Humour et photographies « racistes » en entreprise : licenciement fondé
Humour et photographies « racistes » en entreprise : licenciement fondé
Ce point juridique est utile ?

Un salarié de l’entreprise peut être licencié au titre de la discrimination en raison de l’envoi d’emails « humoristiques » à caractère discriminant fondés sur la couleur de peau d’un autre collaborateur.    

Les emails en cause incluaient des photos de bonbons et confiserie dénommées ‘tête de nègre’ ; une photo représentant l’un des personnages du film’ la cage aux folles ‘(à savoir un homme de couleur noire maquillé en petite tenue posant avec un éventail) ; une photo d’un garçon d’origine africaine albinos et d’une jeune fille blonde faisant référence à l’apparence physique d’autres collaborateurs : une photo d’un gâteau congolais contenant une image de cette pâtisserie.

Le Défenseur des droits, saisi de l’affaire, avait noté que la diffusion répétée d’images à caractère raciste ont pu porter atteinte à la dignité du collaborateur et créer pour lui un environnement de travail humiliant, que les photos figurants dans les mails objets du licenciement sont objectivement à caractère raciste, même si l’intention du salarié fautif  n’était pas de tenir des propos racistes.

La société a établi  le caractère raciste et humiliant de ces messages et leur défaut de professionnalisme.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve. A défaut de faute grave, le licenciement pour motif disciplinaire doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables présentant un caractère fautif réel et sérieux.

En l’occurrence, le règlement intérieur de la société prévoyait que chaque membre du personnel doit notamment en toute circonstance, observer la plus grande correction à l’égard des personnes qu’il reçoit ou dont il a la charge. Les relations doivent toujours conserver leur caractère professionnel.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRET DU 31 MARS 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/07024 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5ZLX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Avril 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 17/01032

APPELANTE

SAS PARIS INN GROUP Prise en la personne de son représentant légal en exercice y domicilié.

[…]

[…]

Représentée par Me Guillaume NAVARRO, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

INTIMEE

Madame A Y

[…]

[…]

Représentée par Me Michel GUIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Février 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Fabienne ROUGE, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Fabienne ROUGE, Président de chambre

Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de chambre

Madame Anne MENARD, Présidente de chambre

Greffier, lors des débats : Mme Nasra ZADA

ARRET :

—  CONTRADICTOIRE

— Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— Signé par Fabienne ROUGE, Présidente de chambre et par Najma EL FARISSI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame A Y a été embauchée le 6 février 2012 par la société PARIS INN GROUP en qualité de « Multi Property Revenue Manager Junior », correspondant à la qualification de Gestionnaire des recettes et chiffres d’affaires de l’entreprise, puis est devenue Responsable du service « Yield revenue management » en 2012, puis Directrice en 2013.

Elle a été licenciée pour faute grave et manquement à son obligation de loyauté par lettre du 20 octobre 2016, énonçant les motifs suivants :

‘ Employée au sein de notre société depuis le 6 février 2012, vous occupez actuellement les fonctions de ‘ Directrice du département Yield Revenue Management ‘ statut cadre

Dans le cadre de ces fonctions, outre des responsabilités managériales vous êtes en charge de la supervision d’une équipe à l’égard de laquelle vous devez notamment conserver, en toutes circonstances une attitude mesurée et respectueuse

Or le 4 octobre 2016, notre directeur général a comme vous le savez été entendu par le défenseur des droits ,lequel a été saisi par un ancien collaborateur de l’entreprise au titre de la discrimination en raison de son origine et de sa couleur de peau’ dont il estime avoir été l’objet dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.

Au cours de cette audition, notre directeur général s’est vu présenter des courriers électroniques dont nous ignorions jusqu’alors l’existence, que vous vous étiez autorisée à envoyer sur la liste de diffusion cotation et dont plusieurs membres de votre équipe se trouvaient par voie de conséquences destinataires A leur lecture, il est apparu que le contenu de ces courriers électroniques était particulièrement inapproprié et inadmissible, qui plus est de la part d’un cadre de notre entreprise

Nous avons relevé que alors que vous saviez que plusieurs destinataires de vos envois étaient susceptibles d’être de couleur et/ou d’origine étrangère vous aviez :

le 12 mars 2015 diffusé des photos de bonbons et confiserie dénommées ‘tête de nègre’

le 14 avril 2015 envoyé un courrier électronique dont l’objet était ‘la cage aux folles ‘II arrête avec ton évantail X sinon je t’appelle jacob la folle!!!’ contenant une photo représentant l’un des personnages du film’ la cage aux folles ‘(à savoir un homme de couleur noire maquillé en petite tenue posant avec un éventail

le 3 mai 2015 envoyé un courrier électronique dont l’objet était ‘ X + Coline'( X étant un collaborateur de votre équipe et Coline une collaboratrice du service Finance de l’entreprise ) avec en pièce jointe une photo d’un garçon d’origine africaine albinos et d’une jeune fille blonde faisant référence à l’apparence physique de ces deux collaborateurs

le 14 octobre 2015 diffusé un courrier électronique dont l’objet était gâteau congolais contenant une image de cette pâtisserie

La diffusion par vos soins de tels courriers électroniques à l’adresse de vos équipes est parfaitement inacceptable, vos fonctions devant vous conduire à adopter en toutes circonstances une attitude mesurée et respectueuse, tant vis-à-vis de vos subordonnés que de votre hiérarchie.

Ces agissements constituent un manquement intolérable aux règles élémentaires de vie au sein de notre entreprise, rappelées notamment par l’artcle 12 de notre règlement intérieur

Nous considérons en outre que vous avezdélibérément manqué à votre obligation de loyauté envers votre employeur dés lors que (bien qu’interrogée par votre hiérarchie avant son audition par le Défenseur des droits) vous n’avez nullement révélé à celle-ci l’existence de ces courriers électroniques, mettant ainsi notre direction générale dans une situation pour le moins inconfortable lors de son audition

La gravité de vos agissements rend impossible votre maintien dans l’entreprise et nous contraint à vous notifier votre licenciement pour faute grave ….’

La convention collective applicable est celle des Bureaux d’Etudes et Cabinets d’Ingénieurs (Syntec). La société employait, à la date du licenciement, 29 salariés.

Le 9 février 2017, Madame Y a saisi le Conseil de prud’hommes de Paris afin de faire juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse et d’obtenir

l’annulation de la mise à pied à titre conservatoire notifiée le 4 octobre 2016 et le paiement de diverse sommes .

Par jugement du 30 avril 2018, le Conseil de prud’hommes de Paris a requalifié le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse en condamnant PARIS INN GROUP à verser à Madame A Y les sommes suivantes :

—  3.769,84€ à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied d’octobre 2016 ;

—  377€ au titre des congés payés afférents ;

—  13.122€ à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

—  1.312€ au titre des congés payés afférents ;

—  7.168€ à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.

—  700€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La SAS PARIS INN GROUP a interjeté appel .

Par conclusions récapitulatives déposées par RPVA , auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens la sas PARIS INN GROUP demande à la Cour d’ infirmer le jugement en ce qu’il a dit que le licenciement de Madame A Y ne reposait pas sur une faute grave, mais sur une cause réelle et sérieuse de dire que le licenciement de Madame A Y repose sur une faute grave de la débouter de l’ensemble de ses demandes,et de la condamner à verser à la société Paris Inn Group la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par conclusions récapitulatives déposées par RPVA, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens Madame Y demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a considéré que Madame Y n’avait commis aucune faute grave ni aucun manquement à son obligation de loyauté vis-à-vis de PARIS INN GROUP, en ce qu’il a condamné PARIS INN GROUP à verser à Madame A Y avec intérêts au taux légal et anatocisme les sommes de :

—  7.168 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement ;

—  3.769,84 euros à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied du 5 au 20 octobre 2016 ;

—  13.122 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

—  1.312 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

D’infirmer le jugement et de dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse qu’il a été prononcé dans des conditions vexatoires et condamné la société PARIS INN GROUP à lui verser les sommes de

—  54.488 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

—  376,98 euros correspondant à la part des congés payés dus au titre du rappel de salaire sur la période de mise à pied d’octobre 2016 ;

—  25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral lié au caractère vexatoire du licenciement

—  5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, aux dépens et de dire que les condamnations à indemnités et dommages et intérêts s’entendent nettes de toutes charges sociales et de CSG/CRDS pour la salariée, la société en assumant le règlement auprès des administrations concernées ;

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIFS

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat. L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve. A défaut de faute grave, le licenciement pour motif disciplinaire doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables présentant un caractère fautif réel et sérieux.

Il est reproché à Madame Y d’avoir envoyé 4 mails aux membres de son équipe dont la teneur a conduit un membre de son équipe, Monsieur Z à saisir le Défenseur des droits , et de n’avoir pas informé sa direction malgré les interrogations de sa hiérarchie et les points internes organisés pour préparer l’audition du 4 octobre 2016 devant le Défenseur des droits, de la teneur de ces mails.

Madame Y soutient que ces quatre courriers électroniques ne traduisent aucune stigmatisation de Monsieur X Z, que ce soit pour sa couleur de peau, ou ses origines et que celui-ci participait à l’ ambiance ‘potache’ du service.

Elle indique que Monsieur Z avait un comportement inapproprié et tenait des propos inadaptés.

Elle conteste tout comportement déloyal envers l’entreprise précisant qu’aucune réunion n’a eu lieu pour préparer l’audition devant le Défenseur des droits et qu’elle n’avait pas pensé que ses mails pouvaient être à l’origine de cette audition.

Madame Y verse aux débats des attestations de ses collaborateurs indiquant que celle-ci est à leur écoute, qu’elle n’a jamais tenu de propos racistes, qu’ils s’intéressaient à la cuisine pour expliquer les photos du gâteau congolais et que l’ambiance était familière et décontractée.

Les messages électroniques sont versés aux débats, correspondent aux descriptions faites dans la lettre de licenciement.

Le règlement intérieur de la société prévoit à l’article 12 que chaque membre du personnel doit notamment en toute circonstance, observer la plus grande correction à l’égard des personnes qu’il reçoit ou dont il a la charge. Les relations doivent toujours conserver leur caractère professionnel.

Il convient de constater ainsi que l’a souligné le Défenseur des droits que la diffusion répétées d’images à caractère raciste ont pu porter atteinte à la dignité de Monsieur Z et créer pour lui un environnement de travail humiliant, que les photos figurants dans les mails objets du licenciements sont objectivement à caractère raciste, même si l’intention de Madame Y n’était pas de tenir des propos racistes.

Le mail sur la cage aux folles dans lequel elle dit à Monsieur Z ‘arrête avec ton évantail où je t’appelle Jacob la bonne’ a un caractère humiliant et le mail sur ‘X et Coline’ porte nécessairement sur le physique de ces deux personnes et ne peuvent être adressés par un supérieur hiérarchique à son équipe, quelle que soit l’ambiance ‘potache ou non’.

Aucun élément versé aux débats ne montre que ses collaborateurs envoyaient également des mails à l’humour douteux , ce qui laisse supposer qu’elle seule se permettait ce type d’envoi , sans réciprocité et que ces mails ne s’inséraient pas dans des échanges.

Ainsi elle ne démontre pas que les photos des confiseries’ tête de nègre ‘et celle du’ gateau congolais’ répondait à une conversation sur la cuisine sénégalaise comme l’atteste une salariée.

Le comportement inapproprié du salarié n’excuse nullement ces mails, notamment , le fait que Monsieur Z ait énervé de nombreux salariés avec un évantail ne justifie pas la photo envoyée avec ‘je vais t’appeler Jacob la bonne’. Un tel mail ne peut être considéré comme un bon usage du pouvoir hiérarchique à l’égard d’un salarié.

Celui-ci a été licencié pour son comportement, l’employeur ayant ainsi utilisé son pouvoir de sanction.

La société établit le caractère raciste et humiliant de ces messages et leur défaut de professionnalisme.

Les convocations versées aux débats concernant des réunions ayant eu lieu précédemment au rendez vous devant le Défenseur des droits ne permettent pas de vérifier que celles-ci avaient pour objet de préparer cette réunion, puisqu’elles ne comportent aucun objet dès lors l’éventuelle déloyauté de Madame Y n’est pas prouvée.

Il convient cependant, compte tenu de l’ancienneté de Madame Y, de son parcours professionnel qui lui a valu une promotion, de l’absence de toute sanction ou de simple observation de sa hiérarchie pendant plus de 4 ans, de son absence de malveillance, de considérer que ces éléments donnent une cause réelle et sérieuse au licenciement mais ne relèvent pas de la faute grave.

Le jugement du conseil de Prud’hommes sera confirmé sur ce point et sur le montant des sommes allouées au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement, du rappel de salaire sur la mise à pied, sur l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, Madame Y étant déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement abusif.

Sur le caractère vexatoire du licenciement

La note interne du 5 octobre 2016 qui expose que Madame Y a adressé des courriers électroniques aux contenus totalement inappropriés et inacceptables et que celle-ci est mise à pied et convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement est vexatoire, la société si elle estimait devoir rappeler le règlement intérieur n’avait pas à nommer Madame Y, ni à qualifier le contenu des messages électroniques de cette façon.

Il lui sera alloué la somme de 2500€ en réparation de ce préjudice.

Le jugement du conseil de Prud’hommes étant infirmé sur ce point

Sur la demande correspondant à la part des congés payés dus au titre du rappel de salaire sur la période de mise à pied.

Il convient de constater que la société PARIS INN GROUP n’a pas été condamnée au paiement des congés payés afférents au rappel de salaire sur mise à pied.

Il sera fait droit à cette demande à hauteur de 376,98€.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté Madame Y de sa demande liée au licenciement vexatoire et des congés payés afférents au rappel de salaire,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société PARIS INN GROUP à payer à Madame Y les sommes suivantes:

—  2500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

—  376,98 euros au titre des congés payés y afférents sur rappels de salaire

Dit que les condamnations sont nettes de toutes charges

Dit que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt ;

Autorise la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société PARIS GROUP INN à payer à Madame Y en cause d’appel la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties du surplus des demandes,

LAISSE les dépens à la charge de la société PARIS GROUP INN.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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