Heures supplémentaires : 20 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/02193

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Heures supplémentaires : 20 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/02193
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 7

ARRET DU 20 AVRIL 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02193 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBTKF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Novembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de BOBIGNY – RG n° F15/04644

APPELANTE

Madame [D] [W] épouse [P]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Delphine ZOUGHEBI, avocat au barreau de PARIS, toque : G0445

INTIMEE

Société TREMA – exerçant sous le nom commercial : COMEP

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Eric ALLERIT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241

PARTIE INTERVENANTE

POLE EMPLOI ILE-DE-FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Véronique DAGONET, avocat au barreau de VAL DE MARNE, toque : PC3

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre, chargée du rapport et Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre,

Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre,

Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR.

ARRET :

– CONTRADICTOIRE,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre et par Madame Marie-Charlotte BEHR, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Mme [D] [P] a été engagée par la société TREMA – cabinet d’Expertise-Comptable «COMEP» par contrat à durée indéterminée à compter du 5 novembre 2012 en qualité de collaboratrice, niveau IV, coefficient 220, pour une rémunération de base brute de 2.775 euros en dernier lieu.

La société emploie moins de onze salariés et applique la convention collective des Cabinets d’Experts-comptables et Commissaires aux comptes.

Mme [P] a été placée en arrêt maladie durant sa grossesse du 26 au 30 mai 2015, puis du 2 au 31 juillet 2015 et enfin du 25 août 2015 au 30 septembre 2015. Elle a été ensuite en congé pathologique du 15 octobre au 28 octobre 2015 puis en congé maternité du 29 octobre 2015 au 18 février 2016.

Elle a repris le travail le 19 février 2016 et a été à nouveau arrêtée du 19 février 2016 au 26 février 2016. Reprenant son poste le 29 février, elle a été arrêtée à compter du 1er mars 2016 jusqu’à la rupture du contrat.

Durant la relation contractuelle, Mme [P] a été convoquée à plusieurs entretiens préalables à une mesure disciplinaire et a fait l’objet de plusieurs mises à pied, notifiées les 8 juillet, 6 août, 14 septembre et 2 novembre 2015.

S’estimant victime de harcèlement moral, Mme [P] a saisi le Conseil de prud’hommes de Bobigny par requête en date du 26 octobre 2015.

Le 11 mars 2016, Mme [P] a été convoquée à un nouvel entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 22 mars 2016. Le 1er avril 2016, Mme [P] a été licenciée pour cause réelle et sérieuse.

Par un jugement de départage en date du 4 novembre 2019, notifié le 13 février 2020, le conseil de prud’hommes de Bobigny a :

– dit nulles les mises à pied pour motif disciplinaire notifiées par la société TREMA à Mme [D] [P] par courriers recommandés des 8 juillet, 6 août, 14 septembre et 2 novembre 2015,

– condamné la société TREMA à payer à Mme [D] [P] la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– condamné la société TREMA à payer à Mme [D] [P] la somme de 800 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société TREMA au dépens,

– ordonné l’exécution provisoire,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Le 9 mars 2020, Mme [P] a interjeté appel de la décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par RPVA le 29 octobre 2020, Mme [P] demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit nulles les mises à pied disciplinaires,

– l’infirmer pour le surplus,

Y ajoutant :

– condamner la société COMEP à lui verser la somme de 1.602,77 euros au titre des rappels sur heures supplémentaires, outre 160,27 euros au titre des congés payés y afférents,

– condamner la société COMEP à lui payer la somme de 500 euros par mises à pied injustifiées à titre de dommages-intérêts, soit la somme de 2.000 euros,

– constater le harcèlement moral,

– condamner la société COMEP à lui verser la somme de 20.000 euros au titre du harcèlement moral,

– condamner la société COMEP à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail,

– enjoindre la société COMEP de remplir les documents nécessaires pour qu’elle puisse bénéficier des sommes qui lui sont dues au titre de la prévoyance sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir,

– dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En conséquence :

– condamner la société COMEP à lui verser la somme de 49.950 euros (18 mois) au titre de l’indemnité de licenciement abusif,

– condamner la société COMEP à lui remettre un bulletin de paie et une attestation POLE EMPLOI conformes, sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir,

– ordonner que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud’hommes de Bobigny, avec capitalisation des intérêts ;

– condamner la société COMEP à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– débouter la société TREMA de l’ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire :

– confirmer le jugement entrepris.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par RPVA le 9 août 2022, la société TREMA (nom commercial COMEP) demande à la cour de :

– déclarer Mme [P] mal fondée en son appel, l’en débouter,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [P] de ses demandes, en particulier de sa demande de rappels sur heures supplémentaires et congés payés y afférents ; de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ; de sa demande d’enjoindre à la société TREMA de remplir les documents nécessaires pour qu’elle puisse bénéficier des sommes qui lui sont dus au titre de la prévoyance et ce sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ; d’indemnité pour licenciement abusif ;

– la recevoir en son appel incident, y faisant droit :

– infirmer le jugement en ce qu’il a :

dit nulles les mises à pied pour motif disciplinaire notifiées par courriers recommandés des 08 juillet, 06 août, 14 septembre et 02 novembre 2015 ;

condamné la société TREMA à payer la somme de 4.000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

condamné la société TREMA à payer la somme de 800,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

condamné la société TREMA aux dépens ;

– décharger en conséquence la société TREMA de toutes condamnations ;

– condamner Mme [P] au paiement de la somme de 2.000,00 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner Mme [P] aux entiers dépens de première instance et d’appel dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Laurence Taze-Bernard conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions d’intervention volontaire adressée au greffe par RPVA le 2 août 2021, Pôle emploi, intervenant volontaire, demande à la cour de :

– la juger recevable et bien fondée en sa demande,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il qualifie le licenciement de dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

– condamner la société TREMA à lui verser la somme de 2.703,40 euros en remboursement des allocations chômage versées au salarié,

– condamner la société TREMA à lui verser la somme de 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens

Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

L’instruction a été déclarée close le 21 septembre 2022.

MOTIFS

Sur les heures supplémentaires

Mme [P] soutient qu’elle a été engagée à raison de 151,67 heures mensuelles, soit 35 heures par semaine et que compte-tenu de la charge importante de travail, elle a régulièrement effectué des heures supplémentaires non rémunérées.

La société conteste l’exécution d’heures supplémentaires.

De manière générale, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

A l’appui de sa demande, Mme [P] produit :

– l’ensemble des journaux d’activité établi mensuellement par la société COMEP, dont il ressort selon elle l’exécution d’heures supplémentaires se décomposant comme suit :

pour l’année 2012 : 4,50 heures supplémentaires,

pour l’année 2013 : 22,50 heures supplémentaires,

pour l’année 2014 : 35 heures supplémentaires,

pour l’année 2015 : 19,50 heures supplémentaires,

soit un total de 81,5 heures supplémentaires pour un rappel de salaire, compte tenu des majorations applicables, de 1.602,77 euros,

– des calendriers sur les années susvisées mentionnant par jour les heures travaillées et par mois le nombre d’heures réelles travaillées par rapport aux heures théoriques,

– ses bulletins de salaire ne mentionnant aucune rémunération pour des heures supplémentaires.

La salariée présente, à l’appui de ses demandes, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement.

La société fait valoir à juste titre que la Convention Collective prévoit la modulation du temps de travail, c’est-à-dire la possibilité de répartir l’horaire de travail inégalement entre les 52 semaines de l’année civile ou de toute autre période de 12 mois consécutifs, avec une durée hebdomadaire moyenne de 35 heures et que le contrat de travail de Mme [P] mentionne à l’article 3 «un horaire hebdomadaire de 35 heures avec annualisation» et à l’article 4 les horaires suivants :

« Période haute : 40,50 heures/semaine

Lundi à Jeudi : de 8h30 à 12h30 et de 13h30 à 18h15

Vendredi : de 8h30 à 12h30 et de 13h30 à 17h30

Période Basse : 35 heures/semaine

Lundi à Vendredi : de 8h30 à 12h30 et de 13h30 à 17h’.

De même, la société justifie par la production des plannings annuels qu’en contrepartie des heures supplémentaires effectuées en période haute, il est attribué des jours de RTT aux salariés, et en particulier tous les ponts.

En deuxième lieu, la société produit plusieurs attestations de salariés affirmant ne jamais avoir vu Mme [P] rester le soir au-delà de ses horaires.

En troisième lieu, elle fait valoir à juste titre que les journaux d’activité produits aux débats ne sont pas des relevés de temps passé mais des relevé d’heures ayant pour objectif de suivre l’évolution d’un dossier client en volume horaire d’une année sur l’autre. Mme [H] secrétaire précise que pour simplifier la saisie, il n’est pas saisi de temps inférieur à 0,25 heures (15 minutes), ce qui produit un cumul mensuel supérieur aux heures réellement effectuées du fait de cet arrondi.

Enfin, la société justifie que lesdits relevés d’heures permettent seulement de suivre l’évolution du portefeuille, en cumulant les heures de plusieurs collaborateurs sur ‘le même code collaborateur’ puisque le relevé d’heures au nom de Mme [P] génère des heures à des périodes où elle était absente (septembre 2015 à décembre 2015 notamment).

Il ressort ainsi des pièces produites de part et d’autre que Mme [P] n’a pas accompli d’heures supplémentaires au delà de celles prévues dans le cadre de la modulation et qui ont déjà fait l’objet d’une contrepartie.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur les mises à pied disciplinaires

La société conteste l’annulation des quatre mises à pied successivement notifiées à la salariée qui reposaient sur un manquement à ses obligations professionnelles.

Mme [P] conteste la réalité des griefs invoqués et en tout état de cause considère les sanctions comme disproportionnées.

Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

En application de l’article L.1333-1 du code du travail, en cas de litige, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L’employeur fournit au juge les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Mme [P] a été embauchée en qualité de collaboratrice Niveau IV, coefficient 220 de la Convention Collective des Cabinets d’Experts-comptables et Commissaires aux comptes. Cette qualification est définie comme suit : « Complexité des tâches et responsabilité : Travaux d’exécution comportant une part d’initiative professionnelle dans le traitement de l’information. L’assistant se fait aider occasionnellement par des assistants de niveau inférieur et contrôle les tâches qu’il a déléguées». Selon sa classification conventionnelle, Mme [P] avait pour mission d’assurer le suivi comptable, fiscal et social d’un portefeuille de clients.

Les quatre mises à pied ont été adressées pour les faits suivants :

– mise à pied du 8 juillet 2015 : avoir caché à la Direction, et ce jusqu’au 30/04/2015 le fait de ne pas être en mesure de terminer sa période fiscale dans les délais réglementaires alors que dès le début mars elle en avait conscience ;

– mise à pied du 6 août 2015 : avoir caché à la direction, et ce jusqu’à ce que le client M. [M] téléphone, l’absence de réalisation avant le 31/12/2014, de son ‘AGOA’ dont la limite de dépôt au greffe du Tribunal de commerce était au 31/01/2015 ;

– mise à pied du 14 septembre 2015 : inexactitude technique de la réponse proposée sur le dossier M. [K] [I], à savoir que ‘les 5.000 euros restés en rapprochement suite à une erreur qui ne lui serait pas imputable ne correspondaient pas à une simple écriture de trésorerie de compte à compte’ mais résultait en réalité d’une ‘erreur sur le résultat qui était faux’,

– mise à pied notifiée le 2 novembre 2015 : problèmes d’affiliation à une caisse de retraite d’un des clients (BSPP), dont elle avait la charge ayant conduit à ce qu’il paye deux caisses de retraite au lieu d’une.

Mme [P] a contesté chacune de ces sanctions par des courriers motivés des 22 juillet 2015, 2 et 21 septembre 2015 et 5 novembre 2015, aux termes desquels elle réfutait les allégations de son employeur, notamment en lui indiquant que son travail était ralenti d’une part par les relances à effectuer auprès des clients, et d’autre part par un surcroît de travail (27 dossiers au lieu de 21 l’année précédente) ; qu’elle n’a jamais « caché » son oubli qui a consisté seulement à ne pas avoir transmis l’AGOA au client, M. [M] ; que ce n’est pas elle qui a effectué le bilan pour M. [K] [I], mais sa remplaçante ; qu’enfin elle s’était occupée de régulariser la situation auprès des deux caisses de retraite, et ce avant son départ en arrêt maladie, lesdits organismes lui ayant indiqué qu’aucun risque de double paiement n’était possible.

Si la société produit des pièces à l’appui des carences imputées à la salariée, celles-ci sont de nature à caractériser une éventuelle insuffisance professionnelle, étant toutefois rappelé le contexte d’absences régulières de la salariée pour maladie ou grossesse, et non un comportement fautif pouvant être sanctionné sur le terrain disciplinaire.

Ainsi, l’annulation de ces sanctions sera confirmée et comme motivé par le premier juge, il n’y a pas lieu à indemnisation puisque, d’une part, aucune retenue de salaire n’a été opérée par l’employeur et, d’autre part, ces sanctions injustifiées sont également invoquées à l’appui de la démonstration d’un harcèlement moral à son égard.

Sur le harcèlement moral

Mme [P] expose qu’elle a toujours donné entière satisfaction à son employeur mais qu’à compter du mois d’avril 2015 et l’annonce de sa seconde grossesse, la relation de travail s’est dégradée, son employeur ayant commencé à lui faire des reproches sur la qualité de son travail, mais également en lui infligeant un rythme de travail toujours plus soutenu, en lui imposant des délais raccourcis de traitement des dossiers, alors même qu’il avait connaissance de son état de grossesse, en lui confiant des tâches supplémentaires ; qu’en outre, elle a fait l’objet de sanctions injustifiées et d’une mise à l’écart à son retour de congé maternité ; qu’enfin, son employeur n’a pas adressé en temps et en heures les attestations à la CPAM ne permettant pas qu’elle puisse bénéficier du paiement de ses indemnités journalières, ni des indemnités de prévoyance, ces agissements ayant dégradé ses conditions de travail et sa santé.

La société conteste tout agissement caractérisant un harcèlement moral.

L’article L. 1152-1 du code du travail dispose que :

«Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016 applicable en la cause, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de son affirmation, Mme [P] produit :

– les convocations à des entretiens préalables et les quatre mises à pied disciplinaires,

– des SMS de son employeur,

– un mail du 26 mai 2015 à son employeur indiquant : ‘depuis que je suis revenue de mon arrêt, vous me mettez une pression non justifiée en me donnant des taches à faire dans un délai très court’,

– un courrier à son employeur du 5 octobre 2015 indiquant que l’attestation de salaire n’était pas parvenue à la CPAM la privant d’indemnité pendant plus d’un mois,

– un mot laissé par son supérieur à son retour le 19 février 2016 mentionnant :’Pour votre première semaine de reprise après 8 mois d’absence, j’ai sélectionné plusieurs dossiers à remettre à jour rapidement (‘) et vous remettre en jambes (…). Par mesure de praticité, vous occuperez le bureau en face de celui de [T] et [R] conservera votre ancien poste de travail jusqu’à ce que j’en décide autrement. Par ailleurs, je note que ce vendredi vous n’avez effectué aucune des tâches que je vous ai donné, à savoir la reliure de mon dossier urgent (‘) Au travail !’,

– une photo d’une liste des employés de la société avec leur adresse mail et leur ‘pass’ ne mentionnant pas Mme [P], un courrier du 19 février 2016 déplorant la suppression de ses codes de connexion puis un mail du 29 février 2016 depuis sa boîte personnelle constatant à nouveau l’absence d’accès à ses mails professionnels.

L’envoi d’un seul SMS un dimanche ne peut caractériser une pression sur la salariée.

En revanche, comme précédemment développé, il est établi que la société a notifié en quelques mois à Mme [P] quatre mises à pied alors qu’elle se trouvait en partie en congé maternité ou en arrêt de travail sur la période. Il est également établi qu’à son retour en février 2016, la salariée s’est plainte de ses conditions de travail et notamment de l’absence d’accès à sa boîte mails et de son isolement.

Mme [P] justifie également de la dégradation de son état de santé en produisant notamment : un arrêt de travail du 2 juillet au 31 juillet, pour ‘état dépressif lié à un harcèlement professionnel d’après ses dires, à 4 mois de grossesse », un nouvel arrêt de travail du 25 août au 30 septembre en raison d’un « état dépressif », un congé pathologique en rapport avec son état de grossesse à compter du 15 octobre, un nouvel arrêt de travail du 19 février jusqu’au 26 février 2016, puis à compter du 1er mars 2016 jusqu’à son licenciement notifié par courrier du 1er avril 2016.

Les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble avec les éléments médicaux, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

La société soutient que Mme [P] a commis des manquements professionnels à chaque reprise de travail, ce pourquoi elle a reçu des mises à pied disciplinaires à chacun de ses retours. Toutefois, comme précédemment développé, les quatre mises à pied ont été annulées, à défaut de comportements fautifs de la salariée.

S’agissant du document transmis à la salariée le 19 février 2016, s’il appartient à l’employeur d’adresser des consignes de travail à son personnel, le ton employé, avec en outre un changement de poste de travail, caractérisent une pression sur la salariée de retour dans l’entreprise après plusieurs mois d’absence.

S’agissant des codes de connexion, si M. [E], informaticien de la société Monades en charge de la gestion de l’informatique de la société COMEP atteste de la préparation du poste de travail pour le retour de Mme [P], il précise que ‘la messagerie pro d'[D] est restée sur le poste de [R] dans l’attente de la reprise définitive du portefeuille par [D]’.

Concernant l’arrêt du mois d’août 2015, l’employeur reconnaît avoir transmis une photocopie au lieu de l’original à la CPAM, ce qui a privé la salariée d’indemnité jusqu’en novembre et alors qu’exerçant une activité d’expert comptable, il était particulièrement au fait des règles applicables.

Enfin, si le médecin du travail a déclaré la salariée apte à son poste le 19 février 2016, il n’en demeure pas moins qu’elle a fait l’objet de plusieurs arrêts de travail avec le constat d’un état dépressif.

Il en découle que l’employeur ne justifie pas par des éléments objectifs les faits établis par la salariée et le harcèlement moral est ainsi caractérisé.

C’est par une juste appréciation de son préjudice que le conseil de prud’hommes a condamné la société TREMA à verser à Mme [P] la somme de 4.000 euros au titre du harcèlement moral.

Sur la mauvaise exécution du contrat de travail et la discrimination

Mme [P] soutient que le comportement de l’employeur n’a pas permis de préserver sa santé et sa sécurité et qu’alors qu’elle a été placée en arrêt de travail compte-tenu du harcèlement mis en ‘uvre par son employeur, ce dernier a persisté en ne transmettant pas les documents à la CPAM et en la privant du versement des indemnités journalières et de la prévoyance, l’attitude de la société COMEP révélant un lien avec sa grossesse.

L’article L1222-1 du code du travail dispose que «le contrat de travail est exécuté de bonne foi» et l’article L. 1132-1 du code du travail précise qu’aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte en raison notamment de son état de grossesse.

En premier lieu, la société justifie que Mme [P] faisait bien partie du personnel pris en charge par le GAN au titre de la prévoyance et qu’il appartenait à la salariée de lui transmettre des documents notamment une attestation médicale. L’appelante ne justifie pas d’un refus de prise en charge par l’organisme de prévoyance du fait d’un manquement de son employeur. La demande d’injonction sera donc rejetée.

Par ailleurs, le seul fait d’un retard dans la transmission des attestations de salaire permettant le paiement des IJSS ne suffit pas à laisser supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, en raison de la grossesse de Mme [P].

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur la rupture du contrat

Aux termes de la lettre de congédiement du 1er avril 2016, il est reproché à Mme [P] d’avoir :

– lors de sa reprise le 19 février 2016 fait preuve d’une insubordination, à savoir le refus de s’installer au poste assigné, le refus de traiter le dossier Selarl n°80075, le refus d’exécuter les instructions en vue de relier le dossier d’un client,

– puis lors de son retour d’arrêt maladie le 29 février 2016, d’avoir passé à peine 104 écritures sur la journée (dossier Sarl n°40024), soit un volume de travail sans rapport avec celui attendu d’un professionnel de sa qualification (moyenne : 1.500 écritures quotidiennes), d’avoir quitter son poste à 17 heures, alors qu’elle savait se trouver en « période haute ».

Il est donc reproché à Mme [P] son insubordination à l’issue de son congé maternité lors de deux journées le 19 février 2016 puis le 29 février 2016.

La salariée fait valoir que la société se fonde sur les seules journées des 19 février et 29 février afin de tenter de justifier son licenciement alors qu’elle revenait d’un congé maternité, puis de nombreux arrêts maladie au cours desquels l’employeur n’avait cessé de lui adresser des mises à pied injustifiées et constitutives de harcèlement ; qu’en outre, elle conteste les griefs invoqués, soutenant qu’elle n’a pas été mise en mesure par son employeur de reprendre son travail dans des conditions normales, étant encore impactée par le harcèlement moral subi durant sa grossesse.

La société considère au contraire que les griefs sont établis et justifiaient un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

S’agissant du refus de s’installer au poste que le gérant lui avait assigné, Mme [P] qui ne conteste pas ce refus explique que Mme [S], qui le partageait, fumait et produit sur ce point deux attestations d’anciens salariés. Si effectivement, ceux ci ne travaillaient plus au sein de l’entreprise au moment du licenciement, force est de constater que Mme [S] qui a transmis une attestation à son employeur n’a pas confirmé, comme le soutient l’intimée, qu’elle avait arrêté de fumer dans le bureau.

Sur le refus de traiter le dossier Selarl n°80075, la salariée relève à juste titre qu’il n’est pas justifié que ce dossier lui a été confié à son retour, ne figurant pas sur le message laissé le 19 février 2016 par le gérant et l’attestation du client visant la ‘mi-2015″ et non le mois de février 2016.

Sur le refus d’exécuter les instructions en vue de relier le dossier d’un client, Mme [P] reconnaît avoir refusé d’effectuer cette tâche et dans le compte rendu de l’entretien préalable qu’elle a elle-même rédigé, elle précise que s’il lui arrivait de faire des reliures pour ses propres bilans, elle n’en réalisait jamais pour les autres, considérant que cela ne faisait pas partie de ses fonctions. Mme [P] ayant pour mission d’assurer le suivi comptable, fiscal et social d’un portefeuille de clients, les simples travaux d’exécution, telle qu’une reliure, sans ‘une part d’initiative professionnelle dans le traitement de l’information’ ne ressortaient pas de ses tâches.

Ces premiers faits d’insubordination ne sont dès lors pas établis.

Sur la journée du 29 février 2016, outre le fait que la société ne produit aucune pièce démontrant le chiffre de 104 écritures passées sur la journée, elle ne justifie pas plus de la moyenne attendue d’un professionnel de la qualification de Mme [P], mentionnée pour 1.500 écritures quotidiennes.

Enfin, il est reproché à Mme [P] d’avoir le 29 février 2016 quitté son poste à 17 heures, alors que le Cabinet était en « période haute », ce qu’elle ne pouvait ignorer puisque par mail adressé le 23 janvier le planning 2016 avec les périodes hautes et basses avait été adressé à tout le personnel.

Toutefois, ce seul départ anticipé ne peut caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement, qui plus est dans le contexte précédemment décrit.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il avait considéré le licenciement justifié.

La société employant moins de 11 salariés, comme cela ressort de l’attestation à destination de pôle emploi, en application des dispositions de l’article L. 1235-5 du Code du Travail, dans sa version en vigueur à l’époque du licenciement, la salariée peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité calculée en fonction du préjudice subi.

Or, la salariée qui sollicite dix-huit mois de salaire à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive ne produit aux débats aucune pièce sur sa situation postérieure au licenciement. La société produit quant à elle le profil Linkedin de Mme [P] mentionnant un emploi de comptable général au sein de PTC-Fayat Group depuis octobre 2016, soit 4 mois après la fin de son contrat de travail.

Compte tenu également de son âge et de son ancienneté au sein de la société et de la rémunération qui lui était versée, il lui sera alloué la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Eu égard à l’effectif de la société inférieur à 11 salariés, il n’y a pas lieu d’ordonner le remboursement des indemnités à Pôle Emploi.

Sur les demandes accessoires

La société devra remettre à la salariée les documents de fin de contrat conformes à la décision sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une astreinte. Elle supportera les dépens d’appel et devra participer aux frais irrépétibles engagés par la salariée à hauteur de 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de requalification du licenciement,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société TREMA à verser à Mme [P] la somme de 6 000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement abusif,

CONDAMNE la société TREMA à remettre à Mme [P] un bulletin de paie et une attestation Pôle Emploi conformes,

REJETTE la demande d’astreinte,

RAPPELLE que les créances de nature salariale portent intérêts à compter de la convocation de l’employeur devant le Conseil de Prud’hommes et celles à caractère indemnitaire à compter de la décision qui les ordonne ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

DIT n’y avoir lieu à remboursement d’indemnité à Pôle Emploi,

CONDAMNE la société TREMA à verser à Mme [P] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société TREMA aux dépens.

La greffière, La Présidente.

 


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