Heures supplémentaires : 11 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/11317

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Heures supplémentaires : 11 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/11317
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 11 MAI 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/11317 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CA6K3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Juillet 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 17/10565

APPELANTE

Madame [C] [E] épouse [O]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Arnaud GUYONNET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

INTIMEE

S.A.S. [D] & [D] NOTAIRES

Office notarial inscrit au RCS de Paris sous le numéro 347 700 866

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me BOUAZIZ, avocat au barreau de PARIS, toque : E0261

Représentée par Me Zouhaire BOUAZIZ, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Gwenaelle LEDOIGT, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Carine SONNOIS Présidente de la chambre

Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [C] [E], épouse [O] a été engagée par la société civile professionnelle (SCP) [D] & [D] (devenue la société par actions simplifiée [D] & [D] Notaires), exerçant une activité d’étude de notaires, suivant contrat à durée indéterminée à effet au 2 juin 2014, en qualité de comptable taxatrice, au statut Cadre de niveau 1, coefficient 220 de la convention collective nationale du notariat.

Dans le dernier état des relations contractuelles, la salariée percevait une rémunération mensuelle brute de 3 967,80 euros.

Le 5 novembre 2015, Mme [C] [E] a été placée en arrêt maladie en raison d’une intervention chirurgicale qu’elle devait subir pour un méningiome frontal gauche. Son arrêt, prévu jusqu’au 25 novembre 2015, a été prolongé jusqu’au 3 janvier 2016, puis jusqu’au 29 février 2016, et enfin jusqu’au 29 septembre 2017.

Le 4 octobre 2017, à la suite de la visite de reprise organisée auprès des services de la médecine du travail, Mme [C] [E] a été déclarée apte à ses fonctions.

Le 10 octobre 2017, l’employeur lui a fait parvenir une proposition de rupture conventionnelle à laquelle la salariée n’a pas souhaité donner de suite.

Le 2 novembre 2017, Mme [C] [E] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 10 novembre suivant. Cette convocation était assortie d’une mise à pied à titre conservatoire.

Le 22 novembre 2017, la salariée s’est vu notifier un licenciement pour faute grave, libellé dans les termes suivants :

” Nous vous rappelons que vous êtes née en 1955 et que vous avez été embauchée le 2 juin 2014 en qualité de Comptable taxatrice (Cadre Niveau 1 -C1) (…)

Sur vos 16 mois d’activité, nous avons dû vous accompagner dans le poste. En effet vous ne disposiez pas d’une formation purement axée sur la comptabilité notariale et vous aviez postulé à ce poste du fait de votre qualité d’épouse de votre précédent employeur (Maître [O], alors Notaire à [Localité 3]) et de vos expériences professionnelles hors notariat.

Sur cette période d’activité nous avons pu constater une inadéquation entre vos propos et vos réelles compétences. Lors de l’inspection comptable 2016 de nombreuses irrégularités comptables ont été pointées sur l’exercice 2015 et notamment les suivantes:

– déclaration erronée dans la déclaration d’activité professionnelle

– défaut de pointage régulier du compte « Clients comptes à régulariser »

– défaut de paiement des prélèvements libératoires sur les intérêts de la consignation perçus par les clients

– défaut de paiement de l’« OPCA Actalians »

– défaut de pointage régulier des relevés mensuels des « SPF »

– défaut de paiement des « Prélèvements forfaitaires et sociaux »

– défaut de relances des Notaires en participation pour approbation des propositions de factures

– rapprochements bancaires à la date d’arrêté de comptabilité non validés

– mauvais pointage du compte DO

– défaut de mise à jour du Livre d’inventaire

Par ailleurs, le 30 septembre 2015, nous avons eu à gérer un avis à tiers détenteur pour défaut de paiement de votre impôt sur le revenu pour 31 050 €. Maître [P] [D] vous avait alors fait remarquer le caractère inadmissible d’une telle situation pour une salariée chargée de la tenue d’une comptabilité publique et notamment des comptes clients représentant plusieurs millions d’euros. Malgré cette mise en garde nous avons eu à gérer le 23 mai 2016, un nouvel avis à tiers détenteur.

Depuis novembre 2015, vous êtes en arrêt maladie et pendant les deux années qui ont suivi nous n’avons reçu aucune nouvelle quant à l’évolution de votre état de santé, pas plus que de votre situation notamment au regard de la demande de retraite que vous aviez évoquée.

Par courrier du 18 septembre 2017, reçu le 20 septembre 2017, vous nous avez informé d’une reprise pour le 2 octobre 2017. Une visite de reprise a été organisée.

Par courrier du 2 novembre 2017, nous avons dû nous résoudre à vous convoquer à un entretien préalable à une mesure de licenciement.

Les explications reçues lors de l’entretien nous confortent dans notre analyse des faits.

Nous procédons donc à votre licenciement pour faute grave privative de préavis et d’indemnité de licenciement.

Comme il vous l’a été rappelé, le poste de Comptable taxateur est un poste clé de l’entreprise, il suppose une totale confiance en la personne qui l’assume et un investissement personnel du salarié.

Ce poste a connu dernièrement un nombre considérable de novations comme la dématérialisation de la gestion comptable de l’office mais surtout la réforme du tarif des notaires au 26 février 2016.

Nous avons le regret de constater que vous négligiez l’importance de la fonction et que vous traitiez les dossiers avec désinvolture. Ainsi, depuis votre retour ,vous avez passé les quatre semaines sur le pointage des comptes hypothécaires qui aurait pu prendre quelque jours (précision étant faite que ce pointage aurait dû être fait quotidiennement depuis votre prise de poste).

Toue démarche pour vous sensibiliser et vous amener à une prise de conscience ont conduit à vous voir exprimer du mépris et des propos injurieux à notre encontre. Nous ne pouvons accepter que vous traitiez l’un des associés, en l’occurrence Monsieur [U] [D], de « petit con ».

Votre attitude constitue une faute grave et votre insubordination représente un danger pour nos clients et l’esprit d’équipe de notre entreprise. Nos relations se trouvent de fait définitivement altérées.

Il s’avère impossible de vous maintenant dans l’entreprise, même pendant le temps du préavis, nous ne pouvons plus vous accorder la confiance nécessaire à l’exécution des tâches de comptable-taxateur”.

Par courrier du 30 novembre 2017, Mme [C] [E] a contesté son licenciement et sollicité, par la même occasion, le paiement des heures supplémentaires qu’elle prétend avoir effectuées avant son congé maladie. La salariée a, également, demandé à l’employeur à ce qu’il lui communique la copie de son entretien annuel intervenu pour le premier trimestre 2015, qui ne faisait, selon elle, nullement état de reproche sur son travail et ses compétences.

La salariée n’ayant pas reçu ce document ni l’attestation de salaires de l’employeur, elle a saisi l’Inspection du travail.

A la suite de l’intervention de l’Inspection du travail, l’employeur lui a transmis un document intitulé “Entretien individuel 2015”, daté du 15 avril 2015, la mention du 15 avril étant barrée à la main et portant l’annotation “4 mai”. Mme [C] [E] émet les plus grandes réserves sur l’authenticité de ce document qui ne comporte pas sa signature.

Le 27 décembre 2017, Mme [C] [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour contester son licenciement, solliciter un rappel de salaires pour heures supplémentaires, des dommages-intérêts pour licenciement irrégulier, défaut de signalement du licenciement à la CNPEFP et production d’un faux document à l’Inspection du travail.

Le 23 juillet 2019, le conseil de prud’hommes de Paris, dans sa section Encadrement, a statué comme suit :

– condamne la SCP [D] & [D] à verser à Mme [C] [E] :

* 3 526,22 euros à titre de salaire sur mise à pied

* 352,63 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents

* 11 901 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

* 1 190 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis

* 2 396,73 euros à titre d’indemnité de licenciement

Rappelle qu’en vertu de l’article R. 1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire. Fixe cette moyenne à la somme de 3 967,80 euros

Avec intérêts au taux légal à compter de la convocation en bureau de conciliation

– déboute Mme [C] [E] du surplus de ses demandes.

Par déclaration du 13 novembre 2019, Mme [C] [E] a relevé appel du jugement de première instance dont elle a reçu notification à une date non déterminable.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 23 novembre 2020, aux termes desquelles Mme [C] [E] demande à la cour d’appel de :

– la déclarer recevable et bien fondée en son appel

Y faisant droit,

– infirmer la décision déférée en ce qu’elle a :

“- requalifié la rupture du contrat de travail en licenciement pour cause réelle et sérieuse

– débouté Madame [E] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier à hauteur d’un mois de salaire soit 3 967 euros bruts

– débouté Madame [E] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit 23 802 euros bruts

– débouté Madame [E] de sa demande de rappel d’heures supplémentaires pour

13 594,67 euros

– débouté Madame [E] de sa demande d’indemnité pour défaut de signalement du licenciement à la CNPEFP pour 1 983,50 euros

– débouté Madame [E] de sa demande de dommages et intérêts pour production d’un faux document à l’Inspection du travail à hauteur de 20 000 euros

– débouté Madame [E] de sa demande d’article 700 à hauteur de 3 000 euros”

et plus généralement de tous chefs du jugement faisant grief à Madame [E]

Et statuant à nouveau,

A titre principal

– juger le licenciement de Madame [E] nul comme étant fondé sur son état de santé et donc discriminatoire

En conséquence :

– condamner la SAS [D] & [D] à verser à Madame [E] la somme de 23 806,80 euros en réparation du préjudice subi en raison du licenciement nul

A titre subsidiaire

– requalifier le licenciement de Madame [E] pour faute comme étant sans cause réelle et sérieuse

En conséquence :

– condamner la SAS [D] & [D] à verser à Madame [E] la somme de 23 806,80 euros correspondant à l’indemnité de licenciement conventionnelle

En tout état de cause,

– débouter la SAS [D] & [D] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions en cause d’appel

– condamner la SAS [D] & [D] à verser à Madame [E] la somme de 17 409,15 euros bruts au titre de ses heures supplémentaires

– condamner la SAS [D] & [D] à verser à Madame [E] la somme de 1 983,50 euros au titre du défaut de signalement du licenciement à la CNEFP

– confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions non contestées par l’appelante et lui étant favorables

– juger que les condamnations pécuniaires donneront lieu à intérêt à compter de la date de convocation en bureau de conciliation

– ordonner la capitalisation des intérêts

– condamner la SAS [D] & [D] à verser à Madame [E] la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, tant au titre de la première instance que de l’appel, y incluant les frais et honoraires de l’avocat postulant.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 24 août 2020, aux termes desquelles la SCP [D] & [D] demande à la cour d’appel de :

– infirmer le jugement déféré en ce qu’il a déclaré que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, et ce qu’il a condamné au paiement d’une indemnité de préavis et ses congés payés afférents, à une indemnité légale de licenciement, ainsi qu’à un rappel de salaire sur mise à pied et ses congés payés afférents

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

– débouter Madame [E] de ses demandes

– voir dire que le licenciement repose sur une faute grave privative de préavis, de congés payés sur préavis, d’indemnité de licenciement et du paiement de la mise à pied conservatoire

– débouter Madame [E] de ses demandes pour licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse

– débouter Madame [E] de ses demandes en paiement d’heures supplémentaires et congés payés y attachés

– débouter Madame [E] de sa demande d’article 700 du code de procédure civile

Reconventionnellement,

– allouer à la SCP [D] & [D] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

A titre subsidiaire :

– confirmer en ce qu’il a jugé que le licenciement de Mme [E] reposait sur une cause réelle et sérieuse.

– voir dire que le rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire est de 2 644,66 euros et 264,46 euros au titre des congés payés afférents

– voir dire que l’indemnité de licenciement est de 1 487,62 euros

– voir dire que l’indemnité de préavis est de 3 967 euros et 396,70 euros au titre des congés payés afférents

A titre très subsidiaire, pour le cas où le licenciement sans cause réelle et sérieuse serait retenu :

– voir dire que l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse devra être limitée à la somme de 15 868 euros

– voir dire que l’indemnité pour irrégularité de la procédure sera écartée

– débouter Madame [E] de toute autre demande

– condamner la demanderesse aux dépens.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 5 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

1/ Sur les heures supplémentaires

Selon l’article L. 3174- 1 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci.

Mme [C] [E] indique que son contrat de travail prévoyait qu’elle effectue 35 heures hebdomadaires, de 9h00 à 12h30 et de 14h00 à 17h30, du lundi au vendredi (pièce 2). Ces horaires étaient susceptibles d’être modifiés par l’employeur en fonction de l’organisation de l’office et des nécessités du service. Cependant, la salariée affirme qu’il lui a, systématiquement, été imposé de réaliser des heures supplémentaires, puisqu’elle travaillait de 9h00 jusqu’à 13h00 puis de 14h00 à 18h30, ce qui réprésente 41h30 par semaine. Elle ajoute que ces heures supplémentaires étaient rendues nécessaires du fait de l’absence d’un second de caisse et parce qu’elle cumulait les fonctions de secrétaire générale de l’office et de comptable taxateur.

Pour la période comprise entre le 2 juin 2014 et le 4 novembre 2015, Mme [C] [E] chiffre à 525 le nombre d’heures supplémentaires accomplies et non rémunérées, pour lesquelles elle fournit un tableau de décompte (pièce 30).

La salariée appelante sollicite donc une somme de 17 409,15 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre de ses heures supplémentaires.

L’employeur répond que Mme [C] [E] étant soumise à un statut de cadre, elle était libre d’organiser son temps de travail et qu’elle n’avait pas à respecter les horaires de l’établissement. Il ajoute que la salariée appelante n’apporte pas la preuve de la réalisation des heures supplémentaires revendiquées, que ses demandes antérieures au 27 décembre 2014 se trouvent couvertes par la prescription et que pour les 32 semaines travaillées de janvier 2015 à novembre 2015, elle a bénéficié de cinq semaines de congés payés et d’un temps de formation.

A titre liminaire, la cour observe que les demandes de la salariée antérieures au 27 décembre 2014 sont effectivement prescrites en application de la prescription de trois ans prévue à l’article L. 3245-1 du code du travail. S’agissant de la période postérieure, il ne peut être considéré que le statut de “cadre” de la salariée ne lui rendait pas applicable les dispositions légales sur le temps de travail, dès lors que seuls les “cadres dirigeants” peuvent être exonérés de ces dispositions. L’employeur ne démontrant pas que la salariée était indépendante dans l’organisation de son temps de travail, puisque son contrat de travail précisait ses horaires, ni qu’elle était habilitée à prendre des décisions de façon largement autonome, qu’elle participait à la direction de l’office et qu’elle percevait une des rémunérations les plus élevées de la société, il ne sera pas retenu que Mme [C] [E] était un “cadre dirigeant” non soumis à la législation du travail.

La société intimée n’apportant aux débats aucune pièce qui permette d’établir de manière objective et fiable le nombre d’heures de travail effectuées par la salariée et ne justifiant pas avoir mis en place un dispositif de contrôle du temps de travail journalier, elle ne remplit pas la charge de la preuve qui lui revient, alors que la salariée a apporté à la cour des éléments précis qui permettaient à l’employeur d’y répondre.

En conséquence, il sera alloué à la salariée un rappel de salaire sur heures supplémentaires arbitré à 8 706 euros pour tenir compte des semaines de congés et de formation qu’elle a omis de déduire de ses calculs.

Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande au titre des heures supplémentaires.

2/ Sur le licenciement pour faute grave

2-1 Sur la régularité de la procédure

La cour observe que si la salariée demande l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de ce chef, elle a omis de solliciter, dans le dispositif de ses conclusions la condamnation de la société intimée à lui verser une indemnité à ce titre. En conséquence, la cour n’étant saisie d’aucune prétention indemnitaire, elle n’a pas à statuer sur cette demande en application de l’article 954 du code de procédure civile.

2-2 Sur la faute grave

L’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige. Il incombe à l’employeur d’alléguer des faits précis sur lesquels il fonde le licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié sans l’entreprise. Il appartient à l’employeur d’en apporter la preuve.

Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché à la salariée un manque de compétence qui a abouti à des irrégularités comptables au titre de l’exercice 2015, mises en évidence lors de l’inspection comptable 2016. Il est, également, fait grief à la salariée de s’être montrée laxiste dans la gestion de ses finances personnelles, ce qui a entraîné la transmission à l’étude de notaires de deux avis à tiers détenteur. Il est avancé que la salariée n’aurait pas informé l’employeur de l’évolution de son état de santé et de sa date éventuelle de reprise. Enfin, il est rapporté que Mme [C] [E] aurait tenu des propos injurieux à l’encontre de l’un des associés, M. [U] [D], en le traitant de “petit con”.

Mme [C] [E] répond que les griefs formés par l’employeur dans la lettre de licenciement et qui sont tous parfaitement infondés, ne constituent que des prétextes permettant de justifier une éviction de l’étude qui avait été décidée, avant même la reprise de son activité après son arrêt, et ce, en raison de son état de santé et de son âge. Elle en donne pour preuve les sms qui lui ont été transmis par l’employeur durant sa maladie pour se plaindre de sa première prolongation d’arrêt de travail ou pour discuter de son remplacement (pièce 21). Elle ajoute, que l’employeur a cherché une autre comptable taxatrice dès 2016 et, qu’en mars 2017, il avait déjà recruté une autre responsable de caisse.

Mme [C] [E] relève, d’ailleurs, que le courrier que l’employeur a adressé à la médecine du travail en vue de l’organisation de sa visite de reprise, pour lui demander de “s’assurer de son aptitude pour accomplir sa mission, compte tenu de l’évolution significative de notre tarif, de la législation du droit du travail et son aptitude à appréhender la nouvelle procédure comptable de l’office dématérialisée” (pièce 5) témoigne que la société intimée ne souhaitait nullement qu’elle reprenne son activité. Ces mêmes arguments de l’employeur sont, d’ailleurs, repris dans la proposition de rupture conventionnelle qui lui a été faite seulement huit jours après sa reprise, ce qui atteste, là aussi, du refus de l’employeur de la rétablir dans ses fonctions. Mme [C] [E] précise, qu’à la suite de son refus de la rupture conventionnelle, elle a été placée dans un bureau sans accès à la comptabilité avec pour seul tâche le pointage des relevés d’hypothèques.

L’appelante considère que tous ces éléments révèlent une discrimination de l’employeur fondée sur son état de santé et son âge, qui s’est traduite pas son licenciement abusif à défaut pour la société intimée d’avoir trouvé un autre moyen de lui faire quitter l’entreprise.

En considération de l’ensemble de ces éléments, la salariée apporte à la juridiction des éléments suffisants pour laisser supposer l’existence d’une discrimination liée à son état de santé et à son âge. Il incombe, en conséquence, à l’employeur de prouver que la mesure prise, en l’espèce le licenciement de la salariée pour faute grave, est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La cour retient que l’employeur ne produit aucune pièce pour justifier des griefs retenus dans la lettre de licenciement, même pas le rapport de l’inspection comptable 2016, qui aurait, selon lui, mis en évidence “l’incompétence” de la salariée. A cet égard, il convient de rappeler qu’une éventuelle insuffisance d’un salarié n’est constitutive d’une faute que si celui-ci manifeste une mauvaise volonté dans l’accomplissement de son travail. Par ailleurs, même si l’on devait considérer que les irrégularités potentiellement commises par la salariée dans la gestion de la comptabilité constituaient des fautes, celles-ci se trouvaient prescrites depuis de nombreux mois lors de l’engagement de la procédure de licenciement. Les injures que Mme [C] [E] auraient formulées à l’encontre d’un associé ne sont pas datées, ni corroborées par un quelconque élément.

Mme [C] [E] justifie avoir régulièrement informé l’employeur de l’évolution de son état de santé et de ses arrêts (pièces 3, 21, 29, 23 et 4). Il n’est démontré par aucune pièce que la salariée aurait passé un temps anormal sur le pointage des comptes hypothécaires, à compter de sa reprise du travail et, en toute hypothèse, cela ne constituerait pas une faute mais, au pire, une insuffisance professionnelle.

Enfin, l’éventuelle mauvaise gestion par la salariée de ses revenus n’ayant aucun lien avec son contrat de travail, cet argument ne pouvait être retenu pour fonder son licenciement.

Il n’est donc pas démontré par la SAS [D] & [D] que la mesure de licenciement pour faute grave notifiée à la salariée était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

L’absence de caractérisation par l’employeur des griefs visés dans la lettre de licenciement, dont il n’a même pas cherché à défendre le bienfondé devant la juridiction prud’homale et la cour d’appel en produisant une quelconque pièce, la teneur des messages adressés à la salariée durant sa maladie, les manoeuvres déployées par la société intimée pour l’empêcher de reprendre son emploi auprès de la Médecine du travail et en lui proposant une rupture conventionnelle quelques jours après sa reprise sont suffisants pour considérer que la salariée a fait l’objet d’un traitement discriminatoire fondée sur son état de santé et son âge. Le licenciement prononcé sera donc dit nul et le jugement déféré infirmé en ce qu’il a débouté Mme [C] [E] de sa demande de ce chef.

Au titre de l’indemnité pour licenciement nul, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, il est en droit de revendiquer une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Mme [C] [E] sollicitant des dommages-intérêts pour licenciement nul, pour un montant de 23 806,80 euros, équivalent à six mois de salaire, il sera fait droit à sa demande.

Par ailleurs, la salariée peut légitimement prétendre aux sommes suivantes :

– 2 644,66 euros (3 967 x14/21) à titre de salaire sur mise à pied

– 264,46 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents

– 3 967 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis (l’ancienneté de la salariée se trouvant réduite de la durée de son arrêt maladie)

– 396,70 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis

– 1 487,62 euros à titre d’indemnité de licenciement (l’ancienneté de la salariée se trouvant réduite de la durée de son arrêt maladie).

Le jugement entrepris sera réformé sur le montant de ces condamnations.

3/ Sur la demande de dommages-intérêts pour défaut de signalement à la CNPEFP

Mme [C] [E] reproche à l’employeur de ne pas avoir signalé son licenciement à la commission nationale paritaire de l’emploi dans le notariat (pièce 15), dans le mois suivant sa notification en violation des dispositions de l’article 11.2 de la convention collective applicable qui prévoit une pénalité, au profit du salarié, égale à un demi-mois de salaire.

Mme [C] [E] revendique donc le bénéfice de cette somme.

La société intimée n’oppose aucun moyen en réponse à cette demande à laquelle il sera fait droit.

4/ Sur la production d’un faux document

Mme [C] [E] demande l’infirmation du jugement déféré en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour production d’un faux document à l’Inspection du travail, mais elle n’articule aucun moyen dans le corps de ses écritures au soutien de cette demande et ne sollicite pas la condamnation de la société à lui verser une quelconque somme de ce chef. Il n’y a donc pas lieu d’examiner cette prétention.

5/ Sur les autres demandes

Les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2018, date de l’audience du bureau de conciliation et d’orientation, à défaut pour la cour de connaître la date à laquelle l’employeur a réceptionné sa convocation à cette audience.

Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Il sera ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

La SAS [D] & [D] Notaires supportera les dépens d’appel et sera condamnée à payer à Mme [C] [E] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a :

– débouté Mme [C] [E] de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier et production d’un faux document,

– condamné la SCP [D] & [D] aux dépens,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit nul le licenciement de Mme [C] [E],

Condamne la SAS [D] & [D] Notaires à payer à Mme [C] [E] les sommes suivantes :

– 8 706 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires

– 23 806,80 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul

– 2 644,66 euros à titre de salaire sur mise à pied

– 264,46 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés afférents

– 3 967 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

– 396,70 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis

– 1 487,62 euros à titre d’indemnité de licenciement

– 1 983,50 euros au titre du défaut de signalement du licenciement à la CNEFP

– 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel,

Dit que les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2018 et que les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Ordonne la capitalisation des intérêts pourvus qu’il soient dus pour une année entière,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SAS [D] & [D] aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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