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7ème Ch Prud’homale
ARRÊT N°434/2022
N° RG 19/05631 – N° Portalis DBVL-V-B7D-QBJ2
Mme [M] [X]
C/
SA CREDIT MUTUEL ARKEA
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 20 OCTOBRE 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 06 Septembre 2022 devant Madame Liliane LE MERLUS, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Monsieur [K], médiateur judiciaire
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [M] [X]
née le 18 Avril 1979 à [Localité 8]
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Me Géraldine MARION de la SELARL CABINET ADVIS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
SA CREDIT MUTUEL ARKEA
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Frédérick DANIEL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de BREST
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [M] [X] a été embauchée par la SA CRÉDIT MUTUEL ARKEA selon un contrat à durée indéterminée en date du 21 novembre 2000. Elle exerçait les fonctions de chargée de clientèle et a été affectée aux caisses de [Localité 4], [Localité 6], [Localité 10], puis [Localité 9] à compter de septembre 2011.
Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective de branche UES ARKADE du personnel de service.
En août 2014, Mme [X] devait être mutée à l’agence de [Localité 5]. Cependant suite à une tentative de suicide le 4 juillet 2014, elle a été placée en arrêt de travail à compter du même jour.
L’arrêt de travail de la salariée a été prolongé à plusieurs reprises jusqu’à la rupture du contrat de travail.
Au début de l’année 2015, Mme [X] a sollicité un entretien avec son employeur afin d’envisager une rupture du contrat de travail, que l’employeur n’a pas acceptée. Elle faisait état d’un harcèlement subi du fait de son responsable d’agence.
Le 18 avril 2016, la salariée a adressé à la CPAM une déclaration d’accident du travail survenu le 04 juillet 2014.
À l’issue d’une visite de reprise en date du 31 mai 2016, le médecin du travail a déclaré Mme [X] inapte à son poste. Puis, à l’issue d’une seconde visite intervenue le 15 juin suivant, le médecin du travail a confirmé l’inaptitude de la salariée, précisant que ‘toute démarche visant à réaliser un reclassement dans l’entreprise (y compris dans une autre agence), serait préjudiciable à la santé de Mme [X]’.
Mme [X] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 04 août 2016.
Par courrier recommandé en date du 26 octobre 2016, l’employeur a notifié à Mme [X] un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par courrier en date du 14 novembre 2016, la CPAM a notifié son refus de prise en charge de la pathologie de Mme [X] au titre de l’accident du travail.
Par jugement du 22 septembre 20221, le tribunal judiciaire de Coutances a débouté Mme [X] de son recours formé contre la décision de la commission de recours amiable du 11 décembre 2017 et a dit que le fait accidentel du 4 juillet 2014 ne pouvait être pris en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels comme accident du travail.
***
Contestant la rupture de son contrat de travail, Mme [X] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Malo le 19 septembre 2018 et a formé à l’audience les demandes suivantes :
En premier lieu, sur le harcèlement,
– Condamner LE CRÉDIT MUTUEL ARKEA à payer à Madame [M] [X] la somme de 10.000 € pour manquement à son obligation de prévention du harcèlement moral.
– Condamner LE CRÉDIT MUTUEL ARKEA à payer à Madame [M] [X] la somme de 25.000 € en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral.
En deuxième lieu, sur le manquement à l’obligation de sécurité,
– Condamner LE CRÉDIT MUTUEL ARKEA à payer à Madame [M] [X] la somme de 25.000 € pour manquement à son obligation de veiller à la santé du salarié.
En troisième lieu, sur le licenciement
A titre principal,
– Juger que le licenciement intervenu est nul.
– Condamner LE CRÉDIT MUTUEL ARKEA à payer à Madame [M] [X] la somme de 65.000 € à titre de dommages et intérêts.
A titre subsidiaire,
– Juger que le licenciement intervenu est dénué de cause réelle et sérieuse.
– Condamner LE CRÉDIT MUTUEL ARKEA à payer à Madame [M] [X] la somme de 65.000 € à titre de dommages et intérêts.
En tout état de cause,
– Condamner LE CRÉDIT MUTUEL ARKEA à payer à Madame [M] [X] la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Ordonner l’exécution provisoire sur l’intégralité du jugement à intervenir.
– Juger que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction et se capitaliseront conformément à l’article 1154 du code civil.
– Rappeler que les autres sommes produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement à intervenir.
La SA CRÉDIT MUTUEL ARKEA a demandé au conseil de :
– Débouter Mme [X] de l’intégralité de ses demandes;
– La condamner au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 16 juillet 2019, le conseil de prud’hommes de Saint-Malo a :
– Dit et jugé que les éléments présentés au dossier ne permettent pas de retenir des faits de harcèlement à l’encontre de Madame [X] ;
– Débouté Madame [X] de l’intégralité de ses demandes ;
– Débouté la SA CRÉDIT MUTUEL ARKEA de l’intégralité de ses demandes ;
– Laissé à chacune des parties la charge de ses dépens.
***
Mme [X] a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 13 août 2019.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 22 juin 2022, Mme [X] demande à la cour d’infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de SAINT-MALO le 16 juillet 2019 en ce qu’il a :
– Dit et jugé que les éléments présentés au dossier ne permettent pas de retenir des faits de harcèlement à l’encontre de Madame [X]
– Débouté Madame [X] de l’intégralité de ses demandes
– Laissé à chacune des parties la charge de ses dépens :
Statuant de nouveau,
En premier lieu, sur le harcèlement,
– Condamner LE CRÉDIT MUTUEL ARKEA à payer à Madame [M] [X] la somme de 10.000 € pour manquement à son obligation de prévention du harcèlement moral.
– Condamner LE CRÉDIT MUTUEL ARKEA à payer à Madame [M] [X] la somme de 25.000 € en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral.
En deuxième lieu, sur le manquement à l’obligation de sécurité,
– Condamner LE CRÉDIT MUTUEL ARKEA à payer à Madame [M] [X] la somme de 25.000 € pour manquement à son obligation de veiller à la santé du salarié.
En troisième lieu, sur le licenciement,
A titre principal,
– Juger que le licenciement intervenu est nul.
– Condamner LE CRÉDIT MUTUEL ARKEA à payer à Madame [M] [X] la somme de 65.000 € à titre de dommages et intérêts.
A titre subsidiaire,
– Juger que le licenciement intervenu est dénué de cause réelle et sérieuse.
– Condamner LE CRÉDIT MUTUEL ARKEA à payer à Madame [M] [X] la somme de 65.000 € à titre de dommages et intérêts.
En tout état de cause,
– Condamner LE CRÉDIT MUTUEL ARKEA à payer à Madame [M] [X] la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Juger que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction et se capitaliseront conformément aux articles 1231-7 et 1343-2 du code civil ;
– Rappeler que les autres sommes produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement à intervenir.
– Débouter la SA CRÉDIT MUTUEL ARKEA de ses demandes, fins, et conclusions.
En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA 07 juin 2022, la SA CRÉDIT MUTUEL ARKEA demande à la cour de :
– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de SAINT-MALO dans toutes ses dispositions;
– Débouter Mme [X] de l’intégralité de ses demandes ;
– La condamner à payer à la Société CRÉDIT MUTUEL ARKEA la somme de’3’000,00’€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– La condamner aux entiers dépens.
***
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 28 juin 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions susvisées qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le harcèlement moral et le harcèlement sexuel
Mme [X] reproche au premier juge, qui a retenu que le harcèlement qu’elle dénonce n’était pas caractérisé’:
-d’avoir ajouté à tort des conditions aux textes légaux, en considérant qu’elle aurait dû déposer plainte auprès du médecin du travail ou du CHSCT, s’ouvrir de sa situation auprès d’un assistant social extérieur, relevé également à sa charge qu’elle avait refusé de se présenter au cours de l’enquête du CHSCT diligentée postérieurement à sa tentative de suicide, alors que ces éléments ne démontrent pas autre chose que sa fragilité,
-de n’avoir pas appliqué la méthode probatoire spécifique au harcèlement, en se contentant de considérer que les faits, établis, de plaisanteries «’un peu lourdes’» du responsable de bureau, à bannir dans un cadre professionnel mais ne pouvant à elles seules justifier l’acte (tentative de suicide) qu’elle a commis, n’étaient pas suffisamment graves pour établir une présomption de harcèlement moral et sexuel, le conseil appréciant ainsi de manière erronée les circonstances de fait et omettant un certain nombre d’éléments figurant dans les pièces qu’elle produit.
Le Crédit Mutuel Arkea réplique que c’est Mme [X] qui ne respecte pas cette méthode probatoire’; qu’ainsi elle n’apporte aucun élément sérieux, précis et concordant, susceptible de lui permettre de bénéficier de l’aménagement de la preuve en matière de harcèlement, une tentative de suicide au domicile, intrinsèquement grave, n’étant pas un fait de nature à laisser supposer des harcèlements au travail, et l’appelante ne produisant, pour le reste, aucun élément sérieux’; que c’est dès lors de façon parfaitement logique que le conseil a recherché les éléments du dossier qui n’étaient pas contestables, lesquels se sont révélés être en totale contradiction avec la thèse qu’elle soutient’; que le conseil, qui a retenu qu’aucun témoignage de collègues ne corroborait le prétendu harcèlement, étant entendu que des plaisanteries «’un peu lourdes’»ne peuvent être à l’origine d’une tentative de suicide, et a souligné que Mme [X] «’semble être une personne fragile psychologiquement’»qui a vraisemblablement été dépassée par son travail, aurait pu se contenter de juger que la demanderesse ne versait au dossier aucun élément laissant supposer des harcèlements, hormis ses propres allégations’; qu’en effet elle a mis au point un scenario par lequel elle accuse M. [S] de l’avoir harcelée’; qu’elle tente de faire certifier ce scenario en se prévalant de ses propres déclarations auprès de tiers, dont l’analyse soigneuse révèle toutefois le caractère artificiel, tout comme son attitude constante d’évitement, Mme [X] s’étant toujours organisée pour ne pas avoir à répondre à des questions ; qu’en tout état de cause, il ne peut être reproché au conseil d’avoir analysé la situation de fait soumise à son appréciation de façon plus approfondie que la loi ne lui en faisait obligation.
***
En application de l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale et de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L 1154-1 du code du travail dans sa version applicable à l’espèce, il appartient au salarié d’établir les faits laissant présumer des agissements de harcèlement moral, au juge d’appréhender les faits dans leur ensemble et de rechercher s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, à charge ensuite pour l’employeur de rapporter la preuve que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs du harcèlement et s’expliquent par des éléments objectifs.
Au titre du harcèlement moral, Mme [X] expose que’le responsable de bureau, M. [S], a, dès qu’elle est arrivée à l’agence de [Localité 9] en 2011 et jusqu’à sa tentative de suicide le 4 juillet 2014, adopté à son égard une attitude totalement inadaptée et malsaine, et plus particulièrement que’:
-M. [S] l’a complètement isolée au sein de l’agence’; cependant cette affirmation, à caractère général, n’est pas illustrée d’exemples précis et circonstanciés, alors qu’il ressort au contraire du rapport d’enquête dressé par le CHSCT que ses collègues étaient disposés à lui apporter un soutien dans son travail si elle était mutée à [Localité 5],’comme elle le leur demandait à l’occasion d’une réunion d’information du personnel’ayant eu lieu peu avant le 4 juillet ; il ne s’agit en conséquence pas d’un fait établi laissant présumer un harcèlement, mais d’une simple allégation non corroborée qui doit être écartée’;
-conscient de son manque de confiance en elle, M. [S] la dénigrait «’ostensiblement’», cependant elle ne produit aucune attestation de collègue appuyant ses dires’; la seule collègue dont les propos directs ont été recueillis, ce dans le cadre de l’enquête administrative effectuée par la CPAM, en l’occurrence Mme [C], n’a pas confirmé que, comme l’affirmait Mme [X] dans sa déclaration d’accident de travail, cette dernière avait été mise à l’écart et qu’il régnait une mauvaise ambiance au sein de l’agence, mais a précisé au contraire qu’elle n’avait pas le sentiment qu’il y avait une mauvaise ambiance et qu’elle n’avait pas constaté que Mme [X] était mise à l’écart’; que Mme [X] lui avait indiqué qu’elle était victime de propos déplacés, humiliants et dénigrants de la part de M. [U] [S], mais qu’elle n’a jamais vu ou entendu quoi que ce soit’; il est à noter que Mme [C] a été auditionnée alors que M. [S], qui avait fait valoir ses droits à la retraite, n’était plus en poste dans l’entreprise’; le fait allégué n’est pas matériellement établi et doit être écarté’;
-M. [S] n’a jamais fixé de rendez-vous pour elle auprès de la médecine du travail alors qu’il le faisait pour ses collègues de l’agence, dans le dessein volontaire de l’isoler et d’éviter qu’elle puisse se confier à quelqu’un, cependant elle n’étaye pas davantage cette allégation, étant observé au surplus qu’elle pouvait prendre elle-même l’initiative de demander à rencontrer le médecin du travail et que, du fait même de l’organisation de l’agence de [Localité 5]-[Localité 9], elle ne pouvait être confinée dans un isolement lui interdisant de se confier à quelqu’un, puisqu’elle était en contact non seulement avec ses collègues de [Localité 9], mais aussi avec une collègue de [Localité 5] travaillant régulièrement à l’agence de [Localité 9], Mme [C] ci-dessus citée, ainsi qu’avec son supérieur hiérarchique M. [Z], responsable des 2 agences [Localité 5]-[Localité 9]’dont le bureau était à [Localité 5] ;
celui-ci s’est du reste déplacé début juillet 2014 pour faire le point avec Mme [X] et rassurer celle-ci par rapport aux dossiers qu’elle avait en instance, selon la précision apportée par Mme [C]’; le fait allégué, non établi, doit être écarté’;
-M. [S] critiquait sans cesse son travail, comme elle l’avait confié à Mme [C] laquelle a fait état, dans son audition dans l’enquête administrative de la CPAM, de ces propos tenus par Mme [X] à une période antérieure à sa tentative de suicide’; cependant, alors qu’il est établi qu’elle éprouvait des difficultés dans le traitement des dossiers «’habitat’», ce qui ressort non seulement de la pièce 21 de la banque (entretien annuel du 22 janvier 2014) mais aussi du rapport du CHSCT qui relève qu’elle comprenait le but de sa mutation à [Localité 5] (plus de collègues disponibles pour la faire monter en compétence sur l’habitat), elle ne précise pas qu’il s’agissait de critiques systématiquement injustifiées ni ne circonstancie ces critiques et leur teneur, de sorte que son affirmation à caractère général ne permet dans ce contexte pas de caractériser un fait matériel laissant présumer un harcèlement, pas plus que l’affirmation, également trop vague et non circonstanciée, de Mme [C], selon laquelle le chef d’agence était «’plus sur le dos’» de Mme [X] que sur celui d’autres salariés, ne permet de caractériser un abus du pouvoir de direction constitutif d’un fait laissant présumer un harcèlement moral ; cet élément doit par conséquent être également écarté’;
-Elle a fait l’objet de plaisanteries graveleuses sur son lieu de travail par son manager M. [S]’; cependant elle n’apporte aucune précision circonstanciée et il y a lieu de relever des aspects contradictoires entre les éléments notés par le CHSCT et ce qu’elle relatait elle-même dans son courrier de déclaration d’accident du travail, qui est l’unique document écrit qu’elle a établi, et dont elle a confirmé la teneur lors de son audition par l’enquêteur de la CPAM. Elle a en effet indiqué dans sa déclaration d’accident du travail que lorsqu’elle est arrivée au sein de l’agence de [Localité 9], M. [S] a adopté un comportement inadéquat et déplacé à son égard et a tenté de nouer une relation extra professionnelle, en tenant en conséquence «’sur le ton de la plaisanterie des propos légèrement déplacés’» du type «’demain tu te mets en jupe’» ou «’ce soir on se voit dans mon bureau quand les collègues sont partis’», sans préciser qu’ils avaient eu antérieurement une relation lorsqu’ils avaient travaillé ensemble dans une autre agence, comme elle a pu le confier à Mme [C], et alors qu’il y a lieu de relever que le CHSCT a consigné dans son rapport, suite à des entretiens menés sur place avec des salariés du bureau de [Localité 9], qu’ils étaient restés tous deux en relation depuis, qu’en situation de responsabilité hiérarchique cette relation était devenue bien plus distante, marquée de cette hiérarchie, et que [M] ([X]) s’en plaignait. Cette observation fait écho à celle du médecin hospitalier spécialisé qui l’a suivie après sa tentative de suicide et a noté une «’relation complexe’» avec l’un de ses supérieurs hiérarchiques. Il se déduit des précisions apportées par Mme [X] dans son courrier de déclaration d’accident du travail que lorsqu’il avait compris qu’elle entendait se cantonner à des relations purement professionnelles il n’avait plus tenu de tels propos (ce que confirme l’ancienneté de l’unique sms qu’aurait trouvé le frère de Mme [X] dans son téléphone, selon l’attestation de celui-ci qu’elle produit en cause d’appel), changeant de comportement, pour se situer sur un autre registre, celui de l’humiliation et du dénigrement de son travail et de son comportement auprès de ses collègues de travail, autre fait allégué qui a fait l’objet d’un examen supra.
Si le CHSCT n’a pas pu rencontrer Mme [X], celle-ci a pourtant pu exprimer qu’elle «’ne se sentait pas encore prête à revivre ces moments douloureux à l’occasion d’une rencontre’», ce qui signifie qu’elle a pu être contactée téléphoniquement, de sorte qu’elle a aussi bien pu s’exprimer sur sa situation par ce biais, ainsi que le suggère la formulation retenue par le CHSCT selon laquelle «’elle se sentait mise à l’écart et objet de raillerie’». Le rapport indique qu’elle était appelée la blonde mais ne mentionne pas qui l’aurait appelé ainsi et en aurait fait le sujet de plaisanteries grivoises,et, si l’on peut penser à la lecture du rapport qu’il s’ agirait de M. [S], Mme [X] affirme dans ses écritures que ce serait ses collègues, sans autre précision, qui l’auraient appelé la blonde, sur instigation de M. [S]. L’imprécision du rapport du CHSCT sur ces points ne permet pas de retenir que ce sont bien des collègues, et non Mme [X] elle-même, qui ont fait état de plaisanteries grivoises dont elle aurait été l’objet et la conclusion du rapport, qui retient que «’un certain dénigrement, des plaisanteries grivoises, les allusions de nature sexiste dont [M] a fait l’objet l’ont blessée’» confirme qu’il s’agit là d’un ressenti de la salariée. En réalité, sur les «’plaisanteries grivoises’», un unique élément résulte de l’attestation de Mme [C], laquelle indique que «’M. [U] [S] était une personne qui sortait des blagues un peu lourdes, mais pas uniquement à Mme [M] [X]’». De telles plaisanteries un peu lourdes, adressées indistinctement à tous, et dont rien n’établit qu’elles aient été répétées dans le temps à l’endroit de Mme [X], ne suffisent pas à caractériser un fait laissant présumer un harcèlement moral;
-la dégradation de son état de santé, culminant en une tentative de suicide, est établie par des éléments médicaux (certificats de médecins, prise en charge en milieu hospitalier spécialisé), cependant les éléments médicaux produits par Mme [X], qui ne reposent pas sur des constatations personnelles des praticiens au sein de l’entreprise, ne permettent pas qu’elle soit mise en lien avec les agissements de harcèlement moral allégués, dont la réalité n’est pas établie.
***
Aux termes de 2l’article L.1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits’:
1°) soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés portant atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante’;
2°) soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
En application de l’article L 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l’application de l’article 1153-1du code du travail, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement’; au vu de ces éléments il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont ps constitutifs d’un harcèlement et le juge forme sa conviction.
Au titre du harcèlement sexuel, Mme [X], qui fait valoir qu’un agissement unique suffit, expose que’:
-Conscient de son manque de confiance, M. [S] la dénigrait ostensiblement, cependant ce fait, écarté comme n’étant pas un fait matériellement établi au titre de la présomption d’un harcèlement moral et repris identiquement sur le fondement du harcèlement sexuel doit être également écarté à ce titre’;
-Elle se faisait régulièrement appeler «’la blonde’»et ce à l’initiative de M. [S], cependant elle ne précise pas combien de collègues étaient affectés au bureau de [Localité 9], si tous l’appelaient ainsi ou seulement certains, s’il s’agissait de collègues masculins ou féminins, de collègues encore en poste ou non, si cela était dit en sa présence ou non, alors qu’elle n’en a pas fait état lors de son audition dans le cadre de l’enquête de la CPAM et que l’imputabilité de tels propos ne ressort pas davantage clairement du rapport du CHSCT, de sorte que le caractère général et non circonstancié de l’affirmation à ce sujet ne permet pas de considérer qu’il s’agit d’un fait matériellement établi laissant présumer un harcèlement sexuel’;
-Elle a fait l’objet de plaisanteries graveleuses sur son lieu de travail par son manager, cependant elle n’a fait état, lorsqu’elle a été entendue par l’enquêteur de la CPAM, que de «’propos légèrement déplacés’,’sur le ton de la plaisanterie’», lorsqu’il a, selon elle, tenté de nouer une relation extra professionnelle lors de son arrivée’et le seul sms dont elle est en mesure de rapporter la teneur exacte, par le témoignage de son frère, est «’j’espère te voir demain matin avec ta petite jupe, tu étais belle ce matin’»’; ce fait unique, alors que la déclaration de Mme [C] établit qu’ils avaient antérieurement eu une relation et que le SMS, ancien, que Mme [X] n’a jamais effacé de son téléphone si son frère a pu effectivement l’y trouver, ne contient aucun propos dégradant, ne suffit pas à laisser présumer un harcèlement sexuel, pas plus que des plaisanteries lourdes, dont elle n’établit pas qu’elle était «’l’objet’», mais que M. [S] a pu faire en s’adressant à elle, comme il le faisait avec d’autres, puisque seul un humour douteux de ce dernier ressort du témoignage de Mme [C]’;
-Les éléments médicaux produits par Mme [X] ne peuvent par conséquent être mis en lien avec un acte unique de nature sexuelle destiné à exercer sur elle une pression grave lui permettant d’échapper à une situation dommageable ou de bénéficier d’avantages particuliers, ou avec des actes répétitifs portant atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, rendant insupportables ses conditions de travail.
En considération de l’ensemble de ces éléments, le jugement ne peut qu’être confirmé en ce qu’il a débouté Mme [X] de sa demande indemnitaire spécifique au titre d’un harcèlement moral subi ainsi que de ses demandes présentées au titre de la nullité du licenciement sur le même fondement.
Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à la prévention du harcèlement moral
Mme [X] critique le premier juge en ce qu’il a estimé’:
-que le seul fait d’avoir rédigé un accord d’entreprise sur la prévention des risques psychosociaux suffisait, peu important qu’il soit porté ou non à la connaissance des salariés,
– que la justification de la seule formation de son manager N+2 aux risques psychosociaux suffisait également, tout en restant taisant sur le fait que son N+1, harceleur, n’a jamais suivi aucune formation à ce sujet.
Le Crédit Mutuel réplique que les éléments versés aux débats en réponse aux sommations de communiquer de Mme [X] ne laissent aucune équivoque sur la prise en compte par l’employeur des obligations de prévention et que la demande de l’appelante relative à la communication des justificatifs de formation suivies par M. [S] concernant les risques psychosociaux n’était pas pertinente, puisque ce salarié, qui occupait les fonctions de responsable de bureau, n’était pas le supérieur hiérarchique de Mme [X], laquelle était directement subordonnée à son directeur de caisse M. [Z].
***
Le Crédit Mutuel Arkea justifie, par la production aux débats de l’accord d’entreprise n°2012-06 signé le 21 septembre 2012 et applicable au moment des faits invoqués par Mme [X], de ce qu’il avait bien pris en compte la prévention des risques psychosociaux, parmi lesquels sont identifiés les risques spécifiques liés au harcèlement moral et sexuel au travail, et de ce qu’il avait mis en place un plan d’actions, impliquant les représentants du CHSCT, des représentants syndicaux, des représentants de la direction, des personnes du monde médical’; il justifie également que le groupe de travail a développé à ce titre’:
-la création d’un site dédié au sujet du «’bien vivre au travail’»au sein de l’intranet d’entreprise,
-la mise en place d’un réseau d’écoute dans l’entreprise, faisant appel à des ressources internes et externes,
-l’information aux salariés des différents dispositifs existants,
-la formation de sensibilisation des managers à la détection des salariés en souffrance.
Ce plan de prévention couvre également le risque lié au stress professionnel visé par l’accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008.
Mme [X] ne peut reprocher à l’employeur de n’avoir pas procédé à un affichage au sein de l’entreprise et valablement soutenir qu’elle n’avait jamais été informée ni de l’existence de cet accord ni de l’accès au portail «’bien-être’», alors que le site intranet est naturellement accessible à tous les salariés de l’entreprise et que le site «’bien vivre au travail’» constitue un espace d’information dédié à la prévention des risques professionnels identifiés par l’accord d’entreprise, comportant toutes les informations théoriques et pratiques utiles au salarié concerné par l’un quelconque des risques qui y sont évoqués, ainsi que le démontre la pièce 27 de l’intimé.
Elle ne caractérise d’autre part aucun préjudice spécifique imputable à un manquement par l’employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral et doit donc être déboutée, en confirmation du jugement, de sa demande indemnitaire sur ce fondement.
La question de la formation effective de son manager, M. [S], aux risques psychosociaux visés par le plan de prévention, se rattache à l’obligation de sécurité de l’employeur. Mme [X] soulève, également sur ce dernier fondement, ce manquement, contesté par l’intimé qui fait valoir que seul les salariés en situation de responsabilité hiérarchique devaient recevoir cette formation spécifique, et qui sera en conséquence examiné spécifiquement sous l’aspect de l’obligation de sécurité de l’employeur.
Sur le manquement à l’obligation de sécurité
En application de l’article L 4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité à l’égard des salariés dont il doit assurer l’effectivité, y compris par des mesures de prévention, et il lui appartient de rapporter la preuve qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
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Si M. [Z] était le supérieur hiérarchique de Mme [X], M. [S] était son «’manager de proximité’»selon la dénomination figurant dans le rapport du CHSCT. Il ressort de la fiche de poste produite aux débats (pièce 24 de l’intimé) que le responsable de bureau a la responsabilité fonctionnelle, d’animation et de gestion du bureau, qui correspond à un point de vente d’au moins 3 personnes y compris le responsable, et qu’il doit assurer le management fonctionnel de quelques collaborateurs.
Selon le CHSCT, cela implique une situation de responsabilité hiérarchique. Cette appréciation est confirmée par le fait que Mme [R], directrice de secteur, qui avait en charge l’agence de [Localité 5]-[Localité 9], s’est définie comme étant la responsable N+3 de [M] [X]. M. [Z] étant qualifié de N+2, le N+1 ne peut donc être que M. [S].
D’autre part, l’accord de prévention des risques psychosociaux prévoit au titre des actions développées dans l’entreprise l’élaboration et la dispense d’une formation de sensibilisation des managers à la détection des salariés en souffrance et, aux termes de l’accord «’les signataires rappellent en effet l’importance de la qualité du management dans les relations de travail et soulignent la primauté du management de proximité dans la prévention du stress et des risques psychosociaux’».
Il était donc particulièrement important que M. [S], manager de proximité, et seul manager en contact quotidien avec les salariés faisant partie du bureau dont il avait la responsabilité, reçoive la formation spécifique «’risques psychosociaux’», qui a été effectivement dispensée à M. [Z], mais pas à lui, ainsi qu’il ressort de la comparaison de leurs deux fiches de formation (pièces 28 et 29 de l’intimé).
Cette formation, dispensée par une société retenue par l’employeur suite à un appel d’offre, porte sur la compréhension de ce que recouvre le risque psychosocial, la position et les exigences de la fonction du personnel d’encadrement, le développement de la capacité à détecter les situations à risques et les salariés en difficulté, et les solutions ou relais proposés dans le cadre de leur prise en charge.
Or, il est établi’:
-par le témoignage de Mme [C], que Mme [X] était dans une situation de stress que cette collègue attestante avait remarqué depuis un moment, et qu’elle lui avait confié’: qu’elle venait au travail «’à reculons et avec une boule au ventre’», que M. [S] critiquait sans cesse son travail et qu’à force d’entendre ces critiques elle avait perdu confiance en elle et avait l’impression de ne plus être à la hauteur, Mme [C] voyant bien que cette situation avait des répercussions sur l’état de santé de Mme [X] qui se détériorait ;
-par le rapport du CHSCT que la semaine précédant la tentative de suicide, l’anxiété grandissante et le mal-être de Mme [X] ont été constatés par tous, que le samedi soir à l’occasion d’une soirée marquant le départ d’une collègue elle n’était pas bien, que le jeudi elle éprouvait des difficultés à réaliser les tâches bancaires basiques et était obsédée par son tas de dossiers, que le 4 juillet 2014 Mme [C] était tellement inquiète qu’elle avait contacté Mme [X] dès le matin au téléphone et maintenu le contact téléphonique avec elle devant ses propos alarmants tout en prévenant la direction, et qu’en arrivant à son domicile il était constaté que Mme [X] avait tenté de se pendre avec un foulard, cette tentative étant une sonnette d’alarme selon Mme [C].
Si l’employeur a mis en place, conformément au plan de prévention de l’entreprise, «’un réseau d’écoute pour les salariés, visant à permettre à ceux-ci de faire part de problématiques spécifiques qui pourraient avoir pour conséquence de créer des situations de stress au travail dans leur environnement professionnel, ou s’ils jugent qu’un de leurs collègues est en état de fragilité lié à une situation de stress professionnel’», il ne peut faire porter exclusivement sur les salariés cette charge, alors que l’accord fait du management de proximité, et de la formation de ce management, un maillon essentiel et un pilier de la prévention en matière de risques psychosociaux.
Il ne peut ainsi qu’être opéré un lien direct entre la situation, prouvée, de souffrance au travail de Mme [X] et la carence de l’employeur dans la formation de son manager de proximité, carence qui a été déterminante dans l’absence de prévention de cette situation, et dans son aggravation croissante.
Mme [X] justifie ainsi d’un préjudice qui doit être réparé par la condamnation de l’employeur à lui payer la somme de 8000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, en infirmation du jugement.
Sur la contestation du caractère réel et sérieux du licenciement
Mme [X] critique le jugement entrepris’:
– en ce qu’il s’est contenté d’indiquer que le CMB n’avait pas l’obligation de consulter les délégués du personnel dans la mesure où la reconnaissance de la tentative de suicide au titre de la législation professionnelle a été rejetée par la CPAM, alors qu’elle avait rédigé le 18 avril 2016 une déclaration d’accident du travail qui n’a été rejetée que postérieurement au licenciement,
– en ce qu’il n’a pas examiné les moyens qu’elle développe, tenant à l’absence de consultation utile des délégués du personnel, au défaut de motivation de la lettre de licenciement qui ne mentionne pas expressément l’impossibilité de reclassement, au non-respect par l’employeur de son obligation de recherche de reclassement, au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, dans lequel l’inaptitude trouve sa cause, et non dans un évènement de sa vie personnelle comme l’affirme l’emloyeur.
Le CMB réplique que ces moyens sont infondés’; qu’en effet, il n’avait pas l’obligation de consulter les délégués du personnel sur l’éventualité du reclassement de Mme [X] puisque son arrêt maladie et l’inaptitude qui en a été la conséquence n’étaient manifestement pas d’origine professionnelle, mais que néanmoins ces délégués ont été consultés, et valablement consultés’; que cette consultation n’a pas permis d’éviter un licenciement, compte tenu de l’avis rendu par le médecin du travail qui ne permettait pas un reclassement’; que le motif de licenciement est énoncé de façon suffisamment précise dans la lettre’;
qu’il n’existe aucun indice permettant d’établir une relation entre la cause de l’inaptitude et le comportement de M. [S], car si tel était le cas, le médecin du travail n’aurait pas exclu un reclassement dans une autre agence de l’entreprise, puisqu’une affectation sur un poste situé dans une autre agence aurait définitivement écarté tout risque pour la santé de Mme [X]’; qu’en réalité, l’état dépressif de la salariée est à l’origine de son inaptitude, mais que le travail n’est manifestement pas à l’origine de cet état dépressif, la rupture sentimentale vécue par l’appelante peu de temps avant son passage à l’acte ayant probablement constitué un facteur déterminant de la dégradation de son état de santé.
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La lettre de licenciement est ainsi rédigée ‘:
«” Suite à l’avis d’inaptitude définitive à votre poste, prononcé par le médecin du travail le 15 juin 2016, nous l’avons sollicité afin d’obtenir des précisions sur les possibilités de reclassement au regard des préconisations médicales.
Le médecin du travail nous a confirmé par courrier du 23 juin 2018, que votre situation ne lui permettait pas «’de faire de proposition d’aménagement de poste ou de mutation’». Il a également confirmé que «’toute démarche de reclassement serait préjudiciable’» à votre état de santé.
Dans ces conditions, et après consultation des délégués du personnel, il apparait que nous sommes dans l’impossibilité de maintenir votre contrat de travail et que nous voyons contraints de procéder à la rupture de celui-ci.”»
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Ce faisant, elle mentionne suffisamment clairement que l’impossibilité de maintenir le contrat de travail, c’est-à-dire le licenciement, repose sur l’inaptitude définitive de la salariée prononcée par le médecin du travail et l’impossibilité de procéder à son reclassement, et mentionne les motifs de cette impossibilité.
Le moyen tiré de l’absence de motivation de la lettre de licenciement doit par conséquent être écarté.
Mme [X], en adressant le 18 avril 2016 une déclaration d’accident de travail à l’employeur, a fait connaître à celui-ci qu’elle entendait se prévaloir de la législation sur les risques professionnels, c’est donc à raison que l’employeur a estimé devoir en conséquence consulter les délégués du personnel, la CPAM n’ayant pas encore statué sur cette demande au moment du licenciement.
C’est de manière infondée que Mme [X] soutient que la consultation de «’l’instance de proximité 35’» ne vaudrait pas consultation des délégués du personnel, puisqu’il s’agit de l’instance qui a résulté de la fusion des délégués du personnel et du CHSCT, conformément aux dispositions de la loi n°2015-994 du 17 août 2015, ainsi qu’il en est justifié par la production de l’accord d’entreprise n°2016-2 relatif au droit syndical et à la représentation du personnel. Il ressort du procès-verbal de la réunion extraordinaire de l’instance de proximité 35 convoquée le 8 juillet 2016 pour la consultation des délégués du personnel suite à l’avis d’inaptitude concernant [M] [X], que les membres de l’instance ont reçu des documents annexes relatifs à la situation de celle-ci et qu’à l’issue des échanges la consultation a été opérée.
Nonobstant l’avis du médecin du travail précisant qu’aucun reclassement n’était envisageable dans l’entreprise, y compris dans une autre agence, l’employeur a repris attache auprès du médecin du travail après la visite de reprise et la teneur de la réponse du médecin indique que la question évoquée était celle d’un aménagement de poste ou d’une mutation, à laquelle il a répondu également par la négative, ce qui éliminait toute possibilité par exemple de poste en télé travail ou dans une agence éloignée géographiquement’; l’employeur ne pouvait suite à cette précision qu’il avait sollicitée, former aucune proposition qui s’avère compatible avec les préconisations du médecin du travail, de sorte qu’il ne peut lui être reproché un manquement à son obligation de recherche de reclassement.
Le moyen tiré de la violation de l’obligation de reclassement sera ainsi également rejeté.
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Il est par contre établi, comme il a été développé ci-dessus, que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne prenant pas toutes les mesures qui auraient permis d’éviter, ou de mettre un terme plus tôt, à la souffrance au travail de Mme [X].
Lorsque l’inaptitude du salarié trouve sa cause dans un manquement préalable de l’employeur à son obligation de sécurité, le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse.
Le fait que l’inaptitude de Mme [X] résulte d’un état psychologique trop dégradé pour pouvoir continuer à assurer un poste dans la banque Crédit Mutuel, y compris dans une agence où elle ne serait pas en contact avec M. [S], n’exclut pas pour autant que l’origine de cette dégradation soit imputable à un management inapproprié de ce dernier et donc à l’employeur. En effet, si, comme le souligne l’accord d’entreprise de prévention, les risques psychosociaux sont à l’interface de l’individu et de sa situation de travail, aucun élément en l’espèce ne permet de considérer que la séparation de Mme [X] et de son compagnon ait joué un rôle notable. Les attestations de ses proches et de son ex compagnon lui-même établissent que c’est elle qui a décidé de cette séparation, qu’ils sont restés amis et que ce dernier a continué à la soutenir, l’attestation de Mme [C] va également dans ce sens. Surtout, le dossier médical de Mme [X] relatif à sa prise en charge à l’hôpital après sa tentative de suicide confirme les attestations de sa famille et de sa collègue selon lesquelles la source de ses angoisses se trouvait au travail.
Les médecins qui ont pris en charge Mme [X] à l’hôpital ont en effet noté une «’dévalorisation ++’», un discours centré sur son échec au travail, la volonté de mourir à cause d’une erreur.
Mme [C] témoigne que sa collègue lui avait confié qu’à force d’entendre critiquer son travail elle avait perdu toute confiance en elle.
Le plan de prévention prévoit au chapitre’ «’management’» qu’il convient «’d’évaluer positivement comme négativement les pratiques managériales’».
L’une des missions du responsable de bureau, selon la fiche de poste, est qu’il «’veille à l’élévation des compétences et favorise l’adaptation et l’évolution des qualifications par l’accompagnement des salariés et la mise en place d’actions de formation.’»
Or, alors que l’évaluation de Mme [X] montre des performances conformes à l’exigence de l’emploi, et qu’elle avait besoin de progresser sur les crédits habitat, son N+2 a souligné dans un mail qu’il lui a adressé qu’elle bénéficierait à [Localité 5] d’un accompagnement individualisé sur cette offre «’à défaut d’en avoir eu visiblement jusque-là’». Mais sa perte de confiance en elle était telle que cette mutation l’angoissait.
Il ressort ainsi d’éléments convergents que, alors que M. [S] avait la charge de cette collaboratrice, cette dernière souffrait d’un profond mal-être et sentiment de dévalorisation au travail, que leurs échanges, selon ce qu’a personnellement constaté Mme [C], étaient très tendus et se limitaient au strict minimum, que Mme [X] a perdu pied petit à petit’; que ce n’est qu’après la tentative de suicide de Mme [X] que M. [S] a fait connaître à l’employeur qu’ils avaient eu antérieurement une relation extra professionnelle, comme l’établit l’entretien de l’enquêtrice sociale avec M. [P], directeur départemental.
Les éléments produits aux débats confortent les conclusions du CHSCT qui, s’il n’a pu mettre en évidence d’éléments de fait circonstanciés de harcèlement, a néanmoins perçu que «’la relation hiérarchique entre [M] [X] et le responsable du bureau de [Localité 9] n’était ni équilibrée ni sereine. Cette relation hiérarchique n’était pas gérée avec le professionnalisme managérial adéquat.’»
Mme [X], qui affirme avoir déjà alerté le prédécesseur de M. [Z] de ses difficultés avec M.[S], ce qu’elle avait dit à Mme [C], n’en rapporte pas la preuve, mais il est à relever que, alors que Mme [C] confirme avoir parlé le 2 juillet 2014 à M. [Z] des problèmes relationnels que sa collègue avait avec son responsable M. [S], le directeur départemental, M. [F], a déclaré à l’enquêtrice de la CPAM que suite à son déplacement à l’agence de [Localité 9] le 2 juillet 2014, M. [Z] avait adressé un mail à la direction le 3 juillet, dans lequel il ne fait pas état des problèmes relationnels qu’elle rencontrait avec M. [U] [S], évoquant simplement la mutation de Mme [M] [X] vers l’agence de [Localité 5] qui était en cours et son évolution professionnelle. La banque ne produit pas ce mail.
Le CHSCT a mentionné avoir appris en août 2014, à l’occasion d’échanges avec les collègues, et non par la direction, que le responsable de bureau avait été muté sur un poste sans responsabilité hiérarchique’; que le président de l’instance n’a pas précisé aux membres du CHSCT si cette mutation était en lien avec les évènements du mois de juillet. Le CHSCT avait demandé, dans les conclusion de son rapport, à la direction, d’approfondir l’enquête.
Le Crédit Mutuel ne justifie pas avoir effectué une enquête approfondie après dépôt du rapport du CHSCT, comme cette instance le lui avait demandé, aucun rapport d’enquête complémentaire n’étant produit. Pour autant, la banque ne justifie pas des raisons du retrait des responsabilités de M. [S].
Alors que, le rappelle l’accord d’entreprise sur la prévention, «’un état de stress survient lorsqu’il y a un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui imposent son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face’», rien ne justifie dans l’appréciation de Mme [X] figurant à l’entretien annuel versé aux débats que la salariée, travaillant dans la banque depuis l’année 2000 et ayant évolué dans plusieurs postes sans qu’il soit démontré de difficulté particulière, éprouve à [Localité 9] une telle obsession dévalorisatrice au travail. Celle-ci ne peut dès lors qu’être rattachée au minimum à une insuffisante formation de son manager de proximité, qui n’a pas pris suffisamment en compte les caractéristiques de la personnalité de Mme [X] comme le relève le CHSCT, voire, comme l’a exprimé Mme [C], a abusé de son tempérament faible et gentil, la réalité des rapports quotidiens au travail entre une salariée fragilisée qui a gardé le silence et un manager de proximité non sensibilisé aux risques, y compris juridiques, que recouvrent les risques psychosociaux ne pouvant être révélée aux autres collaborateurs que pour autant qu’ils aient pu en être personnellement témoins, ce qui n’était pas nécessairement le cas pour des propos tenus hors leur présence. En tout état de cause, la dégradation de l’état psychique de Mme [X] est, au vu des éléments produits, directement rattachable au manquement de l’employeur à une obligation de sécurité qu’il ne démontre pas avoir tout mis en ‘uvre pour assurer.
L’inaptitude de Mme [X] trouvant son origine dans ce manquement, son licenciement est dès lors dépourvu de cause réelle et sérieuse. Au vu de son ancienneté de 16 ans, de son âge (née en 1979), de la perte d’un salaire mensuel moyen de 2634,11 € bruts selon la précision non spécifiquement contestée qu’elle apporte sur ce point, et des éléments qu’elle produit pour justifier du préjudice que la rupture lui a occasionné, il convient de réparer ce préjudice par la condamnation de l’employeur à lui payer la somme de 32’000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en infirmation du jugement.
Les sommes à caractère indemnitaire allouées seront productives d’intérêts au taux légal à compter de l’arrêt et leur capitalisation sera ordonnée, conformément à la demande et aux dispositions des articles 1231-7 et 1343-2 du code civil.
Les conditions d’application de l’article L 1235-4 du code du travail étant réunies, il sera ordonné d’office le remboursement par l’employeur des indemnités versées à la salariée par Pôle Emploi, dans la limite de 6 mois.
Il est inéquitable de laisser à Mme [X] ses frais irrépétibles de première instance et d’appel, qui doivent être mis à la charge de la partie intimée à hauteur de 3000 €. La société intimée, succombant principalement, doit être condamnée aux dépens de première instance et d’appel. Le jugement sera infirmé en ses dispositions sur ces chefs, sauf en ce qu’il a débouté le Crédit Mutuel Arkea de sa demande au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [M] [X] de ses demandes indemnitaires relatives au harcèlement moral, à la prévention du harcèlement moral, de sa demande de nullité du licenciement pour harcèlement moral et demandes subséquentes, et en ce qu’il a débouté la SA Crédit Mutuel Arkea de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
L’Infirme en ses autres dispositions,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la SA Crédit Mutuel Arkea à payer à Mme [M] [X] la somme de 8000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à l’obligation de sécurité,
Dit le licenciement de Mme [M] [X] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la SA Crédit Mutuel Arkea à payer à Mme [M] [X] la somme de 32’000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Dit que les sommes à caractère indemnitaire allouées sont productives d’intérêts au taux légal à compter de l’arrêt et ordonne la capitalisation des intérêts légaux conformément à la demande et aux dispositions des articles 1231-7 et 1343-2 du code civil,
Ordonne le remboursement par la SA Crédit Mutuel Arkea des indemnités versées par Pôle Emploi à Mme [M] [X] dans la limite de 6 mois,
Condamne la SA Crédit Mutuel Arkea à payer à Mme [M] [X] la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
Déboute la SA Crédit Mutuel Arkea de sa demande au titre des frais irrépétibles d’appel,
Condamne la SA Crédit Mutuel Arkea aux dépens de première instance et d’appel.
Le Greffier Le Président