédé à la rectification de l’ordonnance du 18 avril 2023 par voie de retranchement :
La société CDP soutient que l’appel interjeté par la société Marioff est irrecevable en application des dispositions des articles 463 et 464 du code de procédure civile puisque la décision modifiée est l’ordonnance du 18 avril 2023 ayant elle-même rectifié l’ordonnance du 14 mars 2023 et que l’ordonnance du 18 avril 2023 est une ordonnance rectificative d’erreur matérielle, laquelle ne peut plus faire l’objet d’un appel si la décision rectifiée est passée en force de chose jugée.
Or la décision du 14 mars 2023 est passée en force de chose jugée puisqu’elle n’a pas fait l’objet d’un appel après avoir été notifiée par le greffe à toutes les parties le 15 mars 2023.
Elle en déduit que l’ordonnance du 7 novembre 2023 ne peut faire l’objet d’un appel et ce d’autant plus que la société Marioff a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette ordonnance sur le même fondement.
Les assureurs font valoir, au titre de l’irrecevabilité de l’appel de la société Marioff, les mêmes moyens tirés des dispositions des articles 462 et 463 du code de procédure civile et de l’autorité de chose jugée attachée à l’ordonnance du 7 novembre 2023.
La société Marioff réplique quant à elle qu’aucun commissaire de justice ne lui a signifié l’ordonnance, la notification par voie postale ne valant pas la signification par un commissaire de justice prévue par les articles 654 et suivants du code de procédure civile. Elle en conclut que l’ordonnance n’ayant jamais été signifiée, le délai d’appel n’a pas commencé à courir et il n’a donc pas pu expirer.
Sur ce, la décision initiale du 16 décembre 2015 ordonnant une mesure d’expertise a été rendue en application de l’article 145 du code de procédure civile et les décisions du juge chargé du contrôle des expertises modifiant la mesure ou statuant sur une demande relative à l’exécution de celle-ci sont également susceptibles d’un appel immédiat, les dispositions des articles 150 et 170 n’étant pas applicables (Civ. 2ème 9 septembre 2010 n°09-69.613).
Aux termes de l’article 463 du code de procédure civile, la juridiction qui a omis de statuer sur un chef de demande peut également compléter son jugement sans porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs, sauf à rétablir, s’il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.
La demande doit être présentée un an au plus tard après que la décision est passée en force de chose jugée ou, en cas de pourvoi en cassation de ce chef, à compter de l’arrêt d’irrecevabilité.
Le juge est saisi par simple requête de l’une des parties, ou par requête commune. Il statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées.
La décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. Elle est notifiée comme le jugement et donne ouverture aux mêmes voies de recours que celui-ci.
L’article 464 du code de procédure civile édicte quant à lui que les dispositions de l’article précédent sont applicables si le juge s’est prononcé sur des choses non demandées ou s’il a été accordé plus qu’il n’a été demandé.
Enfin, selon l’article 462, alinéa 5 du code de procédure civile, si la décision rectifiée est passée en force de chose jugée, la décision rectificative ne peut être attaquée que par la voie du recours en cassation.
En l’espèce l’ordonnance du 14 mars 2023, rectifiée par ordonnance du 18 avril 2023 cette dernière ordonnance étant elle-même rectifiée par l’ordonnance dont appel, a été régulièrement notifiée par le greffe à toutes les parties le 15 mars 2023.
Sur ce point, la société Marioff n’est pas fondée à se prévaloir d’une absence de signification par un commissaire de justice, sans même discuter la validité de la notification faite par le greffe, alors qu’en application de l’article 651 du code de procédure civile, les actes, comme les décisions, sont portés à la connaissance des intéressés soit par voie de notification, soit par voie de signification.
S’agissant d’une ordonnance du juge chargé du contrôle des expertises, la notification faite par le greffe le 15 mars 2023 était régulière, sans qu’il soit besoin d’une signification, et a fait par conséquent courir le délai d’appel.
L’ordonnance du 14 mars 2023 a donc acquis force de chose jugée à compter du 31 mars 2023 et l’ordonnance du 28 avril 2023, rectifiant cette décision, n’était donc pas plus susceptible d’appel.
L’ordonnance du 7 novembre 2023, rectifiant l’ordonnance du 18 avril 2023, suit par conséquent le même régime s’agissant des voies de recours que l’ordonnance qu’elle rectifie et, l’ordonnance du 18 avril 2023 n’étant pas susceptible d’appel, l’ordonnance du 7 novembre ne peut être attaquée par la voie de l’appel, mais par la seule voie d’un pourvoi en cassation, voie que la société Marioff a d’ailleurs choisie.
L’appel de l’ordonnance du 7 novembre 2023 est irrecevable en ce qu’il concerne la rectification, par voie de retranchement, de l’ordonnance du 18 avril 2023.
3. Sur l’appel des autres dispositions de l’ordonnance :
3.1 La ventilation du préjudice par zones du navire :
La société Marioff critique l’ordonnance du 7 novembre 2023 en ce que le juge chargé du contrôle de l’expertise a sollicité de l’expert une ventilation du préjudice par zone du navire et de l’incendie sans expliquer en quoi il s’agirait de la seule manière de répartir le préjudice.
Elle milite pour une ventilation chronologique du préjudice dès lors que la lutte contre l’incendie du Boréal doit s’apprécier par périodes de temps.
La société Compagnie du Ponant considère quant à elle qu’une ventilation, qu’elle soit chronologique et/ou géographique, est soit inutile, soit contraire à l’ordonnance du 16 décembre 2015 et elle sollicite l’infirmation de la décision sur ce point.
Les assureurs font observer que la demande de la société Marioff est dénuée de sens, impossible à satisfaire et ne vise qu’à refaire le débat technique sous une forme déguisée. Ils concluent également à la réformation de la décision qui prévoit une ventilation géographique du préjudice
Sur ce, l’ordonnance initiale du 16 décembre 2015 a donné pour mission à l’expert de fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer les responsabilités encourues et de chiffre les préjudices subis par l’une ou l’autre des parties.
Si le juge chargé du contrôle des expertises peut accroitre ou restreindre la mission confiée à l’expert en application de l’article 236 du code de procédure civile, il ne peut, en application de l’article 232 du même code lui déléguer ses pouvoirs.
Or en donnant pour mission à l’expert de ventiler les factures par zone du navire et de l’incendie afin de faciliter le travail du tribunal, il a contrevenu aux dispositions de l’article 232 précité et de ce seul chef, l’ordonnance déférée encourt la réformation.
Par ailleurs, les écritures des parties, qui débattent essentiellement des fautes commises selon les constatations de l’expert, révèlent qu’une ventilation par zone et/ou temporelle implique nécessairement un parti pris sur les causes de l’incendie, son déroulement et donc une approche des responsabilités, qui ne peut en aucune cas relever de la mission de l’expert.
Il appartient au seul juge qui sera saisi au fond de déterminer les responsabilités encourues avant de statuer sur le préjudice et l’imputer au ou aux responsables en établissant un lien de causalité entre les fautes commises et le préjudice constaté, selon les constatations techniques et les éléments de fait relevés par l’expert ou produits par les parties, étant rappelé que le juge n’est jamais lié par les constatations ou conclusions d’un expert fût-il judiciaire.
Dès lors, l’ordonnance déférée est infirmée en ce qu’elle a sollicité une ventilation des factures par zone du navire et de l’incendie.
3.2 La nécessité d’un débat contradictoire avec les sapiteurs incendie :
La société Marioff soutient que l’exercice de la mission d’expertise et la recherche de la vérité exigent que les deux sapiteurs incendie reçoivent les nouveaux éléments de l’expertise, adaptent leurs rapports en conséquence et qu’il soit fixé des réunions d’expertise pour en discuter avec les parties.
La société compagnie du Ponant et les assureurs font valoir quant à eux, en substance, que cette demande est contraire aux dispositions des articles 278 et 278-1 du code de procédure civile.
L’expert judiciaire assume, sous sa responsabilité, la direction de l’expertise et peut effectivement faire appel à un ou plusieurs sapiteurs dans une spécialité différente de la sienne.
Le sapiteur donne un avis à l’expert, il n’est pas lui-même expert désigné, et son avis ne peut être discuté que dans le cadre des dires adressés par les parties à l’expert ou lors des réunions contradictoires organisées par celui-ci.
En l’espèce, la demande de la société Marioff, comme elle l’indique elle-même vise à faire « adapter » donc modifier leur avis déjà donné dans le cadre de l’expertise et pour la dernière fois en janvier 2024 à la suite de nouveaux éléments donnés par l’expert.
Une réunion contradictoire, outre qu’elle ne répond effectivement pas aux dispositions des articles 278 et 278-1 du code de procédure civile, est parfaitement inutile et inopportune en l’espèce en ce qu’il appartient à chacune des parties de discuter les avis des sapiteurs devant l’expert, puis devant le tribunal saisi.
L’ordonnance déférée est confirmée en ce qu’elle n’a pas ordonné de réunions contradictoires avec les sapiteurs.
3.3 La nécessité de réunions contradictoires sur les dommages et intérêts au titre du préjudice :
Il résulte des écritures et pièces des parties que la discussion sur le préjudice a eu lieu, par écrit, depuis 2020, chacune des parties échangeant au regard des conclusions de son expert amiable pour chacune des réclamations et pièces produites. Depuis 4 années par conséquent, le principe du contradictoire est respecté et la discussion technique effective.
Le fait qu’il existe des divergences d’appréciation du préjudice entre les parties, via leurs experts amiables, lesquels ont pu avoir d’ailleurs des positions divergentes dans le temps, ne pourra être résolu par une réunion contradictoire.
Il est de la mission de l’expert de donner son avis sur le préjudice en analysant les pièces et dires qui lui ont été soumis dans le cadre de son pré-rapport et de son rapport, tout comme il est de sa seule responsabilité d’organiser ou non une réunion sur le sujet, sous la seule réserve de respecter le principe du contradictoire.
Par ailleurs, la cour observe que l’expertise est en cours depuis neuf années, soit un délai qui est au-delà d’un délai raisonnable quel que soit la difficulté technique soumise à l’expertise. Il n’est donc pas de l’intérêt d’une bonne justice de multiplier, comme le sollicite la société Marioff, des réunions alors que les échanges ont lieu sur le préjudice depuis plus de 4 ans.
Cette demande est également rejetée.
4. Sur les demandes accessoires :
La société CDP réclame la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif.
Cependant, elle ne démontre pas que l’appel, voie de recours ouverte à l’encontre d’une partie des dispositions de l’ordonnance du 7 novembre 2023, a été engagé avec mauvaise foi par la société Marioff.
Cette demande est rejetée.
La société Marioff, qui succombe, est condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 30 000 euros à la société CDP d’une part et aux assureurs d’autre part.
La cour,
Déclare irrecevable l’appel de la société de droit finlandais Marioff Corporation Oy à l’encontre de l’ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu’elle a :
– retranché du dispositif de l’ordonnance du 18 avril 2023 rectifiant l’ordonnance du 14 mars 2023 : « disons que tout élément ou donnée technique échangés entre CDP, les assureurs, et un tiers concernant le Boréal et son incendie doivent être transmis dans le mois suivant cette ordonnance ; qu’à défaut la bonne foi de CDP et de leurs assureurs dans cette expertise pourrait être gravement remise en cause » ;
– enjoint à MM. les greffiers en chef du tribunal de commerce de Marseille de rectifier en ce sens la minute et les expéditions de l’ordonnance du 18 avril 2023 rectifiant celle du 14 mars 2023 ;
Infirme l’ordonnance du 7 novembre 2023 en ce qu’elle a dit que M. [O], expert judiciaire, ventilera les factures par zone du navire et de l’incendie afin de faciliter le travail du tribunal,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Déboute les parties de toutes leurs demandes de ventilation du préjudice par zone du navire et de l’incendie et/ou temporelle,
Confirme pour le surplus des dispositions soumises à la cour,
Condamne la société de droit finlandais Marioff Corporation Oy aux dépens,
Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société de droit finlandais Marioff Corporation Oy à payer :
– à la S.A.S compagnie du Ponant la somme de 30 000 euros.
– aux sociétés Allianz Global corporate & speciality SE, Helvetia assurances SA, XL insurance company SE, AXA corporate solutions assurance, Generali IARD, de la MMA IARD, Covea risks, la Compagnie Nantaise d’assurances maritimes & terrestres, la Swiss RE international SE, les syndicats des Lloyd’s 3210 MIT, 2987 BRT, 1084CSL, 1882 CHB, 2001 AML, 1183 TAL, 1036 COF, 780 ADV, 1967 WRB, 2488 AGM, 5151 MAL et Hiscox Syndicate 0033 ainsi que la Protection & Indemnity club steamship mutual underwriting association limited, ensemble, la somme de 30 000 euros.
Le Greffier, La Présidente,