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ARRÊT DU
29 Septembre 2023
N° 1133/23
N° RG 21/01139 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TWW4
PL/VM
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Lannoy
en date du
02 Juin 2021
(RG 21/00006 -section 4 )
GROSSE :
aux avocats
le 29 Septembre 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [D] [E]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Ioannis KAPPOPOULOS, avocat au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉE :
Société DECATHLON
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Benoit GUERVILLE, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l’audience publique du 31 Mai 2023
Tenue par Philippe LABREGERE
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Annie LESIEUR
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Philippe LABREGERE
: MAGISTRAT HONORAIRE
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Septembre 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Angélique AZZOLINI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 10 Mai 2023
LA COUR
Statuant sur l’appel interjeté le 2 juillet 2021 par [D] [E] d’un jugement en date du 2 juin 2021 du conseil de prud’hommes de Lannoy l’ayant débouté de sa demande et condamné au paiement de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;
Vu l’arrêt avant dire droit de la cour de céans en date du 17 février 2023 ayant sursis à statuer, ordonné la révocation de l’ordonnance de clôture en date du 22 novembre 2022, la communication dans un délai d’un mois à compter de la décision par la société DECATHLON à [D] [E] du rapport intitulé «diagnostic human booster inno» dans son intégralité et de l’enquête menée auprès des collaborateurs de [D] [E] au cours du mois de mars 2019 et en particulier de son verbatim, dit qu’à la suite de cette communication, les parties pourraient présenter des observations par conclusions, ordonné la clôture de la procédure à la date du 10 mai 2023, fixé l’audience des plaidoiries au 31 mai 2023 et réservé les dépens ;
Vu les nouvelles conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 10 mai 2023 par lesquelles [D] [E] reprenant ses différentes demandes figurant au dispositif de ses conclusions reçues le 25 octobre 2022 sollicite de la cour
à titre de condamnation provisionnelle, la production :
-du diagnostic humain réalisé et qui sert de support à son licenciement
-de tous les entretiens individuels mensuels et entretiens de fin d’année qu’il a réalisés avec ses collaborateurs depuis octobre 2016, soit sa prise de poste
-de toutes les enquêtes trimestrielles team barometer (vague 1 à 6) et de toutes les enquêtes annuelles collaborateurs heureux
-des évaluations de fin d’année sur SAP depuis le début de sa carrière
-des mails et documents d’échange avec [U] [A] et [PT] [V] relatifs au management du salarié
-des mails et documents concernant la gestion financière de l’équipe Booster Inno, de l’entité Alive et de l’entité Positive Impact Product de [PT] [N] (incluant les mails afférents échangés avec [K] [B], directeur administratif et financier et DECATHLON,
le tout, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision,
à titre principal, l’infirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société DECATHLON à lui verser :
-6660 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire
-660 euros bruts de congés payés y afférents
-50577 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis
-5057,70 euros bruts de congés payés y afférents
-134 872 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
-510000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire,
-6660 euros bruts à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire
-660 euros bruts de congés payés y afférents
-50577 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis
-5057,70 euros bruts de congés payés y afférents
-134872 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement
et, en tout état de cause,
-5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
les sommes dues portant intérêts à compter du jour de la demande et avec capitalisation des intérêts de plein droit du moment qu’ils sont dus pour une année entière, en application des articles 1153-1 et 1154 du code civil,
Vu les conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 05 mai 2023 par lesquelles la société DECATHLON, reprenant le dispositif de ses conclusions reçues le 29 avril 2022, sollicite la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de l’appelant à lui verser 8000 euros au titre des frais irrépétible d’appel en application de l’article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI
Attendu qu’à la suite de la communication des pièces ordonnées par la cour, l’appelant fait valoir que l’employeur n’a pas communiqué l’intégralité du «diagnostic humain» mais uniquement un simple fichier texte au titre du rapport d’enquête, qu’il n’a pas non plus produit les pièces qu’il avait demandées, que ledit rapport ne fait que confirmer que l’appelant était apprécié de ses équipes, que les salariés qui seraient prétendument ses victimes attestent en sa faveur pour le soutenir et démontrer qu’il a été victime d’un licenciement orchestré de toutes pièces et qu’aucune cause réelle et sérieuse ne peut être retenue, qu’aucune des 28 personnes interrogées n’a affirmé avoir été victime d’un comportement déplacé de l’appelant, qu’ils ne relatent que des rumeurs ou des traits d’humour, que l’appelant a déposé plainte pour fausse attestation à l’encontre de [J] [G] et de la société pour recel de fausse attestation, que même si la plainte a été classée sans suite, le caractère mensonger de l’attestation est néanmoins avéré et indiscutable, que la plupart des faits ont eu lieu en dehors du temps de travail et lors d’événement festifs, durant lesquels l’employeur invitait ses salariés à se «libérer», qu’une grande quantité d’alcool consommée à cette occasion était le fruit du management de la société Décathlon, que des relations d’amitié et des rapports de camaraderie existaient entre lui et la grande majorité des salariés impliqués, que l’employeur ne démontre pas qu’il ait fait l’objet d’une plainte, que l’existence d’une faute grave n’est pas caractérisée, qu’il ressort du rapport d’enquête qu’il existait une tension de nature professionnelle entre « les filles de l’équipe ALIVE » et l’appelant, que ces salariées considéraient qu’il était trop exigeant envers leur entité, que l’application du barême Macron est contraire aux engagements internationaux de la France, qu’une grande partie de sa carrière s’est déroulée au sein de la société, qu’il a subi un déclassement social total et définitif, qu’il verse aux débats le bilan du compte de résultat de la société PREVENT’S ainsi que le procès-verbal de dissolution liquidation de la société pour démontrer son absence de revenus ;
Attendu que la société intimée ajoute à ses précédentes conclusions que, réalisé entre le 20 et le 24 mai 2019 sur la base d’entretiens individuels menés par plusieurs collaborateurs dédiés aux Ressources Humaines, le « diagnostic humain » a mis en évidence les comportements déviants de l’appelant à l’égard d’un certain nombre de collaborateurs qui faisaient parallèlement état de leur souffrance, qu’indépendamment de ses postures ou de propos déplacés, ont été relevés son influence et son comportement menaçant dans le service innovation, ayant pu entraver une libération de la parole de ses collaborateurs, que les différentes auditions réalisées font apparaître l’attitude gravement fautive de ce dernier, que la tenue de propos à connotation sexiste ainsi que des attitudes inconvenantes de l’appelant à l’égard de collaboratrices avec lesquels il entretenait une relation professionnelle devaient être fermement sanctionnés par l’employeur, quels que soient le lieu et le moment où ces agissements ont pu être tenus, que les faits sont caractérisés par le compte-rendu du diagnostic humain produit, que l’appelant a mis en place un mode de management clivant, par nature clanique, contraire aux valeurs de l’entreprise et à la nécessaire cohésion attendue au sein d’un service, que la société produit différents témoignages émanant de collaborateurs du service ou de personnes ayant été témoins de la souffrance générée par les comportements ou les propos de l’appelant, que le «ton de la plaisanterie» du salarié ou son ancienneté n’ont pas vocation à modifier la nature des agissements litigieux ainsi que leur gravité, que, quand bien même la société aurait favorisé les échanges collaboratifs et les événements collectifs, elle n’avait jamais entendu tolérer des postures et propos similaires à ceux adoptés par l’appelant, que contrairement à ce qu’il prétend, il s’agissait bien de manifestations professionnelles, qu’il ne peut donc tenter de tracer une frontière entre sa vie privée et sa vie professionnelle au simple motif que certaines soirées étaient réalisées à son domicile, qu’aucun des témoignages produits par l’appelant n’est de nature à remettre en cause la matérialité des faits reprochés qui ne sont d’ailleurs pas démentis par l’appelant, que la société justifie des conditions exactes dans lesquelles elle a été amenée à connaître la nature, l’ampleur et la gravité du comportement du salarié, soit à l’issue du diagnostic humain qu’elle a diligenté, que la convocation de ce dernier à un entretien préalable est intervenue quelques jours après le terme du diagnostic ;
Attendu, sur la communication des pièces sollicitées par l’appelant, que la cour a déjà statué sur cette demande puisque, par arrêt avant dire droit en date du 17 février 2023, elle a ordonné la communication par la société DECATHLON à [D] [E] du rapport intitulé «diagnostic human booster inno» dans son intégralité et de l’enquête menée auprès des collaborateurs de [D] [E] au cours du mois de mars 2019 et en particulier de son verbatim ;
Attendu en application de l’article L1234-1 du code du travail qu’il résulte de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que les motifs y énoncés sont une attitude managériale inacceptable auprès de certaines équipes du Service Innovation dont l’appelant avait la responsabilité, un traitement inéquitable de ses collaborateurs, une attitude vexatoire et humiliante, un humour caustique déplacé, des gestes tendancieux et provocateurs à l’égard de collaboratrices, un manque de respect envers des collaborateurs conduisant à les décrédibiliser, des réflexions inacceptables et provocatrices envers les femmes, parfois à connotation sexuelle, dans le cadre de soirées ou de réunions d’équipe, des réflexions négatives et méprisantes sur la façon de travailler des salariés, un comportement ayant généré une souffrance au travail chez les collaborateurs concernés ;
Attendu qu’il résulte de l’attestation de [X] [F], directrice juridique, que des entretiens d’écoute de collaborateurs de l’appelant ont été organisés entre les 20 et 24 mai 2019, à la suite des résultats d’une enquête réalisée en avril 2019 faisant apparaître que, contrairement aux résultats précédents, 57 % des salariés du pôle Innovation dont l’appelant était le manager n’éprouvait pas de plaisir à venir travailler tous les matins ; que plusieurs témoins, comme [C] [Z], s’accordent à affirmer que l’appelant pouvait se montrer menaçant en affirmant, en des termes à la limite de la grossièreté, qu’il pouvait se séparer des salariés qui lui tenaient tête ; qu'[O] [T] qui, la première, avait recueilli les confidences de collaborateurs de l’appelant décrit les craintes de ces derniers de se livrer à des révélations sur le comportement de leur supérieur hiérarchique qui leur semblait intouchable ; que le rapport synthétisant les déclarations des salariés entendus relate la commission d’actes qualifiés de sexisme imputés à l’appelant des consommations abusives d’alcool, des gestes violents et met en évidence un sentiment diffus de mal-être imputable au mode de management adopté par l’appelant ; que la société n’ayant pu avoir une exacte connaissance des faits reprochés à ce dernier qu’à la suite de cette enquête, les faits retenus dans la lettre de licenciement ne sont pas atteints par la prescription ;
Attendu que [J] [G], collaborateur de l’appelant, atteste, le 6 juin 2019, que le 14 décembre 2017 au cours d’une soirée de Noël avec l’équipe organisée dans un bar de [Localité 7] ce dernier qui voulait se rendre aux toilettes s’est adressé à [EO] [M] dans les termes suivants : ‘je vais pisser ; tu ne veux pas me la tenir ” ; que le 18 septembre 2018, au cours d’un repas réunissant son équipe dans une auberge située près du lac du héron, il a porté un toast de la façon suivante : ‘je porte un toast à la poitrine de [H] qui est à l’étroit dans son chemisier et qui demande à pouvoir sortir’ ; que le 13 décembre 2018, lors d’une soirée organisée à son domicile, il a hissé [W] [P] [S] sur une table de travail en adoptant une attitude équivoque à son égard ; que durant la même soirée, il a soulevé à plusieurs reprises son tee-shirt pour en recouvrir la tête de collaboratrices dont [H] [R] ; que le 28 mars 2019, alors qu’il se trouvait dans les vestiaires de la salle du [6] club où il avait pratiqué du sport avec le témoin et avant la tenue d’un entretien individuel dans l’après-midi, il lui a suggéré les conseils suivants : ‘mets de la crème sur tes lèvres, j’aime bien qu’elles soient douces pendant ton EI’; que le 15 mai 2019, lors d’une séance de sport dans un gymnase avec son équipe, il a demandé à [L] [Y], si en raison de l’interrogation qu’elle posait et qui pourtant était dénuée de toute ambiguïté, elle ne souhaitait pas prendre sa douche avec lui et d’autres membres masculins de l’équipe ; que le même jour, il s’est livré à des réflexions moqueuses sur [H] [R] ; que l’appelant a jugé opportun d’adresser le 25 novembre 2020 un message au témoin l’avertissant que son avocat allait déposer une plainte à son encontre auprès du Procureur de la République de Lille pour fausse attestation, plainte qui a fait l’objet d’un classement sans suite ultérieurement ; que les propos graveleux tenus par l’appelant à l’encontre de [H] [R] le 18 septembre 2018 sont confirmés par [EO] [I], qui les lui a reprochés lors d’un entretien individuel, [O] [T], [C] [Z], qui toutes soulignent la grande gène qu’a éprouvée la salariée à la suite des réflexions de l’appelant ; que cette dernière relate en outre d’autres incidents dont ont été victimes des collaboratrices de l’appelant, dont [H] [R], cible de propos déplacés, lors d’un atelier organisé à [Localité 5] en juillet 2018 ou [W] [P] [S] à qui l’appelant, sous prétexte de la saluer en l’embrassant à l’issue d’une réunion lors de la fête de Noël en 2017, a léché entièrement la joue droite ; que si, selon les pièces produites par l’appelant, certaines salariées minimisent les répercussions d’ordre psychologique sur leur personne des faits reprochés à l’appelant, voire indiquent ne pas s’en souvenir, comme [H] [R], ou s’étonnent de l’importance qui leur en a été donnée, elles ne nient pas pour autant la commission de ceux-ci ; qu’il convient d’ailleurs de noter que dans le compte rendu d’entretien d’écoute organisé par la société le 23 mai 2019, sont reproduits les propos suivants de cette dernière : ‘j’ai accepté ses blagues venant de lui mais avec le recul j’ai le sentiment qu’il se fout de ma gueule et qu’il me manque de respect’ ; que les faits litigieux se sont produits, pour l’essentiel, à l’occasion de séminaires, soirées ou dîners de groupe, organisés avec et pour l’équipe de l’appelant et sont donc rattachables à la vie professionnelle ; que par courriel du 28 août 2018 diffusé à ses directeurs, ayant pour objet les valeurs humaines, la société insistait sur l’importance qu’elle attachait au respect des équipiers de ces derniers et rappelait qu’au cours des mois précédents, onze dirigeants avaient été licenciés pour des affaires de sexisme, de harcèlement moral ou sexuel ; qu’elle rappelait notamment qu’aucun geste déplacé ou dérapage ne pouvait être toléré tant au sein de l’entreprise qu’à l’occasion de soirées organisées lors de séminaires ou de PMA ;
Attendu que les griefs relatifs à l’adoption par l’appelant d’une attitude vexatoire et humiliante, à l’émission de réflexions dégradantes à connotation sexuelle envers ses collaborateurs sont donc caractérisés ; qu’ils sont totalement déplacés et d’autant moins acceptables qu’ils émanaient d’un salarié exerçant une autorité hiérarchique sur ses victimes ; qu’ils sont fautifs, à eux seuls justifient le licenciement et compte tenu de leur gravité, rendaient bien impossible le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis ;
Attendu qu’il ne serait pas équitable de laisser à la charge de la société intimée les frais qu’elle a dû exposer en cause d’appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu’il convient de lui allouer une somme complémentaire de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement déféré
ET Y AJOUTANT,
CONDAMNE [D] [E] à verser à la société DECATHLON 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
LE CONDAMNE aux dépens.
LE GREFFIER
A. AZZOLINI
LE PRÉSIDENT
P. LABREGERE