Inachèvement des travaux : Responsabilité de l’architecte

·

·

Inachèvement des travaux : Responsabilité de l’architecte
Je soutiens LegalPlanet avec 5 ⭐

Responsabilité de l’architecte maître d’oeuvre

En tant que maître d’œuvre à qui a été confiée une mission complète, l’architecte a une obligation générale de renseignement, de conseil, et d’assistance du maître d’ouvrage qui naît du contrat et relève de sa technicité, ceci d’autant plus quand le maître de l’ouvrage est profane en matière de construction (exemple : les SCI qui ont pour objet l’ « acquisition par voie d’achat ou d’apport, propriété mise en valeur transformation construction aménagement administration et location de tous biens et droits immobiliers de tous biens et droits pouvant constituer 1’accessoire l’annexe ou le complément des biens et droits immobiliers en question »).

Le maître d’œuvre coordonne les travaux, vérifie l’évolution des coûts, les situations de travaux ; il doit apprécier la nécessité de faire certains travaux supplémentaires. Il est responsable de la surveillance des travaux ; s’il n’est pas tenu à ce titre d’une présence quotidienne sur le chantier, il doit être présent aux moments importants.

Lorsqu’il est au surplus chargé d’une mission OPC, il sera rappelé qu’à ce titre il intervient pour aider le maître d’ouvrage à élaborer le programme de construction et pour vérifier les situations de travaux, faire les décomptes. Sa mission comprend le planning des travaux et l’élaboration du budget, le constat de l’état d’avancement du chantier et la vérification matérielle des travaux.

Or, en l’espèce, au titre de son obligation générale de conseil, il relevait du devoir de l’architecte en tant que professionnel de s’accorder clairement avec le maître d’ouvrage sur l’objet du contrat ainsi que sur sa définition précise et détaillée, sur sa réalisation en différentes phases ou non, sur le prix des travaux et les prestations précises qu’il devait recouvrir.

Tel n’est pas le cas en l’espèce comme constaté ci-dessus.

Si l’absence des documents attestant de l’exécution de ses missions par l’architecte ne suffit pas à constituer une faute à soi seule qui serait à l’origine des dérives du chantier observées par les experts, il sera tout d’abord fait observer qu’aucun autre des éléments produits qui consistent essentiellement en des courriels ou des tableaux financiers dont le caractère contractuel n’est pas attesté, ne permet de s’assurer de ce que les missions prévues au contrat ont été effectivement exécutées comme le prétendent les défendeurs.

L’absence de documents fautive

Or c’est à l’architecte qu’il incombe de produire ces documents non seulement parce que ceux-ci sont contractuellement prévus, mais encore parce que celui qui se prétend libéré de ses obligations doit justifier ce qui en a produit l’extinction en vertu des dispositions de l’article 1353 du code civil.

Surtout, l’absence des documents contractuellement prévus, notamment du CCAP et des dossiers APS-APD, est bien à l’origine du flou et de l’imprécision entraînant le décalage entre d’une part l’objet du contrat, lequel prévoit les réaménagements intérieurs aussi bien qu’extérieurs de la villa, et d’autre part le coût prévisible des travaux, au titre duquel n’a été chiffrée qu’une partie des travaux (ceux envisagés « en intérieur ») et non l’intégralité des travaux objets du contrat.

Il appartenait à l’architecte de provoquer la résolution de cette contradiction avec le maître d’ouvrage avant la phase d’exécution des travaux, et il a commis une faute contractuelle en ne le faisant pas, ce manquement à son devoir de conseil dans la phase de conception des travaux ayant entraîné la réalisation de travaux effectivement prévus dans l’objet du contrat, mais pas dans la définition de son coût.

Cette absence de production des documents dont l’architecte était contractuellement redevable ne permet pas davantage de s’assurer de ce que les missions de l’architecte ont bien été remplies en phase d’exécution des travaux, alors que l’architecte a également été chargé d’une mission de coordination OPC au titre de l’acte d’engagement, laquelle implique de prévoir un planning des travaux et l’élaboration du budget, le constat de l’état d’avancement du chantier et la vérification matérielle des travaux.

Or, il ressort des pièces produites et analysées ci-dessus que les travaux ont souffert dans leur exécution d’une multiplicité d’intervenants, d’un manque de directives et d’orientations avec un suivi effectué au fil de l’eau, d’un manque de coordination des taches et d’une absence de coordination du chantier.

La réalisation de ces taches revenait contractuellement à l’architecte, à la fois en tant que maître d’œuvre chargé du suivi des travaux et coordinateur chargé d’une mission OPC, et il y a manqué.

L’architecte invoque comme causes d’exonération l’absence de financement des travaux par le maître d’ouvrage et son immixtion fautive dans le suivi des travaux, en ce qu’il a engagé des entreprises et signé des devis sans l’en informer et sans attendre sa validation.

Ces causes ne sauraient être retenues.

Il revenait à l’architecte, en tant à la fois que maître d’œuvre chargé d’une mission complète et coordinateur chargé d’une mission OPC de s’assurer concrètement auprès du maître de l’ouvrage de l’enveloppe budgétaire dont il disposait avant d’entamer sa mission.

Concernant l’immixtion fautive du maître d’ouvrage, si l’expert judiciaire reprend ce point et si ce reproche ressort effectivement des courriels que l’architecte adresse au maître d’ouvrage, il sera relevé que l’expert judiciaire ne mentionne pas les pièces analysées qui lui permettent de poser cette affirmation, et qu’aucun des devis signés par le maître d’ouvrage n’est produit, ce qui ne permet pas non plus de vérifier les allégations de l’architecte sur ce point.

La responsabilité de l’architecte engagée

Ce moyen sera par conséquent écarté, et la responsabilité de l’architecte dans la mauvaise exécution du contrat sera retenue.
.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

6ème chambre 1ère section

N° RG 22/11069 –
N° Portalis 352J-W-B7G-CXRBK

N° MINUTE :

Assignation du :
29 juillet 2022

JUGEMENT
rendu le 02 avril 2024
DEMANDERESSE

S.C.I. LES 3 COLIBRIS
[Adresse 6]
[Adresse 6]

représentée par Maître Céline BURAC de la SELARL RB AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #B0055

DÉFENDEURS

Monsieur [K] [J]
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représenté par Maître Antoine TIREL de la SELAS LARRIEU ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #J0073

Société MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Marc FLINIAUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0146

Décision du 02 avril 2024
6ème chambre 1ère section
N° RG 22/11069 –
N° Portalis 352J-W-B7G-CXRBK

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Céline MECHIN, vice-président
Marie PAPART, vice-président
Clément DELSOL, juge

assisté de Catherine DEHIER, greffier,

DÉBATS

A l’audience du 30 janvier 2024 tenue en audience publique devant Marie PAPART, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Contradictoire
en premier ressort
Décision publique
Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Céline MECHIN, président et par Catherine DEHIER greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******************

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte authentique daté du 23 janvier 2017, Madame [X] [R] a fait l’acquisition d’une villa d’habitation située [Adresse 6], comprenant un terrain, une maison d’habitation sur 2 niveaux et une dépendance.

Par acte authentique daté du 27 janvier 2017, la SCI LES 3 COLIBRIS représentée par Madame [X] [R] a fait l’acquisition de cette villa.

Souhaitant rénover et transformer ce bien en centre médical destiné à l’esthétique avec plusieurs espaces locatifs pour des services paramédicaux et des pratiques d’exercice physique, Mme [R] est entrée en relation avec Monsieur [K] [J], architecte, qui a préparé un permis de construire lequel a été accordé le 6 juin 2017.

La SCI LES 3 COLIBRIS a souscrit un prêt en vue du financement de l’achat du bien et des travaux.

Deux actes d’engagement datés des 23 octobre 2016 et 08 février 2017 ont été adressés par M. [J] respectivement à Mme [R] et à la SCI LES 3 COLIBRIS.

Les travaux ont débuté en mai 2017 et se sont arrêté en décembre 2018.

Par assignation en référé d’heure à heure datée du 26 mars 2019, la SCI LES 3 COLIBRIS a saisi le président du tribunal judiciaire de Fort-de-France en désignation d’un expert judiciaire aux fins de décrire et chiffrer les travaux réalisés et le montant des travaux restant à réaliser.

Monsieur [B] [W], expert judiciaire, a été désigné par ordonnance datée du 21 avril 2020 de la cour d’appel de Fort-de-France, et a déposé son rapport le 23 novembre 2020.

La SCI LES 3 COLIBRIS a mandaté en parallèle deux experts, le cabinet LE TECHNICIEN et Monsieur [F] [H] expert près la cour d’appel de Fort-de-France, qui lui ont transmis leurs rapports les 22 septembre 2019 et 10 juillet 2020.

La SCI LES 3 COLIBRIS a assigné M. [J] devant le président du tribunal judiciaire de Paris le 30 septembre 2021 aux fins de référé-provision et a été déboutée de ses demandes par ordonnance datée du 16 février 2022.

Par actes de commissaire de justice délivrés les 29 juillet et 02 août 2022, La SCI LES 3 COLIBRIS a assigné M. [J] et son assureur la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS (MAF) devant la présente juridiction aux fins de remboursement de trop perçu et de versement de dommages et intérêts.

Par conclusions en réplique notifiées par voie électronique le 04 juillet 2023, la SCI LES 3 COLIBRIS sollicite de la juridiction :

“Vu l’article 1231-1 du Code civil,
Vu l’article L.124-3 du Code des assurances,
Vu les pièces,

Il est demandé au Tribunal judiciaire de Paris de :

Condamner Monsieur [K] [J] et la MAF à payer, in solidum, à la SCI Les 3 Colibris la somme de :
· 409.400 € HT à titre de dommages-intérêts s’agissant des travaux de reprise à réaliser ;
· 972.465 € à titre de dommages-intérêts s’agissant du préjudice économique constaté ;
· 50.000 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral ;
· 19.417,09 € au titre des honoraires trop perçus par Monsieur [J] ;
· 8.000 € au titre du remboursement des frais et dépens d’expertises.

Condamner Monsieur [K] [J] et la MAF à payer, in solidum, à la SCI Les 3 Colibris la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner Monsieur [K] [J] et la MAF au paiement des dépens ;

Rappeler l’exécution provisoire du jugement à intervenir.”

A l’appui de ses prétentions, la SCI LES 3 COLIBRIS expose que :

-la responsabilité contractuelle de M. [J] est engagée, en l’absence de réception des ouvrages, en ce que :

*au titre de l’obligation de moyen dont il est tenu, le maître d’œuvre doit mettre en œuvre tous les moyens nécessaires et dont il dispose pour réaliser l’ouvrage conformément aux dispositions contractuelles, l’ouvrage devant être conforme aux stipulations contractuelles et exempt de vices ;
or M. [J] a la charge de la mission OPC, et a choisi le cadre de la loi MOP régissant la maîtrise d’ouvrage publique et ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, qui lui imposent diverses obligations ; il a établi une ventilation sommaire du coût de réalisation de l’opération à hauteur de 375 000 euros HT et prétend n’avoir eu en charge que le réaménagement de l’espace intérieur sans modification de façades, ce que dément l’acte d’engagement dans son programme, et le fait que lui-même ait déposé un permis de construire pour l’ensemble du projet ; l’évaluation faite par l’intéressé exclut les parkings et l’élévation des bâtiments prévus ;

*M. [J] est responsable de plusieurs manquements :
– l’expert judiciaire a noté que M. [J] n’a pas réalisé la mission d’avant-projet qui lui était dévolue au titre de l’acte d’engagement, ce que confirme le rapport du cabinet LE TECHNICIEN; or cet avant-projet, et notamment l’étude de faisabilité permet au maître d’ouvrage de décider de poursuivre ou non l’opération ; partant, l’intéressé a privé la concluante de la possibilité de déterminer contractuellement le montant des travaux et leur nature, en ne réalisant aucune estimation définitive des travaux ; cette faute dans l’estimation est directement liée à l’insuffisance de financement des travaux ;
– l’intéressé a manqué à son devoir de conseil en sous-évaluant le coût des travaux, le dépassement du budget prévisionnel étant de plus de 100% (Civ 3e, 25 juin 2014, n°11-26.850 et 11-27.447 ; Civ 3e, 13 juin 2019, n°18-16.643) ; il n’a pas pris en compte de travaux pour les VRD alors qu’il ressort de l’expertise judiciaire que ceux-ci ont été réalisés et facturés une fois le chantier commencé ; il n’a pas pris en compte de travaux pour les réseaux d’assainissement qu’il estimait réutilisables alors qu’il a rajouté une somme de 35 000 euros au titre de la mise aux normes du système autonome de traitement des eaux du site qui aurait dû être incluse dans le budget prévisionnel ; il a informé le maître d’ouvrage de la nécessité d’un budget complémentaire de 320 000 euros à prévoir le 15 avril 2018 pour terminer les travaux ; l’intéressé tente de se dédouaner en arguant de l’insuffisance de capacité de financement de Mme [R] qui était sous le coup d’une procédure collective, alors que le prêt de financement des travaux a été souscrit par la SCI LES 3 COLIBRIS ; les expertises complémentaires réalisées à la demande de la concluante démontrent que le budget de départ était irréaliste au regard de la particularité, de la vétusté des bâtiments existants et du niveau des prestations attendues ;

– l’intéressé s’est montré défaillant tant dans la préparation que dans le suivi du chantier et les travaux n’ont pu être conduits selon les règles de l’art ; il n’a communiqué aucun planning à la concluante, ni aucun marché d’entreprise, aucun compte-rendu de réunion de chantier ; l’expert judiciaire a noté qu’il n’y avait eu transmission ni de Descriptif Quantitatif Estimatif (DQE) de chaque lot, ni de marché, seulement des devis signés (ce que l’intéressé a lui-même reconnu), qu’un dossier de consultations d’entreprises aurait dû être réalisé ; l’expert amiable M. [H] reprend et précise ces manquements en pages 5-6 de son rapport ainsi que l’absence de maîtrise administrative et technique des travaux (pages 23-24) ; l’intéressé reporte la responsabilité de ces carences sur la concluante, prétend qu’un avant-projet avait bien été validé ce qui justifierait le payement de ses honoraires, que l’absence de dossier technique serait due à l’absence de financement et à la gestion du chantier par Mme [R], explications déjà fournies à l’expert judiciaire qui ne les a pas retenues ; M. [J] n’a pas réalisé correctement la mission pour laquelle il a été mandaté ce qui a eu pour conséquence le déphasage des travaux, lesquels n’ont pu aboutir de manière effective ;

*la concluante a subi plusieurs préjudices en lien avec les fautes de M. [J] :
– il sera précisé qu’il n’y a pas lieu à application des dispositions de l’article 1231 du code civil, dans la mesure où c’est l’intéressé qui a résilié son contrat de maîtrise d’œuvre ;
– au titre des travaux de reprise : M. [H], expert, a procédé au chiffrage des travaux de reprise des malfaçons imputables aux insuffisances de l’architecte ; il sera fait observer en réponse aux allégations de la MAF que si le rapport de M. [H] n’a pas été établi en présence de M. [J], il confirme les conclusions de l’expert judiciaire ;
– au titre du préjudice de jouissance et de perte d’exploitation : le chantier est à l’arrêt depuis juin 2018 soit depuis plus de 4 ans et la concluante communique les pièces justifiant de la valeur des gains potentiellement manqués, établis par son expert-comptable ; il sera fait observer en réponse aux allégations de la MAF que la SCI LES 3 COLIBRIS disposait d’une chance quasi-certaine de pouvoir exploiter les locaux après travaux compte tenu de leur destination médicale et paramédicale et de la forte demande pour ce type de locaux en Martinique ;
– au titre du préjudice moral : il sera rappelé que toute personne morale peut solliciter la réparation de son préjudice moral dès lors qu’il est porté atteinte à son image, à son honneur ou à sa réputation, ce qui est notamment le cas lorsqu’elle subit une atteinte à sa réputation commerciale et son image (Civ 2e, 7 octobre 2004, n°02-14.399) ; la concluante est propriétaire d’un bien d’exception situé dans un quartier très prisé, de sorte que ses locataires et leurs patients sont en droit de s’attendre à des prestations d’un niveau élevé que ne permettent pas l’état des locaux et les pannes récurrentes découlant d’une mauvaise exécution des travaux ; ceci a eu des répercussions sur l’image de la concluante et de sa gérante, très connue localement ;
– au titre du trop-perçu par M. [J] : l’expert judiciaire a relevé un trop-perçu de 608,62 euros sous réserve du bon accomplissement de sa mission ; tel n’a pas été le cas, les missions APD, PRO & DCE et ACT n’ayant pas été effectuées, la mission DET ne l’ayant été que partiellement à hauteur de 15 % selon les estimations de la concluante, soit 65 % de la mission non réalisée ;

– sur le rapport établi par le cabinet LE TECHNICIEN : M. [J] tente de le remettre en cause au motif que son rédacteur en serait un architecte radié du tableau de l’ordre, Mme [P] ; cependant, il ne ressort pas de ce rapport qu’elle en est la signataire, alors que deux autres architectes sont également membres du cabinet ;

– sur l’action directe à l’encontre de la MAF : M. [J] a souscrit une assurance responsabilité civile professionnelle auprès de la MAF ; par conséquent, en application de l’article L. 124-3 du code des assurances, la SCI LES 3 COLIBRIS est bien fondée à engager une action directe à l’encontre de la MAF, en réparation du préjudice subi.

*

Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 décembre 2022, M. [J] sollicite de la juridiction :

” Plaise au tribunal judiciaire

– De débouter la SCI LES 3 COLIBRIS de ses demandes

– la condamner au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi par l’acharnement de Madame [R] contre Monsieur [J] et condamner la SCI 3 COLIBRIS à payer la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC.”

Au soutien de sa défense, M. [J] fait valoir que :

– c’est l’article 1231-1 du code civil qui est applicable et non l’article 1147 du code civil compte tenu de la date de l’acte d’engagement conclu entre les parties, postérieure à la date d’entrée en vigueur (le 1er octobre 2016) de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

– les seuls travaux objets du litige consistent dans le réaménagement intérieur du bâtiment ;

– la demanderesse sollicite le financement de travaux de reprise de travaux qui n’ont en réalité jamais été finis ni réceptionnés, le dépassement du budget initialement prévu ayant pour origine les manquements du maître d’ouvrage et notamment les travaux supplémentaires qu’elle engage unilatéralement, en dehors de toute validation et accord de l’architecte ;

– la demanderesse a monté son dossier financier non avec le seul concluant, mais avec un assistant à maître d’ouvrage s’occupant de tout l’aspect financier du chantier et de l’obtention de subventions, un conseil technique, un expert-comptable et la comptable agissante entre autres ; elle avait parfaitement conscience de la situation financière du chantier eu égard aux tableaux de suivi produits très régulièrement par sa comptable ;

– la cause unique de la situation actuelle réside non pas dans les fautes invoquées par la demanderesse, mais dans le manque de fonds ; ainsi:

*l’incidence de l’absence de DCE est inexistante sur le dépassement ; donnent la consistance de l’enveloppe les devis existants, validés par le maître d’ouvrage sans concertation avec l’architecte pour plusieurs d’entre eux, alors que l’acte d’engagement de l’architecte mentionne bien qu’une seule entreprise devait intervenir pour tous les travaux ;
*même si un dossier récapitulatif n’a pas été établi, chacune des étapes qu’il comporte a été réalisée ;

– sur le préjudice économique demandé : la perte est imputable au seul comportement du maître d’ouvrage, dont le prévisionnel n’est au surplus pas fiable, la demanderesse ne produisant aucun document comptable alors qu’elle exploite depuis 2018 la structure ;

– sur le préjudice moral demandé : nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes ;

– sur le trop perçu par le concluant : l’expert judiciaire a déjà tranché cette question ;

– sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts : les fautes alléguées à l’encontre de l’architecte sont inexistantes et sans aucun rapport avec le préjudice subi, et les assignations répétées de la demanderesse justifient des dommages et intérêts pour préjudice moral.

*

Par conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 09 septembre 2023, la MAF sollicite de la juridiction :

” DECLARER la SCI LES 3 COLIBRIS mal fondée en ses demandes ;

– DEBOUTER la SCI LES 3 COLIBRIS de l’intégralité de ses demandes en l’absence de la démonstration d’une faute à l’encontre de Monsieur [J] et de dommages en résultant ;

Subsidiairement,

– JUGER que l’indemnisation du préjudice moral n’entre pas dans le champ des garanties offertes par la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS et DEBOUTER par voie de conséquence la SCI LES 3 COLIBRIS de sa demande de ce chef ;

– JUGER que le remboursement d’honoraire n’entre pas dans le champ des garanties offertes par la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS et DEBOUTER par voie de conséquence la SCI LES 3 COLIBRIS de sa demande de ce chef ;

En tout état de cause,

– JUGER que la garantie de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS s’appliquera dans les limites et conditions du contrat qui contient une franchise opposable aux tiers lésés en application de l’article 3 des conditions particulières ;

– JUGER que toute condamnation à l’encontre de la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS ne saurait excéder le plafond au titre des dommages immatériels non consécutifs d’un montant de 500 000 € en application de l’article 2.121 des conditions particulières ;

– CONDAMNER la SCI LES 3 COLIBRIS à 5 000 € au titre de l’article 700 du CPC ;

– LA CONDAMNER aux entiers dépens que Me Marc FLINIAUX pourra recouvrer directement conformément à l’article 699 du CPC. ”

Au soutien de sa défense, la MAF fait valoir que :

– sur l’absence de faute :

*sur les manquements en phase d’étude du projet et lors de la signature de l’acte d’engagement : il est reproché à l’assuré des manquements relatifs à l’avant-projet qu’il devait établir et qui devait être validé par le maître d’ouvrage, pour autant, la demanderesse ne démontre pas les conséquences dommageables de cette absence de pièces pas plus que le lien de causalité avec le dommage allégué qui en résulterait ;
*sur les manquements au devoir de conseil : il est reproché à l’assuré une estimation des travaux établie avec légèreté car cette sous-estimation révèlerait un différentiel de 325 000 euros, alors qu’il n’est pas démontré que les travaux auxquels correspondait l’estimation de l’assuré dépassaient cette estimation, notamment eu égard au tableau établi par l’expert judiciaire sur ce point ; le rapport d’expertise judiciaire met par contre en relief une augmentation du budget par la seule décision du maître de l’ouvrage qui a engagé des travaux supplémentaires non prévus dans son plan de financement et sans en aviser l’architecte, constat qui engage la seule responsabilité de la SCI LES 3 COLIBRIS ;
*sur les manquements relatifs à la préparation et au suivi du projet : la demanderesse se contente d’affirmer que l’expert judiciaire a relevé qu’il n’y avait eu ni DQE, ni marché, mais seulement des devis signés, sans faire le lien entre cette absence et le préjudice qui en résulterait selon elle ;

– sur les préjudices :

*au titre des travaux de reprise : les malfaçons indiquées ne ressortent d’aucune pièce contradictoire et n’ont pas fait l’objet du moindre constat, tandis que les travaux énumérés par l’expert amiable M. [H] qui a rendu un rapport non contradictoire inopposable aux défendeurs ont pour objectif de terminer l’ouvrage avec une amélioration qualitative, ce que la demanderesse reconnaît elle-même dans ses écritures ; le quantum des reprises énumérées n’a fait l’objet d’aucun constat ni de devis discuté contradictoirement ;

*au titre de la jouissance et de la perte d’exploitation : il s’agit là de deux notions différentes pour lesquelles cependant une seule somme est demandée, justifiée par la perte de chance d’obtenir les gains espérés par l’exploitation du site en raison du retard du chantier ; la demanderesse ne produit à l’appui de sa demande qu’un « prévisionnel de création d’activité » non daté, non signé, dont l’auteur n’est pas identifié et dont le contenu n’est pas compréhensible ; aucune pièce comptable de nature à justifier l’importance de la somme réclamée n’est produite ; en outre, la demanderesse valorise cette perte de chance à 100 % du bénéfice attendu, ce qui est totalement contradictoire avec la définition même de la perte de chance et avec la jurisprudence ; elle prend en compte une location à l’heure alors qu’une location mensuelle pourrait être envisagée et que compte tenu de la crise sanitaire, la location à l’heure n’aurait pas pu fonctionner normalement;
*sur le préjudice moral : la demanderesse ne justifie pas ses affirmations, et l’assuré ne peut être tenu pour responsable de l’état des locaux, pas plus que des pannes récurrentes en raison d’une mauvaise exécution des travaux qui sont de la seule responsabilité des entreprises qui ne sont pas dans la cause ;
*au titre du trop-perçu d’honoraires par l’assuré : il sera rappelé que l’expert judiciaire a évalué ce trop perçu au montant de 608,62 euros ;

-subsidiairement, sur les non garanties :

*au titre du préjudice moral : aux termes des conditions générales applicables à la police souscrite par l’assuré, la garantie n’est due que dans l’hypothèse d’une perte financière causée par le dommage immatériel, ce qui exclut donc la garantie du préjudice moral, lequel n’a aucune incidence pécuniaire (CA Versailles ch. 04, 14 septembre 2020, n°18/06434 ; CA Bordeaux, 26 janvier 2023, RG n°19/03337) ;
* au titre du trop-perçu d’honoraires : celui-ci n’entre pas dans le champ des garanties de la concluante, la police d’assurance n’ayant pas vocation à se substituer à l’assuré dans l’exécution d’obligations contractuelles qui lui sont personnelles, tel le remboursement d’honoraires à la suite d’une résiliation du contrat ou de prestations non réalisées

-en tout état de cause, sur les limites et conditions du contrat : en cas de condamnation, celles-ci sont opposables aux tiers lésés, les demandes entrant dans le cadre des garanties facultatives puisque fondées sur la responsabilité contractuelle.

*

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens, il est renvoyé aux écritures visées ci-dessus.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 13 novembre 2023, l’audience de plaidoirie fixée au 30 janvier 2024, et l’affaire mise en délibéré au 02 avril 2024, date du présent jugement.

MOTIVATION :

Préalables :

A titre liminaire, il convient de préciser que les demandes des parties tendant à voir « dire et juger » ou « constater » ne constituent pas nécessairement des prétentions au sens des dispositions des articles 4 et 30 du code de procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droit spécifique à la partie qui en fait la demande. Elles ne feront alors pas l’objet d’une mention au dispositif.

Sur l’opposabilité des rapports d’expertise amiables :

De jurisprudence constante, si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties (Ch. Mixte, 28 septembre 2012, 11-18.710), que cette expertise amiable soit contradictoire (Civ 3e, 14 mai 2020, 19-16.278, 19-16.279) ou non contradictoire (Civ 2e, 13 septembre 2018, 17-20-099 ; Civ 3e, 5 mars 2020, 19-13.509).

En l’espèce, les rapports d’expertise amiable établis par le cabinet LE TECHNICIEN et M. [H] fournis par la demanderesse ayant été régulièrement versés aux débats et soumis à la libre discussion des parties, ils leurs sont donc opposables. En revanche, afin d’établir leur valeur probante, ils devront être corroborés par d’autres éléments de preuve.

I – Sur les demandes d’indemnisation au titre de l’inexécution du contrat :

Aux termes de l’article 1217 du code civil : ” La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :
– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation;
– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
– obtenir une réduction du prix ;
– provoquer la résolution du contrat ;
– demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter.”

Sur le fondement de la responsabilité contractuelle, l’architecte et les maîtres d’œuvre assimilés tels les coordinateurs OPC, sont tenus à une obligation de moyen.

I.A. – Sur l’objet du contrat :

Deux actes d’engagement de M. [J] en date des 23 octobre 2016 et 8 février 2017 ont été versés aux débats, dont seul celui daté de février 2017 apparaît signé par les deux parties (le 8 pour la demanderesse, le 12 pour l’architecte) et manifeste ainsi leur accord ; cet acte d’engagement servira donc de base à la détermination de l’objet du contrat.

Les articles 1.3 et 1.4 du contrat stipulent que la prestation consiste en l’exercice de la maîtrise d’œuvre pour l’aménagement de la villa [Adresse 5] sise [Adresse 6] en Martinique, le programme consistant à « transformer la villa d’habitation principale, utilisée actuellement pour l’exposition-vente d’un brocanteur, en centre médical et l’annexe en espaces locatifs pour des services para-médicaux ainsi que d’élargir le carbet afin de recevoir un espace pour des pratiques d’exercice physiques liées avec l’enseigne ; le tout tel que défini dans le « programme détaillé » communiqué par le Maître de l’Ouvrage. »

Il est prévu au titre des travaux en page 4 du programme détaillé du maître d’ouvrage daté du 27 mai 2016 et transmis par les parties :

« ° intérieur

– Vérification et refection electricité
– Installation ligne internet
– Vérification des climatiseurs existants et pose de climatiseurs dans les nouvelles pièces
– peintures intérieur
– dépose de certaines salle d’eau
– dépose cuisine
– fermetures des terrasses par des baies vitrées afin de récupérer de l’espace supplémentaire
– multiples cloisons d’aménagement des box et des bureaux
– menuiserie pour l’aménagement de placards
– ré aménagement des salles d’eau et de la cuisine à des fins de rangements et d’espaces de travail
– ascenseur extérieur au niveau d’une passerelle reliant la petite maison à la grande
– Construction d’un étage 65 m2 au niveau de la petite maison

° Extérieur

– Aménagement d’un espace parking aérien
– peintures extérieures
– amélioration des voies d’accès
– réfection de certaines fenetres
– Pose de dalles photo voltaïques sur toute la surface du toit plat de la petite maison afin de produire une partie de l’electricité
– Isolation paysagée de l’espace total
– Installation d’un deck en extérieur de 60 M2
– Installation d’un ascenseur et d’une passerelle entre les 2 maisons ».

Il en ressort que l’objet du contrat porte non seulement sur l’aménagement et la transformation de l’intérieur de la villa, de son annexe et du carbet, mais aussi sur l’aménagement d’un espace parking aérien et l’amélioration des voies d’accès.

Il sera fait observer que l’acte d’engagement ni aucun autre document contractuel ne comporte de précisions quant à une réalisation de ce projet en plusieurs phases.

I.B – Sur la définition du coût des travaux au contrat :

L’article 7 du contrat relatif à l’engagement sur le coût des travaux ne mentionne pas le coût du projet global et ne prend en compte en son point 1 que l’évaluation du coût prévisible des travaux concernant le « domaine fonctionnel bâtiment hors VRD (voiries et réseaux divers) et fondations spéciales », lequel s’élève à 375 000 euros HT avec un taux de tolérance de 10%.

Cet article stipule que l’engagement sur ce coût prévisible ne devient définitif que suite à l’approbation du dossier APD sur la base des prix alors déterminés en accord avec le maître d’ouvrage, le coût d’objectif définitif et les honoraires subséquents de l’architecte devant être fixés par avenant au contrat.

Aucun avenant au contrat n’a été produit par les parties ni le dossier APS-APD dans son entier.

Il est simplement versé aux débats un « extrait du dossier APS-APD donnant ventilation sommaire du coût de réalisation de l’opération de réaménagement de la Villa [Adresse 5] à [Localité 3] » en date du 9 novembre 2016.

La lecture de ce document confirme que le montant de 375 000 euros HT ne prend en compte que les travaux « en intérieur » visés au programme détaillé et non ceux « en extérieur », ce montant correspondant aux prestations de démolitions, fondations, gros-œuvre/charpente/couverture, second-œuvre (cloisonnements, menuiseries, électricité/alarmes/informatique, plomberie, revêtements sols-murs, étanchéité et peinture), étant précisé que la mise aux normes du système autonome de traitement des eaux du site est estimée hors de ce budget à 35 000 euros HT.

En l’absence de toute précision quant aux bâtiments concernés par les prestations évoquées dans cet extrait, il y a lieu de retenir que celles-ci concernent tous les bâtiments (principal, annexe et carbet).

En effet, s’il ressort d’un courriel adressé par l’architecte au maître d’ouvrage le 22 août 2016 soit antérieurement à la conclusion du contrat que le montant de 375 000 euros correspond uniquement au coût de l’aménagement de la maison principale afin de la rendre exploitable en tant que centre médical (pièce n°16 de la SCI LES 3 COLIBRIS, n°10 de M. [J]), cette précision n’a pas été reprise dans les seuls documents contractuels versés aux débats, aussi n’y a-t-il pas lieu de la retenir.

I.C – Sur la nature et l’étendue de la mission confiée à M. [J] :

La mission de maîtrise d’œuvre confiée au contrat est une mission complète en ce qu’elle comporte les phases de conception, direction des travaux et assistance à réception (cf article 3.1 du contrat).

Dans le cadre du contrat a également été confiée au maître d’œuvre la mission d’ordonnancement, pilotage et coordination (OPC) (cf article 1.7 du contrat).

I.D – Sur l’exécution du contrat :

I.D.1 – Sur les manquements constatés par les différents experts :

I.D.1.a – par l’expert judiciaire :

Il ressort du rapport d’expertise judiciaire transmis sans les annexes que :

– sur l’état des travaux :

*les travaux structurels, de cloisonnement et d’alimentation du bâtiment principal sont réalisés hors finitions et appareillages (page 9) ;
*les travaux de second-œuvre, menuiserie, revêtement mural, sol, sont en cours de finition (page 10) ;
*les travaux clos couvert du bâtiment annexe sont réalisés hors finitions et aménagements (page 10) ;
*les constatations de l’expert relatives aux massifs de fondations de l’extension sont partiellement illisibles (page 11) ;
*les constatations de l’expert relatives à la nouvelle station d’épuration sont partiellement illisibles également (page 11) ;
*les travaux de chaussée – voirie accès ont été réalisés hors finition (page 11) ;

– sur les travaux restant à réaliser :

*les travaux ne sont pas achevés au jour de la réunion d’expertise le 3 septembre 2020 (page 12) ;
*le pointage des travaux réalisés par rapport aux pièces du marché ne peut être effectué que sur la base du Descriptif Quantitatif Estimatif (DQE) de chaque lot, or les DQE des marchés des entreprises n’ont pas été remis ; l’avant-projet APD validé par le maître d’ouvrage n’a pas été transmis ; sur la base de tableaux remis par M. [J], l’expert judiciaire évalue l’avancement des travaux à 60,09%, et la durée des travaux restant à réaliser à 6 mois (page 14) ;

– sur les capacités financières de la SCI LES 3 COLIBRIS : le financement nécessaire au budget complémentaire des travaux d’un montant de 350 000 euros n’est pas en place, la part des travaux dans le prêt initialement accordé pour un montant de 1 048 000 euros étant de 378 000 euros y compris les frais d’architecte (page 15) ;

– sur le phasage des travaux (page 16) :

*l’expert judiciaire note que les parties se rejettent la responsabilité de la réalisation, en parallèle, de l’intégralité des travaux (l’intégralité des bâtiments et VRD) ;
*il précise d’une part que l’architecte aurait dû remettre au maître d’ouvrage un dossier APD pour approbation, qu’il aurait dû réaliser un dossier de consultation d’entreprises (DCE), et que des dossiers marchés auraient dû être signés par le maître d’ouvrage, or, aucun de ces dossiers (APD, DCE, ACT) n’est produit ;

*il note d’autre part que le maître d’ouvrage a engagé des travaux (signature de devis) sans l’avis du maître d’œuvre, sans respecter le phasage des travaux et sans financement ;

– sur les sommes perçues par l’architecte : l’expert judiciaire indique que le montant des honoraires dus à l’architecte s’élève à 29 600,22 euros et que celui-ci a été réglé de 30 208, 84 euros soit 608,62 euros payés en plus au regard des missions accomplies (page 17).

I.D.1.b – par l’expert amiable (M. [H]) :

Il ressort du rapport d’expertise amiable déposé par M. [H] le 10 juillet 2020 pour le compte de la demanderesse, sur la base des documents par elle transmis, versé aux débats sans les annexes, que :

– un certain nombre de documents contractuellement prévus n’ont pas été communiqués au maître d’ouvrage (pages 4-5 et 23-24 du rapport); il sera fait observer qu’ils n’ont pas davantage été versés aux débats ; il s’agit, outre de ceux déjà visés par l’expert judiciaire, du CCAP pourtant expressément visé au contrat, des documents relatifs au suivi des travaux (planning, ordres de services, marchés d’entreprise, fiches VISA, procès-verbaux de compte-rendu de réunion de chantier), et de ceux émanant du contrôleur technique ;

– sur le suivi des travaux (page 6), l’expert amiable note avoir pu rencontrer certaines entreprises lesquelles ont indiqué n’avoir pas reçu de DCE, n’avoir reçu que des croquis à main levée pour établir leur devis, sans descriptif ni quantitatif, les travaux étant modifiés sur site par le maître d’œuvre sans matérialisation des modifications, les devis validés n’étant pas toujours honorés ;
ces constats sont corroborés par les pièces versées aux débats dont il résulte tout d’abord qu’au moins 11 entreprises sont intervenues sur le chantier sans notion de groupement alors que l’acte d’engagement prévoit en son article 1.8 que l’attribution des travaux est prévue en entreprise générale ou en groupement d’entreprises conjointes (cf pièce n°37 de M. [J]) ; que les entreprises se plaignent d’un manque de coordination des taches et d’absence de coordination du chantier voire d’absence de cotes (courriel daté du 8 septembre 2017 – pièce n°27 de M. [J]) ;

-sur les travaux réalisés : l’expert amiable constate entre autres, sans précision quant à la date de ce constat, outre de multiples finitions à réaliser et travaux à terminer (pages 7-17 et 18-21), les défauts suivants:

*dans le bâtiment principal (pages 7-14) :
– la pénétration d’eaux pluviales au rez-de-chaussée dans les bureaux au niveau du seuil et de l’ossature de la menuiserie (page 7) ;
– un décollement du bâti de porte de la baie béton (page 7) ;
– un calfeutrement du passage de la goulotte (page 7) ;
– un raccordement électrique non conforme au niveau des pièces 2 et 3 (page 10) ;

*dans l’annexe (pages 15-16) :
– une « fermeture de la baie pour volets béton utilisé non adapté » ;
– un béton de reprise mal vibré ;
– une « fermeture de la baie (linteaux) pour volet non conforme » ;
– une « fermeture des baies du bâtiment annexe non conforme (accroche de la reprise sur l’existant) » ;

il sera fait observer que ce constat de l’expert amiable n’est corroboré par aucun autre élément versé aux débats ; aussi, il ne saurait être tenu compte des défauts observés sur la seule base de l’expertise amiable, non contradictoire ;

-sur l’aspect financier des travaux, l’expert amiable conclut que sur les dépenses prévues en travaux hors VRD suivant les devis et factures soit 411 252,82 euros TTC, des payement ont été effectués à hauteur de 308 931,35 euros TTC en comptant le coût des fournitures ;

-sur le coût des travaux pour la mise en conformité des travaux existants, l’expert amiable les évalue à un montant total de 8 050 euros HT ainsi décomposés (page 25) :

*dans le bâtiment principal :
– pour la reprise de l’étanchéité des menuiseries : 900 euros HT ;
– pour les réglages des baies et portes intérieures : 200 euros HT;
– pour la fourniture et pose de prises, la reprise du câblage et la pose de la plaque de l’interrupteur : 450 euros HT ;

*dans l’annexe, pour la reprise des bétons : 6 500 euros HT ;

-sur le coût des travaux restant à réaliser, l’expert amiable les évalue à 347 760 euros HT (pages 25-31).

I.D.1.c – par le cabinet LE TECHNICIEN :

Il ressort du rapport de vérification déposé par le cabinet LE TECHNICIEN le 22 septembre 2019 pour le compte de la demanderesse sur la base des documents par elle transmis, versés aux débats, que ce dernier a procédé à l’analyse des documents contractuels et techniques remis, que les prestations à fournir pour une mission de maîtrise d’œuvre dans le cadre de l’application des éléments de mission de la loi MOP, cadre légal choisi par l’architecte, n’ont pas été respectées.

*

Ces éléments traduisent des manquements au contrat et une mauvaise exécution de ce dernier, en ce que la totalité des travaux objets du contrat ont été entamés et sont inachevés, alors que seule une partie de ces travaux avait été sommairement chiffrée.

I.D.2 – Sur la responsabilité de l’architecte suite aux manquements constatés :

En tant que maître d’œuvre à qui a été confiée une mission complète, l’architecte a une obligation générale de renseignement, de conseil, et d’assistance du maître d’ouvrage qui naît du contrat et relève de sa technicité, ceci d’autant plus quand le maître de l’ouvrage est profane en matière de construction ce qui est le cas de la SCI LES 3 COLIBRIS, laquelle a pour activité principale à la lecture de son extrait K bis, l’ « acquisition par voie d’achat ou d’apport, propriété mise en valeur transformation construction aménagement administration et location de tous biens et droits immobiliers de tous biens et droits pouvant constituer 1’accessoire l’annexe ou le complément des biens et droits immobiliers en question ».

Le maître d’œuvre coordonne les travaux, vérifie l’évolution des coûts, les situations de travaux ; il doit apprécier la nécessité de faire certains travaux supplémentaires.
Il est responsable de la surveillance des travaux ; s’il n’est pas tenu à ce titre d’une présence quotidienne sur le chantier, il doit être présent aux moments importants.

Lorsqu’il est au surplus chargé d’une mission OPC, il sera rappelé qu’à ce titre il intervient pour aider le maître d’ouvrage à élaborer le programme de construction et pour vérifier les situations de travaux, faire les décomptes. Sa mission comprend le planning des travaux et l’élaboration du budget, le constat de l’état d’avancement du chantier et la vérification matérielle des travaux.

Or, en l’espèce, au titre de son obligation générale de conseil, il relevait du devoir de l’architecte en tant que professionnel de s’accorder clairement avec le maître d’ouvrage sur l’objet du contrat ainsi que sur sa définition précise et détaillée, sur sa réalisation en différentes phases ou non, sur le prix des travaux et les prestations précises qu’il devait recouvrir.

Tel n’est pas le cas en l’espèce comme constaté ci-dessus.

Si l’absence des documents attestant de l’exécution de ses missions par l’architecte ne suffit pas à constituer une faute à soi seule qui serait à l’origine des dérives du chantier observées par les experts, il sera tout d’abord fait observer qu’aucun autre des éléments produits qui consistent essentiellement en des courriels ou des tableaux financiers dont le caractère contractuel n’est pas attesté, ne permet de s’assurer de ce que les missions prévues au contrat ont été effectivement exécutées comme le prétendent les défendeurs.

Or c’est à l’architecte qu’il incombe de produire ces documents non seulement parce que ceux-ci sont contractuellement prévus, mais encore parce que celui qui se prétend libéré de ses obligations doit justifier ce qui en a produit l’extinction en vertu des dispositions de l’article 1353 du code civil.

Surtout, l’absence des documents contractuellement prévus, notamment du CCAP et des dossiers APS-APD, est bien à l’origine du flou et de l’imprécision entraînant le décalage entre d’une part l’objet du contrat, lequel prévoit les réaménagements intérieurs aussi bien qu’extérieurs de la villa, et d’autre part le coût prévisible des travaux, au titre duquel n’a été chiffrée qu’une partie des travaux (ceux envisagés « en intérieur ») et non l’intégralité des travaux objets du contrat.

Il appartenait à l’architecte de provoquer la résolution de cette contradiction avec le maître d’ouvrage avant la phase d’exécution des travaux, et il a commis une faute contractuelle en ne le faisant pas, ce manquement à son devoir de conseil dans la phase de conception des travaux ayant entraîné la réalisation de travaux effectivement prévus dans l’objet du contrat, mais pas dans la définition de son coût.

Cette absence de production des documents dont l’architecte était contractuellement redevable ne permet pas davantage de s’assurer de ce que les missions de l’architecte ont bien été remplies en phase d’exécution des travaux, alors que l’architecte a également été chargé d’une mission de coordination OPC au titre de l’acte d’engagement, laquelle implique de prévoir un planning des travaux et l’élaboration du budget, le constat de l’état d’avancement du chantier et la vérification matérielle des travaux.

Or, il ressort des pièces produites et analysées ci-dessus que les travaux ont souffert dans leur exécution d’une multiplicité d’intervenants, d’un manque de directives et d’orientations avec un suivi effectué au fil de l’eau, d’un manque de coordination des taches et d’une absence de coordination du chantier.

La réalisation de ces taches revenait contractuellement à l’architecte, à la fois en tant que maître d’œuvre chargé du suivi des travaux et coordinateur chargé d’une mission OPC, et il y a manqué.

L’architecte invoque comme causes d’exonération l’absence de financement des travaux par le maître d’ouvrage et son immixtion fautive dans le suivi des travaux, en ce qu’il a engagé des entreprises et signé des devis sans l’en informer et sans attendre sa validation.

Ces causes ne sauraient être retenues.

Il revenait à l’architecte, en tant à la fois que maître d’œuvre chargé d’une mission complète et coordinateur chargé d’une mission OPC de s’assurer concrètement auprès du maître de l’ouvrage de l’enveloppe budgétaire dont il disposait avant d’entamer sa mission.

Concernant l’immixtion fautive du maître d’ouvrage, si l’expert judiciaire reprend ce point et si ce reproche ressort effectivement des courriels que l’architecte adresse au maître d’ouvrage, il sera relevé que l’expert judiciaire ne mentionne pas les pièces analysées qui lui permettent de poser cette affirmation, et qu’aucun des devis signés par le maître d’ouvrage n’est produit, ce qui ne permet pas non plus de vérifier les allégations de l’architecte sur ce point.

Ce moyen sera par conséquent écarté, et la responsabilité de l’architecte dans la mauvaise exécution du contrat sera retenue.

I.E – Sur la réparation et l’évaluation des préjudices :

Aux termes de l’article 1231 du code civil : « A moins que l’inexécution soit définitive, les dommages et intérêts ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis ne demeure de s’exécuter dans un délai raisonnable. »

Aux termes de l’article 1231-1 du même code : ” Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.”

Aux termes de l’article 1231-2 du même code : ” Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après.”

Aux termes de l’article 1231-3 du même code : ” Le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive.”

Il sera rappelé au préalable qu’aucune résiliation du marché de travaux n’est intervenue contrairement à ce qui est affirmé de part et d’autre, le courrier daté du 1er décembre 2018 adressé au maître d’ouvrage émanant de M. [J] et versé aux débats indiquant : « nous vous prions de procéder à la résiliation de notre contrat de maîtrise de l’œuvre à compter de ce jour », ce qui s’analyse en une demande au maître d’ouvrage de résilier le contrat, et non en une résiliation en bonne et due forme du marché de travaux par M. [J].

En application des textes susvisés, lorsque l’inexécution est acquise et a causé un préjudice au contractant, celui-ci est en droit d’obtenir des dommages et intérêts malgré l’absence de mise en demeure. Seul le préjudice prévisible lors de la conclusion du contrat est réparable sauf preuve d’une faute lourde ou dolosive du débiteur, les dommages-intérêts alloués devant réparer le préjudice subi sans qu’il en résulte ni perte ni profit pour le maître d’ouvrage, qui doit être replacé dans une situation aussi proche que possible de la situation qui aurait été la sienne si le dommage ne s’était pas produit.

L’inexécution du contrat est acquise en ce que l’inachèvement des travaux dû au décalage entre l’objet des travaux et le coût prévisible annoncé d’une part, et à des carences de suivi d’autre part, a été constaté. L’architecte en a été reconnu responsable et a de ce fait causé un préjudice au maître d’ouvrage, en ce que l’exécution de travaux dans leur intégralité selon un coût prévisible englobant leur totalité constitue l’objet même du contrat entre les parties et est donc par définition prévisible contractuellement.

Par conséquent il y a lieu de condamner l’architecte à réparer le préjudice causé à la demanderesse à ce titre.

I.E.1 – Sur le préjudice subi au titre de l’inachèvement des travaux :

La demanderesse a évalué son préjudice à ce titre pour un montant de 409 400 euros HT, correspondant à l’évaluation par l’expert amiable de la totalité des travaux restant à effectuer majorée de 15% compte tenu de la problématique des travaux commencés par une entreprise et terminés par une autre.

Il sera tout d’abord fait observer que les travaux de reprise en tant que tels c’est-à-dire des travaux de reprise de malfaçons, ne sauraient être indemnisés, dès lors que les malfaçons n’ont pas été prises en compte au titre de la mauvaise exécution du contrat, en l’absence d’élément corroborant le rapport d’expertise amiable non contradictoire qui les constate.

Il sera rappelé qu’au regard des évaluations effectuées par l’expert amiable, ces reprises de malfaçons avaient été évaluées à la somme de 8 050 euros HT.

Il sera également rappelé que la mauvaise exécution des travaux a privé le maître d’ouvrage de manière actuelle et certaine de l’éventualité favorable de voir effectuer la totalité des travaux selon un coût prévisible correspondant effectivement à l’intégralité des travaux et à son enveloppe budgétaire, ce qui s’analyse en réalité en perte de chance, laquelle ne saurait correspondre à la prise en charge totale de l’achèvement des travaux.

Cette perte de chance sera évaluée à hauteur de 40% du montant des travaux demeurant à achever, évalués par l’expert amiable à hauteur de 347 760 euros HT.

La demanderesse ne justifiant pas de ce que les travaux commencés ne pourront être terminés par les mêmes entreprises, il ne sera pas tenu compte de la majoration de 15% précitée, et elle sera indemnisée au titre de sa perte de chance à hauteur de 139 104 euros HT (347 760 x 0,40).

I.E.2 – Sur le préjudice économique subi :

La demanderesse sollicite la somme de 972 465 euros correspondant selon elle à une perte de chance d’obtenir les gains espérés par l’exploitation du centre médical objet des travaux.

Elle verse à l’appui de sa demande un document prévisionnel de création d’activité de janvier 2017 à décembre 2019, non daté, non signé et dont l’auteur demeure inconnu, aucune nouvelle pièce permettant d’établir qu’il a été réalisé par l’expert-comptable de la SCI LES 3 COLIBRIS n’ayant été versée, contrairement à ce que celle-ci allègue.

Le montant des dommages et intérêts réclamés est calculé sur les trois dernières années et sur la base du résultat courant projeté pour l’année 2019 lequel est de 324 155 euros, constitué en grande partie par les revenus locatifs prévisionnels.

Si cette perte ne peut effectivement s’analyser qu’en une perte de chance correspondant à la disparition de l’éventualité favorable d’exploiter le centre médical comme prévu consécutivement à l’inachèvement des travaux, il sera fait observer que le premier constat (non daté) de cet inachèvement versé aux débats consiste dans le rapport d’expertise amiable déposé le 10 juillet 2020 ; c’est par conséquent à compter de cette date que sera évaluée la perte de chance de la demanderesse de pouvoir exploiter le centre médical jusqu’à la date du présent jugement, soit pour une durée de 3 ans 8 mois et 23 jours.

En l’absence de toute donnée sur la probabilité de louer ces locaux, la demanderesse se contentant d’affirmer qu’elle disposait d’une chance quasi-certaine de pouvoir les exploiter après travaux compte tenu de la demande de locaux pour les professions médicales et para-médicales en Martinique, et eu égard au peu de fiabilité des données chiffrées présentées, cette perte de chance sera évaluée à hauteur de 10% du montant du résultat courant prévisionnel allégué pour l’année 2019.

Par conséquent, la demanderesse sera indemnisée à ce titre à hauteur de 120 893,87 euros selon le calcul suivant : [(324 155 x 3) + (324 155 x 8 / 12) + (324 155 x 23/366)] x 0,10.

I.E.3 – Sur le préjudice moral :

La demanderesse sollicite le payement de la somme de 50 000 euros à ce titre.

Elle expose être propriétaire d’un bien d’exception situé dans un quartier très prisé de la ville de [Localité 4], de sorte que ses locataires et leurs patients étaient en droit de s’attendre à des prestations d’un niveau élevé ; que l’état des locaux et les pannes récurrentes ont eu des répercussions sur son image, sa gérante étant très connue localement, les prestations réalisées n’étant pas à la hauteur de ce qui a été annoncé ou de ce qui devait être attendu. 

Elle ne verse aucune pièce à l’appui de ses affirmations, aussi sa demande d’indemnisation au titre du préjudice moral sera rejetée.

I.E.4 – Sur le préjudice découlant du trop-perçu d’honoraires :

La demanderesse sollicite le remboursement d’un trop-perçu d’honoraires à hauteur de 19 417,098 euros.

Cette somme correspond à 65% du montant des honoraires de l’architecte, et également, selon elle, aux prestations partiellement réalisées par ce dernier.

Cependant, il a déjà été fait droit aux prétentions de la demanderesse relatives aux préjudices découlant de la mauvaise exécution de sa mission par l’architecte, aussi ne saurait-elle être doublement indemnisée à ce titre.

Il ressort de l’expertise judiciaire que le trop-perçu des honoraires versés à l’architecte s’élève au montant de 608.62 euros correspondant à la mission d’assistance à réception n’ayant pu être réalisée.

Aussi la demanderesse sera-t-elle indemnisée du trop-perçu d’honoraires à hauteur de ce montant.

I.E.5 – Sur le préjudice subi au titre des frais d’expertise et dépens :

La demande au titre des frais d’expertise judiciaire sera examinée au stade des demandes relatives aux dépens, ceux-ci comprenant les frais d’expertise judiciaire.

La demande au titre des frais d’expertise amiable sera rejetée, en l’absence de tout justificatif produit quant aux frais engagés à ce titre.

I.E.6 – Sur la garantie de la MAF :

Aux termes de l’article L.124-3 du code des assurances : « Le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable. L’assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n’a pas été désintéressé, jusqu’à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l’assuré. »

En l’espèce M. [J] a souscrit un contrat d’assurance en matière de responsabilités professionnelles auprès de la MAF prenant effet à compter du 1er janvier 2008.

La MAF conteste sa garantie uniquement au titre du préjudice moral (la demande à ce titre a fait l’objet d’un rejet) et du trop-perçu d’honoraires.

Le remboursement d’honoraires relève de l’exécution d’obligations contractuelles, lesquelles sont personnelles à l’assuré et ne font pas l’objet de garantie au contrat d’assurance.

Aussi la MAF ne doit-elle sa garantie à son assuré qu’au titre de l’indemnisation du préjudice du fait de l’inachèvement des travaux et du préjudice économique.

Son assuré ayant été reconnu responsable sur un fondement contractuel, seule la garantie facultative souscrite au titre des responsabilités professionnelles s’applique.

Dès lors en vertu de l’article L.112-6 du code des assurances, la MAF est fondée à opposer les limites contractuelles de sa police pour les garanties responsabilité professionnelle autres que décennale (plafond et franchise), limites qu’elle précise et dont elle justifie (pièce n°1), soit un plafond de 500 000 euros par sinistre pour les dommages immatériels ainsi qu’une franchise contractuelle évolutive par tranche de sinistre selon les modalités stipulées à l’article 3 des conditions particulières (10% sur la tranche de sinistre inférieure à 3 035,56 euros ; 5% sur la tranche de sinistre comprise entre 3 035,56 et 15 177,80 euros ; 3% sur la tranche de sinistre comprise entre 15 177,80 et 30 355,60 euros ; 2% sur la tranche de sinistre comprise entre 30 355,60 et 45 889,01 euros ; 1% sur la tranche de sinistre supérieure à 75 889,01 euros) avec un minimum de 60,71 euros et un maximum de 7 588,90 euros, soit en l’espèce la somme de 4 465,52 euros de franchise, au regard du pourcentage évolutif des sommes dues [3 035.56×0.1+(15 177,80-3 035,56)x0.05 + (30 355,60-15 177,80)x0.03 + (75 889,01-30 355,60)x0.02 + (173 880+120 893,87 – 75 889,01)x0.01].

Par conséquent, la MAF doit sa garantie, dans les limites contractuelles de sa police (plafonds et franchise) à son assuré M. [J] et aux tiers.

*

Par conséquent, il ressort de ce qui précède que M. [J] et la MAF seront condamnés in solidum à payer à la demanderesse les sommes de :
-139 104 euros HT au titre de l’inachèvement des travaux ;
-120 893,87 euros au titre du préjudice économique.

M. [J] sera condamné à payer à la demanderesse la somme de 608,62 euros au titre du trop-perçu d’honoraires.

II – Sur la demande reconventionnelle d’indemnisation au titre de l’abus de droit :

Aux termes de l’article 1240 du code civil : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Toute faute dans l’exercice des voies de droit est susceptible d’engager la responsabilité de son auteur, mais celui qui triomphe même partiellement en son action ne peut être condamné à des dommages et intérêts pour abus du droit d’agir en justice ou pour résistance.

En l’espèce la SCI LES TROIS COLIBRIS triomphe partiellement en son action, aussi la demande reconventionnelle de M. [J] en dommages et intérêts pour abus de droit sera-t-elle rejetée.

III – sur les demandes accessoires :

Aux termes de l’article 695 du code de procédure civile : « Les dépens afférents aux instances, actes et procédures d’exécution comprennent :
1° Les droits, taxes, redevances ou émoluments perçus par les greffes des juridictions ou l’administration des impôts à l’exception des droits, taxes et pénalités éventuellement dus sur les actes et titres produits à l’appui des prétentions des parties ;
2° Les frais de traduction des actes lorsque celle-ci est rendue nécessaire par la loi ou par un engagement international ;
3° Les indemnités des témoins ;
4° La rémunération des techniciens ;
5° Les débours tarifés ;
6° Les émoluments des officiers publics ou ministériels ;
7° La rémunération des avocats dans la mesure où elle est réglementée y compris les droits de plaidoirie ;
8° Les frais occasionnés par la notification d’un acte à l’étranger ;
9° Les frais d’interprétariat et de traduction rendus nécessaires par les mesures d’instruction effectuées à l’étranger à la demande des juridictions dans le cadre du règlement (CE) n° 1206/2001 du Conseil du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des Etats membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile et commerciale ;
10° Les enquêtes sociales ordonnées en application des articles 1072, 1171 et 1221 ;
11° La rémunération de la personne désignée par le juge pour entendre le mineur, en application de l’article 388-1 du code civil ;
12° Les rémunérations et frais afférents aux mesures, enquêtes et examens requis en application des dispositions de l’article 1210-8. »

Aux termes de l’article 696 alinéa 1 du même code : “La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.”

Aux termes de l’article 700 alinéas 1 et 2 du même code : “Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer:
1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2° Et, le cas échéant, à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l’aide aurait exposés s’il n’avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.”

M. [J] et la MAF succombant en leurs prétentions essentielles, ils seront condamnés in solidum aux dépens supportés par la SCI LES 3 COLIBRIS, lesquels comprendront les frais et honoraires d’expertise judiciaire.

En équité, eu égard à la situation économique des parties, M. [J] et la MAF seront condamnés in solidum, au titre des frais irrépétibles, à payer à la SCI LES 3 COLIBRIS la somme de 6 000 euros.

M. [J] sollicite dans le corps de ses dernières écritures le rejet de l’exécution provisoire, qu’il ne reprend pas dans le dispositif. Il sera rappelé que le Tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ainsi qu’il est prévu à l’article 768 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort ;

Condamne in solidum Monsieur [K] [J] et son assureur la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS à payer à la SCI LES TROIS COLIBRIS les sommes de :
-139 104 euros HT au titre de l’inachèvement des travaux ;
-120 893,87 euros au titre du préjudice économique ;
étant précisé que la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS peut opposer aux parties sa franchise de 4 465,52 euros au total au titre du sinistre objet de la présente instance ;

Condamne Monsieur [K] [J] à payer à la SCI LES TROIS COLIBRIS la somme de 608,62 euros au titre du trop-perçu d’honoraires ;

Déboute Monsieur [K] [J] de sa demande reconventionnelle formulée au titre de l’abus de droit ;

Condamne in solidum Monsieur [K] [J] et son assureur la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS aux dépens lesquels comprendront les frais et honoraires d’expertise judiciaire ;

Condamne in solidum Monsieur [K] [J] et son assureur la MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS à payer à la SCI LES TROIS COLIBRIS la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Rappelle que l’exécution provisoire est de droit ;

Rejette le surplus des demandes.

Fait et jugé à Paris le 02 avril 2024

Le greffierLe président

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x