Heures supplémentaires : 4 mai 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/01547

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Heures supplémentaires : 4 mai 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/01547
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7ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°206/2023

N° RG 20/01547 – N° Portalis DBVL-V-B7E-QREG

S.A.S. BM CHIMIE LILLEBONNE,

C/

M. [K] [I]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 04 MAI 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et Madame Françoise DELAUNAY lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 13 Février 2023

En présence de Madame Marie-Line DUBUIS, médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

S.A.S. BM CHIMIE LILLEBONNE,

SAVOIE HEXAPOLE

[Localité 5]

Représentée par la SELARL CAPSTAN Rhône-Alpes, Plaidant, avocat au Barreau de Lyon

Représentée par Me Philippe BODIN de la SELARL ACSIAL AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉ :

Monsieur [K] [I]

né le 14 Janvier 1977 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Camille BAGOT de la SELARL ARMOR AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC, substituée par Me Florian REBOUSSIN, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

INTERVENANT :

Etablissement Public POLE EMPLOI BRETAGNE Pris en la personne de son Directeur Régional Bretagne

Domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté par Me Mélanie VOISINE de la SELARL BALLU-GOUGEON, VOISINE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES, subsituée par Me Charles PIOT, avocat au barreau de RENNES.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [K] [I] a été embauché par la société Géodis BM Chimie Lillebonne, aux droits de laquelle vient la société Géodis RT Chimie Lillebonne, suite à une promesse d’embauche du 09 octobre 2014, selon un contrat à durée indéterminée en date du 20 octobre 2014. Il exerçait les fonctions de chauffeur poids lourds HQ et était rattaché à l’établissement de Lillebonne (76).

Les relations entre les parties étaient régies par la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.

Par courrier en date du 04 décembre 2015, M. [I] a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire.

Par courrier du 23 décembre 2015, la société BM Chimie Lillebonne a indiqué au salarié que malgré la trame officielle du précédent courrier, l’entretien n’était pas établi en vue d’une sanction mais dans le but de revoir les protocoles de sécurité.

Le 03 février 2016, M. [I] a déposé plainte à la Gendarmerie suite à une prise à partie par un client à qui il refusait de livrer du gaz pour le compte du donneur d’ordre Vitogaz en raison de la non conformité de son installation.

Le 15 février 2016, la société a convoqué M. [I] à un entretien préalable fixé au 26 février suivant.

Puis, le 24 mars 2016, le salarié s’est vu notifier une mise à pied disciplinaire de 5 jours pour non-respect des consignes de livraison pour les tournées effectuées pour le compte du client Vitogaz.

Par courrier du 02 avril suivant, M. [I] a contesté la sanction disciplinaire.

Par courrier recommandé du 23 mars 2017, la SAS BM Chimie Lillebonne a informé M. [I] de modifications de ses conditions de travail et indiqué au salarié que le nouveau lieu de prise de poste se situait à Lillebonne. M. [I] a contesté cette décision par courrier du 27 mars suivant.

Par courrier du 14 avril 2017, M. [I] a été de nouveau convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire. Par courrier du 31 mai 2017, le salarié s’est vu notifier une mise à pied de 4 jours pour retard dans le cadre d’une livraison, pour ne pas avoir effectué un navettage et être rentré chez lui avec le tracteur de son camion sans autorisation préalable.

M. [I] a vainement contesté la mesure et dénoncé son irrégularité, la société BM Chimie Lillebonne a maintenu la sanction par courrier en date du 20 juillet 2017.

Par courriel du 08 octobre 2017, M. [I] a réclamé auprès de son employeur le paiement de plusieurs frais, primes et heures de travail non rémunérés. Par courrier du 23 novembre 2017, la société a indiqué qu’une régularisation sera effectuée concernant des heures du 29 avril 2017 et a contesté que le surplus de la réclamation soit fondé.

Le 1er février 2018, M. [I] et son collègue, M. [N], ont déclaré exercer leur droit de grève et en ont avisé la société BM Chimie Lillebonne par courriel.

Le 02 février 2018, M. [I] a fait l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire et a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 16 février suivant.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 13 mars 2018, le salarié s’est vu notifier son licenciement pour faute grave aux motifs suivants :

– Absence injustifiée ayant entraîné un préjudice important pour la société qui a dû modifier l’emploi du temps d’un autre salarié,

– Retard ayant empêché un collègue d’effectuer l’intégralité de sa tournée de livraison,

– Non-respect des consignes de sa hiérarchie,

– Refus de communiquer avec l’entreprise et manque de professionnalisme envers le client Vitogaz.

Par courrier du 21 mars 2018, M. [I] a vainement contesté les griefs évoqués et son licenciement.

 ***

Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Saint-Brieuc par requête en date du 15 novembre 2018 afin de voir :

‘À titre principal :

– Annuler Ie licenciement de Monsieur [K] [I], celui-ci revêtant un caractère discriminatoire, ayant été précédé de harcèlement et ayant été causé par l’exercice du droit de grève et subsidiairement, dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse

– Constater que Monsieur [K] [I] ne souhaite pas être réintégré au sein de la SAS Géodis BM Chimie Lillebonne et condamner cette dernière à lui payer les sommes suivantes :

– 4 120,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 412,10 euros à titre de congés payés afférents,

– 1 716,94 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

– 727,27 euros à titre de rappel sur mise à pied conservatoire,

– 16 482,64 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– à défaut, 8 241,32 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

– Dire et juger que la rupture du contrat de travail de Monsieur [K] [I] est la conséquence d’une discrimination et, en conséquence, condamner la SAS Géodis BM Chimie Lillebonne à lui payer la somme de 5 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement discriminatoire,

– Dire et juger que la rupture du contrat de travail de Monsieur [K] [I] a été précédée de harcèlement et, en conséquence, condamner la SAS Géodis BM Chimie Lillebonne à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement discriminatoire,

– 1 083,58 euros à titre de rappel de salaire sur heures de travail non payée,

– 331,00 euros à titre de frais kilométriques,

– 201,00 euros à titre de frais de repas,

– 3 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– Condamner la SAS Géodis BM Chimie Lillebonne aux entiers dépens

– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.’

La SAS BM Chimie Lillebonne a demandé au conseil de prud’hommes

de :

– Débouter Monsieur [I] de l’ensemble de ses demandes et le condamner :

– Au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 3 000,00 Euros

– Aux entiers dépens.

Par jugement en date du 27 février 2020, le conseil de prud’hommes de Saint-Brieuc a statué ainsi qu’il suit:

– Fixe le salaire moyen mensuel brut a la somme de 2 060,33 euros;

– Dit que le licenciement de Monsieur [K] [I] est nul ;

– Constate que Monsieur [K] [I] ne sollicite pas sa réintégration au sein de la SAS BM Chimie Lillebonne ;

– Condamne la SAS BM Chimie Lillebonne à payer à Monsieur [K] [I] les sommes suivantes :

– 4 120,66 euros au titre d`indemnité compensatrice de préavis correspondant ;

– 412,10 euros au titre des congés payés sur préavis ;

– 1 716,94 euros au titre d`indemnité légale de licenciement :

– 727,27 euros au titre de rappel de salaire concernant la mise à pied conservatoire ;

– 14 422,31 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul :

– 5 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement discriminatoire ;

– 331 euros au titre des frais kilométriques ;

– 26,80 euros au titre des frais de repas ;

– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Constate l’exécution provisoire de droit du présent jugement ;

– Déboute Monsieur [K] [I] du surplus de ses demandes;

– Déboute la SAS BM Chimie Lillebonne de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– Ordonne en application de l’article L 1235-4 du code du travail le remboursement à Pôle Emploi par la SAS BM Chimie Lillebonne de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Monsieur [K] [I], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d`indemnités de chômage ;

– Condamne la SAS BM Chimie Lillebonne aux entiers dépens, y compris les frais éventuels d`exécution.

***

La SAS BM Chimie Lillebonne a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 04 mars 2020.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 19 janvier 2023, la SAS Geodis RT Chimie Lillebonne demande à la cour de :

– Infirmer le jugement rendu le 27 février 2019 par le conseil de prud’hommes de Saint-Brieuc en ce qu’il a condamné la société BM Chimie Lillebonne au paiement des sommes de :

– 4 120,66 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 412,10 euros à titre de congés payés afférents,

– 1 716,94 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

– 727,27 euros à titre de rappel sur mise à pied conservatoire,

– 14 422,31 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

– 5 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement discriminatoire,

– 331,00 euros à titre de frais kilométriques,

– 26,80 euros à titre de frais de repas,

– 1 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

et ordonné le remboursement des indemnités Pôle Emploi en application de l’article L 1235-4 du code du travail,

En conséquence,

– Dire et juger que Monsieur [I] a été couvert de l’ensemble de ses droits en matière de salaire et frais,

– Dire et juger que Monsieur [I] n’a pas été sanctionné pour fait de grève,

– Dire et juger que Monsieur [I] n’a pas fait l’objet d’un harcèlement moral,

– Dire et juger que le licenciement de Monsieur [I] repose sur une faute grave,

Par suite,

– Débouter Monsieur [I] et Pôle Emploi Bretagne de l’ensemble de leurs demandes,

– Condamner Monsieur [I] au paiement de la somme de

3 000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 15 décembre 2020, M. [I] demande à la cour de :

A titre principal :

– Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Saint-Brieuc en date du 27 février 2020 en ce qu’il à déclaré nul son licenciement et constaté qu’il ne sollicitait pas sa réintégration ;

– Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la SAS BM Chimie Lillebonne à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement nul, mais le réformer quant au quantum de cette condamnation et, statuant à nouveau, condamner la SAS BM Chimie Lillebonne à lui payer la somme de 16 482,64 euros, correspondant à 8 mois de salaire, à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul (article L. 1235-3-1 – exclusion des barèmes « Macron ») ;

– Confirmer ledit jugement en ce qu’il a condamné la SAS BM Chimie Lillebonne à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement discriminatoire;

– Infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et, statuant à nouveau, condamner la SAS BM Chimie Lillebonne à lui payer la somme la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les faits de harcèlement dont il a été victime ;

A titre subsidiaire, dans l’éventualité où la cour écarterait la nullité du licenciement :

– Constater que la SAS BM Chimie Lillebonne ne rapporte aucunement la preuve de l’existence d’une faute grave ;

– Dire et juger que le licenciement est sans cause réelle ni sérieuse ;

– En conséquence, condamner la SAS BM Chimie Lillebonne à lui payer la somme de 8 241,32 euros, correspondant à 4 mois de salaire, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse (article L.1235-3 – application des barèmes « Macron »);

En tout état de cause :

– Confirmer le jugement du 27 février 2020 en ce qu’il a :

‘ Fixé le salaire moyen mensuel brut à la somme de 2 060,33 euros;

‘ Condamné la SAS BM Chimie Lillebonne à lui payer les sommes suivantes :

– Indemnité compensatrice de préavis (2 mois de salaire) 4 120,66 euros

– 10 % au titre des congés payés sur préavis 412,10 euros

– Indemnité légale de licenciement 1 716,94 euros

– Rappel de salaires (mise à pied conservatoire) 727,27 euros

– Rappel de frais kilométriques 331,00 euros

– Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la SAS BM Chimie Lillebonne à lui verser un rappel de frais de repas, mais le réformer quant au quantum de cette condamnation et, statuant à nouveau, condamner la SAS BM Chimie Lillebonne à lui payer la somme de 201 euros au titre desdits frais ;

– Infirmer le jugement en ce qu’il a débouté Monsieur [I] de sa demande de rappel de salaires pour les heures de travail effectuées mais non payées et, statuant à nouveau, condamner la SAS BM Chimie Lillebonne à lui payer la somme la somme 1 083,58 euros à titre de rappel de salaires ;

– Condamner SAS Géodis BM Chimie Lillebonne à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en première instance et en appel;

– Condamner SAS Géodis BM Chimie Lillebonne aux entiers dépens.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 13 juillet 2021, Pôle Emploi, intervenant volontaire, demande à la cour de :

– Condamner la société SAS BM Chimie Lillebonne à rembourser auprès de Pôle Emploi Bretagne les indemnités versées à Monsieur [I], dans la limite de 6 mois d’allocations, soit 7 284,96 euros,

– Condamner la société SAS BM Chimie Lillebonne à verser à Pôle Emploi Bretagne la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner la même aux entiers dépens.

***

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 31 janvier 2023 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 13 février 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de rappel d’heures impayées

M. [I] critique le jugement qui l’a débouté de sa demande en retenant, par un motif inopérant, que ‘si tel qu’il vient de nous le dire aujourd’hui, si par malheur pour lui, des heures réalisées ne lui avaient pas été réglées en temps et en heure, il aurait porté réclamation auprès de sa hiérarchie au fur et à mesure de ces dysfonctionnements’, alors qu’il apporte éléments précis au soutien de sa demande.

Il ajoute que, s’agissant des heures de trajet effectuées pour se rendre à une formation entre le 18 et le 21 avril 2016, il appartient au juge de déterminer la contrepartie et que rien n’interdit qu’elles soient indemnisées sur la base d’un temps de travail effectif.

La société réplique que M. [I] n’avait pas à préparer ses tournées depuis son domicile, effectuer les saisies informatiques, les impressions et retours de tournée nécessaires au bon déroulement de ses missions, comme il le prétend pour justifier sa demande de rappel d’heures, dès lors qu’il se refusait à utiliser les outils professionnels mis à sa disposition et prenait l’initiative d’aménager les consignes de travail qui lui étaient données ; que s’il y avait eu, comme il le prétend, ‘une différence importante’ entre le temps de travail indiqué sur sa fiche de paie et les horaires ressortant de son chronotachygraphe entre mai 2017 et mars 2018, il n’aurait pas manqué de le signaler, ce qu’il n’a pas fait, comme il se garde bien en outre, en méconnaissance des dispositions de l’article 9 du code de procédure civile, d’étayer son propos.

***

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, M. [I] produit : un décompte d’heures qu’il estime avoir réalisées, ses bulletins de paie de 2017, un courrier de réclamation adressé à l’employeur.

Il produit ainsi des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre en produisant ses propres éléments de nature à justifier la réalité des horaires de travail du salarié.

La société Geodis ne produit pas d’éléments.

Au vu des éléments produits aux débats, et sans qu’il soit besoin d’une mesure d’instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que M. [I] a effectué des heures, non payées ni récupérées, à hauteur de 756,55 euros, outre 75,65 euros de congés payés afférents, que l’employeur sera en conséquence condamné à lui payer, en infirmation du jugement.

L’article L 3121-4 du code du travail dispose que, si le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas du temps de travail effectif, il fait l’objet lorsqu’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel d’exécution du contrat de travail, d’une contrepartie soit sous forme de repos soit sous forme financière.

En l’absence d’accord collectif ou d’engagement unilatéral de l’employeur, il incombe au juge de fixer le montant de la contrepartie due au salarié. Au vu des éléments produits aux débats, il convient en l’espèce de fixer l’indemnité due au salarié, au titre des déplacements effectués du 18 au 21 avril 2016 pour les besoins d’une formation professionnelle, à la somme de 50 euros que l’employeur sera condamné en conséquence à lui payer, en infirmation du jugement entrepris.

Sur les frais kilométriques et de repas

La société Geodis fait valoir que l’établissement de Lillebonne était le lieu contractuel d’exécution du contrat de travail de M. [I] et celui où devait se tenir l’entretien préalable du 16 février 2018, que c’est dès lors à tort que les premiers juges ont considéré que l’intéressé pouvait prétendre à la prise en charge de ses frais kilométriques et de repas ;

que ce dernier a reçu paiement de 18 indemnités de repas au titre du mois de janvier 2018 et persiste pourtant à maintenir ses réclamations alors qu’il a bénéficié d’un virement le 1er février 2018.

M. [I] réplique que son lieu habituel de travail au sens de la convention collective était St Hervé et qu’il doit être indemnisé de ses frais liés à ses convocation à entretien préalable les 14 avril 2017 et 2 février 2018 ; qu’au mois de janvier 2018, 13 repas pris dans le cadre de déplacements professionnels n’ont fait l’objet d’aucun défraiement, qu’il en est de même des frais de repas afférents aux convocations à entretien préalable ; que la pièce produite aux débats par la société n’est pas la copie d’un virement mais un simple ordre de virement non signé, document word susceptible d’avoir été rédigé pour les besoins de la cause, dont rien ne démontre qu’il ait été adressé et exécuté.

***

En application de l’article 2 de l’annexe frais de déplacements de la convention collective nationale des transports routiers, le lieu de travail est le lieu d’attache du véhicule, c’est à dire celui où le conducteur, du fait de son affectation, prend et quitte son service. Si ce lieu est fixé contractuellement en l’espèce à Lillebonne, il est établi par les ordres de service versés aux débats que dans les faits la prise de service était effectuée dans les Côtes d’Armor et aucune pièce ne confirme une prise habituelle de service à Lillebonne dès lors que M. [I] s’y est opposé. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a condamné la société appelante à lui payer la somme de 331 euros au titre de remboursement de frais kilométriques.

D’autre part, en application de l’article 1353 du code civil, il appartient à celui qui prétend s’être libéré de son obligation de paiement d’en rapporter la preuve.

Le document intitulé ordre de virement versé aux débats, contesté par M. [I], ne vaut pas preuve d’un paiement effectif et rien ne permet de vérifier à quel objet exact correspond la somme qui y est mentionnée. Il convient en conséquence, faisant droit à la demande de l’intimé, de condamner la société employeur à lui payer la somme de 201 euros au titre de remboursement des frais de repas, en infirmation du jugement sur la somme retenue.

Sur le harcèlement moral

Les premiers juges ont considéré ‘qu’en l’espèce, M. [I] ne produit pas suffisamment de preuves dans la présente procédure afin de permettre de conclure à quelconque acte de harcèlement et sera en conséquence débouté de cette prétention.’

M. [I] critique cette motivation en faisant valoir que le jugement fait une mauvaise appréciation des dispositions légales relatives aux faits de harcèlement, en ce que la preuve est partagée et qu’il lui revient seulement de démontrer l’existence de faits susceptibles de laisser présumer l’existence d’un harcèlement, ce qui est le cas.

La société appelante réplique que l’intimé se livre à une présentation particulièrement spécieuse des éléments de la cause, et fait état de griefs non seulement gratuits mais encore artificiels.

***

En application de l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale et de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L 1154-1 du code du travail il appartient au salarié de présenter les éléments de fait laissant présumer des agissements de harcèlement moral, au juge d’appréhender les faits dans leur ensemble et de rechercher s’ils permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, à charge ensuite pour l’employeur de rapporter la preuve que les agissements reprochés ne sont pas constitutifs du harcèlement et s’expliquent par des éléments objectifs.

Au titre des faits laissant présumer un harcèlement moral, M. [I] expose que:

– Une demande de congés qu’il a présentée en avril 2017 pour le mois de juillet 2017 a été pour la première fois non acceptée à première demande alors qu’il exposait ses impératifs personnels ; il produit les courriers de demande et réponse afférents à cette période de congés ;

– l’employeur a engagé plusieurs procédures disciplinaires :

– le 4 décembre 2015, une convocation disciplinaire pour lui reprocher d’avoir refusé de livrer un client en raison des non conformités affectant la cuve de celui-ci, convocation non suivie de sanction ;

– le 24 mars 2016, une notification de mise à pied de 5 jours ;

– le 14 avril 2017, la notification d’une autre mise à pied disciplinaire.

Il produit les convocations et notifications afférentes à ces procédures ainsi que ses courriers de contestation;

– il a subi plusieurs modifications de ses conditions de travail dégradant celles-ci:

– des changements répétés d’activité, non contestés par l’employeur (plus d’interventions pour Vitogaz, plus de contacts avec les clients) entre février 2016 et avril 2017 ; une privation du camion qui lui était jusque-là attribué et remplacement par un camion en mauvais état, ce qu’il a signalé à plusieurs reprises, et il produit les courriels relatifs à ces signalements relatifs à des problèmes matériels relatifs aux véhicules ;

– l’employeur lui a demandé de modifier son lieu de prise de poste, à Lillebonne au lieu de St Hervé, élément également non contesté ;

– l’employeur n’a pas pris de mesures curatives ou préventives suite à ses signalements : défaut d’étanchéité d’un camion le 6 décembre 2017, défaut de mise à disposition d’un téléphone professionnel, défaut de formation à l’utilisation de la tablette ; il produit des courriels relatifs à ces incidents ;

– l’employeur lui a imposé un rythme de travail excessif, régulièrement en violation avec la réglementation des temps de travail et de repos et adressé la demanded’effectuer à compter du 28 novembre 2017 deux chargements par jour à partir de 16 heures, et il se réfère aux bulletins de paie produits aux débats et aux échanges de courriels relatifs à la nouvelle organisation des tournées ;

– l’employeur ne lui a pas payé les frais, primes et heures de travail demandés le 8 octobre 2017 ; il produit les échanges de courriers afférents à cette réclamation.

Il soutient que ces éléments ont été à l’origine d’un véritable préjudice moral, car ses conditions de travail l’ont totalement dégoûté des sociétés de transport au point qu’il a envisagé une reconversion professionnelle, qu’en outre les pressions constantes, notamment à travers les modifications récurrentes de ses conditions de travail et les sanctions dont il a fait l’objet ont créé chez lui, en induisant une remise en cause constante de ses compétences professionnelles, un état de stress important.

Ces éléments de fait sont matériellement établis et, pris dans leur ensemble, laissent présumer une situation de harcèlement moral.

L’employeur fait valoir en réponse à ces éléments que :

– le 4 décembre 2015, l’intimé refusait d’effectuer une livraison sans en aviser ni la société ni le donneur d’ordre ; en l’absence de remontée d’information elle se trouvait dans l’incapacité de gérer l’incident client qui en résultait, de sorte qu’elle devait convoquer le salarié en entretien pour faire toute la lumière sur les évènements survenus ce jour-là, à cette occasion elle constatait qu’il avait fait une juste application des protocoles de sécurité, ce dont elle le félicitait, mais observant néanmoins qu’il avait failli à son obligation de rendre compte elle l’invitait à davantage de rigueur pour l’avenir, sans pour autant lui notifier aucune sanction disciplinaire.

Il résulte cependant des pièces produites aux débats que le salarié a été convoqué à un entretien en vue d’une procédure disciplinaire le jour-même du fait reproché, soit le 4 décembre, alors qu’il ressort de la lettre adressée en courrier recommandé au salarié le 23 décembre 2015 à la suite de l’entretien préalable que l’incident a été tout de suite signalé par le client, que cela a donné lieu à des échanges entre la direction et le donneur d’ordre Vitogaz, qu’il a été décidé que la livraison serait faite lors du second passage du salarié, que le domicile du client était interdit de livraison en attente du passage de l’horticuteur, que le comportement du salarié était acceptable puisqu’il avait dans un premier temps refusé la livraison et finalement honoré les instructions de sa hiérarchie et du donneur d’ordre, que la convocation, malgré la trame officielle, n’était pas établie en vue d’une sanction mais uniquement dans le but de revoir ensemble toutes les procédures. Il en ressort qu’en réalité, au moment de la convocation, l’employeur avait déjà connaissance de tous les éléments de la situation et savait qu’il ne sanctionnerait pas le salarié, il ne justifie donc pas que la convocation à entretien disciplinaire, qui ne peut résulter d’une erreur, s’explique par un élément objectif étranger à du harcèlement moral.

La notification de la mise à pied disciplinaire du 24 mars 2016 est motivée par le non respect des consignes de livraison pour les tournées effectuées pour le compte de Vitogaz donnant lieu à une réclamation presque tous les jours en janvier et février 2016, conduisant le donneur d’ordre à refuser qu’il poursuive les livraisons pour son compte. Les faits ont été contestés par M. [I] dans son courrier du 2 avril 2016 dans lequel il a indiqué à l’employeur qu’ils n’avaient même pas été abordés lors de l’entretien préalable.

La notification de la mise à pied disciplinaire de 4 jours du 31 mai 2017 est motivée par un retard dans une livraison le 13 avril sans aviser le service exploitation de ce retard, par le fait de ne pas avoir attendu un collègue qui devait venir le chercher pour un navettage le 14 avril, par un retard dans la mise en route d’un trajet de livraison le 28 avril avec une arrivée tardive l’obligeant, le dépôt étant fermé, à repartir à vide et obligeant l’exploitant à faire appel à un autre conducteur. M. [I] a contesté ces faits par courrier du 16 juin 2017 en donnant des explications détaillées.

La société appelante ne produit aucune pièce permettant de justifier du bien-fondé des deux mises à pied contestées, excepté une note datée du 26 février 2016 portant un cachet de réception du 25 mai 2016, rédigée par un conducteur indiquant avoir constaté lors du remplacement de M. [I] le mécontentement de plusieurs clients vis-à-vis de ce dernier. Ce courrier est toutefois vague, il ne vise aucun fait cironstancié et n’établit donc pas que les refus de livraison n’étaient pas justifiés par des installations non conformes alors que le salarié avait l’obligation de respecter des protocoles de sécurité, s’agissant de livraisons d’un produit dangereux.

Par ailleurs les explications que la société donne sur le respect des temps de conduite ne contredisent pas utilement les explications très factuelles du salarié sur les circonstances précises relatives aux jours de livraison concernés. L’employeur ne justifie en conséquence pas que les sanctions de mise à pied notifiées à M. [I] aient été justifiées par des éléments objectifs étrangers à du harcèlement.

La société appelante expose que les parties ne se sont jamais entendues contractuellement pour que le salarié bénéficie d’une occupation spécifique ou habituelle et que la mobilité géographique était stipulée à son contrat de travail; que l’ensemble routier sur lequel il était affecté initialement n’avait vocation qu’à faire des rotations sur l’activité Vitogaz, que les tracteurs qui lui ont été ensuite confiés répondaient à toutes les normes de sécurité et que malgré le soin apporté à l’entretien des véhicules il est impossible de se prémunir de toute panne ou casse ; que le défaut signalé le 6 décembre 2017 ne présentait aucune dangerosité.

Il ressort de la pièce 5 de la société appelante que le changement dans l’affectation des tâches de M. [I] résulte très directement du mécontentement de la société Vitogaz qui ne voulait plus que ce dernier effectue des livraisons pour son compte, or, si les pièces produites aux débats démontrent que le salarié était très pointilleux sur les mesures de sécurité et refusait de livrer du GPL lorsqu’il estimait que les installations du client ne permettaient pas des conditions de livraison garantissant le respect de celles-ci, la société employeur ne produit aucune pièce relative à un incident avec un client qui n’aurait pas été justifié par de telles considérations. Par ailleurs, si le contrat de travail prévoit que le salarié était rattaché à l’établissement de Lillebonne et que la fixation de ce lieu de travail pouvait être modifiée en cas d’affectation sur un autre service, la nature même de l’emploi impliquant une mobilité géographique, il n’est pas contesté que depuis son embauche M. [I] prenait son poste à St Hervé (22) et la société ne justifie pas que son nouveau service rendait matériellement nécessaire une prise de poste à Lillebonne, soit près du Havre, alors que le salarié résidait dans les côtes d’Armor.

Si la remorque que la société produit aux débats porte le logo Vitogaz et était donc effectivement exclusivement affectée aux transports effectués pour ce client, la société employeur ne justifie pas que le porteur antérieurement attribué l’ait été également ; elle ne justifie pas davantage par une raison objective le fait que le salarié ait eu en octobre 2017 un véhicule au rétroviseur conducteur cassé et dont la date de validité des extincteurs était dépassée depuis avril et mai 2017 alors que le véhicule porteur en question est destiné au transport de matières dangereuses (GPL). Un véhicule qui lui était affecté a présenté un défaut d’étanchéité de l’obturateur interne ou vanne de fond, qui a pour objet de garantir l’étanchéité des tubulures que le conducteur doit contrôler avant le départ, le GPL étant très inflammable et pouvant provoquer des explosions en cas de contact avec l’air.

L’employeur ne justifie pas, s’agissant des éléments ci-dessus, que le non- respect de sa part de l’obligation de sécurité et les modifications qu’il a voulu apporter aux conditions de travail du salarié s’expliquent par des raisons objectives étrangères à du harcèlement.

La société Geodis affirme qu’alors que M. [I] prétend ‘qu’il avait averti son employeur qu’il devait se rendre chez sa belle-famille à l’étranger et que les horaires de son vol nécessitaient qu’il soit en mesure de prendre le train pour [Localité 7] la veille’ il n’en justifie pas, que dans la fiche de congés produite aux débats (pièce 11) l’interessé n’a visé ni ses contraintes ferroviaires ni ses horaires de vol, la seule contrainte calendaire évoquée concernant une date de concert ; que surtout, elle a accepté, à première demande de l’intimé, de modifier ses dates de congés afin de lui permettre de satisfaire à ses contraintes de voyage.

Cependant, si M. [I] n’avait pas précisé la date de ses trajets, il avait justifié sa demande de congés du 7 juillet au 4 août 2017 (rubrique ‘avez-vous des impératifs particuliers ‘ (cure thermale, réservation)’ non seulement par ‘ tickets de concert (7 juillet)’ mais aussi par ‘ainsi que les billets de train et d’avion achetés (pour la Slovaquie, où réside la famille de ma compagne)’. La société employeur, qui a accordé le congé seulement du 10 juillet au 4 août 2017 au motif d’une autorisation ‘exceptionnelle car normalement 3 semaines’, ne justifie ni que les congés d’été étaient limités à 3 semaines dans l’entreprise, d’autant que la demande du salarié a été acceptée après qu’il ait contesté par courrier recommandé le refus partiel de sa demande, ni du choix de n’accorder ces 3 semaines qu’à partir du 10 juillet alors qu’il avait fait valoir des contraintes à compter du 7 juillet. Elle ne justifie donc pas que le refus opposé à première demande ait été motivé par une raison objective étrangère à du harcèlement.

La société Geodis soutient que les revirements de M. [I], qui fait valoir qu’il aurait ‘été confronté à un accroissement important de son temps de travail à travers des trajets plus longs qu’à l’accoutumée et un nombre de rotations accru’, en affirmant d’abord que son rythme de travail se serait intensifié à compter de février 2016 puis qu’il aurait subi un rythme de travail excessif en 2015, démontrent sa mauvaise foi, qu’en tout état de cause il n’a, durant la période en débat, manifesté aucun signe de fatigue ; que son affirmation selon laquelle il lui aurait été confié le 28 novembre 2017 une tournée qu’il n’était pas possible d’assurer dans le respect de la durée légale du travail quotidien est erronée.

Cependant il est établi par les bulletins de paie produits aux débats que M. [I] travaillait régulièrement au-delà de la durée légale maximale de 44 heures par semaine en moyenne sur une période de 12 semaines et par sa pièce 25 qu’il lui a été demandé d’assurer à compter du 28 novembre 2017 deux chargements par jour à partir de 16 heures dans des conditions susceptibles de conduire à des dépassements de la durée légale du travail, ainsi qu’il l’explique dans un courriel très précis sur ce point adressé à l’employeur, que celui-ci ne conteste pas utilement, pas plus qu’il n’établit que cette demande ait été justifiée par une raison objective étrangère à du harcèlement.

La société appelante fait valoir enfin que, s’agissant des rappels d’heures, de frais kilométriques et de repas M. [I] n’apporte pas les éléments nécessaires au succès de ses prétentions, lesquelles sont en outre injustifiées.

Cependant, l’employeur n’a pas rempli de ses droits le salarié et ne justifie pas que ce fait soit justifié par un élément objectif, étranger à du harcèlement moral.

Ces éléments matériellement établis, pris dans leur ensemble, dont la société appelante n’établit pas qu’ils étaient justifiés par une raison objective étrangère à du harcèlement moral, ont objectivement constitué une dégradation des conditions de travail du salarié ayant pour effet de porter atteinte à ses droits et de compromettre son avenir professionnel, et également susceptible d’altérer sa santé physique ou mentale.

Le préjudice qui en est résulté pour lui doit être réparé par la condamnation de l’employeur à lui payer la somme de 2000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, par voie d’infirmation du jugement.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, contient notamment le grief suivant :

‘Par courrier recommandé en date du 02 Février 2018, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à une mesure de licenciement pour faute grave, avec mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat.

Cet entretien s’est tenu le 16 Février 2018 en présence de Monsieur [R] [J], Directeur d’établissement. Vous avez été assisté lors de cet entretien par Monsieur [F] [Y], représentant du personnel.

Vous avez été embauché en date du 20 Octobre 2014 par la société BM Chimie Lillebonne, afin d’y occuper les fonctions de conducteur routier. Votre qualification induit, selon la .Convention collective du transport et votre contrat de travail, que vous ayez le triple souci de la sécurité des personnes et des biens, de l’efficacité des gestes ou des méthodes et la satisfaction client conformément aux usages et ceci dans le cadre de la règlementation existante.

Nous vous rappelons ci~aprés les faits fautifs qui vous sont reprochés.

Vous avez été absent sans justificatif les 01er et 02 février 2018 ; absence pour laqueile nous n’avons toujours-pas reçu de justificatif.

(…)’

Le conseil de prud’hommes a retenu que M. [I] a été licencié abusivement car son absence les 1er et 2 février 2018, qui lui est reprochée dans la lettre de licenciement, était justifiée par l’exercice du droit de grève, dont il avait informé l’employeur par mail le 1er février à 8h12, ce qui rend son licenciement nul.

La société appelante le conteste, faisant valoir que les faits survenus les 1er et 2 février 2018 ne relèvent pas de l’usage du droit de grève, car le salarié se contentait d’exposer les conditions de travail et la rémunération dont il entendait se réclamer, et n’avait de plus adressé ses ‘revendications’ qu’à 8h12 et 12h34 le 1 er février 2018, alors que son collègue M. [N] devait prendre son service entre 7 h30 et 8 heures, de sorte qu’au moment de la cessation de travail, elle n’avait, ainsi que les premiers juges l’ont constaté sans pour autant en tirer les conséquences qui s’imposaient, aucune connaissance de l’existence des revendications professionnelles de M. [I] et M. [N], lesquelles ne lui ont été communiquées que dans le courant de la matinée. Elle ajoute que le conseil de prud’hommes a , de plus, retenu une excuse spécieuse (‘même si M. [I] aurait dû ce jour-là commencer son travail à 8h00, la longueur et la teneur du mail explique aussi l’arrivée de celui-ci 12 minutes après son heure d’embauche’), supposée expliquer l’expression tardive des revendications de l’intimé alors que cette appréciation :

– d’une part ne repose sur aucun élément objectif,

– d’autre part et surtout caractérise une volonté manifeste de contourner les conditions légales et jurisprudentielles requises pour l’exercice licite du droit de grève,

– et que contrairement à ce que prétend M. [I], qui affirme que ni lui ni son collègue n’avaient cessé leur travail avant l’envoi du courriel du 1 er février 2018 à 8h12, les données du tachygraphe numérique démontrent le contraire.

Elle considère également que M. [N] a repris son poste le 2 février 2018, ce qui est, contrairement à ce que les premiers juges ont cru devoir retenir, parfaitement avéré par la synthèse d’activité de ce dernier, et que le 2 février 2018, l’absence de M. [I] n’était donc pas justifiée par un mouvement collectif.

M. [I] approuve la motivation du jugement, qui correspond à ce que lui-même soutient à l’appui de sa demande de voir déclarer nul son licenciement, dont il fait valoir qu’il est nul également en raison du harcèlement moral subi.

***

Aux termes de l’article L1235-3-1 du code du travail, les nullités mentionnées au premier alinéa (licenciement entâché de nullité entraînant l’octroi d’une indemnité ne pouvant être inférieure aux salaires des 6 derniers mois) sont celles qui sont afférentes à :

1° la violation d’une liberté fondamentale,

2° des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L1152-3 et L1153-4;

3° un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L1132-4 et L1134-4,

4° un licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits,

5° un licenciement d’un salarié protégé mentionné aux articles L2411-1 et L2412-1 en raison de l’exercice de son mandat,

6° un licenciement du salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L1225-71 et L1226-13.

En application de l’article L2511-1 du code du travail l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L1132-1 du code du travail. Tout licenciement prononcé en l’absence de faute lourde est nul de plein droit.

En application de l’article L1132-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire mentionnée à l’article L1132-1 du code du travail.

La grève est définie comme étant la cessation collective totale et concertée du travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles. Les salariés doivent informer l’employeur de leurs revendications au plus tard au moment de l’arrêt de travail. La réunion des critères de grève est présumée.

En l’espèce deux salariés se sont déclarés grévistes, ce qui suffit pour conférer un caractère collectif à la cessation d’activté.

M. [I] et M. [N] ont exprimé dans leur courriel du 1 er février 2018 mentionnant pour objet ‘grève’, qu’ils exerçaient leur droit de grève, pour une durée indéterminée, et formulaient les revendications suivantes :

– une augmentation de salaire,

– un local avec des WC et une douche sur le lieu de prise de service pour pouvoir envoyer et recevoir les tournées, du matériel, se changer en début et fin de journée,

– une tenue complète de rechange,

– des camions en parfait état de fonctionnement, même pour les réglages des sièges ou bien de la ventilation.

Par un nouveau couriel adressé à 12h34 le même jour à l’employeur (en la personne de M. [J], directeur d’établissement) qui avait demandé à être contacté en urgence à réception du précédent, ils ont précisés que le salaire net revendiqué s’entendait de 169 heures travaillées, sans modification de la durée contractuelle du travail, et ont ajouté une revendication, celle du paiement dans un délai de 2 semaines des frais de déplacement.

Il s’agit bien là de revendications à caractère salarial et relatives aux conditions de travail, propres à justifier l’exercice du droit de grève.

Le courriel de revendication a été adressé en tout début de journée à l’employeur qui n’établit par aucune pièce que M. [N] ait eu à commencer son service entre 7h30 et 8 heures, alors que l’heure de prise de poste était à 8 heures selon M. [I] et que rien n’indique que les deux salariés n’étaient pas présents à leur prise de poste à 8 heures, la rédaction d’un courriel commun, finalisé et envoyé à 8h12, tendant à établir le contraire.

L’argument de la société relative à une reprise du travail par M. [N] le 2 février 2018 est sans portée puisqu’en tout état de cause le seul fait de reprocher à M. [I] une absence injustifiée le 1er février 2018 alors que celle-ci était justifiée par sa participation à une grève, dont l’employeur était informé et qui a eu un caractère déterminant dans la décision de celui-ci de mettre fin au contrat de travail du salarié lequel a été mis à pied à titre conservatoire dès le 2 février 2018, suffit à rendre le licenciement nul, comme l’a jugé le conseil des prud’hommes qui doit être confirmé sur ce point. Au demeurant, le licenciement est également nul en raison du harcèlement moral subi.

Le jugement doit également être confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur au paiement :

– de l’indemnité compensatrice de préavis de 2 mois de salaire, pour le montant non spécifiquement contesté de 4120,66 euros bruts, outre 412,10 euros bruts de congés payés afférents,

– l’indemnité légale de licenciement pour le montant, également non contesté, de 1716,94 euros nets,

– de dommages et intérêts pour licenciement nul en application de l’article L1235-3-1 du code du travail, que les premiers juges ont justement fixé à la somme de 14 422,31 euros en réparation du préjudice que la perte d’emploi a occasionné à M. [I], tenant compte de son ancienneté de 3 ans, de son âge (né en 1977), du marché de l’emploi dans le secteur du transport routier et des éléments qu’il produit pour justifier de l’étendue de son préjudice.

– le rappel de salaire afférent à la mise à pied conservatoire, déduction faite des deux jours de grève, pour un montant de 727,27 euros.

La société Geodis soutient que le jugement a fait à tort application de l’article L1235-4 du code du travail. Elle fait valoir sur ce point que l’article L2511-1 du code du travail n’entre pas dans le champ d’application de l’article L1235-4 du code du travail.

Cependant, en application de l’article L1235-4 du code du travail, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé, notamment dans le cas d’application des articles L1132-4, L1152-3 et L1153-4.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné le remboursement des indemnités versées au salarié dans dans la limite de 6 mois.

Le conseil de prud’hommes a considéré que la différence de traitement entre M. [N] et M. [I] n’apparait pas justifiée et prouve clairement l’aspect discriminatoire du licenciement. Il a alloué à M. [I] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts de ce fait.

La société appelante fait valoir que M. [I] ne produit aucun élément à l’appui de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination et critique le jugement en ce que cette demande a été accueillie sans en caractériser le principe et le quantum.

M. [I] réplique que, conformément aux dispositions des articles 1132-1 et suivants du code du travail, le fait de sanctionner différemment des salariés constitue une discrimination dès lors qu’il y a détournement de pouvoir de la part de l’employeur ou discrimination au sens de l’article 1132-1 du code du travail ; qu’en l’occurrence deux salariés étaient absents les 1er et 2 février 2018, mais seul lui a fait l’objet de sanctions disciplinaires, sans que cette différence de traitement ne soit objectivement justifiable et justifiée. Il soutient que les faits de discrimination dont il a été victime sont la source d’un véritable préjudice moral, car ses conditions de travail l’ont totalement dégoûté des sociétés de transport au point qu’il a envisagé une reconversion professionnelle, qu’en outre les pressions constantes, notamment à travers les modifications récurrentes de ses conditions de travail et les sanctions dont il a fait l’objet, ont créé chez lui, en induisant une remise en cause constante de ses compétences professionnelles, un état de stress important.

En application de l’article L1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le salarié présente des éléments de fait laissant présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie à l’article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est motivée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Au titre des éléments de fait laissant présumer l’existence d’un licenciement discriminatoire, M. [I] expose, ce qui est un fait établi, que M. [N], qui a repris le travail le 2 février 2018, n’a pas été licencié ni sanctionné, tandis que lui, qui a poursuivi la grève le 2 février 2018, a été mis à pied le 2 février 2018 puis licencié, l’employeur lui faisant grief dans la lettre de licenciement, notamment, de son absence ce jour-là.

La société Geodis ne rapporte pas la preuve que sa décision est motivée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

C’est donc à juste titre que le conseil de prud’hommes a retenu que le licenciement de M. [I] présente un caractère discriminatoire qui a causé à ce dernier un préjudice moral. Celui-ci doit être réparé par la condamnation de l’employeur à payer au salarié, au vu de l’étendue du préjudice spécifique démontré et non déjà réparé au titre du harcèlement moral et de la sanction du licenciement nul, la somme de 3000 euros. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur le quantum retenu.

***

Il est inéquitable de laisser à M. [I] ses frais irrépétibles d’appel, qui seront mis à hauteur de 2000 euros en sus de ceux alloués par les premiers juges, à la charge de la société appelante, laquelle, succombant principalement, doit être condamnée aux dépens, également en cause d’appel.

L’application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de Pôle Emploi n’est pas justifiée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SAS BM Chimie Lillebonne à payer à M. [K] [I] la somme de 26,80 euros au titre de remboursement de frais de repas, la somme de 5000 euros pour licenciement discriminatoire, a débouté M. [K] [I] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de rappel d’heures impayées,

Le confirme en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, et y ajoutant,

Condamne la SAS Geodis RT Chimie Lillebonne, venant aux droits de la SAS BM Chimie Lillebonne, à payer à M. [K] [I] les sommes de:

– 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– 3 000 euros pour licenciement discriminatoire,

– 756,55 euros au titre de rappel d’heures impayées, outre 75,65 euros de congés payés afférents,

– 50 euros au titre de contrepartie d’heures de déplacement professionnel,

– 201 euros au titre de remboursement de frais de repas,

– 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,

Déboute la SAS Geodis RT Chimie Lillebonne et Pôle Emploi de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles d’appel,

Condamne la SAS Geodis RT Chimie Lillebonne aux dépens d’appel.

Le Président Le Greffier

 


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