Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 11 MAI 2023
N° RG 20/02853 –
N° Portalis DBV3-V-B7E-UGUG
AFFAIRE :
[K] [P] [L] [W]
C/
S.A.R.L. AU PAIN
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Décembre 2020 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de VERSAILLES
N° Section : C
N° RG : 18/00777
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Yoann SIBILLE
Me Yann LE PENVEN
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, devant initialement être prononcé le 06 avril 2023 et prorogé au 11 mai 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Madame [K] [P] [L] [W]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Yoann SIBILLE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 664
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/001843 du 07/06/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de VERSAILLES)
APPELANTE
****************
S.A.R.L. AU PAIN
N° SIRET : 441 237 724
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Yann LE PENVEN de la SCP LE PENVEN- GUILLAIN Associés, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0097
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 09 février 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,
Greffier en pré-affectation lors des débats : Domitille GOSSELIN,
Rappel des faits constants
La SARL Au Pain, dont le siège social est situé à [Localité 3] dans le département des Yvelines, exploite le restaurant « La marée de [Localité 3] ». Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants du 30 avril 1997, dite HCR.
Mme [K] [P] [L] [W], née le 30 mars 1982, a été engagée par cette société, selon contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (32h par semaine) à compter du 28 septembre 2016, en qualité de commis de cuisine, moyennant un salaire de 1 353,73 euros outre un avantage en nature (repas).
Après avoir démissionné de son poste le 23 octobre 2018, Mme [W] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles en revendication d’heures supplémentaires par requête reçue au greffe le 23 octobre 2018.
La décision contestée
Par jugement contradictoire rendu le 3 décembre 2020, la section commerce du conseil de prud’hommes de Versailles a :
– dit que l’affaire était recevable en la forme,
– dit et jugé qu’il n’y avait pas lieu à rappel d’heures supplémentaires/complémentaires,
– débouté Mme [W] de l’intégralité de ses demandes, ‘ns et conclusions, présentées à l’encontre de la société Au Pain,
– rejeté les demandes présentées par Mme [W] et la société Au Pain au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– condamné Mme [W] au paiement des dépens de l’instance, en application de l’article 696 du code de procédure civile.
Mme [W] avait présenté les demandes suivantes :
– paiement d’heures supplémentaires : 11 230,38 euros,
– paiement des congés payés afférents : 1 123,04 euros,
– exécution provisoire,
– intérêts légaux sur toutes les demandes en paiement de sommes d’argent,
– article 700 du code de procédure civile : 3 500 euros.
La société Au Pain avait, quant à elle, conclu au débouté de la salariée et sollicité la condamnation de celle-ci à lui verser une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La procédure d’appel
Mme [W] a interjeté appel du jugement par déclaration du 15 décembre 2020 enregistrée sous le numéro de procédure 20/02853.
Par ordonnance rendue le 1er février 2023, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 9 février 2023.
Prétentions de Mme [W], appelante
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 11 mars 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Mme [W] demande à la cour d’appel de :
– condamner la société Au Pain à lui verser une somme de 11 230,38 euros à titre de rappel d’heures complémentaires et 1 123,04 euros de congés payés afférents,
– condamner la société Au Pain à lui verser une somme de 4 000 euros de dommages-intérêts pour non-respect des temps de repos,
– condamner la société Au Pain à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Prétentions de la société Au Pain, intimée
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 15 mars 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la société Au Pain demande à la cour d’appel de :
– déclarer recevable mais non fondé l’appel interjeté par Mme [W],
en conséquence,
– confirmer la décision entreprise,
– condamner Mme [W] à lui payer la somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Mme [W] en tous les dépens.
MOTIFS DE L’ARRÊT
Sur les heures supplémentaires
Mme [W] fait valoir qu’elle était soumise à des conditions de travail très difficiles, avec notamment des insultes, et était contrainte de réaliser un grand nombre d’heures supplémentaires en raison du manque de personnel au sein du restaurant, qu’elle a adressé un courrier en ce sens à son employeur le 20 juillet 2018, faisant part qu’elle était « insultée et manipulée », évoquant un harcèlement moral, ajoutant qu’elle ne pouvait « plus accepter d’être traitée comme un chien », qu’elle n’a reçu aucune réponse, que le syndicat CGT a également écrit à l’employeur le 20 août 2018, évoquant une moyenne de 46 heures travaillées par semaine, parlant « d’esclavage moderne », que le syndicat a écrit à l’inspection du travail le 31 juillet 2018 pour dénoncer des insultes : « nul à chier », « africain de merde, vous ne valez rien », « bougez votre cul », qu’elle a déposé plainte le 10 septembre 2018 et a été finalement contrainte de démissionner par courrier du 28 septembre 2018.
Elle réclame, dans le cadre de la présente procédure, paiement des heures supplémentaires qu’elle soutient avoir effectuées.
Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2 et suivants du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Mme [W] soutient qu’elle effectuait au minimum 46 heures par semaine de travail, avec les horaires suivants, sans aucune pause :
Lundi : restaurant fermé,
Mardi : 9h30 – 16h15, soit 6h45,
Mercredi : 9h30 – 16h15, soit 6h45,
Jeudi : 9h30 – 16h15, soit 6h45,
Vendredi : 9h30 – 16h15, soit 6h45,
Samedi : 9h30 – 15h30 et 16h30 – 23h, soit 12h30,
Dimanche : 9h30 – 16h, soit 6h30.
Elle produit un décompte sur la base de ces horaires, tenant compte des majorations applicables et du salaire versé, ressortant à la somme totale de 11 230,38 euros outre les congés payés afférents.
Elle verse par ailleurs aux débats son courrier de réclamation du 20 juillet 2018 (sa pièce 3) ainsi que les courriers du syndicat adressés à l’employeur et à la Direccte (sa pièce 4).
Elle présente ainsi, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
De son côté, la société Au Pain répond qu’elle a pris soin de faire valider les horaires de travail effectués par les salariés, semaine après semaine compte tenu des horaires fluctuants dans ce type d’activité.
Elle explique qu’il a été convenu, entre Mme [W] et M. [H], gérant du restaurant, suite à la demande de la salariée de bénéficier d’un week-end par mois, les horaires de travail suivants :
– trois semaines sur quatre, du mardi au samedi de 10h à 16h dont 30 minutes de pause déjeuner, soit 5h30, et le dimanche de 10h à 15h dont 30 minutes de pause déjeuner, soit 4h30,
– une semaine sur quatre, du mardi au jeudi de 10h à 16h dont 30 minutes de pause déjeuner, soit 5h30.
Elle produit une attestation de M. [M], responsable de salle, qui indique mettre tous les soirs les feuilles de présence salle et cuisine à disposition des salariés (pièce 3 de l’employeur).
L’analyse des feuilles de décompte hebdomadaire de la durée du travail produites par l’employeur (sa pièce 4) montre que celles-ci sont nominatives et visent la période concernée, qu’y est mentionnée la durée hebdomadaire de travail de la main de la salariée elle-même, soit 32 heures, ainsi que sa signature qui matérialise son approbation.
Il sera relevé en outre l’exhaustivité des feuilles produites, qui concernent la quasi-totalité de la relation contractuelle, puisqu’elles commencent sans discontinuer en octobre 2016, le contrat de travail ayant été signé fin septembre 2016, et se terminent en juin 2018, la démission de la salariée étant intervenue au mois d’octobre 2018.
Pour combattre ces feuilles, Mme [W] oppose d’abord les termes de l’article D. 3171-8 du code du travail qui prévoit : « Lorsque les salariés d’un atelier, d’un service ou d’une équipe, au sens de l’article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes :
1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d’heures de travail accomplies ;
2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d’heures de travail accomplies par chaque salarié. »
La salariée soutient que les décomptes produits contreviennent aux prescriptions légales puisqu’ils ne comportent pas les heures de début et de fin du travail chaque jour mais seulement une durée globale hebdomadaire. Elle demande qu’ils soient écartés.
Le caractère effectivement incomplet des décomptes produits, en violation des dispositions réglementaires susvisées, n’est cependant pas de nature à leur enlever toute force probante.
Mme [W] soutient ensuite qu’il lui était demandé, comme à ses collègues, de signer ces documents sans rien dire dans un contexte de relations de travail dégradées comme elles les a décrites précédemment.
Elle ne produit cependant aucun élément de preuve de la pratique dénoncée, notamment aucune attestation de collègues de travail, de sorte que cet argument sera écarté.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il n’y a pas lieu de retenir l’existence d’heures supplémentaires.
Mme [W] sera déboutée de sa demande, par confirmation du jugement entrepris.
Sur le temps de repos
Mme [W] présente une demande de dommages-intérêts fondée sur le non-respect des repos hebdomadaires et des temps de repos quotidiens, en lien avec les heures supplémentaires dont elle se prévaut.
L’existence d’heures supplémentaires n’ayant toutefois pas été retenue, Mme [W] sera, par voie de conséquence, déboutée de cette demande fondée sur le non-respect des repos hebdomadaires et des temps de repos quotidiens.
Mme [W] soutient également que les temps de pause repas n’étaient pas respectés, sans lien ici avec les heures supplémentaires.
Il est rappelé ici que la preuve du respect du temps de pause incombe exclusivement à l’employeur, sur lequel pèse, de façon générale, la preuve en matière de respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et le droit interne.
Or, la société Au Pain se limite, aux termes de ses conclusions, à dire que la salariée ne produit aucun justificatif de l’absence de temps de pause, sans produire d’éléments de preuve de nature à établir le respect des temps de pause.
Faute de rapporter la preuve qui lui incombe, la société Au Pain sera condamnée à indemniser la salariée à ce titre. Les dommages-intérêts seront évalués, au regard des circonstances rappelées précédemment, notamment la durée de la relation contractuelle, la durée de la pause (30 minutes), l’objet de la pause (prendre son repas dont la salariée ne soutient pas qu’il ne lui était pas fourni), à la somme de 1 000 euros.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure
Compte-tenu de la teneur de la décision rendue, le jugement de première instance, qui a condamné Mme [W] aux dépens, sera infirmé de ce chef.
La société Au Pain, tenue à indemnisation, supportera les dépens de première instance et d’appel, en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
La société Au Pain sera en outre condamnée à payer à Mme [W] une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 350 euros et sera déboutée de sa propre demande présentée sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles le 3 décembre 2020, excepté en ce que Mme [K] [P] [L] [W] a été déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect des temps de repos et en ce qu’elle a été condamnée au paiement des dépens de première instance,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la SARL Au Pain à payer à Mme [K] [P] [L] [W] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des temps de pause,
CONDAMNE la SARL Au Pain au paiement des entiers dépens,
CONDAMNE la SARL Au Pain à payer à Mme [K] [P] [L] [W] une somme de 350 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la SARL Au Pain de sa demande présentée sur le même fondement.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,