En cas de suppression d’un compte Instagram, la demande d’expertise pour vérifier que Meta ne dispose plus de traces de ces données, n’a que peu de chances d’aboutir.
En la cause, la « Case Manager » au sein de la société Meta, dont l’activité consiste à faciliter l’identification, la conservation, la collecte, l’analyse et la production des données Instagram utilisées à titre de preuves notamment par MPIL dans le cadre de procédures judiciaires au sein de l’Union Européenne, a affirme avoir « vérifié les données du système concernant un compte Instagram utilisant le nom d’utilisateur [Courriel 1] ». Elle « confirme qu’aucun élément n’a pu être trouvé dans les outils internes de Meta Ireland concernant un compte, qui soit n’a jamais existé, soit a été supprimé par son titulaire. En conséquence, Meta Ireland ne détient aucune information d’identification concernant ce compte Instagram, à supposer qu’il ait existé. Sous réserve que ce compte Instagram ait existé, les informations d’identification associées ont été supprimées de manière permanente et irréversible et ne peuvent pas être récupérées par Meta Ireland. » Le demandeur à l’expertise n’apporte aucun élément probant permettant de supposer que, soit ce compte existe toujours, soit que la mesure d’expertise qu’il sollicite a une chance d’aboutir, pour retrouver les informations qu’il réclame, alors même que la société fait valoir que si le compte est supprimé, les informations d’identification associées le sont aussi, de manière permanente et irréversible. Il ne démontre pas que les informations supprimées pourraient être récupérées par un expert judiciaire. Et si la mesure d’expertise qui est sollicitée devait uniquement avoir pour objet d’établir que les données ont réellement été supprimées et qu’elles ne peuvent pas être récupérées, elle ne répond plus au fondement initial de l’action en référé probatoire du demandeur qui a pour objectif d’identifier l’auteur des messages adressés à sa famille pour la faire condamner pénalement. L’article 143 du code de procédure civile dispose que « Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible. » L’article 232 du code de procédure civile ajoute que « Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert la lumière d’un technicien. » Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. » Justifie d’un motif légitime au sens de ce texte, la partie qui démontre la probabilité de faits susceptibles d’être invoqués dans un litige éventuel. Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur. L’appréciation du motif légitime au sens de ce texte relève du pouvoir souverain du juge du fond qui peut rejeter les demandes qui lui paraissent inutiles (Civ. 2e, 20 mars 2014, n°13-14.985). Par ailleurs, il est admis que les mesures de production de pièces, qui ne relèvent pourtant pas formellement du sous-titre « les mesures d’instruction », peuvent être prescrites sur le fondement de cet article. Toutefois, la production ne peut être ordonnée que si l’existence de la pièce est certaine. Le demandeur doit ainsi faire la preuve que la pièce ou les informations recherchées sont détenues par celui auquel il les réclame. |
Résumé de l’affaire : Monsieur [B] [Z] [J] a assigné en référé la société META PLATFORMS INC devant le Tribunal judiciaire de Versailles, demandant la communication de données permettant d’identifier l’éditeur d’un compte Instagram ayant envoyé des messages nuisibles à sa famille. Il a également demandé la rectification d’une erreur dans la désignation de la société, la reconnaissance de la compétence territoriale du tribunal, et la constatation de l’illégalité de la politique de conservation des données de la défenderesse. À l’audience, il a sollicité une expertise technique pour récupérer les données du compte litigieux et a demandé des dommages et intérêts pour le préjudice moral subi.
La société META PLATFORMS IRELAND LIMITED a contesté la demande, arguant qu’elle était mal fondée et impossible à exécuter, et a demandé le rejet des demandes de M. [B] [Z] [J]. Elle a soutenu que les conditions pour obtenir les informations sollicitées n’étaient pas remplies et que le compte en question avait été supprimé, rendant la demande caduque. Le tribunal a finalement mis hors de cause META PLATFORMS INC, rejeté la demande d’expertise, et déclaré qu’il n’y avait pas lieu à référé sur la demande de dommages et intérêts. M. [B] [Z] [J] a été condamné à verser des frais à la société META PLATFORMS IRELAND LIMITED et à supporter les dépens. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
10 OCTOBRE 2024
N° RG 24/00843 – N° Portalis DB22-W-B7I-SAY2
Code NAC : 14A
AFFAIRE : [B] [Z] [J] C/ Société META PLATFORMS IRELAND LIMITED
DEMANDEUR
Monsieur [B] [Z] [J]
né le 12 mars 1979 à [Localité 3] (RDC), de nationalité française, demeurant [Adresse 2], exerçant la profession de Directeur de Banque
représenté par Me Julie GOURION-RICHARD, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51, Me Alexandre LAZAREGUE, avocat au barreau de PARIS
DÉFENDERESSE
SOCIÉTÉ META PLATFORMS IRELAND LIMITED (“MPIL”)
société de droit irlandais, dont le siège social est situé à [Adresse 4], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social
(assignation signifiée à la partie : META PLATFORMS INC)
représentée par Me Bertrand LIARD, avocat au barreau de PARIS, Me Sophie LEGOND, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 7
Débats tenus à l’audience du : 05 Septembre 2024
Nous, Béatrice LE BIDEAU, Vice Présidente, assistée de Virginie DUMINY, Greffière, pour les plaidoiries et de Ingrid RESZKA, Greffière, pour le prononcé
Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil, à l’audience du 05 Septembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 10 Octobre 2024, date à laquelle l’ordonnance suivante a été rendue :
Par acte de commissaire de justice en date du 03 mai 2024, monsieur [B] [Z] [J] a fait assigner en référé devant le Tribunal judiciaire de Versailles la société META PLATFORMS INC, société de droit irlandais, dont le siège social est en à Dublin en IRLANDE, aux fins de voir :
– Déclarer [B] [Z] [J] recevable et bien fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions,
– Retenir sa compétence territoriale pour connaître du litige,
– Ordonner à la société META PLATFORMS INC, de communiquer à [B] [Z] [J] les données de nature à identifier le ou les éditeurs du compte [Courriel 1] qu’elle héberge et a minima
o Le nom et prénom, la date et le lieu de naissance de la personne concernée ;
o Les adresses postales liées au compte ;
o Les adresses email de l’utilisateur et des comptes associés ;
o Les numéros de téléphone ;
Et ce dans le délai de 15 jours à compter de la notification/signification de cette ordonnance puis sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard.
– Juger que la société META PLATFORMS INC ne s’oppose pas à communiquer, en outre :
o Les protocoles utilisés et l’adresse IP pour la connexion au service et pour le transfert des contenus ;
o L’identifiant de connexion au moment de la création du compte ;
o La date de création du compte.
– Ordonner que chaque partie prenne en charge ses propres frais.
À l’audience du 05 septembre 2024 à laquelle l’affaire a été retenue après un renvoi, monsieur [B] [Z] [J], représenté par conseil, s’en rapporte oralement à ses conclusions n°3 demandant au président du tribunal de :
Sur la rectification matérielle :
– Reconnaître que l’assignation initiale comportait une erreur matérielle en désignant la société de droit irlandais Meta Platforms Ireland Limited (« MPIL ») sous la dénomination erronée de META Platforms Inc.
– Régulariser cette assignation en corrigeant officiellement la dénomination erronée pour la remplacer par Meta Platforms Ireland Limited (« MPIL »), conformément à l’intention initiale du demandeur.
– Maintenir la procédure en cours, considérant que Meta Platforms Ireland Limited (« MPIL») s’est reconnue comme partie concernée par l’assignation et a déjà répondu par courriel officiel en se reconnaissant nommément désignée.
– Rejeter toute demande de nullité de la part de la partie adverse basée sur l’erreur matérielle, puisque cette erreur a été reconnue et acceptée par Meta Platforms Ireland Limited (« MPIL »).
Sur les conclusions remises par la société Meta Platforms Ireland Limited (« MPIL ») :
– Rejeter les conclusions tardives de la société Meta Platforms Ireland Limited (« MPIL ») déposées le 2 septembre 2024 pour non-respect du principe du contradictoire, ces conclusions et pièces ayant été transmises trop tardivement et sans permettre au demandeur un délai raisonnable pour en prendre connaissance et y répondre.
Sur le fond :
– Déclarer [B] [Z] [J] recevable et bien fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions.
– Retenir sa compétence territoriale pour connaitre du litige.
– Constater l’illégalité de la politique de conservation des données de la défenderesse, qui est en réalité contraire aux obligations légales de conservation des données personnelles et aurait dû disposer des données demandées.
– Ordonner une expertise technique conformément aux dispositions du Règlement (UE) 2020/1783 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale.
– Mandater un expert en informatique basé en Irlande pour récupérer les données personnelles du compte litigieux sur Facebook, dont le siège social européen est situé en Irlande. Les missions de cet expert seront :
Accéder aux serveurs de Facebook pour extraire toutes les données pertinentes liées au compte litigieux en particulier les informations suivantes concernant le compte Instagram litigieux [Courriel 1] :Le nom et prénom du titulaire du compte. Les pseudonymes utilisés. Les adresses postales et électroniques associées au compte. Les numéros de téléphone associés au compte. L’identifiant de connexion et les adresses IP utilisées pour la création et les connexions au compte.Vérifier l’intégrité des données récupérées. Analyser les preuves de suppression de données, s’il y en a eu.Conserver les preuves conformément aux normes légales et techniques.Rédiger un rapport détaillé de l’expertise menée. Mettre à la charge de la défenderesse l’ensemble des frais relatifs à l’expertise et à la procédure en Irlande.
A titre subsidiaire :
– Constater l’illégalité du comportement de la défenderesse, qui a rendu indisponible la pièce demandée de manière légitime en application de l’article 145 du Code de procédure civile.
– Reconnaître le dommage subi par le demandeur et, compte tenu du caractère provisoire des décisions rendues par sa juridiction, ordonner le versement d’une provision de 15 000 € en attendant que la juridiction de fond statue sur les dommages et intérêts justifiés par le préjudice moral éprouvé par le demandeur.
– Condamner la défenderesse aux dépens, en raison de son échec dans le présent litige.
– Mettre à la charge de la défenderesse, par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile, les frais non compris dans les dépens engagés par le demandeur pour faire valoir ses droits et obtenir un titre, somme fixée à 7 000 €.
En substance, il expose que sa vie familiale a été détruite en raison de messages reçus au cours du mois d’août 2023 par son fils et son épouse d’une personne soutenant être sa maîtresse et avoir eu un enfant avec lui, message émanant d’un compte Instagram [Courriel 1] qui a manifestement usurpé l’identité de madame [F] [N], Miss Pays de la Loire 2020 au vu des photos publiées. Il demande à la société MPIL de lui fournir les éléments permettant de retrouver l’identité de l’auteur de ces messages dans la perspective d’une action pénale à son encontre pour les infractions de harcèlement moral, d’appels malveillants et d’usurpation d’identité, dont il dit qu’elle n’est pas manifestement vouée à l’échec. Il ajoute que l’expertise qu’il sollicite finalement a pour objectif de retrouver les données qu’il réclame ou subsidiairement de faire la preuve qu’elles n’ont effectivement pas été conservées, comme le soutient la société MPIL. A titre subsidiaire, il demande des dommages et intérêts, pour un montant ramené à la somme de 7 000 euros à l’audience, pour le préjudice moral lié à l’illégalité du comportement de la société qui a rendu indisponible la pièce demandée de manière légitime en application de l’article 145 du code de procédure civile, rappelant que sa famille a été détruite.
La société META PLATFORMS IRELAND LIMITED, représentée par conseil, a signifié des conclusions par RPVA le 02 septembre 2024 dans lesquelles elle demande au président du tribunal de :
– Juger que la demande de communication d’informations d’identification concernant le compte Instagram [Courriel 1], formulée par Monsieur [B] [Z] [J], est mal fondée et ne peut être ordonnée car elle serait matériellement impossible à exécuter ;
– Juger que les demandes de M. [B] [Z] [J] visant à juger que MPIL a manqué à son obligation légale en vertu de l’article 6-II de la LCEN (désormais article 6-V-A de la LCEN), à ses obligations contractuelles en vertu des Conditions d’Utilisation et de la Politique de Confidentialité, et que les Conditions d’Utilisation et la Politique de Confidentialité sont illégales, ne peuvent être entendues car elles ne relèvent pas de la compétence du juge des référés mais d’un juge du fond ;
– Juger que la demande de M. [B] [Z] [J] de désignation d’un expert informatique est infondée et ne peut être ordonnée car elle ne répond pas aux conditions de l’article 145 du Code de procédure civile ;
En conséquence,
– Rejeter la demande de communication d’informations d’identification concernant le compte Instagram [Courriel 1] formulée par Monsieur [B] [Z] [J] ;
– Rejeter la demande de M. [B] [Z] [J] visant à constater que les Conditions d’Utilisation et la Politique de Confidentialité de Meta Platforms Ireland Limited sont illégales;
– Rejeter la demande de M. [B] [Z] [J] de désignation d’un expert informatique ;
– Rejeter les demandes subsidiaires de M. [B] [Z] [J] visant à :
(i) constater que le comportement de Meta Platforms Ireland Limited était illégal car elle aurait rendu les preuves demandées indisponibles ;
(ii) ordonner à Meta Platforms Ireland Limited de payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts provisionnels ;
Sur la demande d’assortir la décision à intervenir d’une astreinte,
– Juger que la demande de Monsieur [B] [Z] [J] tendant à voir assortir la décision à intervenir d’une astreinte, est infondée, injustifiée et disproportionnée;
En conséquence,
– Rejeter la demande d’astreinte formulée par Monsieur [B] [Z] [J] ;
– À tout le moins, juger que toute astreinte attachée à la décision à intervenir est provisoire.
En tout état de cause,
– Débouter Monsieur [B] [Z] [J] de sa demande visant à condamner Meta Platforms Ireland Limited à payer la somme de 7 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et à supporter tous les dépens ;
– Débouter Monsieur [B] [Z] [J] de toutes ses demandes à l’encontre de Meta Platforms Ireland Limited ;
– Condamner Monsieur [B] [Z] [J] à verser à Meta Platforms Ireland Limited la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile;
– Condamner Monsieur [B] [Z] [J] aux entiers dépens.
En substance, la société MPIL fait valoir que les conditions de l’article 145 du code de procédure civile ne sont pas remplies, en ce sens qu’il ne démontre pas disposer d’un motif légitime à obtenir la communication des informations sollicitées en vue d’un potentiel procès, qu’en outre, la mesure est impossible à exécuter, le compte Instagram litigieux n’ayant pas été retrouvé, ce qui ne peut que signifier qu’il a été supprimé par son utilisateur et qu’en application de ses conditions d’utilisation et de sa politique de confidentialité, les données afférentes à ce compte ont été supprimées au bout de 90 jours. Elle s’oppose à la demande de dommages et intérêts aux motifs que la question de savoir si la société a commis une faute en ne conservant pas les données de l’utilisateur ne peut être tranchée que par le juge du fond au vu du débat relatif à la loi applicable mais également parce que ni le préjudice ni le lien de causalité ne sont établis. Enfin, elle s’oppose à la mesure d’expertise sollicitée au motif qu’aucun motif légitime ne la justifie dès lors qu’elle n’a pas pour objet d’améliorer la situation probatoire du demandeur contre le titulaire du compte Instagram mais de démontrer que la société MPIL ment lorsqu’elle affirme ne pas avoir conservé ces données.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures et leurs observations orales conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
La décision a été mise en délibéré au 10 octobre 2024.
En préambule, il convient de rappeler que le tribunal n’est pas tenu de statuer sur les demandes de “constatations” ou de “dire et juger” qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques mais constituent en réalité des moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
Sur la dénomination de la partie en défense
Malgré l’erreur de dénomination de la partie en défense dans l’assignation délivrée à l’adresse du siège social de la société Meta Platforms Ireland Limited mais à la société dénommée META PLATFORMS INC, c’est bien la société Meta Platforms Ireland Limited qui a constitué avocat et qui est visée dans les dernières conclusions du demandeur.
Elle est donc régulièrement dans la cause.
La société META PLATFORMS INC sera toutefois mise hors de cause au dispositif de la présente décision pour la régularité de la procédure.
Sur la compétence territoriale
Elle n’est pas remise en cause par la partie adverse.
Sur la demande de rejet des conclusions et pièces du défendeur
Selon l’article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquelles elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.
Selon l’article 16 du même code, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produit par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
En l’espèce, monsieur [B] [Z] [J] a sollicité à l’audience que soient écartées les dernières conclusions et pièces de la société, au motif qu’elles n’avaient été reçues par RPVA que les 2 et 3 septembre 2024.
L’affaire, qui avait été appelée initialement à l’audience du 04 juillet 2024, a été renvoyée au 05 septembre 2024 à la demande du défendeur qui souhaitait répondre aux nouvelles demandes du demandeur, formulées le 04 juillet 2024, en réponse à ses propres écritures du 03 juillet 2024. Ce renvoi a été accordé sans calendrier de procédure.
Il s’avère que malgré un envoi tardif des conclusions du défendeur au égard de la date de l’audience, monsieur [B] [Z] [J] a pu y répondre et prendre connaissance de ses dernières pièces qui sont uniquement des décisions de justice.
Dès lors, il y a lieu de considérer que le contradictoire a pu être respecté, le demandeur qui avait toujours la possibilité de demander le renvoi de l’affaire ne l’ayant pas fait, de sorte que la demande de rejet des pièces et conclusions du défendeur a été rejetée à l’audience.
Sur la demande d’expertise
L’article 143 du code de procédure civile dispose que « Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible. »
L’article 232 du code de procédure civile ajoute que « Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert la lumière d’un technicien. »
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »
Justifie d’un motif légitime au sens de ce texte, la partie qui démontre la probabilité de faits susceptibles d’être invoqués dans un litige éventuel. Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.
L’appréciation du motif légitime au sens de ce texte relève du pouvoir souverain du juge du fond qui peut rejeter les demandes qui lui paraissent inutiles (Civ. 2e, 20 mars 2014, n°13-14.985).
Par ailleurs, il est admis que les mesures de production de pièces, qui ne relèvent pourtant pas formellement du sous-titre « les mesures d’instruction », peuvent être prescrites sur le fondement de cet article.
Toutefois, la production ne peut être ordonnée que si l’existence de la pièce est certaine. Le demandeur doit ainsi faire la preuve que la pièce ou les informations recherchées sont détenues par celui auquel il les réclame.
Au terme de ses dernières conclusions, monsieur [B] [Z] [J] ne sollicite plus de voir ordonner à la société défenderesse de lui communiquer les données de nature à identifier le ou les éditeurs du compte [Courriel 1] qu’elle héberge mais une expertise aux fins de récupérer ces données ou aux fins d’établir qu’elles ont effectivement été supprimées.
Son positionnement a donc évolué. En formulant cette demande d’expertise, il admet que la société MPIL ne va pas lui transmettre les éléments d’information qu’il réclame tout en espérant obtenir ces éléments par le biais d’une expertise informatique.
Il y a donc lieu de rechercher si le demandeur justifie sa demande d’expertise par un motif légitime.
En l’espèce, cette demande d’expertise résulte de ce qu’il remet en cause l’affirmation de la société MPIL aux termes de laquelle elle ne dispose plus des données relatives au compte [Courriel 1] qui a manifestement été supprimé.
Cette affirmation était pourtant formulée dès le 17 avril 2024, après une première assignation qui avait été délivrée à la société formulant les mêmes demandes que celle du 03 mai 2024. Le conseil de la société avait alors informé le conseil de monsieur [B] [Z] [J] que « le nom d’utilisateur [Courriel 1] ne correspond à aucun compte dans les registres de MPIL ce qui signifie vraisemblablement que ce compte Instagram, s’il a existé, a été définitivement supprimé par son titulaire, ce qui a entraîné la suppression permanente et irréversible, par MPIL, des données associées à ce compte. » (pièce 5 défendeur)
Cette réponse a été confirmée par madame [R] [V], « Case Manager » au sein de la société, dont l’activité consiste à faciliter l’identification, la conservation, la collecte, l’analyse et la production des données Instagram utilisées à titre de preuves notamment par MPIL dans le cadre de procédures judiciaires au sein de l’Union Européenne. Celle-ci affirme avoir « vérifié les données du système concernant un compte Instagram utilisant le nom d’utilisateur [Courriel 1] ». Elle « confirme qu’aucun élément n’a pu être trouvé dans les outils internes de Meta Ireland concernant un compte [Courriel 1], qui soit n’a jamais existé, soit a été supprimé par son titulaire. En conséquence, Meta Ireland ne détient aucune information d’identification concernant ce compte Instagram, à supposer qu’il ait existé. Sous réserve que ce compte Instagram ait existé, les informations d’identification associées ont été supprimées de manière permanente et irréversible et ne peuvent pas être récupérées par Meta Ireland. » (pièce 9 défendeur)
Monsieur [B] [Z] [J] n’apporte aucun élément probant permettant de supposer que, soit ce compte existe toujours, soit que la mesure d’expertise qu’il sollicite a une chance d’aboutir, pour retrouver les informations qu’il réclame, alors même que la société fait valoir que si le compte est supprimé, les informations d’identification associées le sont aussi, de manière permanente et irréversible. Il ne démontre pas que les informations supprimées pourraient être récupérées par un expert judiciaire.
Et si la mesure d’expertise qui est sollicitée devait uniquement avoir pour objet d’établir que les données ont réellement été supprimées et qu’elles ne peuvent pas être récupérées, elle ne répond plus au fondement initial de l’action en référé probatoire de monsieur [B] [Z] [J] qui a pour objectif d’identifier l’auteur des messages adressés à sa famille pour la faire condamner pénalement.
Dès lors, la mesure sollicitée s’avère vouée à l’échec et, en l’absence de motif légitime la justifiant, la demande d’expertise sera rejetée.
Sur la demande de provision
Aux termes de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
En l’espèce, monsieur [B] [Z] [J] demande la condamnation de la société MPIL à lui verser la somme de 7 000 euros à titre de dommages-intérêts provisionnels en réparation de son préjudice moral, pour n’avoir pas conservé les éléments permettant d’identifier le ou les éditeurs du compte Instagram [Courriel 1].
Toutefois, il apparaît, au regard du désaccord des parties sur la législation ou réglementation applicable à la société MPIL, de droit irlandais, relative à la conservation des données, que les conséquences du défaut de production des éléments sollicités n’entrent pas dans les pouvoirs du juge des référés avec l’évidence requise, mais du juge du fond éventuellement saisi.
En tout état de cause, si tant est que la non-conservation des éléments d’identification soit constitutive d’une faute, monsieur [B] [Z] [J] n’établit aucunement le lien de causalité avec le préjudice moral qu’il allègue, résultant de l’éclatement de sa famille, dont il n’est pas d’avantage établi qu’il fait suite à l’envoi de ces messages.
Il n’y a donc pas lieu à référé sur cette demande.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer, à l’autre partie, la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Au regard du sens de la présente décision, monsieur [B] [Z] [J] sera condamné à verser à la société MPIL la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles et débouté de sa propre demande de ce chef.
Les dépens seront à la charge du demandeur.
Nous, Béatrice LE BIDEAU, Vice-présidente au tribunal judiciaire de Versailles, statuant publiquement en référé, par ordonnance contradictoire, rendue en premier ressort et mise à disposition au greffe :
Mettons hors de cause la société META PLATFORMS INC;
Rappelons que la demande de rejet des pièces et conclusions du défendeur a été rejetée à l’audience ;
Rejetons la demande d’expertise,
Disons n’y avoir lieu à référé sur la demande de dommages et intérêts à titre provisionnel ;
Condamnons monsieur [B] [Z] [J] à verser à la société META PLATFORMS IRELAND LIMITED (“MPIL”) la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboutons monsieur [B] [Z] [J] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Disons que les dépens seront à la charge de monsieur [B] [Z] [J];
Rappelons que la présente ordonnance est de droit exécutoire à titre provisoire.
Prononcé par mise à disposition au greffe le DIX OCTOBRE DEUX MIL VINGT QUATRE par Béatrice LE BIDEAU, Vice Présidente, assistée de Ingrid RESZKA, Greffier, lesquelles ont signé la minute de la présente décision.
La Greffière La Vice-Présidente
Ingrid RESZKA Béatrice LE BIDEAU