Heures supplémentaires : 4 mai 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00111

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Heures supplémentaires : 4 mai 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00111
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COUR D’APPEL

d’ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00111 – N° Portalis DBVP-V-B7F-EYXN.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGERS, décision attaquée en date du 19 Janvier 2021, enregistrée sous le n° F19/00532

ARRÊT DU 04 Mai 2023

APPELANT :

Monsieur [M] [J] ès-qualités de liquidateur amiable de la société ETABLISSEMENTS [J]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Stéphanie CHOUQUET-MAISONNEUVE de la SELARL VITAE AVOCAT, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 19072

INTIME :

Monsieur [L] [P]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me BRULAY, avocat substituant Maître Bertrand CREN de la SELARL LEXCAP, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 13900961

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Février 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Mme Marie-Christine DELAUBIER

Conseiller : Madame Estelle GENET

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 04 Mai 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La Sas Établissements [J], société familiale créée en 1973, exploitait une scierie située à [Localité 2], dirigée en dernier lieu par M. [M] [J]. Elle appliquait la convention collective nationale du travail mécanique du bois, des scieries, du négoce et de l’importation de bois du 28 novembre 1955, et employait moins de onze salariés.

M. [L] [P] a été engagé par la société Etablissements [J] dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er octobre 1997 en qualité d’ouvrier de scierie.

En dernier état de la relation contractuelle, M. [P] occupait le poste de scieur mécanicien, échelon J, coefficient 200, de la convention collective précitée et percevait une rémunération mensuelle brute de 2 685,67 euros, prime d’ancienneté incluse.

Par courrier du 3 décembre 2018, la société Établissements [J] a convoqué l’ensemble des salariés, dont M. [P], à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique en raison d’une cessation totale d’activité, lequel s’est tenu le 12 décembre suivant.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 décembre 2018, la société Établissements [J] a confirmé le motif économique du licenciement envisagé.

M. [P] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle et le terme de son contrat de travail a été fixé le 2 janvier 2019.

Le 23 mars 2019, la société Établissements [J] a été mise en liquidation amiable, et M. [J] a été désigné en qualité de liquidateur amiable.

Par requête du 2 septembre 2019, M. [P] a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers pour obtenir la condamnation de M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], sous le bénéfice de l’exécution provisoire, au paiement de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de prévention des risques et de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. Il sollicitait également un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, une indemnité pour travail dissimulé et une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], s’est opposé aux prétentions de M. [P] et a sollicité sa condamnation au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 19 janvier 2021, le conseil de prud’hommes a :

– dit et jugé recevable et bien fondée la demande de M. [P] ;

– dit et jugé que M. [P] n’apporte pas la preuve qu’il a effectué des heures supplémentaires ;

– dit et jugé que la société Établissements [J] n’a pas respecté son obligation de prévention des risques ;

En conséquence :

– condamné M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], à verser à M. [P] la somme de 16 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de prévention des risques professionnels ;

– débouté M.[P] de ses autres demandes ;

– dit que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement en vertu des dispositions de l’article 1153-1 du code civil ;

– rappelé qu’en raison de la nature de l’affaire, il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile ;

– condamné M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], à verser à M. [P] la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouté M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], aux éventuels dépens.

M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 15 février 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu’il énonce dans sa déclaration.

M. [P] a constitué avocat en qualité d’intimé le 9 mars 2021.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 17 janvier 2023 et le dossier a été fixé à l’audience du conseiller rapporteur du 7 février 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 5 janvier 2023, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

– le déclarer recevable en son appel ;

– le recevoir en ses demandes, les dire bien-fondées et y faire droit ;

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Angers du 19 janvier 2021 sauf en ce qu’il a débouté M. [P] de sa demande de rappel d’heures supplémentaires ;

Y ajoutant :

– débouter M. [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

– condamner M. [P] au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, aux entiers dépens ainsi que tous les frais éventuels d’exécution forcée par voie d’huissier y compris ceux visés par l’article A444-32 du code de commerce.

À titre liminaire, M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], fait observer l’absence de critique de M. [P] quant à la procédure de licenciement et la légitimité du motif économique fondant cette mesure. A cet égard, il rappelle que la société Établissements [J] a cessé toute activité sans reprise de son fonds de commerce ce qui caractérise un motif économique prévu légalement.

Il soutient ensuite que la société Établissements [J] n’a pas manqué à son obligation de prévention des risques sur la santé et la sécurité au travail.

Il assure d’une part que la société a élaboré un registre unique d’évaluation des risques professionnels lequel était à la disposition du personnel et contient la totalité des démarches et vérifications réalisées depuis 2002 ainsi que l’étude des dispositifs relatifs à la pénibilité au travail réalisée en 2018. Il conteste d’autre part la compétence du conseil de prud’hommes pour apprécier la conformité du contenu de ce document lequel évoque, en tout état de cause, diverses mentions concernant le risque d’exposition à la poussière de bois. Enfin, il affirme qu’il n’existe aucun lien de causalité entre la prétendue non-conformité de ce document et le préjudice revendiqué par M.[P], lequel n’est, selon lui, pas démontré.

M. [J], ès-qualités, conteste ensuite l’inertie imputée à la société Établissements [J] suite aux prétendues plaintes de salariés, soulignant que ni M. [P], ni aucun salarié, ne s’est jamais plaint de ses conditions de travail et de son exposition aux poussières de bois.

Il estime que les mails des 17 et 22 juillet 2019 de l’inspection du travail produits par le salarié ne respectent pas l’exigence d’impartialité imposée par l’article 25 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, soulignant qu’ils ont été adressés plus de six mois après la rupture du contrat de travail et à la demande du conseil du salarié, outre le fait que s’ils font état de non-conformités, ils ne précisent pas les initiatives prises par la société pour protéger la santé de ses salariés.

Il affirme ensuite que la société a directement réagi aux observations de l’inspection du travail quant à la vérification de l’état de conformité de la ligne de découpe de l’atelier, et qu’elle ne peut être tenue pour responsable du retard dans la délivrance de son rapport par la société Acanthe, société accréditée pour procéder à ces vérifications. Il indique que la société a fourni des masques coques FFP3 à son personnel travaillant en phase de production et qu’elle a mis en conformité ses équipements le plus rapidement possible après le contrôle de l’inspection du travail du 13 mars 2018. Il souligne que celle-ci n’a pas décidé de l’arrêt, même temporaire, de l’activité de l’entreprise démontrant ainsi l’absence de risque sérieux d’atteinte à l’intégrité du personnel ou d’un danger grave ou imminent.

M. [J] ès-qualités met enfin en avant l’absence de préjudice démontré par M. [P], lequel n’a été victime d’aucun accident du travail et n’a contracté aucune maladie professionnelle, ajoutant que le salarié a fait l’objet de visites régulières auprès du médecin du travail et qu’aucune restriction ou réserve à l’exercice de ses fonctions n’a été formulée par ce dernier.

Il fait valoir de surcroît qu’aucune décision de justice n’a reconnu la nocivité ou la dangerosité des poussières de bois, que M. [P] bénéficiait des mesures de protection collective et individuelle, lesquelles le protégeaient en tout état de cause des poussières de bois, et qu’il ne démontre pas l’existence d’un préjudice personnellement ressenti, ni l’altération de son état psychologique. Enfin, il fait observer que l’existence d’un lien de causalité n’est pas davantage démontrée par le salarié entre le préjudice allégué et son activité salariée au sein de la société Établissements [J].

S’agissant de l’obligation de loyauté, M. [J] ès-qualités soutient encore que M.[P] a décidé de sa propre initiative de ne plus participer aux moments de convivialité prévus au sein de la société, soulignant qu’il a lui-même créé les conditions pour éviter tout échange avec la direction, et que les salariés dont lui-même n’étaient pas laissés dans l’incertitude quant à leur avenir professionnel. Il fait ainsi état de l’organisation d’une première réunion d’information le 30 juin 2017 lors de laquelle ont été annoncés son souhait d’arrêter toute activité à titre personnel et les hypothèses envisagées de cession ou de cessation de la société, ainsi que de la rencontre de tous les salariés fin novembre 2018 pour les informer de la procédure de cessation d’activité envisagée et des convocations à suivre dans le cadre de la procédure de licenciement pour motif économique.

M. [J] ès-qualités soulève ensuite la prescription de l’action en paiement du rappel d’heures supplémentaires pour les heures réalisées avant le 2 septembre 2016. En tout état de cause, il indique que M. [P] ne produit pas d’éléments suffisamment précis pour justifier de la réalisation des heures supplémentaires invoquées. Enfin, il souligne l’absence de démonstration de l’élément intentionnel caractérisant le travail dissimulé.

*

M. [P], dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 13 janvier 2021, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Angers en date du 19 janvier 2021 en ce qu’il a :

– dit et jugé recevable et bien fondée sa demande ;

– dit que la société Établissements [J] n’a pas respecté son obligation de prévention des risques ;

– condamné M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], à lui verser la somme de 1500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

– infirmer le jugement en ce qu’il :

– a limité la condamnation de M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Etablissements [J], au titre des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de prévention des risques à la somme de 16 000 euros ;

– dit et jugé qu’il n’apportait pas la preuve qu’il a effectué des heures supplémentaires ;

– l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, de rappel de salaire sur heures supplémentaires et d’indemnité au titre du travail dissimulé ;

Statuant à nouveau de :

– condamner M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], au paiement de la somme de 18 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, de prévention des risques, et du préjudice d’anxiété;

– condamner M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], au paiement de la somme de 3 000 euros pour exécution déloyale du contrat de travail ;

– condamner M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], au paiement de la somme de 5 883,19 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires sur les années 2016 à 2018, outre la somme de 588,31 euros au titre des congés payés afférents ;

– condamner M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], au paiement de la somme de 16 114,02 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé ;

– ordonner la délivrance des bulletins de salaire rectifiés sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter du 8 ème jour de la décision à intervenir ;

– fixer la moyenne du salaire moyen brut à la somme de 2 685,57 euros ;

– condamner M. [J], ès-qualités de liquidateur amiable de la société Établissements [J], aux entiers dépens et au paiement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel.

Au soutien de ses intérêts, M. [P] fait valoir que la société Établissements [J] a manqué à son obligation de prévention des risques sur la santé et la sécurité au travail et qu’il est alors bien fondé à solliciter l’indemnisation du préjudice résultant des manquements de son employeur à cette obligation.

Il soutient d’abord que les salariés ignoraient l’existence du document d’évaluation des risques produit par M. [J], lequel est en tout état de cause, très incomplet. Il précise en effet que ce document ne mentionne ni les risques, ni les actions de protection pour les salariés face à ces risques. Il met également en avant l’absence de protocole de sécurité au sein de la société.

M. [P] affirme ensuite que la société Établissements [J] n’a pris aucune mesure pour répondre aux plaintes des salariés quant à leurs conditions de travail et l’exposition permanente aux poussière de bois, lesquels ont saisi directement le médecin du travail et l’inspection du travail. À cet égard, il assure que son employeur était nécessairement informé des non-conformités de l’entreprise puisque M. [F], salarié de l’entreprise, avait exercé son droit de retrait en février 2017. M. [P] assure que la société Établissements [J] l’a laissé, lui et ses collègues, dans un environnement dangereux d’exposition quotidienne aux poussières de bois. Il ajoute que le médecin du travail a alerté l’inspectrice du travail quant à une souffrance des salariés liée à leurs conditions de travail et qu’un contrôle a été organisé le 13 mars 2018 au cours duquel de nombreuses non-conformités visuelles ont été relevées. Il s’appuie sur le rapport dressé par la société Acanthe, organisme accrédité, mandaté afin de vérifier l’ensemble des machines de l’atelier, et qui a relevé l’existence de 16 non-conformités sur 32 points de contrôle. Le salarié affirme alors que les actions menées par la société pour remédier à ces carences l’ont été tardivement et sous la contrainte de l’inspection du travail suite à sa plainte et à celles de ses collègues.

M. [P] soutient par ailleurs que les manquements de la société Établissements [J] ont eu des conséquences sur sa santé. À cet égard, il affirme qu’il a été exposé pendant toute la durée de son contrat de travail à des poussières de bois comme l’a confirmé le médecin du travail, dans des proportions supérieures aux valeurs autorisées et sans bénéficier d’équipements de protection individuelle aux normes. Il ajoute que le médecin du travail lui a indiqué que l’exposition régulière aux poussières de bois faisait peser sur lui un risque 40 fois supérieur au reste de la population de développer un cancer nano-sinusien. M. [P] indique de surcroît que son état de santé s’est dégradé et qu’il vit dans la crainte de développer un cancer du nez, maladie mortelle, traduisant ainsi un sentiment d’anxiété permanent.

M. [P] affirme ensuite que la cessation d’activité de l’Établissements [J] est exclusivement due à la légèreté blâmable de son employeur caractérisée par ses manquements à l’obligation de sécurité d’une part, et par l’absence de réalisation de travaux d’entretien d’autre part.

Le salarié fait également valoir que la société Établissements [J] a exécuté de manière déloyale son contrat de travail. À cet égard, il indique que M. [J] n’adressait plus la parole aux salariés de la société depuis 2017 et qu’il donnait ses instructions et directives uniquement par écrit. Il assure en outre que M. [J] a laissé ses salariés pendant plus de 17 mois dans une grande incertitude quant au maintien ou non de leur emploi.

Enfin, M. [P] soutient avoir réalisé, depuis le début de la relation contractuelle, des heures supplémentaires non déclarées à la demande de M. [J]. À cet égard, il prétend qu’il effectuait chaque jour 30 minutes supplémentaires dès lors qu’il embauchait quotidiennement quinze minutes avant l’heure le matin et l’après-midi. Concernant la prescription invoquée par le liquidateur amiable, le salarié fait observer qu’il est en droit de solliciter un rappel de salaire sur les heures supplémentaires réalisées du 2 janvier 2016 au 2 janvier 2019 puisque son contrat de travail a été rompu à cette date. Au fond, il fait valoir que le conseil de prud’hommes a fait reposer la charge de la preuve exclusivement sur lui. Il affirme qu’il était le seul salarié à embaucher avant l’heure puisqu’il était le seul à pouvoir exécuter la maintenance sur l’ensemble des machines avant leur mise en route. M. [P] conclut que son employeur ne pouvait ignorer les heures supplémentaires réalisées dans la mesure où il lui remettait chaque trimestre le relevé des heures effectuées, en échange de quoi il recevait du bois de chauffage et que ce faisant, la dissimulation d’emploi est caractérisée.

MOTIVATION

Sur l’obligation de sécurité et de prévention des risques

L’article L.4121-1 du code du travail prévoit que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, comprenant depuis l’ordonnance du 27 septembre 2017 applicable le 1er octobre 2017, ceux mentionnés à l’article L.4161-1;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

En application de l’article L.4121-2 du code du travail, l’employeur met en oeuvre les mesures précitées sur le fondement de principes généraux de prévention tels que, notamment, éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle, donner les instructions appropriées aux travailleurs.

En application de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, à raison de l’inexécution de l’obligation, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

Au titre de son obligation de sécurité, laquelle est une obligation de moyen renforcée, il appartient à l’employeur de repérer les situations de danger.

S’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l’employeur ne méconnaît pas son obligation légale d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

En l’espèce, M. [P] fait valoir qu’il travaillait dans des conditions de travail dangereuses. Il allègue successivement que :

– le document d’évaluation des risques est lacunaire et incomplet, et que les salariés n’en avaient pas connaissance ;

– aucune consigne de sécurité n’était transmise aux salariés et aucun protocole de sécurité n’était mis en place ;

– l’inspection du travail a relevé le 13 mars 2018 de nombreuses non-conformités et risques signalés depuis avril 2017 sans que rien ne soit fait pour y remédier, dont la dangerosité des machines (scie circulaire et déligneuse), et une exposition des salariés aux poussières de bois supérieure aux valeurs autorisées, rendant impossible la poursuite d’activité ou la vente de l’entreprise sans mise aux normes ;

– le rapport de la société accréditée Acanthe, mandatée par l’employeur sur injonction de l’inspection du travail afin de vérifier l’ensemble des machines, est accablant quant aux non-conformités relevées et aux risques encourus par les salariés ;

– les salariés se sont plaints à de nombreuses reprises quant à leur exposition permanente aux poussières de bois ;

– face à l’inertie de l’employeur, ils ont été contraints de dénoncer leurs conditions de travail au médecin du travail et à l’inspection du travail ;

– un autre salarié, M. [F], a fait usage de son droit de retrait en février 2017 ;

– les actions menées par la société Etablissements [J] ont été tardives et opérées sous la contrainte de l’inspection du travail.

Il allègue de ce fait avoir été exposé pendant 22 ans aux poussières de bois dans des taux supérieurs à la limite autorisée, sans masque FFP3, et vivre désormais dans la crainte permanente de développer à tout moment un cancer naso-sinusien. Il ajoute que les nombreux manquements de la société Etablissements [J] à son obligation de sécurité ont entraîné la perte de son emploi dans la mesure où la légèreté blâmable de cette dernière l’a conduit à opérer une cessation d’activité sans reprise possible du fonds de commerce alors qu’il est certain que la scierie aurait pu être cédée si les travaux d’entretien de l’atelier avaient été menés avec sérieux.

M. [J] ès-qualités conteste pour sa part tout manquement de la société à son obligation de sécurité, faisant valoir que :

– le registre unique d’évaluation des risques professionnels était à la disposition du personnel et contient la totalité des démarches et vérifications réalisées depuis 2002 dont diverses mentions concernant le risque d’exposition aux poussières de bois ainsi que l’étude des dispositifs relatifs à la pénibilité au travail réalisée en 2018 ;

– ce document était à la disposition des salariés ainsi que le rappelle une affiche exposée à la vue de tous ;

– elle n’a jamais été saisie de plaintes de salariés quant à leurs conditions de travail et leur exposition aux poussières de bois, leurs seules interrogations concernant les RTT et les congés ;

– elle a immédiatement réagi aux injonctions de l’inspection du travail suite à son contrôle du 13 mars 2018 en fournissant notamment des masques FFP3 à son personnel travaillant en phase de production et en mettant ses équipements en conformité le plus rapidement possible ;

– M. [F] n’a pas exprimé son droit de retrait, mais un refus de travailler en février 2017, motivé par son souhait d’obtenir une revalorisation salariale.

S’agissant du préjudice allégué par le salarié, l’employeur fait valoir que M. [P] ne démontre pas l’existence d’un préjudice d’anxiété personnel en ce qu’il n’a développé aucune affection et ne justifie d’aucun trouble psychologique engendré par la connaissance d’un risque élevé de développer une pathologie grave. Il ajoute que la cessation totale d’activité constitue un motif légal de licenciement économique, que M. [M] [J] a pris sa retraite en 2015, qu’il a cependant continué son activité pendant deux ans et qu’il souhaitait désormais cesser toute activité professionnelle, soulignant de surcroît que M. [P] ne remet pas en cause le bien-fondé de son licenciement.

M. [P] dit avoir subi un préjudice causé d’une part, par la légèreté blâmable de l’employeur, et d’autre part du fait de son exposition aux poussières de bois. Les manquements de la société Etablissements [J] seront donc analysés en considération de ces deux moyens.

En premier lieu, il sera rappelé que lorsque la légèreté blâmable en rapport avec la cessation d’activité de l’employeur est caractérisée, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Or, si M. [P] fait un relevé exhaustif de l’intégralité des manquements de la société Etablissements [J] en matière de sécurité ayant conduit, selon lui, à l’impossibilité de céder le fonds de commerce, il ne remet cependant pas en cause le bien-fondé de son licenciement et sollicite la réparation d’un préjudice fondé exclusivement sur l’obligation de sécurité et de prévention des risques.

Il convient donc de s’attacher aux seuls manquements invoqués et d’examiner d’une part s’ils sont établis et d’autre part si le salarié en a subi un préjudice.

En second lieu, il est acquis qu’en application des textes précités et des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à une substance toxique ou nocive, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, et avoir personnellement subi un préjudice en résultant, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

Le salarié doit justifier d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’un tel risque.

Le préjudice d’anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, est constitué par les troubles psychologiques qu’engendre la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave par les salariés.

Au cas présent, M. [P] justifie avoir été exposé aux poussières de bois au sein des Etablissements [J] ainsi que cela se déduit de sa qualification d’ouvrier de scierie puis de scieur mécanicien. Cette exposition est confortée par un courrier du médecin du travail du 20 février 2019 lui prescrivant une nasofibroscopie ‘à réaliser dans le cadre de (son) suivi d’exposition professionnelle aux poussières de bois’ et précisant qu’il y a été exposé pendant 22 ans dans des conditions extrêmes.

Il résulte ensuite de l’annexe II – tableau n°47 des affections professionnelles provoquées par les poussières de bois que cette exposition peut être à l’origine d’un cancer primitif (carcinome des fosses nasales, de l’ethmoïde et des autres sinus de la face) avec un délai de prise en charge de 40 ans sous réserve d’une durée d’exposition de 5 ans.

M. [P] communique ensuite, un courrier de l’inspection du travail suite à son contrôle du 13 mars 2018, faisant part à la société Etablissements [J] de ce que les masques FFP2 fournis par l’entreprise ne sont pas adaptés à son activité et que, comme mentionné dans la fiche d’entreprise établie en avril 2017, des masques FFP3 sont nécessaires. Or, ce n’est que le 3 avril 2018 que la société a passé commande de masques FFP3 ainsi qu’en atteste la facture afférente.

Il verse enfin aux débats un mail de l’inspection du travail du 17 juillet 2019 adressé à son conseil, faisant état d’un rapport réalisé par l’hygiéniste des services de la médecine du travail en février 2018 laissant apparaître des valeurs d’exposition des salariés aux poussières de bois supérieures aux valeurs limites d’exposition autorisées (article R.4412-149 du code du travail).

Il est donc établi qu’informée de la nécessité de fournir des masques FFP3 à ses salariés depuis avril 2017, la société Etablissements [J] a attendu un an avant d’y procéder, ce alors que les valeurs d’exposition aux poussières de bois étaient supérieures aux valeurs autorisées, que les poussières de bois ont la nature de substance toxique ou nocive générant un risque élevé de développer une pathologie grave sous réserve d’une durée d’exposition de 5 ans, et que M. [P] y a été exposé pendant une durée supérieure. Ce faisant, la société Etablissements [J] a manqué à son obligation de sécurité.

En revanche, M. [P] ne communique aucun document de nature à justifier de l’anxiété qu’il dit ressentir, consécutive à cette exposition.

Il sera relevé à cet égard, que seules sont versées aux débats deux attestations de sa compagne, Mme [S], dont le lien avec l’intéressé est de nature à remettre en cause son impartialité. Ses dires ne sont au demeurant, corroborés par aucun autre élément.

De surcroît, dans sa première attestation, Mme [S] expose que ‘depuis 2016, mon conjoint [P] [L] est très anxieux et il dort très mal à cause de la situation à son travail.’ Elle précise qu’il ‘parle beaucoup de son travail et (du) comportement de son employeur M. [J] [M]’. Or, cette affirmation ne permet de faire le lien ni avec l’exposition aux poussières de bois, ni avec la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave.

Dans son second témoignage, si Mme [S] atteste de ce que ‘la santé de mon conjoint présente une certaine vigilance et une inquiétude dans notre couple’, elle développe cette inquiétude au seul regard de la surveillance médicale que celle-ci impose, précisant ‘nous sommes obligés d’avancer les différents frais médicaux (ce) qui pour nous n’est pas une chose évidente financièrement, et ça tous les deux ans et le restant de sa vie’, cette affirmation étant liée à des préoccupations financières communes au couple.

Il ressort en outre d’un courrier d’un médecin du CHU d'[Localité 1] du 29 avril 2019, que M. [P] a consulté le 24 avril 2019 et que l’examen était tout à fait normal. Il justifie ensuite avoir consulté son médecin traitant le 15 juin 2021 pour des saignements de nez, lequel l’a adressé au service ORL du CHU d'[Localité 1]. Si M. [P] communique la confirmation de son rendez-vous au CHU pour une consultation le 30 juin 2021, il ne communique en revanche pas le compte-rendu de cette consultation.

Dès lors, aucun document ne vient justifier ni d’une dégradation de son état de santé, ni de troubles psychologiques générés par une telle crainte.

Par conséquent, faute d’éléments établissant suffisamment l’existence d’un préjudice d’anxiété personnellement subi par le salarié résultant du risque élevé de développer une pathologie grave, il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur l’obligation d’exécution loyale du contrat de travail

M. [P] soutient que depuis 2017, il n’y avait plus aucune communication entre M. [J] et le personnel, celui-ci refusant d’adresser la parole aux salariés et donnant ses instructions exclusivement par écrit. Il affirme de surcroît que ce dernier les a laissés dans l’incertitude la plus totale pendant 17 mois quant au maintien ou non de leur emploi.

M. [J] ès-qualités indique avoir toujours été attentif à préserver la bonne ambiance de l’entreprise, ainsi qu’en atteste l’ancienneté importante des salariés dont celle de M. [P]. Il organisait régulièrement des moments de convivialité, auxquels ce dernier et un autre de ses collègues ont refusé de participer les derniers temps, s’excluant eux-mêmes de la vie de l’entreprise. Il conteste tout refus de communication de sa part de même que d’avoir donné ses instructions exclusivement par écrit, et affirme que s’il a pu le faire occasionnellement, cela ne constitue pas une faute. Il ajoute que la famille [J] a connu plusieurs événements douloureux dont le décès du père du dirigeant en 2016 et de l’un de ses frères en février 2018 lesquels étaient de surcroît associés au capital, ce contexte familial l’ayant beaucoup perturbé à titre personnel. Enfin, il soutient qu’une réunion a été organisée avec le personnel le 30 juin 2017 pour l’informer des différentes hypothèses quant à l’avenir de l’entreprise, puis fin novembre 2018, pour l’informer de la cessation d’activité et des licenciements économiques envisagés, et enfin le 21 décembre 2018, à la demande des salariés qui souhaitaient connaître la date exacte de leur licenciement, demande à laquelle il n’a pu répondre sauf à risquer une irrégularité légale.

M. [P] communique trois attestations d’anciens salariés et une attestation d’un client aux termes desquelles il apparaît que l’ambiance s’était dégradée les deux dernières années, qu’aucune décision n’était prise ‘pour x raisons’, que M. [J] avait changé, qu’il était ‘distant’, ‘taciturne’ et ‘peu bavard’. Il communique ensuite une attestation de M. [U] ayant assisté les salariés pendant l’entretien préalable corroborant cette attitude, et attestant que pendant cet entretien, M. [P] a demandé ‘par qui le ruban de la scie principale (a été) changé durant son congé RTT’ sans obtenir de réponse, ainsi qu’une note manuscrite d’instructions du 21 avril 2017 précisant ‘je ne suis pas là cet après-midi’.

M. [J] ès-qualités, communique deux attestations, l’une de M. [G] [J], fils de M. [M] [J], et l’autre de M. [D] [J], fils de l’associé [H] [J], qui témoignent être intervenus lors de la réunion collective d’information des salariés le 30 juin 2017 lors de laquelle ceux-ci ont été informés de ce que M. [M] [J] souhaitait prendre sa retraite effective à court terme, et ont été évoquées soit la reprise de la société, soit la liquidation faute de repreneur.

S’il est avéré que l’ambiance s’est dégradée les deux dernières années, il n’est toutefois pas établi que M. [J] ait refusé d’adresser la parole à M. [P] ni qu’il ait exclusivement communiqué par écrit, ni même qu’il ne se soit pas adressé à lui lors de l’entretien préalable, M. [U] indiquant notamment dans son attestation qu’au début de l’entretien, ‘le président [M] [J] a lu brièvement pourquoi il convoquait le salarié ou la salariée et (dit) que son associé allait lui remettre le document relatif au CSP’.

Il est en outre établi que la société Etablissements [J] a organisé une réunion d’information le 30 juin 2017 portant sur l’avenir de l’entreprise et les différentes hypothèses envisagées (cessation ou vente). Il importe peu que ce ne soit pas M. [M] [J] qui l’ait présidée dans la mesure où aucune obligation légale n’imposait la tenue de cette réunion.

Enfin, si les salariés ont adressé un courrier collectif le 18 décembre 2018, soit 6 jours après l’entretien préalable, pour exiger ‘la date exacte’ de leur licenciement, c’est à bon droit que l’employeur n’a pu répondre à cette demande, sauf à prendre le risque d’invalider la rupture à venir de leur contrat de travail.

Partant, aucune faute ne peut être reprochée à la société Etablissements [J], étant rappelé que M. [P] ne se prévaut d’aucun manquement quant à la régularité de la procédure ayant conduit à la cessation de l’entreprise ou à la rupture de son contrat de travail.

Le fait, comme l’indique M. [U] dans son attestation, que ‘les salariés auraient souhaité analyser cette situation avec le président comme ils l’ont toujours fait par le passé’ et qu’ils aient manifesté du ‘désarroi face au peu de sentiment dont ils semblaient faire l’objet’ ne saurait caractériser un manquement de l’employeur à l’exécution loyale du contrat de travail.

Par conséquent, M. [P] doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, et le jugement confirmé de ce chef.

Sur les heures supplémentaires

1. Sur la prescription

M. [J] ès-qualités soutient qu’en application de l’article L.3245-1 du code du travail, à chaque mois échu, M. [P] avait un délai glissant de trois ans pour saisir le conseil de prud’hommes d’une demande d’heures supplémentaires, qu’il a saisi la juridiction le 2 septembre 2019, et que ce faisant, toute demande antérieure au 2 septembre 2016 est prescrite.

M. [P] réplique que la rupture du contrat de travail est intervenue le 2 janvier 2019, et qu’en application du même texte, il est en droit de demander un rappel d’heures supplémentaires depuis le 2 janvier 2016.

Aux termes de l’article L.3245-1 du code du travail, ‘l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.’

Cette disposition applicable depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 comporte deux mentions relatives au temps :

– la première mention fixe un délai pour agir, c’est-à-dire pour saisir la juridiction ;

– la seconde mention (« les sommes dues au titre des trois dernières années») n’est pas un délai de prescription mais une limite dans le temps imposée par le législateur à l’assiette de la créance d’arriérés de salaires, celle-ci, bien qu’étant d’une durée égale en valeur absolue, pouvant être circonscrite, selon les cas, à une période différente de la période gouvernant la recevabilité de l’action.

La rupture du contrat de travail de M. [P] est intervenue le 2 janvier 2019. Il a saisi le conseil de prud’hommes le 2 septembre 2019, soit dans le délai requis, à tout le moins pour les sommes dues à compter du 2 septembre 2016. En application des dispositions susvisées, sa demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années précédant la rupture du contrat, soit en l’espèce, sur les sommes dues à compter du 2 janvier 2016.

Par conséquent, le moyen de prescription soulevé par M. [J] ès-qualités est rejeté.

2. Sur le fond

Selon l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires applicables. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, M. [P] produit à l’appui de sa demande :

– les calendriers des années 2017 et 2018 en marge desquels le temps supplémentaire réalisé est noté chaque jour ;

– deux carnets portant mention jour après jour du nombre d’heures réalisées et des tâches accomplies au titre de la mécanique du 5 mai 2010 au 27 février 2017, étant précisé qu’au vu de la prescription retenue, il convient de s’attacher uniquement à celles concernant la période postérieure au 2 janvier 2016 ;

– un récapitulatif du nombre d’heures supplémentaires et des heures ‘mécanique’effectuées chaque mois pour les années 2016, 2017 et 2018, ainsi que le montant du rappel de salaire correspondant ;

– deux photographies de tableau d’affichage du 30 mars au 9 avril, et du 26 juillet au 2 août (années non précisées), faisant apparaître son heure d’arrivée le matin à 7h45 à une ou deux minutes près, et son heure de reprise de travail l’après-midi à 13h15 à une ou deux minutes près ;

– le témoignage de sa compagne, Mme [S], qui atteste que l’heure d’embauche de M. [P] était 7h45 le matin et 13h15 l’après-midi, qu’il quittait son domicile un quart d’heure avant dans la mesure où leur domicile est à 10 minutes en vélo du lieu de travail, et que ces heures supplémentaires étaient réalisées à la demande de M. [J] afin d’assurer la maintenance et préparer la mise en route de la chaîne de production que M. [P] était seul à savoir faire ce, avant l’arrivée des autres salariés.

Du tout, il résulte que M. [P] présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies pour permettre à l’employeur d’y répondre en produisant ses propres éléments.

En réponse, l’employeur fait valoir que M. [J] n’a jamais demandé à M. [P] de faire des heures supplémentaires. Il souligne que ce dernier n’a jamais fait la moindre réclamation à ce titre, contrairement à d’autres salariés qui, lorsque tel était le cas, faisaient connaître à la fin du mois le nombre d’heures supplémentaires réalisées, lesquelles étaient alors régulièrement payées. Il affirme de surcroît que le salarié n’en apporte pas la preuve, que les pièces qu’il produit sont inexploitables, et qu’elles n’ont jamais été portées à sa connaissance. Enfin, l’employeur communique les horaires collectifs de travail qui étaient, selon lui, affichés au sein de l’entreprise, et que M. [P] était tenu de respecter.

Pour autant, il sera constaté que l’employeur n’est pas en mesure de justifier des horaires effectivement réalisés par de M. [P], et ne produit aucun document permettant d’établir le décompte de la durée de son travail, se prévalant uniquement de l’affichage de l’horaire collectif des salariés ainsi que des bulletins de salaire de plusieurs salariés mentionnant le paiement d’heures supplémentaires.

Il ne verse par ailleurs aucun élément de nature à contredire le fait que M. [P] était chargé, au moins implicitement, d’effectuer la maintenance et de mettre en route la chaîne de production avant l’arrivée des autres salariés.

Il s’ensuit que l’employeur ne justifie pas d’éléments contraires à ceux apportés par le salarié.

Dans ces conditions, il y a lieu de faire droit intégralement à la demande de M. [P] présentée au titre des heures supplémentaires réalisées sur la période du 2 janvier 2016 jusqu’à la rupture de son contrat de travail, soit la somme de 5 883,19 euros brut, ainsi que la somme de 588,31 euros brut à titre de congés payés afférents.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur le travail dissimulé

La dissimulation d’emploi salarié prévue par le dernier alinéa de l’article L.8221-5 du code du travail n’est caractérisée que s’il est établi que, de manière intentionnelle, l’employeur s’est :

– soit soustrait à l’accomplissement de la formalité relative à la déclaration préalable à l’embauche,

– soit soustrait à la délivrance d’un bulletin de paie, ou d’avoir mentionné sur ce dernier un nombre d’heures inférieur à celui réellement effectué,

– soit soustrait aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement.

En application des dispositions de l’article L.8223-1 du code du travail le salarié dont le contrat de travail est rompu a droit à une indemnité égale à 6 mois de salaire.

M. [P] fait valoir que l’employeur était informé de l’importance de sa charge de travail dans la mesure où il lui remettait le relevé de ses heures chaque trimestre en échange de bois de chauffage.

M. [J] ès-qualités rappelle d’abord, que selon lui, M. [P] n’a effectué aucune heure supplémentaire. Il ajoute que celui-ci n’a formulé aucune réclamation pendant l’exécution de son contrat de travail, et conteste que les relevés d’heures qu’il dit impayées aient été portés à sa connaissance.

Le caractère intentionnel de la dissimulation ne peut se déduire de la seule exécution d’heures supplémentaires. Il convient de relever en outre que M. [P] n’a formulé aucune réclamation à ce titre pendant 21 ans, et qu’il n’est pas justifié de la remise trimestrielle du relevé de ses heures.

Partant, le caractère intentionnel caractérisant la dissimulation d’emploi n’est pas établi.

M. [P] doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé et le jugement confirmé de ce chef.

Sur les bulletins de salaire rectifiés

Afin que M. [P] puisse faire valoir ses droits, il convient d’ordonner la remise de bulletins de salaire rectifiés conformes au présent arrêt, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette remise d’une astreinte.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [P] pour ses frais irrépétibles d’appel. Il lui sera alloué la somme de 1 500 euros à ce titre.

M. [J] ès-qualités qui succombe partiellement à l’instance sera condamné aux dépens d’appel, et débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile présentée en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, publiquement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Angers le 19 janvier 2021 sauf en ce qu’il a débouté M. [L] [P] de ses demandes de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et de dommages et intérêts pour travail dissimulé, et sauf en ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant des chefs infirmés et y ajoutant :

DEBOUTE M. [L] [P] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels ;

CONDAMNE M. [M] [J] ès-qualités de liquidateur amiable de la Sas Etablissements [J] à payer à M. [L] [P] la somme de 5 883,19 euros brut à titre de rappel d’heures supplémentaires et la somme de 588,31 euros brut au titre des congés payés afférents ;

ORDONNE à M. [M] [J] ès-qualités de liquidateur amiable de la Sas Etablissements [J] de remettre à M. [L] [P] les bulletins de salaire rectifiés conformes au présent arrêt, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette remise d’une astreinte ;

CONDAMNE M. [M] [J] ès-qualités de liquidateur amiable de la Sas Etablissements [J] à payer à M. [L] [P] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d’appel ;

DEBOUTE M. [M] [J] ès-qualités de liquidateur amiable de la Sas Etablissements [J] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;

CONDAMNE M. [M] [J] ès-qualités de liquidateur amiable de la Sas Etablissements [J] aux dépens d’appel.

GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT empêché,

Viviane BODIN C. TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

 


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