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COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
1re Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 03 NOVEMBRE 2011
D.D-P
N° 2011/658
Rôle N° 10/17168
[X] [H] [I] épouse [O]
C/
[Y] [N] épouse [J]
Grosse délivrée
le :
à :
SCP BOTTAI GEREUX BOULAN
SCP BLANC CHERFILS
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 22 Février 2010 enregistré au répertoire général sous le n° 08/03232.
APPELANTE
Madame [X] [H] [I] épouse [O]
née le [Date naissance 4] 1957 à [Localité 7],
demeurant [Adresse 5]
représentée par la SCP BOTTAI GEREUX BOULAN, avoués à la Cour,
assistée de la SELARL PROVANSAL-D’JOURNO-GUILLET, avocats au barreau de MARSEILLE substituée par Me Laure COUSTEIX, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Madame [Y] [N] épouse [J]
née le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 7],
demeurant [Adresse 3]
représentée par la SCP BLANC CHERFILS, avoués à la Cour,
assistée de Me Alexandra GOMIS, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 05 Octobre 2011 en audience publique. Conformément à l’article 785 du Code de Procédure Civile, Monsieur François GROSJEAN, Président, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur François GROSJEAN, Président
Monsieur Hugues FOURNIER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT-PIEROT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Dominique COSTE.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Novembre 2011.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Novembre 2011,
Signé par Monsieur François GROSJEAN, Président et Mme Dominique COSTE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M.[U] [I] a vendu le 15 juillet 2003 à Mme [Y] [N] épouse [J], qui est la fille d’une ancienne concubine, un appartement pour le prix de 76 224,51 €.
Par deux versements en date des 7 octobre 2003 et 1er avril 2005, il a ensuite versé la somme de 75 000 € sur un contrat d’assurance-vie, dont Mme [J] a été désignée bénéficiaire.
M.[U] [I] est décédé le [Date décès 2] 2007, laissant pour lui succéder sa fille, Mme [H] [I] épouse [O].
Le 7 mars 2008, celle-ci a fait assigner Mme [Y] [N] épouse [J] en nullité de la vente immobilière et des deux contrats d’assurance-vie, ainsi que le rapport de leur montant à la succession.
Par jugement contradictoire en date du 22 février 2010, le tribunal de grande instance de Marseille a :
– débouté [H] [I] épouse [O] de toutes ses demandes,
– rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par [Y] [N] épouse [J], et toute autre demande’
– condamné [H] [I] épouse [O] à verser à [Y] [N] épouse [J] la somme de 2 000 euros, sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile,ainsi qu’aux dépens.
Par déclaration en date du 24 septembre 2010, Mme [H] [I] épouse [O] a relevé appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées le 21 juillet 2011, elle demande à la cour :
– d’infirmer le jugement entrepris,
– de prononcer l’annulation de la vente du 15 juillet 2003 et des contrats d’assurance-vie, comme étant des donations déguisées ou indirectes,
– de déclarer Mme [J] coupable de recel successoral,
– de la condamner à reverser entre les mains du notaire la totalité de la plus forte des deux sommes représentant soit l’actualisation du bénéfice du contrat d’assurance-vie, soit la valeur de l’appartement, soit le montant des primes versées, outre intérêts depuis le décès,
subsidiairement,
– de prononcer la réduction de la donation déguisée et indirecte que constitue la vente suivie du reversement du prix de vente dans un contrat d’assurance-vie au profit de l’acquéreur,
– de nommer un expert aux fins de procéder à l’évaluation de l’appartement litigieux au jour le plus proche du partage, aux frais de l’intimée,
– de débouter Mme [J] de l’ensemble de ses demandes,
– de la condamner à lui payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 12 septembre 2011, Mme [Y] [N] épouse [J] demande à la cour :
– de confirmer le jugement attaqué,
à titre infiniment subsidiaire,
– de dire n’y avoir lieu à réduction des primes d’assurance-vie que sur la portion jugée manifestement disproportionnée,
et en tout état de cause
– de condamner Mme [O] à lui payer la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour les accusations mensongères et la procédure abusive, et celle de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile , outre les entiers dépens, ceux d’appel distraits.
L’ordonnance de clôture est datée du 21 septembre 2011.
La cour renvoie aux écritures précitées pour l’exposé exhaustif des moyens des parties.
MOTIFS,
Attendu que Mme [H] [I] épouse [O] fait valoir au soutien de son appel qu’en dépit des difficultés ayant existé entre ses parents, elle a toujours gardé des relations affectueuses avec son père dont elle est la fille unique ; que toutefois les dernières années de sa vie, atteint physiquement (notamment d’ un glaucome) et psychiquement, leurs relations ne furent plus qu’épistolaires et téléphoniques, puis se sont étiolées sous l’influence de Mme [Y] [J] et de sa mère ;que lors de l’ouverture de la succession, elle a eu la surprise de constater que son père avait vendu son appartement d’une surface de 56,12 m² (loi Carrez) situé à [Adresse 6], à Mme [J] le 15 juillet 2003 pour la somme de 76’224,51 €; mais que son père était en réalité demeuré dans les lieux et avait versé mensuellement à sa nouvelle propriétaire 620 € par mois de loyer, outre les charges ; que la succession de M. [I] ne comportait plus que de modestes sommes sur les comptes épargne (11’860 € sur un compte épargne), ainsi qu’un box acquis 6 098 €(déclaré à la succession 25’000€), outre quelques meubles (pour un montant de 1 437 € seulement ) ; que les 74’000 € représentant le montant de la vente de l’appartement moins les charges du syndic , avait servi à effectuer deux versements : l’un de 35’000 € juste après la vente, le 7 octobre 2003, et le second de 40’000 € le 1er avril 2005 pour abonder un contrat d’assurance-vie dénommé Miryalis; que si le prix de vente de l’immeuble n’est pas dérisoire, il est très faible ( une attestation immobilière l’évaluant à 98 400€ au 3è trimestre 2003 ; qu’en ce qui concerne les contrats d’assurance, les primes que son père a versées correspond à plus de 80 % de son patrimoine ; qu’il s’agit là d’une véritable donation déguisée qui doit être annulée ; qu’elle représente une opération complexe destinée à contrevenir aux règles légales de la réserve héréditaire ; qu’elle constitue donc un recel successoral puisqu’aucune révélation n’en avait été faite après le décès par Mme [J] ; que la valeur de l’appartement et celle des primes, réévaluées au jour du décès doivent être réintégrées dans la succession ; et que Mme [J], qui était parfaitement au courant de la situation, ce qui la rend complice même passive, devra restituer les sommes ainsi déterminées, assorties des intérêts légaux ;et à titre subsidiaire, pour le cas où le recel ne serait pas applicable, qu’il y a lieu à réduction à la quotité disponible ;
Mais attendu en premier lieu, en ce qui concerne le prix de vente de l’immeuble, que Mme [Y] [J] fait valoir exactement que M. [I] avait acquis en 1983 l’appartement litigieux pour le prix de 250’000 F, soit 38’112 €, de sorte qu’il l’a revendu deux fois plus cher qu’il ne l’a acheté et ce, sans compter le garage qui, lui, n’a pas été revendu ;
Attendu que l’intimée a effectué des travaux afin de remettre en état des lieux et souscrit un prêt personnel d’une durée de 15 ans auprès de la Caisse d’épargne pour financer l’acquisition de ce bien ; qu’elle a réellement assumé le montant des mensualités de cet emprunt, le contrat de bail invoqué n’ayant été passé par M. [I] que trois années plus tard, soit en octobre 2006, alors que la vente a eu lieu en 2003 ;
Attendu ensuite, en ce qui concerne une supposée altération des facultés mentales du vendeur dont l’intimée aurait profité, que les lettres de M. [I], versées par l’appelante elle-même, et qui sont adressées aux époux [O] jusqu’au mois de mars 2005 inclus , montrent que son père n’était pas ‘atteint physiquement et psychiquement’, contrairement à ce qui est soutenu; que M. [I] traite même avec un certain humour des pathologies dont il est affecté ; et qu’il ne s’agit en réalité que de problèmes de santé liés à son âge (arthrose, opérations ophtalmologiques);
que de surcroît son médecin traitant témoigne de ce qu’ à aucun moment son état n’a justifié de soins neurologiques ou même psychologiques, ce qui contredit l’attestation de M. [M] [I], neveu du défunt et médecin en relation conflictuelle avec son oncle ;
Attendu en conséquence qu’aucune altération du discernement de M. [I] n’est à déplorer, ni lors de la vente de l’appartement ni dans les années qui suivirent au temps du versement des primes ;
Attendu qu’il en résulte que la vente au profit de Mme [Y] [J] n’a pas été consentie moyennant un prix lésionnaire ou dérisoire, ou encore fictif ; qu’il n’a pas été fait une donation déguisée sous la forme d’un acte onéreux ;
Attendu ensuite que l’assurance-vie, qui constitue une opération de prévoyance, n’est pas considérée en principe, pour la liquidation de la succession de l’assuré souscripteur, comme une donation, et n’entre pas dans l’actif successoral ;
Attendu, en ce qui concerne les contrats d’assurance-vie en cause, que l’appelante soutient que l’intention libérale résulterait tant du paiement de primes disproportionnées par rapport aux facultés du souscripteur, que de son âge et de son état de santé ;
Mais attendu que ces facultés sont à apprécier au moment de la souscription du contrat, au regard de l’âge ainsi que des situations patrimoniales et familiales du souscripteur, et de l’utilité du contrat pour ce dernier ;
Attendu qu’à cette époque, en 2003 puis en 2005, si ses revenus s’élevaient à 2000 € par mois, M. [I] était occupant à titre gratuit du bien immobilier litigieux ; qu’il a économisé entre la date de la vente et la date de la conclusion du contrat de bail la somme totale de 22’320 € au titre des loyers qu’ils n’a pas eu à régler ; qu’il bénéficiait au demeurant du produit de la vente intervenue, puis de son solde après le versement de la première prime ;
Attendu que M. [I] a conservé jusqu’à son décès la possibilité d’obtenir le versement de l’indemnité prévue aux contrats ; qu’il avait conservé la faculté d’obtenir le rachat du capital pendant tout le temps du contrat ; que la bénéficiaire n’a jamais déclaré accepter la somme correspondant au capital dont le défunt a gardé la maîtrise toute sa vie ; et que M. [I] pouvait donc retirer les sommes placées à tout moment ;
Attendu que le souscripteur étant âgé de 75 ans et 77 ans lors du versement des deux primes querellées en 2003 et 2005, il pouvait prétendre à une espérance de vie moyenne de 14 ans ; que son état de santé a été décrit supra ; que son décès est intervenu quatre ans et deux ans après lesdits versements, de sorte qu’il y avait bien un aléa ;
Attendu que les contrats d’assurance-vie souscrits présentaient un intérêt pour M. [I] dans la mesure où ils lui procuraient des gains et faisaient fructifier son épargne ; et que l’existence d’une intention libérale par la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable n’est pas caractérisée ; et que les polices souscrites ne peuvent être qualifiées de donations indirectes ;
Attendu que le moyen tiré d’un prétendu recel successoral, qui consiste dans le fait pour un successible, ce que Mme [Y] [J] n’est pas, de cacher un bien dépendant de la succession afin de se l’approprier indûment et frustrer un autre ayant droit, est totalement inopérant ;
Attendu que les sommes placées ne sont soumises ni aux règles du rapport à succession ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve de l’héritière du souscripteur ;
Attendu en définitive que le jugement qui a rejeté toutes les demandes de Mme [O] doit être approuvé ; qu’il n’y a pas lieu d’ordonner quelque mesure d’instruction ;
Attendu que en revanche qu’aucun abus du droit d’ester en justice de sa part n’est à déplorer; que la demande présentée par l’intimée tendant à l’octroi de dommages et intérêts sera dès lors rejetée ;
Attendu que l’appelante succombant devra supporter la charge des dépens, et verser en équité la somme de 1500 € à Mme [J] au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ne pouvant elle-même prétendre au bénéfice de ce texte ;
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant
Déboute Mme [Y] [N] épouse [J] de sa demande tendant à l’octroi de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Dit n’y avoir lieu d’ordonner une expertise,
Condamne Mme [X] [H] [I] épouse [O] à payer à Mme [Y] [N] épouse [J] la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,
Autorise la SCP d’avoués Blanc-Cherfils à les recouvrer directement en application de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT