Your cart is currently empty!
N° RG 21/02015 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IYVP
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 23 JUIN 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE DIEPPE du 13 Avril 2021
APPELANTE :
Madame [V] [G]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Anne-Sophie LEBLOND, avocat au barreau de DIEPPE substitué par Me Florent MOREL, avocat au barreau de l’EURE
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/007172 du 14/06/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rouen)
INTIMEE :
S.A.R.L. 2SCN
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Pascale ROUVILLE de la SELARL EPONA CONSEIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Cyril CAPACCI, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 14 Avril 2022 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur POUPET, Président
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l’audience publique du 14 Avril 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 02/06/2022, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 23 Juin 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 23 Juin 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Monsieur POUPET, Président et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le 1er juillet 2016, Mme [V] [G] (la salariée) a été engagée en qualité de cuisinière au sein du restaurant les Régates par la Sarl 2SCN (l’employeur) dont le gérant était M. [R] [A]. Son compagnon, M. [D], engagé le même jour, exerçait en qualité de responsable de salle et serveur/barman.
Le 1er février 2017, elle a été promue chef de cuisine.
Le 23 mai 2018, elle a été déclarée inapte à son poste.
Le 13 juillet suivant, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Par jugement du 13 avril 2021, le conseil de prud’hommes de Dieppe a :
-jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail s’analysait en une démission,
-débouté la salariée de toutes ses demandes,
-condamné la salariée à payer à la société la somme de 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions remises le 23 mars 2022, Mme [G], qui a relevé appel de la décision, demande à la cour de :
-infirmer le jugement déféré,
-condamner la Sarl 2SCN à lui verser les sommes suivantes :
28 441,68 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
2 370,14 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
237,14 euros au titre des congés payés sur préavis,
2 444,81 euros à titre d’indemnité de licenciement,
14 668,86 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et sexuel,
14 668,86 euros à titre d’indemnisation spécifique réparant le manquement de l’employeur à son obligation légale de sécurité et de prévention des actes de harcèlement dans l’entreprise,
11 248,81 euros à titre de rappel de salaires,
1 124,88 euros au titre des congés payés afférents,
14 668,86 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé,
2 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions remises le 23 mars 2022, la société demande à la cour de :
in limine litis,
-rejeter des débats la pièce adverse n° 58 ou, à tout le moins, les 6 pages de retranscription d’une prétendue conversation téléphonique du 4 octobre 2017,
à titre principal,
-confirmer le jugement entrepris en totalité et débouter la salariée de toutes ses demandes,
à titre incident,
-infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de paiement de la somme de 2 370,14 euros pour non-exécution du préavis,
à titre subsidiaire,
-fixer l’indemnité de licenciement à la somme de 825,76 euros,
-fixer les dommages et intérêts à la somme de 1 000 euros au titre du harcèlement moral et à cette même somme pour manquement à l’obligation de sécurité et de prévention des faits de harcèlement,
en tout état de cause,
-condamner la salariée à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour le détail de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il n’est pas discuté que la retranscription d’une prétendue conversation téléphonique datée du 4 octobre 2017 entre M. [A] et M. [I] [D], reprise dans le procès-verbal d’huissier du 25 août 2021 (pièce n° 58 de l’appelante) qui comprend également d’autres éléments, a été enregistrée sans l’accord de M. [A].
Dans ces conditions, en application des dispositions des articles 9 du code civil et du code de procédure civile, l’enregistrement de cette conversation privée ne peut constituer un mode de preuve licite pouvant valablement être produit en Justice.
Faute d’avoir recueilli loyalement l’élément de preuve considéré, la salariée n’est pas fondée à se prévaloir de la jurisprudence ayant admis que le droit à la preuve puisse justifier une atteinte à la vie privée à condition que celle-ci soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
Par conséquent, il convient d’écarter des débats la retranscription téléphonique litigieuse incluse dans la pièce n° 58 de Mme [G].
Sur le harcèlement sexuel et le harcèlement moral
L’article L.1153-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, dispose qu’aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; 2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
L’article L. 1154-1 du même code dans sa version applicable, prévoit qu’en cas de litige, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, Mme [G] indique avoir été victime de harcèlement sexuel de la part de M. [T] [X], saisonnier embauché en mai 2017, lequel lui « léchait la joue lorsqu’il lui faisait les bises », «avait mis sa main dans son pantalon en faisant mine de se caresser tout en la regardant », lui disait quotidiennement « ma chérie, tu es mon amour » et, au cours du moi de juillet 2017, « je vais faire les feuilles d’heures, tu viens me sucer sous le bureau ‘ ».
Elle présente les éléments suivants :
-son dépôt de plainte du 9 novembre 2017 où elle dénonçait les faits ci-dessus, laquelle avait été classée sans suite du fait de l’absence de preuve suffisante pour caractériser l’infraction,
-un certificat de constatations des blessures daté du 13 janvier 2018 dans lequel la salariée indiquait qu’un collègue de travail, pour lui « faire la bise, l’a léchée à plusieurs reprises … », lui tenait des propos à connotation sexuelle : « mon amour …tu viens dans le bureau me sucer »,
-l’attestation ainsi que l’audition de Mme [H] témoignait que Mme [G] était « le souffre-douleur », que « [T] embrassait tout près de la bouche avec la salive » toutes les filles mais « qu’avec [V] c’était particulier, il pouvait rester des minutes à la fixer sans bouger et sans parler, il lui disait « mon amour », lui envoyait des baisers qu’il se faisait sur la main ». Le témoin ajoutait qu’une fois, elle avait demandé à M. [X] de vider correctement son assiette et il lui avait rétorqué : « je vais vider autre chose » tout en se touchant le sexe, « viens me presser dans le bureau puis viens me sucer ». Elle affirmait que Mme [G] avait dénoncé les faits à leur « patron qui n’en avait pas tenu compte », prenant « tout avec humour »,
-l’audition de Mme [S] qui confirmait le comportement ci-dessus décrit de M. [X] tant vis-à-vis de Mme [G] que de « toutes les filles ». Elle indiquait que « [T] ramenait tout au sexe, faisait des insinuations à [V] sur le sexe » chaque jour. Mme [S] ajoutait, à titre anecdotique, que lorsqu’elle avait demandé à M. [X] un jus d’orange, il lui avait dit : « viens me presser dans le bureau puis viens me sucer ». Elle ajoutait qu’elles étaient allées voir leur employeur avec Mme [G], pour se plaindre de ce comportement, mais que celui-ci «se foutait de tout »,
-l’attestation de M. [L] qui confirmait aussi le comportement de M. [X] avec Mme [G] et précisait qu’il l’avait vu la regarder « en léchant ses lèvres » ou en touchant son sexe,
-l’audition de M. [R] [A] qui reconnaissait avoir été averti par Mme [G] de ce qu’elle « ne voulait plus dire bonjour physiquement à M. [X] », ainsi qu’un de ses Sms, non daté, où il écrivait à l’appelante : Tiens pour la peine un bisous baveux de [T] »,
-l’audition de M. [X] qui niait la totalité des faits expliquant qu’il s’agissait d’une vengeance car il avait remplacé le compagnon de la salariée en tant que directeur de restaurant et qu’un mois plus tard, la plainte avait été déposée,
-un certificat médical du 24 juillet 2017 du docteur [P], médecin généraliste, qui indiquait que la salariée « présentait un état anxieux en rapport avec des soucis professionnels selon ses dires »,
-le certificat médical du 7 septembre 2021 du docteur [F] qui précisait « avoir constaté, malgré une prise en charge médicamenteuse et une psychothérapie, un syndrome anxio-dépressif sévère réactionnel, en partie,lié aévénements » professionnels dénoncés, « un état de stress post traumatique réa(voir second certificat », lequel n’est pas produit) et un syndrome douloureux chronique,
-le certificat du docteur [K] (10 janvier 2018), médecin psychiatre, précisant qu’elle était suivie pour « un épisode dépressif caractérisé d’intensité modéré à sévère », différents documents en lien avec la découverte et le traitement d’un cancer du sein diagnostiqué en août 2020.
Les précédents développements établissent en suffisance des faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel à l’encontre de Mme [G].
Par conséquent, il appartient à l’employeur de prouver que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
Le classement sans suite de la plainte de la salariée pour harcèlement sexuel, faute de preuves suffisantes pour caractériser le délit pénal, n’empêche nullement la cour d’en retenir l’existence.
Par ailleurs, les éléments produits et discutés par l’employeur quant à l’inscription de la salariée sur un site libertin, sont sans rapport aucun avec le présent litige et ne méritent pas d’être examinés.
De même, l’employeur relève qu’il est étonnant que les seuls témoignages produits par la salariée soient ceux d’une amie, Mme [H], du compagnon de cette dernière, M. [L], et de Mme [S], ou encore reprend « l’explication » donnée par M. [X] lors de son audition concernant l’existence d’une vengeance de Mme [G]. Or, il ne s’agit que de supputations et d’insinuations qui, comme telles, ne sont étayées par aucun élément.
L’employeur reconnaît avoir été informé du comportement de M. [X] par Mmes [G] et [S], comme elles l’ont indiqué lors de leurs auditions, mais minimise les propos tenus en indiquant qu’elles se sont uniquement plaintes « du fait que M. [X] les regardait de manière insistante et qu’il faisait parfois la bise trop près des lèvres ». Si tel était vraiment le cas, cela n’explique pas le contenu de son propre SMS ci-dessus repris qui démontre une connaissance plus complète des faits.
Quoiqu’il en soit, l’employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par Mme [G] sont étrangers à tout harcèlement sexuel.
Avant de fixer l’indemnisation du préjudice subi par la salariée, il convient d’examiner les éléments qu’elle développe concernant l’existence d’un harcèlement moral, puisqu’elle forme une demande de dommages et intérêts sur ces deux fondements.
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.
Le système probatoire du harcèlement probatoire est également régi par les dispositions de l’article L. 1154-1 du même code dans la version ci-dessus reprise.
En l’espèce, Mme [G] soutient avoir subi :
-une dégradation de ses conditions de travail,
– une insulte,
– des violences physiques sur son lieu de travail commises par un salarié, le 17 juillet 2017, sans que son employeur réagisse.
Elle produit des copies de SMS, son dépôt de plainte pour violences volontaires et son classement sans suite, ainsi que les différentes pièces médicales ci-dessus évoquées ainsi que d’autres relatives à son accident du travail.
Concernant le premier point, la cour constate qu’aux termes de ses conclusions, la salariée ne développe pas d’autres faits précis, en dehors de ceux relatifs à des violences physiques et à un harcèlement sexuel.
En effet, elle se limite principalement à indiquer avoir averti son employeur concernant ses conditions de travail “déplorables” sans autre précision ou développement et, se réfère à un SMS du 24 septembre 2017. Dans ce message, elle fait part des conditions de travail du week-end, dans ces termes : “comment t’expliques qu’en salle il soit 5 et nous 3 pour géré 6 postes et de plus travailler avec des personnes incompétentes ivre et la personne responsable ce week-end en salle M.[T] a été incompétent (…) Même pas suivre hygiène et de plus devoir faire le travail de deux voir trois personne (…). Même que je me suis tordu le genou gauche et brûlé la mains”. Par ce message, la salariée fait part de difficultés rencontrées ponctuellement tant par ses collègues que par elle-même, sans qu’elle ne soutienne, ni ne présente d’éléments de nature à établir que ce type de problèmes était récurrent, de sorte que ses conditions de travail en seraient dégradées, cette notion supposant une persistance dans le temps.
Par ailleurs, si la salariée se plaint d’avoir été insultée, elle ne précise ni les termes utilisés, ni la date des faits et opère, au surplus, une confusion concernant le prétendu auteur de celles-ci. Faute de telles précisions, l’employeur n’est pas mis en mesure de répondre utilement sur ce point, pas plus que la cour de former sa conviction.
Enfin, il ressort des pièces produites que le 17 juillet 2017, la salariée a eu une altercation avec M. [J] [E], autre salarié, lequel l’a saisie au niveau des coudes, l’a poussée et lui a donné des coups de pied au niveau des genoux, jusqu’à ce que des collègues interviennent. Le 21 juillet 2017, le salarié mis en cause a pris acte de la rupture de son contrat de travail en dénonçant, notamment, le comportement de Mme [G].
Ainsi, il convient de constater que les éléments présentés par la salariée, pris dans leur ensemble, ne laissent pas supposer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre. En effet, seul un fait précis présenté est matériellement établi, soit les violences physiques, lequel quand bien même il demeurerait injustifié, est insuffisant pour laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral, dans la mesure où il n’est pas discuté qu’il est demeuré isolé.
Par conséquent, compte tenu des circonstances du harcèlement sexuel subi, de sa durée et des conséquences dommageables pour la salariée, il convient de réparer le préjudice subi en lui allouant la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur le manquement à l’obligation de sécurité et à la prévention des actes de harcèlement
Selon l’article L. 4121-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Il est acquis que l’employeur a été informé par la salariée, ainsi que par sa collègue, de faits pouvant faire présumer l’existence d’un harcèlement sexuel subi par Mme [G], lequel a d’ailleurs été retenu.
Or, l’employeur ne justifie d’aucune démarche tendant à évaluer la réalité de la situation dénoncée et à la faire éventuellement cesser en usant de son pouvoir disciplinaire.
Il est ainsi suffisamment justifié que l’employeur n’a pas répondu à son obligation de sécurité, laquelle comprend l’obligation de prévenir tout risque de harcèlement mais aussi celle d’y remédier immédiatement si la situation se présente.
Il y a lieu de le condamner à payer à Mme [G] la somme de 1 000 euros à ce titre, la décision étant infirmée sur ce chef.
Sur les heures supplémentaires
Aux termes de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
L’appelante verse aux débats un tableau récapitulant le total des heures effectuées mensuellement de juillet 2016 à septembre 2017, un autre précisant les heures accomplies quotidiennement au mois de septembre 2017, les fiches quotidiennes des heures de travail des salariés pour le même mois et celui d’août 2017, ainsi que les tableaux des jours de repos et de travail d’avril à septembre 2017 et les photographies des tableaux Excel des heures d’avril à août 2017 enregistrées par l’employeur (pièce 67). Elle produit également des attestations de salariés ou ex-salariés du restaurant indiquant qu’ils accomplissaient “énormément d’heures supplémentaires” qui n’étaient pas réglées.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.
Or, la cour ne peut que relever que l’employeur se limite à discuter la forme et le contenu des témoignages produits ou à relever que les décomptes produits sont effectués sur une base mensuelle en contradiction avec les prescriptions de l’article L. 3121-28. Sur ce dernier point, il n’est aucunement interdit à la salariée de se prévaloir d’un décompte mensuel de son temps de travail, dès lors qu’il est suffisamment précis pour permettre à l’employeur, chargé du contrôle du temps de travail, de le discuter, ce que ce dernier ne fait pas.
S’il explique cette impossibilité de produire les feuilles de décompte hebdomadaires enregistrées informatiquement en raison d’un dégât des eaux, les photographies et les courriers d’assurance qu’il produit en démontre, certes, l’existence sans toutefois permettre de dater cet événement et son incidence sur le matériel informatique, étant observé qu’au mois de juin 2017, la compagnie d’assurance avait déjà effectué le versement d’un acompte, de sorte que l’événement était donc bien antérieur à ce mois. Dans ces conditions, rien n’empêchait l’employeur de justifier des heures de travail accomplies par la salariée pour la période, a minima, de juin à septembre 2017. Ceci est d’autant plus exact que la pièce 67 ci-dessus indiquée de l’appelante, est composée de photographie des fichiers informatisés de l’employeur pour la période d’avril à août 2017.
Au-delà des remarques et allégations sans incidence sur l’objet du débat, l’employeur relève que les décomptes comportent des erreurs dont certaines sont sans conséquence sur la précision des horaires indiqués (erreur de date sur un lundi et un mardi). En revanche, il fait remarquer à juste titre que les fiches journalières d’août 2017 portent sur 220,50 heures, alors que la salariée note 264 heures travaillés ce mois-là.
L’employeur affirme que les relevés de l’appelante seraient falsifiés en voulant pour preuve trois témoignages, dont deux émanent de salariés mis en cause par l’appelante et le troisième se limite à attester qu’il a été réglé de ses heures supplémentaires. Au surplus, les deux premières attestations ne font état d’aucun élément précis et circonstancié, l’une évoquant “des doutes” sur les reports d’heures effectués par M. [D] et Mme [G] et l’autre, celle de M. [X], indiquant les “avoir vus modifier une fiche horaire sur l’ordinateur”, sans autre élément. De même, l’employeur produit trois fiches de travail remplies par M. [D] (pièces 52 à 54) faisant apparaître, pour d’eux entre elles, une différence notable entre la météo du jour indiquée par ce dernier et celle de la salariée sur ses propres fiches. Toutefois, cette dissemblance qui peut résulter d’une simple erreur, ne rapporte pas la preuve de la fausseté des pièces produites par la salariée.
Enfin, si l’employeur justifie que Mme [G] ne prenait pas de repas pendant ses journées de travail, il ne démontre pas, comme cela lui appartient, qu’elle disposait de son temps de pause, d’autant que par les témoignages produits, elle démontre le contraire.
Par conséquent, eu égard à l’ensemble des éléments produits par les parties, aux remarques ci-dessus, aux heures supplémentaires déjà réglées, au taux horaire et aux majorations applicables, la cour est en mesure de fixer le nombre d’heures supplémentaires qui n’ont été ni compensées, ni rémunérées, ainsi :
– 213,54 heures de juillet à décembre 2016,
– 459,25 heures en 2017,
ce qui représente une somme totale de 10 847,20 euros, outre 1 084,72 euros au titre des congés payés afférents, dont est redevable la société intimée.
La décision déférée est infirmée sur ce point.
Sur le travail dissimulé
Aux termes de l’article L 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait, notamment, pour tout employeur :
-soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
-soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
L’article L 8223-1 du même code dispose qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Dès lors qu’il est acquis que Mme [G] a réalisé, chaque mois à compter de juillet 2016, un nombre conséquent d’heures supplémentaires et que l’employeur ne les a ni réglées dans leur totalité, ni mentionnées sur ses bulletins de salaires, alors qu’il ne pouvait en ignorer l’existence, eu égard tant aux fiches horaires journalières qui étaient précisément renseignées qu’aux tableaux Excel sur lesquels elles étaient reportées, c’est à bon droit que l’appelante prétend au paiement d’une indemnité de 14 668,86 euros, le jugement doit être également infirmé sur ce chef.
Sur la prise d’acte
La prise d’acte est un mode de rupture du contrat par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu’il impute à l’employeur. Il convient d’apprécier les griefs reprochés par le salarié et de s’assurer qu’ils sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi, qualifier la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse. A défaut, la prise d’acte s’analyse en une démission.
Les précédents développements ont permis d’établir l’existence d’un harcèlement sexuel subi par la salariée , ainsi que l’absence de réaction de l’employeur après la dénonciation des faits.
Sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres griefs évoqués par la salariée, ces manquements sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi, qualifier la rupture de licenciement nul.
En application des dispositions de l’article L. 1235-3-1 du code du travail et en considération du salaire brut de Mme [G] perçu les six derniers mois et des circonstances de la rupture du contrat de travail, il y a lieu de lui accorder la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.
Il lui sera également accordé la somme de 2 370,14 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés pour un montant de 237,01 euros, ces montants n’étant pas discutés.
En application de l’article R.1234-2 du code du travail dans sa version applicable au litige, Mme [G] est fondée à obtenir une indemnité de licenciement de 1 185,07 euros, laquelle n’a pas lieu d’être doublée en raison de la seule nullité du licenciement, puisqu’il n’est pas soutenu que son inaptitude trouve sa cause dans le harcèlement sexuel retenu.
La décision déférée est infirmée sur ces chefs.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, la société est condamnée aux dépens de première instance et d’appel et déboutée de sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La demande de l’appelante formée au titre des frais irrépétibles est rejetée, puisque celle-ci bénéficie de l’aide juridictionnelle totale et n’a pas soumis à la cour de prétention sur le fondement de l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Ecarte des débats la retranscription téléphonique manuscrite incluse dans la pièce n° 58 de Mme [G],
Infirme le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives au harcèlement moral,
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Dit que Mme [V] [G] a été victime de harcèlement sexuel,
Dit que la prise d’acte de la rupture intervenue par courrier daté du 13 juillet 2018 a les effets d’un licenciement nul,
Condamne la société 2SCN à payer à Mme [V] [G] les sommes suivantes :
15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
2 370,14 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
237,14 euros de congés payés sur préavis,
1 185,07 euros à titre d’indemnité de licenciement,
2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel,
1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation légale de sécurité et à la prévention des actes de harcèlement,
10 847,20 euros à titre de rappel de salaires,
1 084,72 euros à titre de congés payés afférents,
14 668,86 euros au titre du travail dissimulé ;
Déboute parties de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la société 2SCN aux dépens de première instance et d’appel, qui seront recouvrés selon les règles de l’aide juridictionnelle.
La greffièreLe président