Heures supplémentaires : 20 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/06330

·

·

Heures supplémentaires : 20 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/06330
Ce point juridique est utile ?

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 20 AVRIL 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/06330 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCNWH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Juillet 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BOBIGNY – RG n° 15/04555

APPELANT

Monsieur [M] [O]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Nathalie MAIRE, avocat au barreau de [Localité 4], toque : L0007

INTIMÉE

S.A.S.U. LAVAZZA PROFESSIONAL FRANCE venant aux droits de MARS DRINKS FRANCE

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nicolette GUILLAUME, présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nicolette GUILLAUME, présidente, rédactrice

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Nicolette GUILLAUME, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [M] [O] a été engagé par la société Mars Drinks France, dénommée depuis le 1er juin 2007, Lavazza Professional France, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée daté du 4 mars 2013, en qualité de contrôleur financier.

La société Lavazza Professional France a pour activité la commercialisation de machines de distribution automatique de boissons chaudes et froides en gobelets ainsi que la commercialisation de boissons « pré-dosées » en gobelets adaptés aux dites machines.

Le 6 juillet 2015, la société Lavazza Professional France a convoqué M. [O] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 16 juillet suivant. Cette convocation était assortie d’une mise à pied à titre conservatoire.

Le 20 juillet 2015, la société Lavazza Professional France, a notifié à M. [O] son licenciement pour faute grave.

Contestant son licenciement, M. [O] par acte du 20 octobre 2015, a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny.

Par jugement rendu le 31 juillet 2020, notifié aux parties par lettre le 3 septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Bobigny a :

– dit que le licenciement de M. [O] par la société Mars Drinks France repose sur une faute grave,

– condamné la société Lavazza Professional France, venant aux droits de la société Mars Drinks France, à payer à M. [O] les sommes de :

-15 600,80 euros au titre du rappel des heures supplémentaires,

– 1 560,08 euros au titre des congés payés afférents,

– ordonné à la société Lavazza Professional France de remettre à M. [O] un bulletin de paie conforme et une attestation Pôle Emploi conforme à la décision,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

– dit que chacune des parties conservera la charge des dépens exposés,

– ordonné l’exécution provisoire.

Par déclaration du 1er octobre 2020, M. [O] a interjeté appel de ce jugement, sauf en ce qu’il a débouté la société Lavazza Professional France de ses demandes plus amples ou contraires.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 25 février 2022, M. [O] demande à la cour de :

– le recevoir en ses conclusions, fins et prétentions,

– réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bobigny en sa formation de départage le 31 juillet 2020 (RG n°15/04555) en ce qu’il a condamné la société Lavazza Professional France, venant aux droits de la société Mars Drinks France, à lui payer les sommes de :

-15 600,80 euros au titre du rappel des heures supplémentaires,

-1 560,08 euros au titre des congés payés afférents,

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bobigny en sa formation de départage le 31 juillet 2020 (RG n° 15/04555) en ce qu’il a :

– dit que son licenciement par la société Mars Drinks France repose sur une faute grave,

– l’a débouté de ses demandes plus amples ou contraires,

en conséquence et statuant à nouveau :

– dire le licenciement prononcé par la société Mars Drinks France à son encontre sans cause réelle et sérieuse,

par conséquent :

– condamner la société Lavazza Professional France (anciennement dénommée Mars Drinks France) à lui payer les sommes suivantes :

– 60 000 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, – 19 962,84 euros d’indemnité compensatrice de préavis,

– 1 996,28 euros d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

– 2 345,98 euros de rappels de salaires,

– 234,59 euros de congés payés sur rappel de salaire,

– 3 438,04 euros d’indemnité légale de licenciement,

– condamner la société Lavazza Professional France (anciennement dénommée Mars Drinks France) à lui payer les sommes suivantes :

– 22 622,63 euros d’heures supplémentaires,

– 2 262,26 euros de congés payés sur heures supplémentaires,

– 39 925,68 euros d’indemnité pour travail dissimulé,

– 1 997,31 euros de contrepartie obligatoire en repos,

– 199,73 euros de congés payés sur contrepartie obligatoire en repos,

– 10 000 euros de préjudice moral et exécution déloyale du contrat de travail,

– 3 000 euros d’article 700 du code de procédure civile,

le tout avec intérêts au taux légal à compter de la saisine prud’homale et capitalisation des intérêts lorsqu’ils seront dus sur une année entière par application de l’article 1154 du code civil,

– ordonner à la société la société Lavazza Professional France (anciennement dénommée Mars Drinks France) de lui délivrer des documents de fin de contrat conformes à l’arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard à compter de la date de notification de l’arrêt à intervenir,

– déclarer mal fondé l’appel incident de la société Lavazza Professional France (anciennement dénommée Mars Drinks France) et l’en débouter,

– déclarer irrecevable, et, en toutes hypothèses, infondée, la demande reconventionnelle de la société Lavazza Professional France de le condamner à lui rembourser la somme de 3 741,74 euros bruts, au titre des jours de récupération pris ou payés,

– débouter la société la société Lavazza Professional France (anciennement dénommée Mars Drinks France) de l’intégralité de ses demandes à toutes fins qu’elles comportent, notamment de ses demandes de le débouter de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions, de le condamner à verser à la SAS Lavazza Professional la somme de 3 741,74 euros bruts au titre des jours de récupération pris ou payés, de le condamner à verser à la société Lavazza Professional France la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, de le condamner aux entiers dépens et de dire que ceux d’appel seront recouvrés par Maître Matthieu Boccon Gibod, Selarl Lexavoue [Localité 4] [Localité 6],

– condamner la société Lavazza Professional France (anciennement dénommée Mars Drinks France) aux dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 18 octobre 2021, la société Lavazza Professional France venant aux droits de la société Mars Drinks France, demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu par la cour de prud’hommes de Bobigny le 31 juillet 2020 et notifié le 3 septembre 2020 (RG n°15/04555), en ce qu’il a dit que le licenciement de M. [M] [O] repose sur une faute grave,

– infirmer ledit jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [M] [O] la somme de 15 600,80 euros au titre du rappel des heures supplémentaires, outre la somme de 1 560,08 euros au titre des congés payés afférents,

– infirmer ledit jugement en ce qu’il a ordonné la capitalisation annuelle des intérêts,

– infirmer ledit jugement en ce qu’il a dit que chacune des parties conservera la charge des dépens exposés,

et statuant de nouveau :

– débouter M. [M] [O] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

à titre subsidiaire :

si par extraordinaire la cour d’appel venait à entrer en voie de condamnation à son encontre au titre des heures supplémentaires supposément accomplies par M. [M] [O], de :

– conformément à l’article 70 du code de procédure civile, déclarer recevable sa demande reconventionnelle,

– condamner M. [M] [O] à lui rembourser la somme de 3 471,74 euros bruts, au titre des jours de récupération pris ou payés en compensation des heures supplémentaires que le salarié a effectuées au-delà de 40 heures hebdomadaires, devenus indus,

en tout état de cause :

– condamner M. [M] [O] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, et dire que ceux d’appel seront recouvrés par Maître Matthieu Boccon Gibod, Selarl Lexavoue [Localité 4] [Localité 6], conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 10 janvier 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 24 février 2023.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

Pour plus ample exposé, il est renvoyé aux écritures déposées par les parties et réitérées oralement à l’audience.

MOTIFS DE L’ARRET

I. Sur les heures supplémentaires

. Sur l’existence d’une convention de forfait

M. [O] à l’inverse de la société Lavazza Professional France, estime qu’il n’existe aucune convention de forfait licite.

Sur ce,

L’article L. 3121-53 du code du travail autorise une forfaitisation de la durée du travail en heures ou en jours dans certaines conditions. Il s’agit d’une disposition afférente aux modalités de décompte du temps de travail qui n’a pas d’incidence sur la solution du litige, la question débattue étant relative à l’existence d’une convention forfaitaire de salaire.

De même l’article R. 3243-1 du même code qui indique que le bulletin de paie doit mentionner « la nature et le volume du forfait auquel se rapporte le salaire des salariés dont la rémunération est déterminée sur la base d’un forfait hebdomadaire ou mensuel en heures, d’un forfait annuel en heures ou en jours » est un article afférent au décompte de la durée du travail, inopérant en l’espèce.

La rémunération forfaitaire s’entend d’une rémunération convenue entre les parties au contrat de travail soit pour un nombre déterminé d’heures supplémentaires, soit pour une durée de travail supérieure à la durée légale. La fixation d’un forfait ne peut résulter que d’un accord particulier entre l’employeur et le salarié.

La preuve de l’existence d’une convention de forfait incombe à celui qui l’invoque, dans le cas d’espèce, à l’employeur.

Est exigé notamment, que soit déterminé le nombre d’heures supplémentaires inclus dans cette rémunération.

Le contrat de travail stipule :

en page 2 :

‘DUREE DU TRAVAIL :

‘Monsieur [M] [O] exercera ses fonctions selon la durée du travail applicable à sa fonction, en vigueur dans la société, à savoir 35h00′ (page 2) ;

Ø Page 3 :

BASE DE VOTRE REMUNERATION

a. salaire de base mensuel brut 3496,50 euros

b. salaire de base mensuel brut y inclus la prime d’assiduite-ponctualité GTB 3 846,15 euros

c. salaire de base annuel brut y inclus la prime d’assiduité-ponctualité (GTB) 50 000 euros

et 13ème mois

REMUNERATION FORFAITAIRE :

“Le salaire convenu tient compte forfaitairement des éventuels dépassements d’horaires (au-delà des limites de report du système d’horaire variable dont Monsieur [M] [O] bénéficie) inhérents à la nature de ses fonctions et des responsabilités confiées à Monsieur [M] [O], dans la limite du contingent annuel d’heures supplémentaires applicable à notre activité.

La convention de forfait de Monsieur [M] [O] est limitée à 40 heures de temps de travail effectif par semaine civile.’

Cette disposition, conformément à ce qui est exigé, caractérise donc une convention de forfait pour un nombre de 5 heures supplémentaires.

À l’inverse de ce que soutient le salarié, il ne sera pas retenu que le document intitulé “documentation afférente aux horaires variables” introduit une incertitude sur le quota d’heures supplémentaires compris dans cette convention de forfait qui seule a été valablement conclue entre les parties dans le contrat de travail et qui sera donc considérée comme licite.

. Sur le paiement des heures supplémentaires

Pour s’opposer au paiement d’heures supplémentaires, l’employeur prétend que le salarié ‘bénéficie d’un système de récupération de son temps de travail, octroyé en jours de repos’.

Il soutient que la société a mis en place par engagement unilatéral, un système de récupération du travail pour les cadres, pour toute heure de travail supplémentaire effectué au-delà de 40 heures. Il en veut pour preuve sa pièce 47 intitulée ‘Personal Practices Manual ‘ Récupération de travail ‘ Collaborateurs cadres sédentaires’.

Il prétend que M. [O] a régulièrement posé des jours de congés au titre des jours de récupération du temps de travail des cadres (pièces 43 et 44). Il entend faire valoir que M. [O] n’a jamais voulu se soumettre à la règle imposée à l’ensemble des salariés de pointer, quel que ce soit leur niveau hiérarchique dans l’entreprise. L’intimée relève en outre des incohérences entre l’agenda du salarié (et son récapitulatif de son temps de travail), les mentions de congés ou de jours fériés qui y figurent, et ses bulletins de paie.

La société sollicite en conséquence l’infirmation du jugement en ce qu’il a jugé au titre du paiement des heures supplémentaires et, à défaut, le remboursement de la somme de 3 471,74 euros bruts, au titre des jours de récupération pris ou payés en compensation des heures supplémentaires que le salarié a effectuées au-delà de 40 heures hebdomadaires, devenus indus.

M. [O] sollicite au contraire la condamnation de la société Lavazza Professional France à lui payer les sommes suivantes :

– 22 622,63 euros d’heures supplémentaires effectuées au delà de 35 heures,

– 2 262,26 euros de congés payés sur heures supplémentaires,

– 1 997,31 euros de contrepartie obligatoire en repos,

– 199,73 euros de congés payés sur contrepartie obligatoire en repos.

Le calcul du salarié correspond aux heures supplémentaires effectuées chaque semaine entre 35 et 40 heures dont il a obtenu paiement en première instance, et à celles effectuées en plus de 40 heures, au sujet desquelles il considère avoir apporté des éléments suffisamment précis, l’employeur n’ayant pas fourni ceux de nature à justifier des horaires effectivement réalisés.

Il précise qu’il a dû plusieurs fois annuler ses congés et travailler des jours fériés, les bulletins de salaire étant dès lors inexacts. Il estime apporter la preuve de dépassements réguliers des horaires habituels de travail grâce à ses agendas et courriers.

M. [O] soulève sur le fondement de l’article 910-4 du code de procédure civile l’irrecevabilité de la demande reconventionnelle de la société Lavazza Professional France qui n’a été formée que dans ses conclusions n°2 déposées le 18 octobre 2021, tendant au remboursement de la somme de 3 471,74 euros bruts, au titre des jours de récupération pris ou payés en compensation des heures supplémentaires que le salarié a effectuées au-delà de 40 heures hebdomadaires, devenus indus. Il en conteste aussi le bien fondé.

Il sollicite également la contrepartie obligatoire en repos de ces heures supplémentaires ainsi que les congés payés afférents.

Sur ce,

Le salarié ne peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires effectuées dans le cadre du forfait, mais l’existence d’une convention de forfait ne prive pas le salarié du paiement des heures supplémentaires accomplies en sus du forfait convenu.

Au regard de la solution donnée au litige sur la licéité de la convention de forfait figurant dans le contrat de travail, M. [O] doit être débouté de sa demande correspondant aux heures supplémentaires effectuées chaque semaine entre 35 et 40 heures dont il a obtenu paiement en première instance, le jugement querellé devant en conséquence être infirmé en ce qu’il a jugé à ce titre.

Il apparaît en revanche fondé, pour peu qu’il apporte des éléments suffisamment précis, à réclamer le paiement des heures supplémentaires accomplies en plus de ses 40 heures hebdomadaires.

L’article L. 3171-4 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à étayer les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié au soutien de sa demande, le juge forge sa conviction, après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, M. [O] produit en pièces 41 et 42 ses décomptes, agenda et courriers dont il ressort qu’il ne comptabilise plus de jours fériés dont il admet qu’ils n’ont pas été travaillés. Il fournit donc des éléments suffisamment précis et de nature à étayer sa demande.

Il incombe donc à son employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments, ce qu’il ne fait pas, se contentant d’une critique ponctuelle et très insuffisante des éléments de preuve produits par son salarié.

Aux termes de son contrat de travail, M. [O] n’a pas d’obligation de pointer mais le contrôle du temps de travail peut être effectif de la part de l’employeur par d’autres moyens.

S’il ressort des dispositions du contrat de travail que ‘conformément aux règles établies dans l’entreprise, (…) Les heures effectuées au-delà de ce forfait donneront lieu à Récupération de Travail, selon les modalités prévues dans la Société’, qu’il résulte de l’accord conclu par le comité d’entreprise le 20 décembre 1999 (pièce 47 de l’intimée) une conversion en temps de toutes les heures supplémentaires effectuées au delà de 40 heures, l’article 3 de cet accord étant rédigé dans les termes qui suivent :

‘La Récupération de Travail est alimentée par la conversion en temps de toutes les heures supplémentaires, effectuées au-delà de 40h00 de temps de travail effectif, décomptées par semaine civile, soit du lundi 00h00 au dimanche 24h00. Cette conversion est obligatoire’,

il reste que l’employeur par aucune des pièces qu’il cite (pièces 43, 44), n’apporte pas de preuve que M. [O] a bénéficié de ces Récupérations de Travail. La monétisation qui apparaîtrait sans que la mention soit explicite, sur le solde de tout compte au moment de la rupture de la relation de travail, ne permet pas davantage de rapporter cette preuve en l’absence d’un décompte clair et justifié de ces jours de Récupération de Travail en contrepartie des heures supplémentaires effectuées au delà du forfait au sujet desquelles le salarié par son décompte, a apporté des éléments de preuve suffisamment précis, non formellement contredits par des pièces de la société ; le jugement sera donc réformé en ce sens et il sera accordé à M. [O] les sommes de 7 021,83 euros et 702,18 euros de congés payés à ce titre, calculées en proportion des heures supplémentaires accordées.

Une contrepartie obligatoire en repos est due pour les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel, lequel, en l’absence d’accord, est fixé par décret (en l’espèce 220 heures) et doit s’ajouter à la rémunération des heures au taux majoré. M. [O] doit donc également en bénéficier à hauteur d’une somme calculée toujours en proportion des heures supplémentaires accordées au delà du forfait de 620 euros, outre 62 euros de congés payés sur contrepartie obligatoire en repos.

Des articles L. 8221-3, 8221-5 et 8223-1 du code du travail, il résulte qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en mentionnant intentionnellement sur un bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Il est constant que l’employeur n’a pas porté sur les bulletins de salaire le nombre exact d’heures travaillées par son salarié puisqu’il a omis d’y faire figurer les heures supplémentaires finalement accordées. Cependant, le caractère intentionnel de cette dissimulation au regard notamment de la complexité des dispositions du contrat de travail conjuguées à celles de l’accord collectif, ne peut résulter du caractère incomplet des mentions sur les bulletins de salaire qui ont été renseignés par un nombre insuffisant d’heures de travail effectif et ne peut donc être considéré comme établi en l’espèce. M. [O] sera en conséquence débouté de sa demande au titre d’un travail dissimulé.

Concernant la demande reconventionnelle en remboursement de la somme de 3 471,74 euros au titre des jours de récupération formée par la société Lavazza Professional France dans l’hypothèse de sa condamnation à payer des heures supplémentaires, il sera retenu que cette demande n’apparaît que dans son deuxième jeu de conclusions notifiées le 18 octobre 2021 devant la cour, alors que M. [O] avait demandé à être payé de ses heures supplémentaires déjà devant le conseil de prud’hommes, puis dans son premier jeu de conclusions déposées le 31 décembre 2020 devant la cour, de sorte qu’en application de l’article 910-4 du code de procédure civile dont il résulte que l’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué, cette demande est irrecevable.

II – Sur le licenciement

La lettre datée du 20 juillet 2015 adressée par la société Lavazza Professional France à M. [O] par laquelle , elle lui a notifié son licenciement pour faute grave est rédigée dans les termes qui suivent :

“Nous faisons suite à l’entretien préalable fixé au 16 juillet 2015, auquel nous vous avions convoqué par courrier remis en main propre contre décharge en date du 6 juillet 2015.

Nous sommes au regret de vous informer de notre décision de procéder à votre licenciement pour faute grave en raison des faits décrits ci-après.

Vous avez été recruté le 04 mars 2013 au sein de Mars Drinks France afin d’occuper le poste de Contrôleur Financier (“S&F Controller”). Dans le cadre de ces fonctions, vous aviez la responsabilité de vous assurer de la conformité des comptes de la société, tant par rapport aux lois et règlementations en vigueur, que par rapport aux réalités de notre activité.

A l’occasion d’un contrôle opéré au début du mois de juin 2015, il est apparu de graves anomalies dans la comptabilité de la société, qui remettent en cause la sincérité et la véracité de nos comptes. Ces graves anomalies ont conduit notre commissaire aux comptes à refuser d’approuver nos comptes le 25 juin 2015 et nous ont obligés à faire auditer ceux-ci par notre expert-comptable.

Il ressort de cet audit et de notre enquête interne que ces anomalies ont été rendues possibles par la grave négligence dont vous avez fait preuve dans le suivi et le reporting financier.

En premier lieu, il apparait que la valeur des ventes nettes pour notre branche d’activité ” Fully Managed Service ” (” FMS “) a fait l’objet de doubles saisies comptables pour un montant de 450 000 euros en 2014. Cette erreur nous interdit bien évidemment aujourd’hui de facturer nos clients pour ces sommes fictives et nous obligera à les déduire de nos résultats 2015 – alors que vous auriez dû les détecter avant la clôture de l’exercice 2014.

Par ailleurs, l’audit conduit par notre expert-comptable révèle aujourd’hui que l’activité FMS accumule plus de 790 000 euros de créances impayées – soit des anomalies pour nos clients FMS depuis au moins le début de l’année 2014 – sans que nous puissions savoir s’il s’agit encore d’une double saisie comptable ou d’un défaut de paiement de nos partenaires commerciaux. En tant que Contrôleur Financier, dont la tâche était notamment d’assurer un suivi de nos créances et des encaissements, vous auriez dû détecter ces anomalies avant qu’elles ne s’accumulent. Le recouvrement de ces créances est aujourd’hui très peu probable.

Il ressort de l’audit mené par l’expert-comptable, que vous ne vous êtes pas assuré pour l’année 2014 que les comptes temporaires de transit des stocks avaient été soldés. Il en résulte que de la marchandise normalement inscrite dans ces comptes le temps de leur transit entre notre usine et le marché français (soit 3 à 7 jours en temps normal) y figure encore, pour un montant de plus de 250 000 euros, ce qui va donc nous contraindre à inscrire ces sommes en pertes pour l’exercice 2015.

Toutes ces négligences sont bien évidemment lourdes de conséquences pour notre société. D’une part nous avons été obligés de différer le dépôt annuel de nos comptes suite au refus d’approbation du commissaire aux comptes. D’autre part, sur la base de résultats erronés, la société a versé aux salariés un bonus pour l’année 2014 alors même que nous n’étions pas en croissance – ce que les erreurs que vous avez laissées passer dans la comptabilité ont conduit à croire.

Une telle accumulation d’erreurs comptables a été rendue possible par le manque de rigueur dont vous avez fait preuve dans le contrôle de la comptabilité, mais aussi par votre incapacité à mettre en place un suivi financier conforme aux standards de gouvernance applicables au sein du groupe Mars.

Au-delà du suivi comptable technique, cette attitude négligente a également prévalu dans le suivi financier des opérations commerciales. C’est ainsi que l’audit révèle que les clients FMS qui devraient normalement être directement facturés par Mars Drinks ne le sont pas du tout, ou pas correctement. Cela entraîne le rejet des factures émises et un manque à gagner supplémentaire. La demande d’un processus de suivi clair vous avait pourtant été faite.

Le 2 juin dernier, nous nous sommes rendu compte que le modèle d’évaluation des coûts que vous avez fourni aux commerciaux pour fixer le montant des propositions commerciales, était incomplet et ne tenait pas compte de nombreux postes de dépenses. Notre société a donc conclu des contrats à perte au cours de l’année écoulée. Vous n’avez modifié ce modèle qu’en juin de cette année, bien trop tard.

Enfin, nous constatons qu’au cours de votre mise à pied, vous avez cru bon d’effacer l’ensemble des emails de votre boîte professionnelle, ainsi que le contenu de votre ordinateur, alors même que, sauf exceptions, des données sont présumées avoir un caractère professionnel et appartiennent à Mars Drinks.

Les faits qui vous sont reprochés constituent une faute grave qui justifie la rupture immédiate de votre contrat de travail, sans préavis ni indemnité de rupture.(…)”

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible immédiatement le maintien du salarié dans l’entreprise.

Il appartient à l’employeur d’apporter la preuve de la gravité des faits fautifs retenus et de leur imputabilité au salarié.

Par ailleurs, en vertu de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales, l’employeur ayant à charge de rapporter la preuve qu’il a eu connaissance des faits fautifs moins de deux mois avant le déclenchement de la procédure de licenciement.

Au regard des règles ainsi exposées, c’est donc les fautes alléguées révélées en juin 2015 qui peuvent permettre de caractériser la faute grave que l’employeur doit démontrer.

Plus précisément, il ressort de la lettre de licenciement que l’employeur s’en tient en effet à la faute grave de son salarié qu’il s’emploie à caractériser par les faits suivants qui auraient été révélés par un contrôle opéré au début du mois de juin 2015 et laissant apparaître une ‘grave négligence (…) dans le suivi et le reporting financier’ :

– doubles saisies comptables pour un montant de 450 000 euros en 2014,

– plus de 790 000 euros de créances impayées dans la branche FMS depuis au moins le début de l’année 2014 sans qu’il soit possible de savoir s’il s’agit encore d’une double saisie comptable ou d’un défaut de paiement des partenaires commerciaux,

– une absence de vérification que les comptes temporaires de transit des stocks avaient été soldés,

autant de faits que l’employeur résume par un ‘manque de rigueur dont (vous) avez fait preuve dans le contrôle de la comptabilité, mais aussi par (votre) incapacité à mettre en place un suivi financier conforme aux standards de gouvernance applicables au sein du groupe Mars’.

L’employeur relate encore :

– dans le suivi financier des opérations commerciales, un défaut de facturation des clients FMS ou une facturation incorrecte,

– un modèle d’évaluation incomplet fourni aux commerciaux pour fixer le montant des propositions commerciales.

Il résulte de l’article L. 1232-6 du code du travail que c’est le motif de la rupture mentionné dans la lettre de licenciement qui détermine le caractère disciplinaire ou non du licenciement.

En l’espèce, une faute grave est reprochée à M. [O].

L’insuffisance professionnelle peut être fautive et relever de la sphère disciplinaire si « elle procéde d’une abstention volontaire ou d’une mauvaise volonté délibérée ».

La preuve de la persistance du salarié dans son comportement est un élément déterminant pour retenir qu’une insuffisance professionnelle a un caractère fautif.

Or dans le cas d’espèce, il sera considéré qu’en l’absence notamment, de mise en garde préalable avant le 27 mai 2015 (mail de Mme [K], pièce 8) sur les manquements de M. [O] qui lui aurait été adressée par son employeur, aucune conséquence n’ayant été tirée à cet égard notamment du rapport d’audit des comptes 2013, les faits ainsi relatés ne permettent pas de retenir une mauvaise volonté délibérée du salarié ou son abstention volontaire, qui sont autant de critères exigés pour caractériser la faute grave.

Les échanges de mails le 12 juin 2015 confortent au contraire une confiance mutuelle entre les responsables de la société et leur salarié dont l’attitude volontairement fautive ne peut être retenue et ce d’autant qu’à cette date, c’est lui qui informe la direction des anomalies constatées (pièce 10 de l’intimée).

Il sera ajouté que si l’insuffisance professionnelle à condition d’être motivée en ces termes, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, peut constituer une cause légitime de licenciement, elle se distingue de la faute. Le licenciement litigieux qui a été prononcé à titre disciplinaire pour des faits ne pouvant relever que d’une insuffisance professionnelle non fautive, sera donc déclaré sans cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs, M. [O] est soupçonné d’avoir volontairement effacé les données figurant sur son ordinateur, mails et fichiers, pendant la mise à pied, ce qu’il conteste fermement, indiquant qu’il a seulement récupéré ses données personnelles et les données professionnelles utiles à sa défense comme il y avait été autorisé par la directrice des ressources humaines.

Des échanges de mails entre la direction de l’entreprise et les services informatiques tendent à prouver qu’après leur destruction, le 13 juillet 2015, l’employeur demande aux services informatiques de récupérer ces fichiers et ces mails disparus. M. [O], il le rappelle dans ces conclusions, connaît l’existence de ces sauvegardes informatiques qui sont un procédé classique en entreprise et qui rendaient vaine leur éventuelle tentative de destruction, dont la preuve du caractère volontaire n’est au surplus pas rapportée, de sorte que la société Lavazza Professional France ne peut caractériser ainsi une faute de sa part.

Dans ces conditions, M. [O] doit être indemnisé. Il est observé que la société Lavazza Professional France à l’exception des dommages et intérêts réclamés pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu’elle considère comme ‘hors de toute proportion’ au regard de son ancienneté et de l’absence d’élément sur sa situation actuelle, ne critique ni le salaire moyen mensuel de 6 654,28 euros ni les sommes demandées.

Il sera donc accordé à M. [O] les sommes suivantes :

– en application de la clause relative à la ‘rupture du contrat’ figurant en page 5 du contrat de travail, une indemnité compensatrice de préavis de trois mois, soit 19 962,84 euros et 1 996,28 euros de congés payés,

– en l’absence de faute grave la mise à pied n’étant pas justifiée, la somme de 2 345,98 euros, outre 234,59 euros de congés payés y afférents,

– en application des articles L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail selon lequel ‘L’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté’, la somme de 3 438,04 euros à ce titre,

– au regard de son ancienneté, 20 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

M. [O] ne justifiant pas d’un préjudice indépendant de ceux déjà indemnisés, il sera débouté de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral et exécution déloyale du contrat.

III. Sur les demandes accessoires

Les sommes accordées le sont avec intérêts au taux légal à compter de la saisine prud’homale et capitalisation des intérêts lorsqu’ils seront dus sur une année entière par application de l’article 1154 du code civil.

Partie perdante, la société Lavazza Professional France sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, sans distraction. Elle sera déboutée de sa demande formée au titre de ses frais irrépétibles.

L’équité justifie la condamnation de la société Lavazza Professional France à payer à M. [O] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La remise d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et de bulletins de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s’impose sans qu’il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance de la société Lavazza Professional France n’étant versé au débat.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement déféré,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT le licenciement prononcé par la société Mars Drinks France aux droits de laquelle vient la société Lavazza Professional France à l’encontre de M. [M] [O] sans cause réelle et sérieuse,

DÉCLARE irrecevable la demande reconventionnelle de la société Lavazza Professional France tendant à voir condamner M. [M] [O] à lui rembourser la somme de 3 471,74 euros bruts, au titre des jours de récupération pris ou payés en compensation des heures supplémentaires,

CONDAMNE la société Lavazza Professional France à payer à M. [M] [O] les sommes de :

– 2 345,98 euros à titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire,

– 234,59 euros au titre des congés payés y afférents,

– 7 021,83 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires,

– 702,18 euros au titre des congés payés y afférents,

– 19 962,84 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 1 996,28 euros au titre des congés payés y afférents,

– 3 498,04 euros à titre d’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement,

– 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

le tout avec intérêts au taux légal à compter de la saisine prud’homale et capitalisation des intérêts lorsqu’ils seront dus sur une année entière par application de l’article 1154 du code civil,

CONDAMNE la société Lavazza Professional France à payer à M. [M] [O] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

ORDONNE la remise par la société Lavazza Professional France à M. [M] [O] d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et d’un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans le mois suivant son prononcé,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la société Lavazza Professional France aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x