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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quinze janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle BORE et XAVIER, la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GERONIMI ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– LE Y… Patrick,
– X… Philippe,
– A… Vincent, contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 27 mars 1996, qui, pour provocation à la discrimination raciale, et complicité, les a condamnés respectivement à 30 000 francs, 20 000 francs et 10 000 francs d’amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 50 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
“en ce que l’arrêt attaqué a rejeté l’exception de prescription de l’action publique ;
“aux motifs que les premiers juges ont justement relevé que cette affaire avait fait l’objet de deux réquisitions d’enquêtes de la part du parquet, l’une du 24 janvier 1995, l’autre du 27 février 1995, réquisitions toutes deux prises dans les formes prescrites par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, modifié par la loi du 4 janvier 1993 pour être interruptives de prescription, formes tout à la fois nécessaires et suffisantes pour emporter cet effet ; qu’ainsi, les citations délivrées les 3 et 9 mai 1995 l’ont été moins de trois mois après le précédent acte interruptif de prescription (arrêt attaqué p. 13, alinéa 3) ;
“alors que Philippe X… et Patrick Z… avaient soutenu dans leurs conclusions d’appel que la lettre en date du 27 février 1995, adressée par le substitut du procureur de la République au commissaire divisionnaire, ne pouvait être qualifiée de réquisition d’enquête et, comme telle, interrompre la prescription, dès lors qu’elle se bornait à réitérer la demande d’audition figurant dans la réquisition d’enquête du 24 janvier 1995 et qu’elle indiquait comme objet “mes réquisitions d’enquête du 24 janvier 1995″ ; qu’en se bornant à relever que la lettre du 27 février 1995 constituait une réquisition d’enquête, dès lors, qu’elle avait été rédigée dans les formes prescrites par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, la cour d’appel a entaché son arrêt d’un défaut de réponse à conclusions en violation des textes susvisés” ;
Attendu qu’en rejetant, par les motifs reproduits au moyen, l’exception de prescription, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Qu’en effet, selon l’alinéa 2 de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, la prescription peut être interrompue, avant l’engagement des poursuites, par des réquisitions aux fins d’enquête, dès lors qu’elles articulent et qualifient les faits à raison desquels l’enquête ou sa continuation est ordonnée ; que tel a été le cas en l’espèce ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 23 et 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881, 10.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
“en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Patrick Z…, Philippe X… et Vincent A… coupables du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale visé à la prévention ;
“aux motifs que le délit est caractérisé lorsqu’il est constaté que, tant par son sens que par sa portée, le texte incriminé tend à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées ; que tel est le cas en la cause ; que le rapprochement entre des termes de “musulmane” et de “voler de supermarché en supermarché” tend à susciter l’idée qu’un groupe racial ou religieux s’adonne habituellement à la commission de vols ; que ce rapprochement est de nature, par l’affirmation brutale et outrancière d’une situation de délinquance, à susciter une discrimination au détriment d’un groupe racial ou religieux et à faire naître un sentiment de rejet ; que le fait que Philippe X… et Vincent A… aient réagi pour faire contrepoids, démontre d’ailleurs que les deux prévenus ont été conscients qu’une limite avait été dépassée ; la volonté de nuire est confirmée et aggravée par le fait que l’émission au cours de laquelle lesdites paroles ont été prononcées n’était pas diffusée en direct ; qu’il n’est pas contestable que la reconnaissance d’un genre humoristique, a conduit pour ce qui concerne l’injure et la diffamation, à des appréciations nuancées pour les propos qui relèvent de ces qualifications ; que l’on se trouve ici dans un contexte autre, celui de la provocation à la discrimination, à la violence ou à la haine ; que ce domaine est soumis à des règles juridiques différentes, à plusieurs égards, de sorte que les raisonnements juridiques tenus dans un domaine ne sont pas nécessairement transposables à l’autre ; qu’il en va ainsi de l’humour dont le maniement peut être extrêmement délicat dans un domaine qui touche à la préservation de valeurs dont l’histoire mais aussi l’actualité nous montre la fragilité ; que, dans ce contexte de débat sur la délinquance et sur l’immigration, la prudence dont les prévenus devaient faire preuve ne permettaient pas un humour dont les effets sont immaîtrisables (arrêt attaqué p. 14 et 15) ;
1°)”alors que pour être punissable la provocation, au sens de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, doit être une incitation directe, par son sens mais aussi par ses portées à commettre des faits matériellement déterminés, eux-mêmes constitutifs d’un délit ou d’un crime ; qu’en l’absence d’incitation manifeste à la discrimination d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de sa race ou de sa religion, les propos ne sont pas pénalement punissables ; que le jeu de mots, serait-il même jugé de mauvais goût, associant les termes “musulman” et “voler de supermarché en supermarché” n’est pas de nature à inciter les auditeurs à se livrer à des actes pénalement répréhensibles envers les musulmans ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
2°)”alors que l’incitation directe à commettre des faits susceptibles d’être qualifiés pénalement de discrimination raciale ou religieuse fait défaut lorsque les propos litigieux ont été proférés sur un mode humoristique et dans le cadre d’une émission à vocation exclusivement humoristique ; que le caractère humoristique des propos litigieux est de nature à leur ôter les caractères de sérieux et de vraisemblance susceptibles de créer dans l’esprit de l’auditoire un sentiment propice à la discrimination raciale ou religieuse ; qu’en énonçant que, contrairement à ce qui est admis en matière de diffamation, aucune tolérance n’est reconnue en faveur des humoristes poursuivis du chef de délit de provocation à la discrimination raciale ou religieuse, en raison du sujet abordé qui renvoie à la délinquance dans les banlieues et à l’immigration, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
3°)”alors que l’appréciation de la provocation, visée à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881, et de l’élément intentionnel de cette infraction ne peut faire abstraction des circonstances de la publication et des commentaires qui l’accompagnent ; que l’arrêt attaqué constate que les propos litigieux ont été immédiatement suivis d’un commentaire de Philippe X… indiquant que la plaisanterie était “un peu raciste” ; que ce commentaire était de nature à ôter aux propos de Vincent A… la portée négative qu’ils auraient pu avoir auprès d’un public qui aurait pris la plaisanterie au premier degré ;
qu’en refusant de tenir compte de ce commentaire démontrant tout à la fois la bonne foi des prévenus et que les propos litigieux ne pouvaient pas provoquer à la discrimination envers les musulmans, la cour d’appel a violé les textes susvisés” ;