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DLP/CH
Association FÉDÉRATION DES OEUVRES LAÎQUES DE LA NIÈVRE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés de droit au siège social
C/
[F] [N]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 08 DECEMBRE 2022
MINUTE N°
N° RG 21/00153 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FUKC
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MACON, section Activités Diverses, décision attaquée en date du 11 Février 2021, enregistrée sous le n° 19/00054
APPELANTE :
Association FÉDÉRATION DES OEUVRES LAÎQUES DE LA NIÈVRE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés de droit au siège social
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Mohamed EL MAHI de la SCP CHAUMONT-CHATTELEYN-ALLAM-EL MAHI, avocat au barreau de DIJON, et Me Martine GONCALVES de la SELAS ELEXIA ASSOCIES, avocat au barreau de NEVERS
INTIMÉE :
[F] [N]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Cédric MENDEL de la SCP MENDEL – VOGUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Novembre 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Mme [N] a été engagée par l’Association Mâconnaise pour la Formation Pratique et d’Insertion (AMFPEI) à compter du 12 novembre 2014 par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, en qualité d’éducateur spécialisé au sein de l’institut Pierre Charnay sis à [Adresse 5].
L’AMFPEI a ensuite été reprise par la Fédération des ‘uvres Laïques (la FOL, la Fédération) de la Nièvre. Le contrat de travail de Mme [N] a été transféré à cette association par un avenant régularisé le 1er décembre 2016 pour y exercer les fonctions d’éducateur spécialisé à temps plein, indice 459, avec changement d’ancienneté, indice 491 au 1er juillet 2017.
Par lettre du 1er février 2019, la salariée a été convoquée à un entretien préalable, fixé au 22 février 2019, en vue d’un éventuel licenciement. Dans l’attente de la notification de la décision, elle a été mise à pied à titre conservatoire.
Mme [N] a été placée en arrêt de travail du 4 février au 7 mars 2019.
Par lettre du 7 mars 2019, elle a été licenciée pour faute grave.
Par courrier du 19 mars 2019, la salariée a contesté l’ensemble des griefs qui lui étaient opposés et demandé des précisions sur les motifs de son licenciement.
Par courrier en réponse du 27 mars 2019, la FOL lui a rappelé les griefs retenus à son encontre.
Par requête reçue au greffe le 19 avril 2019, Mme [N] a saisi le conseil de prud’hommes aux fins de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement des indemnités afférentes.
Par jugement du 11 février 2021, le conseil de prud’hommes :
– requalifie le licenciement pour faute grave de Mme [N] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamne la Fédération des ‘uvres laïques de la Nièvre à payer à Mme [N] les sommes suivantes :
* 13 000 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 5 192,68 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice du préavis,
* 519,26 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 5 828,79 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
* 800 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que l’exécution provisoire est de droit selon l’article R. 1454-28 du code du travail,
– dit que les sommes ayant une nature salariale ou assimilée produisent des intérêts au taux légal à compter de quinze jours après la mise à disposition du jugement,
– fixe la moyenne des trois derniers mois de salaires à 2 596,34 euros,
– ordonne la remise des documents rectifiés conformes au présent jugement (fiche de paie, attestation Pôle emploi, solde de tout compte), dans les 15 jours de la notification de ladite décision,
– condamne la Fédération des ‘uvres laïques de la Nièvre en vertu de l’article L. 1235-4 du code du travail à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [N] dans la limite de six mois,
– déboute la Fédération des ‘uvres laïques de la Nièvre de toutes ses demandes reconventionnelles,
– condamne la même aux entiers dépens.
Par déclaration enregistrée le 1er mars 2021, la Fédération a relevé appel de cette décision.
Dans le dernier état de ses conclusions notifiées par voie électronique le 5 octobre 2022, elle demande à la cour de :
– infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
A titre principal, vu l’article R. 1452-2 du code du travail,
– déclarer la requête de Mme [N] irrecevable, et la débouter en conséquence de l’ensemble de ses demandes (sic),
A titre subsidiaire,
– dire et juger le licenciement pour faute grave notifié à Mme [N] le 7 mars 2019 comme étant parfaitement justifié,
En conséquence,
– débouter Mme [N] de l’ensemble de ses demandes,
En tout état de cause,
– condamner Mme [N] à lui payer une somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la même aux entiers dépens.
Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 27 septembre 2022, Mme [N] demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré, sauf en ce qu’il a jugé que les sommes ayant une nature salariale ou assimilée produisent des intérêts au taux légal à compter du 15 jours après la mise à disposition du jugement,
L’infirmant sur ce point,
– juger que les sommes ayant une nature salariale ou assimilée produisent intérêts au taux légale à compter de la notification par le conseil de prud’hommes à l’employeur des demandes du salarié et en préciser la date,
En tout état de cause,
– condamner la Fédération des ‘uvres laïques de la Nièvre à lui verser la somme de 2 000 euros nets au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel,
– juger que les sommes accordées au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse portent intérêts au taux légal à compter du 11 février 2021,
– débouter la Fédération des ‘uvres laïques de la Nièvre de l’ensemble de ses demandes et la condamner aux dépens d’appel.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES
La FOL soutient que la requête de la salariée devant le conseil de prud’hommes est irrecevable au visa de l’article R. 1452-2 du code du travail en ce qu’elle ne comporte l’énoncé d’aucun motif lui permettant de prétendre au caractère injustifié de la rupture.
En réponse, Mme [N] fait valoir qu’elle a satisfait aux obligations stipulées à l’article précité.
En vertu de l’article R. 1452-2 du code du travail, la requête contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci.
Or, ces dispositions ne sont pas prescrites à peine de nullité, ni d’irrecevabilité. De plus, le terme ‘sommaire’ ne saurait s’analyser en une exigence de motivation détaillée. Mme [N] a indiqué dans le cadre de sa contestation contester les griefs formulés à son encontre dans la lettre de licenciement et a joint à sa requête les pièces à l’appui de sa contestation.
Il en résulte que la requête est suffisamment motivée et que la fin de non-recevoir doit être écartée comme mal fondée.
SUR LE BIEN-FONDÉ DU LICENCIEMENT POUR FAUTE GRAVE
Mme [N] prétend contester l’ensemble des griefs retenus à son encontre.
Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
Lorsque les juges considèrent que les faits invoqués par l’employeur ne caractérisent pas une faute grave, ils doivent rechercher si ces faits n’en constituent pas moins une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Ici, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est libellée comme suit :
‘ (…) Le 30 janvier 2019, lors du repas du soir à l’Unité d’hébergement à [Localité 6], vous avez brutalisé un enfant qui refusait de dîner. Alors que celui-ci vous signifiait qu’il ne mangerait pas ce que vous lui aviez mis dans son assiette, et qu’il s’apprêtait à mettre ce qu’il n’aimait pas à la poubelle, vous l’avez plaqué au sol, la joue dans les aliments qu’il venait de renverser. Selon votre propre écrit (compte rendu d’incident du 30/01/2019), vous avez « contenu » l’enfant pendant cinq minutes, le maintenant tout ce temps dans la posture décrite ci-dessus.
Par ailleurs, vous aviez mis en situation d’insécurité ce même enfant tout au long de l’après-midi. En effet, selon vos propos, vous lui avez proposé une « ballade» dans la neige. Au cours de cette promenade de 130 kilomètres, aléatoire quant à sa destination, vous lui avez signifié que vous étiez « perdus », mettant cet enfant dans une situation propre à le perturber gravement. Vous n’êtes pas sans ignorer en effet la nécessité des repères spatiaux et temporels indispensables à la prise en charge de sa problématique. De plus, vous avez décidé cette sortie à la neige, sans vous être assurée au préalable que cet enfant avait les vêtements adaptés.
A aucun moment vous n’avez alerté dans la journée ou la soirée votre chef de service de ces éléments. Vous avez fait subir à cet enfant ce qu’il décrit lui-même, avec ses mots d’enfant, comme une humiliation, l’amenant à un comportement qu’il ne pouvait plus maîtriser, et auquel vous avez répondu par une attitude éducative maltraitante. (…)’.
Il en ressort que trois griefs fondent le licenciement pour faute grave de la salariée, à savoir :
– Le 30 janvier 2019, Mme [N] a brutalisé un enfant qui refusait de dîner en le plaquant au sol.
– Elle a également mis en situation d’insécurité cet enfant tout au long de l’après-midi.
– Elle n’a pas alerté son chef de service de ces éléments dans la journée, ni la soirée.
Sur le premier grief
Les faits du 30 janvier 2019 ont donné lieu à une fiche d’incident établie par Mme [N] en ces termes :
« A 19h30, [W] sert une cuillère de légumes à [V]. Cela le déplaît. [W] lui explique qu’il ne passera pas à la suite du repas tant qu’il n’avait pas fini ses légumes. Il se met à voler du pain. Il jette les légumes partout dans la cuisine au sol et sur les murs. Ensuite, il joue avec le compteur électrique pour nous mettre dans le noir. Il prend les chaises une par une pour les lancer sur [W] et moi. Il les porte à bout de bras pour nous les lancer sur la tête.
Je le contiens 5 minutes, il redescend mais décide finalement d’attaquer [W] avec un tournevis. Elle se défend.
À 20H45, on lui précise qu’il ferait mieux de commencer à ranger car c’est [H] demain matin et l’état de la maison ne va pas lui plaire. Il décide de tout ranger et nettoyer.
Tout ceci s’est déroulé avec beaucoup d’insultes et menaces envers nous ».
Le lendemain matin, l’éducateur en poste, M. [R], a adressé un courriel à l’attention de la directrice adjointe pour lui signaler les faits comme suit :
« Ce matin en prenant mon poste sur l’internat je trouve une maison dans un sale état. Je réveille plus tard [O] et [V] au moment du petit déjeuner. [V] m’interpelle en me tenant ces propos « hier soir [F] m’a forcé à manger les petits pois par terre ».
Je ne comprends pas ce qu’il m’explique là-dessus il continue : « comme je voulais pas manger des petits pois je les ai fait tomber elle m’a écrasé la tête par terre pour que je les mange. J’avais les petits pois écrasés contre ma joue tu trouves ça normal et en plus j’ai rien eu le droit de manger d’autre » J’écoute ces propos il me dit « en plus elle m’a blessé aux genoux ». Je demande donc à [V] d’en parler à quelqu’un d’autre afin de pouvoir arriver à clarifier cette situation s’il en a envie et lui dit que son référent est [S] [K] et le conduit au collège ».
M. [K], éducateur référent du mineur, a également établi un rapport circonstancié suite à son entretien avec le prénommé [V] lequel lui a confirmé les faits précédemment dénoncés à M. [R] dans les termes suivants :
« Hier soir, [F] m’a mis la tête par terre et m’a écrasé des petits pois au visage. J’ai mangé par terre, je me suis fait mal au genou. Elle a jeté ma veste dehors. [H] a dû voir [B] pour en parler. Je veux voir [B] ».
Ensuite, le 31 janvier 2019 à 13h30, la directrice adjointe a reçu [V] [G] et transmis son rapport au directeur du pôle enfance, M. [A], en rapportant les faits suivants :
« A 13H30, je reçois le jeune et souhaite vous faire part de ses propos : ‘Hier après-midi, j’étais avec [F] et [W], on est allé se promener en véhicule et on s’est perdus. C’était n’importe quoi elles ont voulu me faire peur en me disant on est perdu et on n’a pas de réseau.
Le soir, on a mangé à 19h30. Il y avait des petits pois carottes. J’ai dit que je ne voulais que des carottes. [F] et [W] ont discuté et elles m’ont servi une grosse assiette de petits pois carottes.Elles ont fait exprès. J’ai voulu me lever pour mettre les petits pois à la poubelle et là [F] m’a bousculé. J’ai une marque sur le genou. Ça s’est passé vers le micro-ondes. Les petits pois sont tombés par terre, [F] m’a mis au sol, la joue par terre dans les petits pois.
Je me suis énervé, j’ai jeté les chaises. Dans la soirée, j’ai nargué [W], j’ai fait croire que j’allais jeter son écharpe. [W] est partie dans ma chambre, elle a pris mon blouson et l’a jeté par la fenêtre. Je suis allé le chercher dans la cour’.
J’ai transmis ces éléments à Monsieur [A] dans l’après-midi.
Ce n’est pas la première fois que ce jeune se plaint de la prise en charge de ces deux éducatrices.
En fin d’après-midi, nous avons organisé le retour de [V] à son domicile (‘).
À mon arrivée, je trouve [W] [T], [F] [N] et [C] [J] en haut de l’escalier de la maison en train de fumer.
Je leur demande d’aller à l’extérieur comme indiqué dans le règlement intérieur. »
M. [A] a lui-même rencontré le mineur, le 31 janvier 2019 à 16h00, qui lui a de nouveau confirmé les faits litigieux, en faisant état d’un autre incident avec les mêmes éducatrices survenu lors d’une sortie neige en voiture durant l’après-midi du 30 janvier 2019 (pièce 10 de l’appelante).
Interpellée sur ces événements, Mme [N] a envoyé un mail à M. [A], accompagné d’un récit détaillé de l’ensemble de la journée du 30 janvier 2019, libellé comme suit :
« (‘) Je le mets au sol comme je peux, toujours dans le noir pendant qu'[W] essaie de rallumer. Quand la lumière revint, je suis assise sur [V]. Je ne lui fais pas mal et je ne maintiens ni ses bras ni ses jambes. Ayant jeté avant tous ses légumes au sol, il a la tête dans les petits pois. Au bout de cinq minutes, je m’enlève, il se relève. Il va au salon. (‘)
Il décide ensuite de prendre des chaises à bout de bras et nous les lancer dessus.
Nous les évitons. Je prends ensuite une chaise pour la faire glisser de la même façon que lui sur lui. Cela ne le calme pas. Je décide de lui conseiller carrément de nous lancer une table. Il répond « bonne idée ». J’interviens de suite et mets la table à la verticale pour le bloquer contre le mur. Cela ne lui fait pas mal et l’empêche de nous jeter des chaises.
Ensuite, il prend l’écharpe d'[W] et la jette par la fenêtre. [W] fait de même avec son blouson. Il va chercher un tournevis et l’attaque avec. Elle se défend.
J’observe de loin et n’intervient pas vu qu'[W] gère la situation.
(‘) Je mets ses affaires au sol de son armoire pour trouver les affaires. Je lui prends même la veilleuse. Il me lance des cintres en bois à la figure. Je les évite. (‘)
Vers 21H15, nous allons discuter. Je reprends avec lui et lui explique pourquoi je suis obligée de le contenir quand il veut nous faire du mal. Il s’excuse. Je lui dis aussi que si je lui ai fait mal je suis sincèrement désolée. Il me montre sa blessure au genou. Je lui propose de le soigner mais il refuse. (‘) Je lui présente mes excuses. Je lui explique aussi que je n’aime pas le voir comme ça et que ça me fait mal au c’ur d’arriver à la contention. (‘) Il me reparle de sa veilleuse et de ses peurs la nuit. Je lui dis qu'[W] va lui ramener. Cela a duré environ 20 minutes ».
Il ressort de ces éléments, pris dans leur ensemble, que le comportement brutal de Mme [N] à l’égard du mineur est établi. La salariée entend les justifier en indiquant que son intégrité physique et celle de sa collègue était menacée de sorte que le recours à la violence, par voie de contention, était strictement nécessaire. Elle indique notamment qu’elle « n’a pas eu d’autre choix », conteste avoir adopté un comportement maltraitant et soutient que son recours à la violence ce jour-là était proportionné et qu’il est intervenu « sans que l’enfant ne soit blessé », « pendant la durée strictement nécessaire à la remise en route de l’électricité par Madame [T] » et « dans un souci de protection du personnel et du jeune ».
Or, il s’avère que le mineur a été blessé aux genoux. De plus, l’attestation de Mme [T] au soutien des allégations de Mme [N] est sujette à caution dès lors qu’il s’agit de la conjointe de cette dernière et qu’elle se trouvait en apprentissage au sein de l’établissement éducatif ce jour-là.
La réponse de la salariée à l’agressivité et/ou à la violence de [V] [G] témoigne d’une posture professionnelle inadaptée, confinant à la violence, alors que le public accueilli dans l’établissement présente des troubles psychologiques et du comportement associé importants et pour lesquels la réponse par la violence physique doit être totalement prohibée. Au cas particulier du mineur concerné, les troubles se manifestaient notamment par des épisodes de violence qu’il appartenait bien entendu au professionnel aguerri de maîtriser en y répondant par un comportement adapté. Il ressort des aveux mêmes de Mme [N] dans son courrier à l’employeur que, pour répondre à la violence de l’enfant ce soir-là, elle a à son tour répondu par la violence et la provocation : « Je prends ensuite une chaise pour la faire glisser de la même façon que lui sur lui » et « Je décide de lui conseiller carrément de nous lancer une table ».
Mme [N] aurait dû recourir à l’aide du cadre d’astreinte ou adopter un comportement apaisant pour gérer cette situation, sa sécurité n’étant, ici, pas mise en danger. Si Mme [I], monitrice éducatrice, confirme les excès de violences habituelles du jeune [V] et les difficultés à le gérer, cela ne saurait excuser les agissements de Mme [N] à qui il appartenait de montrer l’exemple. Sa réaction ne saurait s’analyser en un acte de défense. De même, si elle prétend avoir été victime de coups reçus de la part du mineur le 10 décembre 2018, la photographie de ses bleus, non datée, ne prouve pas la véracité de ses dires, pas plus que l’ordonnance médicale qu’elle produit qui porte la date du 9 avril 2020. Par ailleurs, le nouveau certificat médical produit en cause d’appel daté du 4 février 2019, soit plus de 5 jours après les faits, et faisant état d’hématomes sur le bras et la cuisse ne peut être mis, avec certitude, en lien avec les incidents du 30 janvier précédent.
En tout état de cause, même si la violence du mineur n’est pas en tant que telle remise en cause puisque faisant partie intégrante de ses troubles, elle ne pouvait justifier une réponse violente de l’éducatrice spécialisée. De surcroît, le comportement d’autres éducateurs à l’égard du jeune est sans emport sur l’appréciation de la réponse de Mme [N] qui avait d’ailleurs suivi une formation de 21 heures intitulée : « agressivité et violence en institution : préserver la relation, sa fonction, la mission réalisée » du 24 au 26 octobre 2018 (pièce 13 de l’appelante), soit seulement 3 mois avant les faits, ainsi qu’une formation de 35 heures dénommée : « maintenir sa fonction éducative face à l’agressivité et la violence en institution spécialisée » du 7 au 22 juillet 2016 (pièce 21).
Enfin, nonobstant l’attestation de la directrice adjointe qui indique que la contention est une technique utilisée au quotidien, il convient de rappeler, comme le fait à juste titre l’employeur, que cette pratique ne peut être exercée dans un établissement médico-social qu’à certaines conditions énoncées à l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique qui dispose notamment que : « L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée. Le secteur médico-social est réglementé par le code de l’action sociale et des familles, et les pratiques professionnelles s’inscrivent dans le cadre des Recommandations des Bonnes Pratiques Professionnelles. Celles-ci sont claires concernant les actes de contenance pouvant être mises en ‘uvre ».
Or, au cas présent, l’intégrité physique des éducatrices ou des autres personnes présentes n’était pas mise en danger.
Il résulte de l’ensemble de ces énonciations que la réaction de Mme [N] à l’encontre du mineur a été contraire aux règles des bonnes pratiques professionnelles attendues de la part d’un éducateur spécialisé et constitue une faute certaine de la salariée.
Sur le second grief
Il est ici reproché à Mme [N] d’avoir mis [V] en situation d’insécurité durant l’après-midi du 30 janvier 2019 après lui avoir proposé une ‘balade’ dans la neige, sans s’être au préalable assurée que cet enfant avait les vêtements adaptés, et d’avoir circulé à cette occasion en véhicule durant 130 km, sans destination particulière, en lui indiquant qu’ils étaient «perdus», plaçant ainsi le mineur « dans une situation de nature à le perturber gravement ».
L’employeur n’établit pas, comme il le prétend, une volonté délibérée de la salariée de placer le mineur en difficulté pour le ‘punir de ses excès de comportement’. Il n’en demeure pas moins que Mme [N] se devait, là encore, de mettre en ‘uvre une pratique rassurante au lieu d’adopter un comportement de nature à générer une angoisse chez ce jeune. Elle admet dans ses écritures, « avoir voulu emmener [V] faire un retour de luge’ tout en admettant qu’ ‘il n’était pas habillé suffisamment chaudement’ pour s’aventurer dans la neige.
Ce grief est donc établi.
Sur le troisième grief
Il est enfin reproché à la salariée de n’avoir pas alerté, dans la journée ou la soirée du 30 janvier 2019, le chef de service de l’ensemble des incidents précités, alors que Mme [M], chef de service et responsable de Mme [N], avait déjà indiqué dans le carnet de liaison qu’elle souhaitait être personnellement informée, afin d’éviter les débordements, des temps proposés à ce jeune durant les soirées (pièce 22 de la FOL), qu’elle était ce jour-là le cadre de permanence à prévenir en cas d’incident (pièce 23 de l’appelante) et que la salariée admet elle-même que le déroulement des faits de ce soir-là constitue « un récit glaçant ».
Cette attitude témoigne là encore d’une posture inadaptée de Mme [N] constituant un manquement de sa part à ses obligations professionnelles.
Il sera enfin relevé que, peu de temps avant les faits objets du licenciement, la salariée avait fait l’objet d’un avertissement. En effet, le 19 novembre 2018, à l’occasion d’un échange entre la directrice adjointe, l’éducateur M. [R] et la maîtresse de maison, Mme [J], il avait été fait état de l’agression sexuelle dont avait potentiellement été victime l’une des jeunes accueillies et pour laquelle Mme [N] avait déclaré : « Ça n’a jamais fait de mal à personne un petit coup de queue ». La directrice adjointe, Mme [Z], en a immédiatement référé au directeur du pôle enfance, M. [A] (pièce 14 de l’employeur), et la salariée a été convoquée à un entretien préalable à sanction par courrier du 23 novembre 2018 (pièce 15). Elle s’est ensuite vu notifier un avertissement par lettre remise en main propre le 17 janvier 2019 (pièce 16). Mme [N] a certes contesté ces faits, notamment les propos relatés tant par la directrice adjointe que par les deux personnes présentes ce jour-là, en admettant néanmoins qu’elle avait pu faire preuve d’ « un humour décalé ». Elle n’a, de surcroît, jamais sollicité l’annulation de cet avertissement.
***
Au vu des éléments susvisés, pris dans leur ensemble, les faits rapportés dans la lettre de licenciement sont établis et constitutifs d’une faute grave rendant impossible le maintien de la relation contractuelle avec Mme [N]. Le jugement du conseil de prud’hommes sera infirmé en ses dispositions contraires.
Le licenciement pour faute grave étant reconnu bien fondé, les demandes indemnitaires de la salariée doivent être rejetées.
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
La décision attaquée sera infirmée en ses dispositions relatives aux dépens.
Mme [N], qui succombe, doit prendre en charge les dépens de première instance et d’appel et supporter une indemnité au visa de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a déclaré recevable la requête introduite par Mme [N] et sauf en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Dit que le licenciement pour faute grave notifié à Mme [N] le 7 mars 2019 est justifié,
En conséquence, rejette les demandes indemnitaires de Mme [N],
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme [N] et la condamne à payer à la Fédération des ‘uvres Laïques de la Nièvre la somme de 1 500 euros,
Condamne Mme [N] aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION