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OM/CH
S.C.E.A. DOMAINE PHILIPPE CHARLOPIN-
PARIZOT
C/
[B] [V]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 11 MAI 2023
MINUTE N°
N° RG 21/00582 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FYGQ
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de DIJON, section Agriculture, décision attaquée en date du 26 Juillet 2021, enregistrée sous le n° F19/00146
APPELANTE :
S.C.E.A. DOMAINE PHILIPPE CHARLOPIN-PARIZOT
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Christophe BALLORIN de la SELARL BALLORIN-BAUDRY, avocat au barreau de DIJON substitué par Me Emilie BAUDRY, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉ :
[B] [V]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Jean-Philippe SCHMITT, avocat au barreau de DIJON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Avril 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Olivier MANSION, Président de chambre chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [V] (le salarié) a été engagé le 1er janvier 2012 par contrat à durée indéterminée en qualité de tractoriste par la société civile d’exploitation agricole domaine Philippe Charlopin Parizot (l’employeur).
Il a démissionné le 1er septembre 2018.
Estimant être créancier, notamment d’un rappel d’heures supplémentaires, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 26 juillet 2021, a accueilli ses demandes et a condamné l’employeur au paiement de diverses sommes en conséquence.
L’employeur a interjeté appel le 30 juillet 2021.
Il conclut à l’infirmation du jugement et sollicite le paiement des sommes de 11 526,56 euros réglée au titre de l’exécution provisoire du jugement et 3 600 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, il demande le rejet des demandes adverses au vu des principes nemo auditur et de l’estoppel, demande de constater qu’il a payé la somme de 14 840 euros au titre des heures supplémentaires et qu’il reste à devoir les sommes de 1 017,80 euros et 101,70 euros de congés payés afférents.
Le salarié demande la confirmation du jugement sauf à obtenir le paiement des sommes de :
– 4 818,83 euros de rappel de repos compensateur de 2016 à 2018,
– 5 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice distinct,
– 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– les intérêts au taux légal,
et réclame la délivrance des bulletins de paie et de l’attestation destinée à Pôle emploi.
Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 11 avril et 2 mai 2022.
MOTIFS :
A titre liminaire, il sera relevé que les fins de non-recevoir liées au principe d’estoppel et de la règle nemo auditur, ne sont pas repris dans le dispositif des conclusions de l’employeur, de sorte que la cour n’en est pas saisie en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile.
Sur les heures supplémentaires :
1°) Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, le salarié rappelle qu’il a été engagé à hauteur de 169 heures par mois au taux normal pour 151,67 heures et au taux majoré de 125 % pour 17,33 heures.
Il produit un décompte précis pour la période du 15 février 2016 au 16 septembre 2018 ainsi que la copie d’agenda (pièce n° 8) retraçant ses heures de travail.
Il ajoute que ces heures ont été réalisées en raison de l’importance des tâches confiées et que l’employeur payait une partie des heures supplémentaires sous forme de primes sans majoration, comme en atteste M. [U].
Il précise qu’il était le seul tractoriste sur l’exploitation ce qui l’amenait à effectuer des heures supplémentaires, MM. [H] et [G] attestant en ce sens.
L’employeur n’apporte pas d’éléments de contrôle des heures de travail effectuées et soutient que la demande est irrecevable car le salarié ne démontre pas que les heures supplémentaires prétendument réalisées l’ont été à sa demande et indique que le salarié n’a jamais revendiqué le paiement de ces heures.
Ce dernier moyen est inopérant, le silence ne valant pas renonciation à paiement.
Par ailleurs, les attestations précitées montrent bien que les tâches confiées au salarié étaient trop importantes pour être effectuées dans les 169 heures mensuelles prévues au contrat de travail, ce qui implique la nécessité d’effectuer des heures supplémentaires, et le décompte qu’il produit est suffisamment précis pour que l’employeur puisse le contester au besoin.
Si ce décompte comporte des erreurs comme l’omission d’un arrêt de travail pour cause de maladie les 1er et 2 février 2018, elles restent marginales et n’affectent par la valeur probante de ce document.
Par ailleurs, il importe peu que le salarié ait ou non travaillé sur l’ensemble du domaine, dès lors que le nombre d’heures supplémentaires effectué est établi et que l’employeur est défaillant dans la charge de la preuve qui lui incombe.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a retenu un rappel d’heures supplémentaires de 15 857,08 euros et 1 584,71 euros de congés payés afférents.
2°) L’article L.3121-30 du code du travail prévoit une contrepartie obligatoire en repos uniquement pour les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel.
Elle s’ajoute à la rémunération des heures au taux majoré ou au repos compensateur de remplacement.
L’article D. 3121-23 du même code prévoit que le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu’il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu’il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis.
Le salarié qui n’a pas été en mesure, du fait de son employeur, de formuler une demande de repos compensateur, a droit à l’indemnisation du préjudice subi.
Celle-ci comporte le montant d’une indemnité calculée comme si le salarié avait pris son repos, auquel s’ajoute le montant de l’indemnité de congés payés afférents et les juges du fond, formant leur conviction au vu des pièces produites et tenant compte des heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent, apprécient souverainement le préjudice subi par le salarié.
Ici, le contingent d’heures supplémentaires est fixé à 220 heures.
Le salarié chiffre les dépassements à 315,43 heures en 2016, 272,74 heures en 2017 et 40,92 heures en 2018, soit une indemnité correspondant à 629,09 heures ou 4 818,83 euros.
Le jugement retient un total de 614,26 heures après déduction du contingent.
Cependant, il n’est apporté aucun élément permettant de remettre en cause le montant réclamé par le salarié et qui est justifié au regard des heures supplémentaires retenues.
Le jugement sera infirmé en ce qu’il a fixé cette créance à 4 705,54 euros alors qu’elle s’élève à 4 818,83 euros.
3°) L’employeur demande une compensation entre les primes réglées à hauteur de 14 840 euros et la somme due, en retenant un aveu judiciaire de la part du salarié lorsqu’il admet que les heures supplémentaires étaient payées sous cette forme.
Toutefois l’aveu judiciaire prévu à l’article 1383-2 du code civil ne peut porter que sur un fait juridique et non la qualification de celui-ci.
En l’espèce, le paiement des heures supplémentaires ne peut être effectué sous forme de prime, ce qui est illégal, et aucune compensation ne peut intervenir à ce titre.
De même, il n’y a pas lieu à remboursement de la somme payée au titre de l’exécution provisoire du jugement, lequel est en grande partie confirmé.
4°) Le salarié demande le paiement de dommages et intérêts pour préjudice distinct consistant en relevant que les durées maximales journalières et hebdomadaires de travail ont été dépassées à plusieurs reprises.
Il est jugé qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire fixée à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 constitue, en tant que tel, une violation de cette disposition, sans qu’il soit besoin de démontrer en outre l’existence d’un préjudice spécifique (CJUE, 14 octobre 2010, C-243/09, Fuß c. Stadt Halle, point 53), que cette directive poursuivant l’objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d’un repos suffisant, le législateur de l’Union a considéré que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire, en ce qu’il prive le travailleur d’un tel repos, lui cause, de ce seul fait, un préjudice dès lors qu’il est ainsi porté atteinte à sa sécurité et à sa santé (CJUE,14 octobre 2010, C-243/09, Fuß c. Stadt Halle, point 54). La Cour de justice de l’Union européenne a précisé que c’est au droit national des États membres qu’il appartient, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, d’une part, de déterminer si la réparation du dommage causé à un particulier par la violation des dispositions de la directive 2003/88 doit être effectuée par l’octroi de temps libre supplémentaire ou d’une indemnité financière et, d’autre part, de définir les règles portant sur le mode de calcul de cette réparation (CJUE, 25 novembre 2010, Fuß c. Stadt Halle, C-429/09, point 94).
Dès lors, le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail permet réparation.
Ici, l’employeur ne démontre pas que les maxima ont été respectés puisqu’il ne peut produire d’élément de contrôle des heures de travail accomplies. Par ailleurs, des dépassements sont intervenus au regard des éléments apportés au titre de la demande d’un rappel d’ heures supplémentaires.
Le montant des dommages et intérêts sera évalué à 1 500 euros ce qui implique la confirmation du jugement sur ce point.
Sur les autres demandes :
1°) Les sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter du prononcé du présent arrêt pour les sommes de nature indemnitaire.
2°) L’employeur remettra au salarié un bulletin de paie récapitulatif correspondant aux sommes dues et l’attestation destinée à Pôle emploi laquelle doit être délivrée même en cas de démission du salarié.
3°) Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l’employeur et le condamne à payer au salarié la somme de 1 500 euros.
L’employeur supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :
– Confirme le jugement du 26 juillet 2021 sauf en ce qu’il condamne la société civile d’exploitation agricole domaine Philippe Charlopin Parizot à payer à M. [V] la somme de 4 705,54 euros de rappel de repos compensateurs sur les années 2016 à 2018, en ce qu’il statue sur le point de départ des intérêts au taux légal et en ce qu’il condamne la société civile d’exploitation agricole domaine Philippe Charlopin Parizot à remettre à M. [V] “les documents légaux rectifiés” ;
Statuant à nouveau sur ces chefs :
– Condamne la société civile d’exploitation agricole domaine Philippe Charlopin Parizot à payer à M. [V] la somme de 4 818,83 euros au titre du repos compensateur non pris pour les années 2016 à 2018 ;
– Dit que les sommes pour lesquelles la société civile d’exploitation agricole domaine Philippe Charlopin Parizot est condamnée au profit de M. [V] produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de la Société civile d’exploitation agricole domaine Philippe Charlopin Parizot devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter du prononcé du présent arrêt pour les sommes de nature indemnitaire ;
– Dit que la société civile d’exploitation agricole domaine Philippe Charlopin Parizot remettra à M. [V] un bulletin de paie correspondant aux sommes dues et une attestation destinée à Pôle emploi ;
Y ajoutant :
– Rejette les autres demandes ;
– Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société civile d’exploitation agricole domaine Philippe Charlopin Parizot et la condamne à payer à M. [V] la somme de 1 500 euros ;
– Condamne la société civile d’exploitation agricole domaine Philippe Charlopin Parizot aux dépens d’appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION