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COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
1re chambre sociale
ARRET DU 17 MAI 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 19/07951 – N° Portalis DBVK-V-B7D-ONXI
N°23/824
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 25 NOVEMBRE 2019
CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BEZIERS N° RG F17/00373
APPELANT :
Monsieur [H] [G]
[Adresse 4]
[Localité 2] / FRANCE
Représenté par Me PORTES avocat de la SCP LAFON PORTES, avocat au barreau de BEZIERS
INTIMEE :
S.A.S ALLEZ ET CIE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LEXAVOUE MONTPELLIER GARRIGUE, GARRIGUE, LAPORTE, avocat au barreau de MONTPELLIER
Représentée par Me Julia PETTEX-SABAROT de la SELARL MISIA AVOCATS, avocat au barreau de LYON
Ordonnance de clôture du 02 Mars 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 MARS 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre
Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : M. Philippe CLUZEL
ARRET :
– contradictoire
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par M. Philippe CLUZEL, Greffier.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE
Par contrat de travail à durée indéterminée du 30 mai 1991 à effet au 10 juin 1991, M. [H] [G] a été engagé à temps complet par la SAS Allez et Compagnie en qualité de chargé de travaux souterrains.
Le 1er juillet 2000, M. [G] a été promu conducteur de travaux.
A compter du 28 juin 2000, il a exercé les fonctions de conducteur de travaux statut ETAM jusqu’au 1er février 2015, date à laquelle il a exercé les fonctions de responsable service réseau, statut cadre, moyennant une rémunération mensuelle de 3 900 € brut.
La convention collective nationale des cadres des travaux publics du 20 novembre 2015 est applicable.
Par lettre du 22 mai 2017, il a donné sa démission, la rupture intervenant le 22 août 2017 après exécution du préavis.
Par lettre du 16 août 2017, il a dénoncé les pratiques de la direction auprès de l’inspection du travail.
Par requête du 31 août 2017, il a saisi le conseil des prud’hommes de Béziers en vue d’obtenir un rappel de salaire pour heures supplémentaires, l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé, des dommages-intérêts pour harcèlement moral et la requalification de sa démission en prise d’acte de la rupture produisant les effets d’un licenciement nul.
Par jugement du 25 novembre 2019, le conseil de prud’hommes a:
– dit que la démission de M. [H] [G] était sans équivoque et l’a débouté de sa demande de requalification en prise d’acte de rupture aux torts de l’employeur,
– débouté M. [G] de l’intégralité de ses autres demandes comme étant injustifiées et mal fondées,
– dit que l’équité ne commandait pas de faire droit aux dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile de part et d’autre,
– dit que les dépens s’il en est exposés seront supportés par le demandeur.
Par déclaration enregistrée au RPVA le 11 décembre 2019, le salarié a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 9 mars 2020, M. [H] [G] demande à la Cour, au visa des articles L.3171-1, L. 8221-5, L.1152-1 et L.1235-3 du Code du travail, de :
– dire et juger recevable et bien-fondé son appel ;
– réformer en toutes ses dispositions le jugement ;
– dire et juger qu’il a accompli un grand nombre d’heures supplémentaires qui ne lui ont pas été payées, que la SAS Allez et Compagnie s’est rendue coupable de travail dissimulé et qu’il a été victime de harcèlement moral ;
– requalifier sa démission en prise d’acte de la rupture du contrat de travail ;
– dire et juger que la prise d’acte de la rupture produit les effets d’un licenciement nul ;
– condamner la SAS Allez et Compagnie à lui payer les sommes suivantes :
* 16.436,21 €, à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées et non payées du 1er septembre 2014 au 22 août 2017,
* 1.643,62 € à titre de congés payés afférents,
* 27.155,40 € à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
* 30.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du harcèlement moral,
* 100.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
* 53.550,60 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
– condamner la SAS Allez et Compagnie à lui remettre une attestation Pôle emploi et un bulletin de paie rectifiés et conformes à l’arrêt à intervenir sous astreinte de 50 € par jour de retard qui commencera à courir passé un délai de 15 jours suivant la date de signification dudit arrêt ;
– dire et juger que les sommes allouées porteront intérêts, à compter de la réception par la défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, celle-ci valant sommation de payer au sens de l’article 1344-1 du Code civil ;
– condamner la SAS Allez et Compagnie à lui payer la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– la condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Aux termes de ses dernières conclusions enregistrées au RPVA le 5 juin 2020, la la SAS Allez et Compagnie demande à la Cour de :
– confirmer le jugement ;
– sur la demande de rappels d’heures supplémentaires, constater l’absence d’heures supplémentaires non rémunérées au salarié sur la période comprise entre le 1er septembre 2014 et le 31 août 2017 et le débouter de ses demandes présentées à ce titre ;
– sur la demande au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
A titre principal, de constater l’absence d’heures supplémentaires non rémunérées au profit de M. [G] et le débouter en conséquence de ses demandes et, en tout état de cause, qu’il ne démontre pas une quelconque intention de dissimuler des heures de travail et le débouter en conséquence le salarié de sa demande à ce titre ;
A titre subsidiaire, de limiter le montant de l’indemnité forfaitaire à la somme de 22.974,66 € ;
– sur la demande au titre du harcèlement moral, de constater que le salarié ne rapporte pas la preuve de faits laissant présumer l’existence d’agissements de harcèlement moral à son encontre ni que ses conditions de travail auraient altéré sa santé physique ou mentale et le débouter de sa demande de dommage-intérêts à ce titre ;
– sur la demande de requalification de la démission en prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement nul,
A titre principal, de constater l’absence de faits de harcèlement moral à son encontre, l’absence de surcharge de travail et d’heures supplémentaires non rémunérées, dire et juger que sa démission est claire et non équivoque et le débouter de sa demande ;
A titre subsidiaire, de limiter le montant des dommages et intérêts à la somme de 23.400 € et le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 45.263, 22 € ;
– sur la demande à titre d’indemnité compensatrices de congés payés, de constater qu’elle relève de la branche des bâtiments et travaux publics et en conséquence de la caisse de congés payés afférente, qu’elle a régulièrement délivré les attestations afférentes au demandeur et ne saurait être débitrice d’une quelconque indemnité de congés payés, nécessairement dues par la caisse et de le débouter de ses demandes à ce titre ;
Dans tous les cas, de le débouter de sa demande de remise de documents rectifiés, le condamner au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens.
Pour l’exposé des prétentions des parties et leurs moyens, il est renvoyé, conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, à leurs conclusions ci-dessus mentionnées et datées.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 16 novembre 2022.
MOTIFS
Sur le rappel de salaires au titre des heures supplémentaires.
Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du Code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, le salarié soutient avoir accompli du 1er septembre 2014 au 22 août 2017, en sus des 3 heures supplémentaires hebdomadaires compensées par des jours de repos soit au-delà de la 38ème heure de travail, des heures supplémentaires non payées :
– 62 majorées à 25% + 14,5 majorées à 50% en 2014,
-147,75 majorées à 25% + 14,5 majorées à 50% en 2015,
– 145,57 majorées à 25% +18,5 majorées à 50% en 2016,
– 83,25 majorées à 25% + 14,25 majorées à 50% en 2017.
Il explique avoir reconstitué son emploi du temps à partir des courriels professionnels envoyés par ses soins, nécessairement sur le lieu du travail, et verse aux débats les pièces suivantes :
– un décompte précis présenté semaine par semaine avec le détail de chaque jour,
– de multiples courriels,
– des attestations régulières d’ex-collègues de travail qui confirment qu’il était présent au travail vers 6h30 chaque jour car il coupait l’alarme et ouvrait lui-même l’établissement.
Contrairement à ce qu’affirme l’employeur, le décompte produit est suffisamment précis pour lui permettre de répondre.
L’employeur ne verse aux débats aucune pièce susceptible de démontrer qu’il aurait contrôlé la durée de travail du salarié et critique notamment la valeur probante des témoignages produits, ajoutant que la masse des courriels versés aux débats constitue une stratégie destinée à obtenir gain de cause ; ce qui est insuffisant pour contredire le décompte produit.
Le fait que le salarié ait retiré en cause d’appel quelques courriels non professionnels n’a aucune incidence juridique.
Le moyen tiré de ce qu’il ne se serait pas plaint au cours de la relation de travail est inopérant, tout comme celui consistant à relever que le décompte n’avait pas été produit en première instance.
Le moyen tiré de ce que l’employeur n’aurait pas demandé au salarié d’accomplir des heures de travail au-delà de 48 heures ne saurait être retenu dans la mesure où l’employeur ne pouvait ignorer que le salarié travaillait en sus des 3 heures supplémentaires contractuellement prévues, notamment du fait des courriels adressés par le salarié avant 8h00 alors qu’il était censé commencer sa journée de travail à cette heure et qu’aucun élément du dossier ne contredit l’affirmation de celui-ci selon laquelle il n’avait accès à sa messagerie électronique professionnelle qu’à partir de son lieu de travail.
Faute pour l’employeur de produire le moindre document permettant de contredire le décompte du salarié, il y a lieu de faire droit à la demande, soit la somme de 16 436,21 € à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre la somme de 1 643,62 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents.
Sur le travail dissimulé.
La dissimulation d’emploi salarié prévue à l’article L 8221-5 du Code du travail n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a, de manière intentionnelle, omis d’accomplir la formalité relative à la déclaration préalable à l’embauche ou de déclarer l’intégralité des heures travaillées.
L’article L 8223-1 du même Code, dans sa version applicable, prévoit qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié concerné par le travail dissimulé a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l’espèce, au vu de ce qui précède, l’importance du volume des heures supplémentaires établit le caractère intentionnel de l’absence de déclaration de l’intégralité des heures de travail accomplies par le salarié, en sorte qu’il sera fait droit à la demande de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé à hauteur de 27 155,40 € (4 525,90 € après prise en compte des heures supplémentaires non payées X 6 mois).
Sur le harcèlement moral.
Selon l’article L.1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En cas de litige, l’article L.1154-1 du même Code, dans sa rédaction applicable, prévoit que le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l’exitence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, le salarié fait valoir qu’à compter de mai 2016, à l’arrivée du nouveau directeur M. [V] qui devait être secondé à partir de novembre 2016 par M. [K], il a subi un harcèlement moral du fait de nouvelles méthodes de gestion.
Il précise :
– qu’aucun accompagnement n’a été mis en place lors de ces changements de méthodes dans le but d’évincer les salariés les plus anciens dont il faisait partie,
– que les procédures de travail ont été alourdies, ce qui a entraîné une surcharge de travail jusqu’à l’épuisement,
– qu’il a été victime de mépris, critiqué, rabaissé, ridiculisé,
– qu’il lui a été demandé d’écourter son arrêt de travail et de revenir pour procéder à la facturation,
– qu’il a été sanctionné injustement par un avertissement notifié le 16 mars 2017,
– que l’employeur faisait pression sur lui ainsi que sur l’ensemble du personnel ; ce qu’il a dénoncé auprès de l’inspection du travail.
Pour démontrer la réalité de ses allégations, le salarié verse aux débats les pièces suivantes :
– l’attestation régulière de M. [S] [P], comptable, lequel précise que la direction a alourdi les procédures de travail du salarié, lui a imposé des réunions hebdomadaires en sus de ses tâches, lui a demandé d’écourter son arrêt de travail le 21 février 2017, ce qu’il a fait, lui a souvent fait des reproches sur son travail et a fait preuve de mépris à son égard,
– l’attestation régulière de M. [F] [T], responsable de bureau d’études dans l’entreprise, lequel indique avoir entendu en janvier 2017, lors d’une réunion, M. [V] rabaisser le salarié dans ces termes « Vous êtes trop bien payé alors que vous faites un travail niveau chef de chantier », alors qu’en seize ans il a constaté que le salarié ne ménageait pas sa peine et ses heures dans l’intérêt de l’entreprise et exerçait des missions ne relevant pas d’un chef de chantier (ouverture de l’entreprise le matin, conduite des travaux, établissement des devis importants, action commerciale, facturation, suivi des encours),
– l’attestation régulière de Mme [L] [J], ex-conducteur de travaux dans un autre service de l’entreprise, licenciée, laquelle précise
* d’une part, avoir demandé un entretien avec le nouveau directeur en septembre 2016 au cours duquel celui-ci lui avait dit qu’il avait des méthodes efficaces pour les gens comme elle, que personne ne résisterait et que notamment M. [G] serait mis sous pression, qu’il avait déjà commencé, que les résultats étaient plus que probants,
* d’autre part, avoir été témoin lors de réunions de « la violence verbale » utilisée par la nouvelle direction, notamment au cours de la première réunion, MM. [V] et [K] ayant traité le salarié d’incompétent, de moins que rien, lui disant qu’il n’était même pas conducteur de travaux puis au cours de la réunion de facturation fin octobre au cours de laquelle ils ont critiqué l’intéressé en sa présence et sans s’adresser à ce dernier (« c’était des tornades de mots accablants, qui le ridiculisait, face à ces deux dirigeants le combat était inégal. M. [G] était devenu une ombre, le regard baissait, le pas pressé, lorsque je le croisais dans le couloir, il retournait vite se terrer dans son bureau »),
– l’attestation régulière de M. [W] [E], ex-conducteur de travaux, lequel précise avoir entendu lors des réunions hebdomadaires « facturation encaissement » la direction mettre la pression sur le salarié à propos des éventuels écarts entre les prévisions et la réalité en lui disant « tu es responsable de tout », « les papies on va leur couper la tête (M. [G] est grand-père) »,
– l’attestation régulière de M. [U] [N], responsable de service, lequel indique avoir participé à une réunion le 11 mai 2017 au cours de laquelle M. [V] a dit au salarié qui lui demandait de mettre par écrit la ligne de conduite à tenir au sujet des encours et des chiffres : «Cela fait 25 ans que l’on vous paie à rien faire… »,
– la lettre du 16 mars 2017 remise en main propre le même jour mentionnant en objet « Rappel avant sanction » et reprochant au salarié d’avoir acté lors de la réunion de planning du 9 février 2017 la pose de 13 mats ECL sur le chantier [Localité 5] sans avoir au préalable vérifié l’avancée du chantier et la faisabilité de la pose, ce qui avait entraîné pour l’entreprise un surcoût de trois heures de production à perte,
– sa lettre du 16 août 2017 à l’inspection du travail par laquelle il a dénoncé la pression sur le personnel dans le but de signer des ruptures conventionnelles, les licenciements abusifs, le dénigrement permanent à l’égard du personnel et sa décision de démissionner le 11 mai 2017 après avoir été à nouveau rabaissé par le directeur qui lui avait dit que l’entreprise le payait à ne rien faire depuis 25 ans alors qu’il estimait avoir tout donné à l’entreprise,
– la fiche de suivi de l’état de santé du 7 avril 2017 mentionnant une visite à la demande du salarié à l’occasion de laquelle le médecin du travail a indiqué la nécessité de le revoir et la fiche de suivi du 5 juillet 2017 le déclarant inapte, ainsi que les prescriptions médicales d’antidépresseurs à compter de février 2017,
– la copie du dossier médical tenu par le médecin du travail, lequel a d’une part, mentionné des épisodes dépressifs, des troubles du sommeil ainsi qu’un traitement et d’autre part, consigné les déclarations du patient qui a évoqué le 7 avril 2017 une sensation de stress, se sentant surchargé depuis l’arrivée de la nouvelle direction, l’existence de nouvelles procédures plus lourdes et mal expliquées.
Pris dans leur ensemble, les faits ainsi établis, en ce compris les éléments médicaux ‘ surcharge de travail du fait de l’entrée en vigueur de nouvelles procédures de travail sans accompgnement, le nombre accru de réunions au cours desquels le dénigrement et les pressions étaient permanents, le non-respect de l’intégralité de la durée d’un arrêt de travail, la notification d’une sanction disciplinaire le 16 mars 2017 ‘ sont autant d’éléments réitérés laissant présumer une situation de harcèlement moral.
L’employeur rétorque qu’aucun harcèlement moral n’est constitué.
Il fait valoir que MM. [P], [T] et Mme [J] sont en contentieux avec lui, ce qui retire l’impartialité et l’objectivité de leurs témoignages, que celui de M. [N] est contredit par deux salariés présents à la réunion litigieuse, MM. [R] et [K], que les tâches confiées au salarié relevaient de ses fonctions de responsable de service, que les procédures de travail s’appliquaient à tout le personnel et pas seulement à l’intéressé, que le salarié ne prouve pas avoir dû écourter son arrêt de travail en mars 2017 alors qu’il a signé les relevés de pointage à cette période, que le courrier du 16 mars 2017 qu’il n’a d’ailleurs jamais contesté avant la saisine de la juridiction prud’homale, ne constitue pas une sanction disciplinaire et qu’aucun élément du dossier ne permet de retenir un lien de causalité entre les conditions de travail et les effets prétendus sur son état de santé.
Il verse aux débats les pièces suivantes :
– les feuilles de pointage des semaines du 20 au 24 février 2017 et du 27 février 2017 au 3 mars 2017 signées par le salarié mentionnant respectivement qu’il était présent le lundi 20 février 2017 et en arrêt de travail pour maladie le reste de la semaine et qu’il était présent tous les jours de la semaine suivante,
– les formulaires à remplir pour les devis, l’ouverture d’une affaire, la demande de mise à disposition de personnel intérimaire et le contrôle avant facturation du client,
– un tableau du 3 avril 2017 relatif au suivi de la facturation pour le mois précédent dont il résulte que le salarié avait réalisé 55,33% de l’objectif,
– les attestations de MM. [X] [R], responsable du service réseau, et [A] [K], responsable d’exploitation, lesquels attestent de ce que lors de la réunion du 4 mai 2017 regroupant les conducteurs de travaux, ils ont indiqué que les résultats étaient mauvais et le salarié, « agacé », a demandé à M. [V] si ces mauvais résultats voulaient dire que cela faisait 25 ans qu’il était payé à ne rien faire ; ce à quoi il lui avait été répondu « libre à vous vos propos »,
– la liste des entrées et sorties du personnel du 1er janvier 2016 au 30 septembre 2018.
Les imprimés à remplir à partir de 2016 corroborent le fait que de nouvelles procédures ont été mises en place par la nouvelle direction mais ne suffisent pas à démontrer l’existence d’un accompagnement ni l’absence de surcharge de travail ; ce d’autant qu’il résulte de ce qui précède que le salarié a accompli un volume important d’heures supplémentaires.
Les feuilles de pointage signées montrent seulement que le salarié a repris le travail à compter du 27 février 2017 alors que son arrêt de travail devait se poursuivre une semaine mais ne permettent pas de contredire le fait que l’employeur a demandé au salarié de reprendre le travail avant la fin de son arrêt maladie.
Alors que les témoignages produits par le salarié font état d’une réunion tenue le 11 mai 2017, ceux versés aux débats par l’employeur évoquent une réunion du 4 mai 2017, en sorte que les propos rapportés par ces derniers ne sauraient contredire ceux rapportés par les témoins du salarié.
Aucun élément n’est produit par l’employeur en ce qui concerne la réunion d’octobre 2017.
Enfin, la lettre du 16 mars 2017 constitue une sanction disciplinaire au sens de l’article L 1331-1 du Code du travail puisqu’il s’agit d’une mesure, autre que des observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif. Or, l’employeur ne produit aucun élément objectif susceptible de justifier cette sanction.
L’employeur ne prouvant pas que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le harcèlement moral sera retenu.
Il y a lieu de le condamner à payer au salarié la somme de 8 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant du harcèlement moral.
Sur la rupture du contrat de travail.
Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit dans le cas contraire d’une démission.
Les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais constituer des manquements suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle.
Enfin, c’est au salarié et à lui seul qu’il incombe d’établir les faits allégués à l’encontre de l’employeur. S’il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l’appui de la prise d’acte, celle-ci doit produire les effets d’une démission.
En l’espèce, le 22 mai 2017 le salarié a écrit à l’employeur en ces termes :
« Objet ‘ Démission de mon poste.
Monsieur,
Je vous fais part de mon intention de démissionner de mes fonctions de chauffeur poids lourd que j’occupe au sein de votre entreprise depuis le 09 janvier 2017.
Je quitterai mon poste en date du 25-07-2017 puisque une période de préavis de 2 semaines est prévue dans la convention collective des travailleurs de travaux publics. (…) ».
Si le salarié ne fait état d’aucun grief à l’encontre de l’employeur, il a écrit à l’inspection du travail le 16 août 2017 en expliquant avoir démissionné « après un énième rabaissement de la part de M. [V] » qui lui avait dit « le plus naturellement du monde que l’entreprise (le) payait à ne rien faire depuis 25 ans ».
Il résulte de ce qui précède que le salarié était victime de harcèlement moral depuis l’arrivée de la nouvelle direction au cours de l’année 2016. Sa démission intervenue dans ce contexte doit par conséquent s’analyser en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail du fait de manquements graves de la part de l’employeur rendant impossible la poursuite de la relation contractuelle.
Dans ces conditions, le licenciement est nul.
Sur les conséquences pécuniaires de la rupture.
L’article 7,5 de la convention collective applicable stipule que « le montant de l’indemnité de licenciement est calculé selon l’ancienneté du cadre telle que définie à l’article 7.11, en mois de rémunération, selon le barème suivant :
‘ 3/10 de mois par année d’ancienneté, à partir de 2 ans révolus et jusqu’à 10 ans d’ancienneté ;
‘ 6/10 de mois par année d’ancienneté pour les années au-delà de 10 ans d’ancienneté.
L’indemnité de licenciement ne peut dépasser la valeur de 15 mois.
(…)
La rémunération servant au calcul ci-dessus est celle du cadre pour le dernier mois ayant précédé la date de notification du licenciement, augmentée en cas de rémunération variable du 12e du total des sommes ayant constitué cette rémunération au titre des 12 derniers mois précédant la notification.
La rémunération variable s’entend de la différence entre le montant de la rémunération totale du cadre pendant les 12 mois considérés et le montant des appointements correspondant à la durée habituelle de travail reçus par le cadre au cours de ces 12 mois.
Le montant des sommes à prendre en compte est la rémunération brute versée par l’employeur afférente à cette période ».
Il en résulte que, contrairement à ce que soutient l’employeur, dans la mesure où il n’est fait état d’aucune rémunération variable, l’indemnité conventionnelle de licenciement n’est pas égale à la moyenne des salaires versés sur les douze derniers mois ayant précédé la notification du licenciement : elle est égale à 4250,05 €, somme réclamée par le salarié.
Compte tenu de l’âge du salarié (né le 16/12/1968), de son ancienneté à la date du licenciement (plus de 26 ans), du nombre de salariés habituellement employés (au moins 11 salariés), de sa rémunération mensuelle brut après intégration des heures supplémentaires non payées (4 525,90 €) et de l’absence de justificatifs relatifs à sa situation actuelle, il convient de fixer les sommes suivantes à son profit :
– 27 155,40 € au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 53 550,60 € au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement.
Sur les demandes accessoires.
L’employeur devra délivrer au salarié une attestation destinée à Pôle emploi ainsi qu’un bulletin de salaire rectifiés conformément aux dispositions du présent arrêt, sans qu’il soit besoin de prononcer une astreinte.
Les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de l’arrêt.
L’employeur devra rembourser à Pôle Emploi les éventuelles indemnités de chômage payées au salarié dans la limite de deux mois.
Il sera tenu aux dépens de première instance et d’appel.
Il est équitable de le condamner à payer au salarié la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe ;
INFIRME l’intégralité des dispositions du jugement du 25 novembre 2019 du conseil de prud’hommes de Béziers ;
Statuant à nouveau,
DIT que M. [H] [G] a accompli des heures supplémentaires non payées et a été victime du harcèlement moral de la SAS Allez et Compagnie ;
CONDAMNE la SAS Allez et Compagnie à payer à M. [H] [G] les sommes suivantes :
– 16 436,21 € à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires,
– 1 643,62 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents,
– 27 155,40 € au titre de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé,
– 8 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
DIT que la démission de M. [H] [G] s’analyse en une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail et qu’elle produit les effets d’un licenciement nul ;
CONDAMNE la SAS Allez et Compagnie à payer à M. [H] [G] les sommes suivantes :
– 27 155,40 € au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-53 550,60 € au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement ;
DIT que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de l’arrêt ;
CONDAMNE la SAS Allez et Compagnie à délivrer à M. [H] [G] un bulletin de salaire, et une attestation destinée à Pôle Emploi rectifiés conformément aux dispositions du présent arrêt;
DIT n’y avoir lieu de prononcer une astreinte ;
CONDAMNE la SAS Allez et Compagnie à payer à M. [H] [G] la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile;
CONDAMNE la SAS Allez et Compagnie aux entiers dépens de l’instance ;
ORDONNE le remboursement par la SAS Allez et Compagnie à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à M. [H] [G] dans la limite de deux mois ;
DIT que conformément aux dispositions des articles L 1235-4 et R 1235-2 du Code du travail, une copie du présent arrêt sera adressée par le greffe au Pôle Emploi du lieu où demeure le salarié.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT