Heures supplémentaires : 11 mai 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00577

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Heures supplémentaires : 11 mai 2023 Cour d’appel de Dijon RG n° 21/00577
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RUL/CH

S.A.R.L. SOCIÉTÉ D’EXPLOITATION DU CHATEAU DE [Localité 4] prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité au siège social

C/

[H] [V]

Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 11 MAI 2023

MINUTE N°

N° RG 21/00577 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FYGA

Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHALON-SUR-SAÔNE, section Activités Diverses, décision attaquée en date du 20 Juillet 2021, enregistrée sous le n° 20/00047

APPELANTE :

S.A.R.L. SOCIÉTÉ D’EXPLOITATION DU CHATEAU DE [Localité 4] prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Jean-Noël COURAUD de la SELAS DÉNOVO, avocat au barreau de PARIS, et Me Claire GERBAY, avocat au barreau de DIJON substituée par Me Marie GERBAY, avocat au barreau de DIJON

INTIMÉ :

[H] [V]

[Adresse 1]

[Localité 5]

représenté par Me Elsa GOULLERET de la SELARL ESTEVE GOULLERET NICOLLE & ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Avril 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Olivier MANSION, Président de chambre,

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,

Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Kheira BOURAGBA,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Kheira BOURAGBA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [H] [V] a été embauché le 1er mars 2018 par la société d’exploitation du Château de [Localité 4] (ci-après SECC) par un contrat à durée indéterminée à temps complet en qualité de chef cuisinier, niveau IV, échelon 1, coefficient 200.

Le 14 août 2019, il a démissionné.

À compter du 21 août 2019, il a été placé en arrêt de travail pour maladie et n’a jamais repris le travail.

Par requête du 26 février 2020, il a saisi le conseil de prud’hommes de Chalon-sur-Saône afin :

– d’une part de faire condamner la société SECC à lui verser diverses sommes à titre de rappel d’heures supplémentaires, repos compensateur, dommages-intérêts pour non respect des durées quotidienne et hebdomadaire de travail, pour travail dissimulé et pour manquement à l’obligation de sécurité,

– d’autre part de juger que sa démission s’analyse en une prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et faire condamner l’employeur aux conséquences indemnitaires afférentes.

Par jugement du 20 juillet 2021, le conseil de prud’hommes de Chalon-sur-Saône a rejeté ses prétentions au titre de la prise d’acte et condamné l’employeur à lui payer diverses sommes à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents, des repos compensateurs, à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé et manquement à l’obligation de sécurité.

Par déclaration du 29 juillet 2021, la société SECC a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières écritures du 21 avril 2022, l’appelante demande de :

– infirmer le jugement déféré :

en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. [V] les sommes suivantes :

* 7 521,94 euros bruts à titre d’heures supplémentaires, outre 752,19 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 2 439,12 euros au titre des repos compensateurs,

* 20 141,94 euros au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

* 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

en ce qu’il lui a ordonné de communiquer à M. [V] les éléments relatifs à la vente de restauration, à savoir le chiffre d’affaires afin de procéder au calcul de la rémunération variable,

en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens,

– le confirmer en ce qu’il a :

* jugé que la démission est claire et non équivoque et que la rupture de son contrat de travail ne produit pas les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* débouté M. [V] de toutes ses demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouter M. [V] de l’intégralité de ses demandes,

en tout état de cause,

– juger que la démission était claire, non équivoque et sans réserve,

– juger que les manquements invoqués par M. [V] à l’appui de sa demande de requalification de sa démission en prise d’acte aux torts de son employeur ne sont pas établis,

– le débouter de l’intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire, si la cour requalifie la démission en prise d’acte aux torts de l’employeur :

– fixer le salaire de référence à la somme de 3 334,36 euros,

– fixer l’indemnité de licenciement à la somme de 1 258,87 euros,

– limiter à 0,5 mois de salaire le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit la somme de 1 678,49 euros,

– condamner M. [V] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières écritures du 28 janvier 2022, M. [V] demande de :

– réformer le jugement déféré,

– juger que sa démission s’analyse en une prise d’acte de rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur et que la rupture doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamner la société SECC à lui verser les sommes suivantes :

* 1 330,82 euros à titre d’indemnité de licenciement,

* 3 548,84 euros à titre d’indemnité de préavis, outre 354,88 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 7 097,68 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 7 097,68 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la durée hebdomadaire de travail,

* 7 097,68 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la durée quotidienne de travail,

Sur les quanta

– condamner la société SECC à lui payer les sommes suivantes :

* 21 293,04 euros bruts au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

* 7 097,68 euros bruts à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– confirmer le jugement déféré pour le surplus,

– débouter la société SECC de toutes ses demandes,

– la condamner à remettre à M. [V] l’attestation d’employeur rectifiée en fonction de la décision à intervenir pour l’inscription à Pôle Emploi et les bulletins de salaire rectifiés,

– la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur l’exécution du contrat de travail :

A titre liminaire, la cour relève que M. [V] soutient que la convention collective applicable prévue initialement dans le contrat de travail était celle des espaces de loisirs, d’attractions et culturels mais que sans la moindre explication, l’employeur aurait décidé d’appliquer la convention collective des hôtels, cafés, restaurants à compter du mois d’avril 2019 jusqu’au mois de juin 2019. Il sollicite en conséquence que soit appliqué de façon linéaire la convention collective des espaces de loisirs, d’attractions et culturels, la seule qui correspond à l’activité principale exercée par la société SECC, notamment sur la détermination des obligations salariales de l’employeur.

L’employeur indique que la convention applicable à la société SECC a toujours été celle des espaces de loisirs, d’attractions et culturels du 5 janvier 1994 et que la mention de la convention collective des hôtels, cafés, restaurants sur les bulletins de salaires des mois d’avril à juin 2019 relève d’une erreur matérielle qui a été rectifiée par la suite sans incidence sur la situation de M. [V].

Il s’en déduit que dès lors que les parties s’accordent sur la convention collective applicable, et que M. [V] ne justifie ni même allègue du moindre élément établissant que d’avril à juin 2019 ses droits auraient en quoi que ce soit été affectés par l’erreur matérielle invoquée, il sera fait application pour les développements qui suivent des stipulations de la convention collective des espaces de loisirs, d’attractions et culturels du 5 janvier 1994.

a – Sur les heures supplémentaires :

Aux termes de l’article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Rappelant que son contrat de travail à temps complet prévoit une durée mensuelle de travail de 151,67 heures, M. [V] soutient avoir effectué un grand nombre d’heures supplémentaires non payées (472,13 heures supplémentaires entre janvier et juillet 2019) et produit à l’appui de sa demande de confirmation du jugement déféré en ce qu’il lui a alloué la somme de 7 521,94 euros bruts au titre des heures supplémentaires, outre 752,19 euros bruts au titre des congés payés afférents les éléments suivants :

– un décompte des heures contresigné par l’employeur (pièce n° 11),

– les décomptes mensuels des mois de février à août 2019 (pièces n° 12 à 18),

– un décompte récapitulatif manuel pour l’année 2019 (pièce n° 19),

– un tableau des heures supplémentaires pour 2019 (pièce n° 20),

– ses bulletins de paye de janvier à septembre 2019 (pièce n° 9) et de mars à décembre 2018 (pièce n° 10).

La cour considère que ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que le salarié prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Sur ce point, la société SECC oppose que :

– il appartient au salarié d’apporter des éléments suffisamment précis, ce qui n’est pas le cas de M. [V] qui ne verse aux débats que des feuilles de temps qu’il a lui-même établies et qui ne reflètent en rien la réalité des heures effectivement réalisées,

– il ne démontre pas que l’ampleur de ses missions et sa charge de travail justifiaient les horaires de travail qu’il prétend avoir effectués ni que l’employeur a exigé l’exécution des heures supplémentaires alléguées,

– il ressort du bulletin de paye de septembre 2019 et du reçu pour solde de tout compte qu’il a été réglé des heures supplémentaires effectivement réalisées,

– le restaurant a enregistré en moyenne 6 repas par service en 2018 et 10 repas par service en 2019 (pièces n° 5 et 6) et les statistiques de vente du restaurant sur la période d’avril à juin 2019 font ressortir une moyenne de 14,85 repas par service (pièce n° 7), conformément au planning des réservations enregistrées via le site La Fourchette sur la même période (pièce n° 8), de sorte que dans la mesure où M. [V] était assisté de plusieurs salariés et que le nombre maximum de réservations était bloqué à 20/25 couverts (pièces n° 9 et 10), les heures de travail alléguées sont une aberration,

– cette demande est d’autant plus injustifiée qu’il revenait à M. [V], en tant que chef de cuisine, de communiquer à sa responsable le nombre d’heures supplémentaires effectué par les membres de l’équipe et sur le récapitulatif des heures du 28 juillet 2019, Il n’est fait état, pour sa part, d’aucune heure impayée (pièce n° 11).

Néanmoins, la cour relève que l’employeur se borne à contester les éléments précis produits par le salarié :

– sur le fondement d’éléments tirés de l’activité du restaurant, ce qui n’est aucunement de nature à déterminer les heures de travail effectuées,

– sans produire pour sa part le moindre élément établissant un contrôle des heures de travail effectuées par ses salariés, M. [V] en particulier.

Par ailleurs, il ressort du décompte produit par le salarié en pièce n° 11 un nombre très conséquences d’heures de travail, chiffre validé par la signature et le cachet de l’employeur alors que sur les bulletins de paye correspondant il n’est fait mention d’aucune heures supplémentaires payées (pièce n° 9).

Sur ce point, l’affirmation implicite de l’employeur selon laquelle cette pièce serait un faux car en l’absence de Mme [Y] à cette période, ce document n’a pas été signé par Mme [R], ne repose sur aucun élément, ce d’autant que la signature est illisible et qu’en tout état de cause le tampon de la société l’authentifie.

Enfin, s’il peut être relevé qu’au moment de la rupture il lui a été payé 197,74 heures supplémentaires (104 heures majorées à 25%, 93,74 heures majorées à 50%), ce nombre est inférieur aux heures revendiquées par le salarié auxquelles il n’est opposé aucun élément de nature à établir qu’elles n’ont pas été effectuées.

Il s’en déduit que le salarié est bien fondé en sa demande, le jugement déféré étant confirmé sur ce point, y compris sur le montant alloué qui tient compte des sommes perçues lors de la rupture conformément au décompte produit (pièce n° 20).

b -Sur les repos compensateurs :

Rappelant qu’il a effectué 472,13 heures supplémentaires en 2019 (pièce n° 20), M. [V] soutient que le contingent annuel d’heures supplémentaires prévu par la convention collective applicable fixé à 220 heures a été dépassé et qu’il aurait donc dû bénéficier de repos compensateurs, ce qui n’a pas été le cas.

Il sollicite en conséquence la confirmation du jugement déféré sur ce point, étant observé que dans le corps de ses écritures il sollicite la somme de 2 477,92 euros qui n’est pas celle allouée par les premiers juges (2 439,12 euros).

La société SECC oppose que cette demande étant le corollaire de la demande injustifiée de rappel d’heures supplémentaires, elle doit être rejetée.

Il résulte des pièces produites que la convention collective nationale des espaces de loisirs, d’attractions et culturels du 5 janvier 1994 mise à jour par avenant n° 41 du 23 janvier 2012 relatif au temps de travail fixe le contingent annuel d’heures supplémentaires susceptible d’être pratiqué sans autorisation préalable de l’administration à 220 heures pour les salariés permanents et 146 heures pour les salariés saisonniers et limite à 70 heures les heures supplémentaires susceptibles d’être effectuées au-delà du contingent annuel.

Dès lors que la société compte moins de onze salariés et que la convention précitée précise que le repos compensateur est de 50 % pour les entreprises de 20 salariés au plus, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il lui a alloué la somme de 2 439,12 euros à ce titre.

c – Sur le travail dissimulé :

M. [V] sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a condamné l’employeur pour travail dissimulé et réclame à ce titre la somme de 21 293,04 euros.

Au terme de l’article L. 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé, a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L’article L. 8221-5 2° du code du travail dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

En l’espèce, la seule mention sur les bulletins de paye d’un nombre d’heures de travail inférieur à celui qui a été réellement effectué ne relève pas d’une volonté avérée de dissimulation d’emploi salarié de la part de la société SECC, ce d’autant que pour une large part, même si ce n’est pas en totalité, ces heures ont été régularisées au moment de la rupture. Le rejet de la demande d’indemnité pour travail dissimulé s’impose, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

d – Sur le non-respect des durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail :

– Sur la durée maximale hebdomadaire :

Au visa des articles L3121-20 et L3121-22 du code du travail et de la convention collective des hôtels, cafés, restaurants prévoyant une limite de 48 heures de travail par semaine, M. [V] soutient qu’il résulte de ses décomptes horaires un dépassement de cette durée, ayant à plusieurs reprises effectué plus de 50 heures par semaine, notamment :

* semaine 15 : 92 heures,

* semaine 19 : 65,25 heures,

* semaine 22 : 58 heures,

* semaine 28 : 78,25 heures,

* semaine 30 : 60,75 heures

et sollicite en conséquence la somme de 7 097,68 euros à titre de dommages-intérêts correspondant à 2 mois de salaire.

L’employeur conclut au rejet de cette demande car les heures supplémentaires alléguées ne sont pas établies et le salarié ne justifie d’aucun préjudice.

Compte tenu des pièces produites établissant un dépassement des durées maximales hebdomadaires de travail (pièces n° 12 à 18 et 20), et étant rappelé que le dépassement de la durée maximale du travail cause nécessairement un préjudice au salarié, il sera alloué à M. [V] la somme de 1 000 euros à ce titre, le jugement déféré étant infirmé.

– Sur la durée maximale quotidienne :

Au visa de l’article L3121-18 du code du travail fixant la durée maximale quotidienne de travail à 10 heures, M. [V] soutient que les décomptes qu’il produits établissent qu’il travaillait plus de 10 heures par jour, notamment :

– du 11 au 14 juillet 2019 : 14 heures,

– le 25 juillet 2019 : 12 heures dans sa journée,

– le 22 juin 2019 : 15,75 heures,

– le 1er juin 2019 : 17 heures,

– le 11 mai 2019 : 17 heures,

– le 9 avril 2019 : 18,75 heures,

et sollicite en conséquence la somme de 7 097,68 euros à titre de dommages-intérêts correspondant à 2 mois de salaire.

L’employeur conclut au rejet de cette demande car les heures supplémentaires alléguées ne sont pas établies et le salarié ne justifie d’aucun préjudice.

Compte tenu des pièces produites établissant un dépassement régulier des durées maximales quotidiennes de travail (pièces n° 12 à 18 et 20), et étant rappelé que le dépassement de la durée maximale du travail cause nécessairement un préjudice au salarié, il sera alloué à M. [V] la somme de 1 000 euros à ce titre, le jugement déféré étant infirmé.

e – Sur les manquements à l’obligation de sécurité de l’employeur :

Au motif qu’il n’a pas respecté les dispositions légales et conventionnelles relatives au temps de travail et aux temps de pause, M. [V] soutient que l’employeur l’a nécessairement placé dans une situation à risque mettant en péril sa santé physique et mentale et sollicite en conséquence la somme de 7 097,68 euros à titre de dommages-intérêts correspondant à 2 mois de salaire.

L’employeur oppose que cette demande n’est justifiée ni dans son principe ni dans son quantum.

Il ressort des développements qui précèdent qu’en ne mettant en place aucun contrôle du temps de travail de son salarié et en laissant s’exécuter un nombre d’heures supplémentaires tels que les contingents légaux et conventionnels ont été dépassés, l’employeur a de fait exposé le salarié à un risque pour sa santé et sa sécurité de nature à engager sa responsabilité.

Néanmoins, il ne peut y avoir de réparation sans preuve du préjudice subi, l’existence et l’évaluation de celui-ci relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond sur la base des justificatifs produits aux débats.

En l’espèce, M. [V] n’apporte aucun élément permettant de justifier de la réalité d’un préjudice distinct non indemnisé au titre des repos compensateurs et du dépassement des contingents d’heures supplémentaires. La demande à ce titre sera donc rejetée, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

f – Sur la demande de production de pièces en lien avec la rémunération variable :

M. [V] soutient que son contrat de travail prévoit une rémunération variable (article 4) fixée à 5% des ventes de restauration hors boissons (pièce n° 3) mais qu’il ne ressort pas de ses bulletins de paye qu’il a perçu la moindre rémunération variable.

Il sollicite en conséquence la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a enjoint à la société SECC de produire les documents relatifs à la vente de restauration, à savoir le chiffre d’affaires réalisé sur la période d’emploi (1er mars 2018 – 17 septembre 2019).

Néanmoins, étant rappelé qu’il n’appartient pas à la cour de compenser les carences des parties dans l’administration de la preuve, la cour relève que la demande du salarié n’a pas été formée en temps utiles auprès du conseiller de la mise en état et que l’employeur ne produit pas la pièce demandée, de sorte que la cour en tirera toutes les conséquences.

La demande sera en conséquence rejetée, étant au surplus ajouté qu’en tout état de cause il ressort des bulletins de paye produits que M. [V] a perçu, au titre de sa rémunération, un “variable restauration”, de sorte qu’il ne saurait sérieusement affirmer qu’il n’a rien perçu à ce titre.

II – Sur la rupture du contrat de travail :

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail. Elle n’est soumise à aucune condition de forme. Il appartient au juge de rechercher quels sont les comportements du salarié de nature à établir la réalité de sa volonté évidente et non ambiguë de démissionner.

M. [V] soutient qu’il effectuait un très grand nombre d’heures supplémentaires sans qu’elles soient rémunérées dans leur intégralité et que c’est en raison du non-respect des dispositions légales et conventionnelles sur la durée du travail et des manquements constatés à l’obligation de sécurité qu’il n’a eu d’autre choix que de démissionner, “ne pouvant plus supporter les conditions de travail dans lesquelles s’effectuaient ses fonctions”.

L’employeur oppose que :

– les termes de la lettre de démission sont clairs et non équivoques et aucun écrit ne fait état de griefs adressés à l’employeur,

– il n’existe aucun litige antérieur ou contemporain à la démission et que le seul fait d’invoquer ultérieurement des griefs ne justifie pas la remise en cause de sa démission, même s’ils sont fondés,

– la démission est motivée par des événements strictement personnels, à savoir son divorce, sa situation familiale et la « nécessité de reconstruire [sa] famille »,

– il n’y a aucun lien entre ses conditions de travail et son mal être, d’ailleurs il ne s’est jamais plaint de ses conditions de travail au cours de la relation contractuelle ni à l’occasion de la rupture du contrat de travail, il n’a pas saisi le médecin du travail ni l’inspection du travail,

– il a rapidement trouvé un emploi au sein de la société PERRIER à [Localité 5] lui permettant de ne plus travailler le week-end conformément à son souhait,

– ce n’est que le 26 février 2020, plus de 6 mois après sa démission, qu’il a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de requalification de celle-ci en prise d’acte aux torts de son employeur,

– en tout état de cause les griefs allégués ne sont pas établis.

Il ressort des pièces produites que le courrier du 14 août 2019 est rédigé dans les termes suivants :

“Madame,

J ‘ai l’honneur de vous informer de ma décision de démissionner de mes fonctions de chef de cuisine exercées depuis le 1er mars 2018 au sein de l’entreprise.

J`ai bien noté que les termes de la convention collective prévoit un préavis d’un mois soit une fin de contrat le 17 septembre 2019.

Lors de mon dernier jour de travail dans l’entreprise, je vous demanderai de bien vouloir me transmettre un reçu de solde de tout compte comprenant les détails suivants :

– Le paiement de mon salaire jusqu`au dernier jour travaillé,

– Le paiement de mes congés payés,

– Le paiement des heures supplémentaires non payées,

– Le paiement de mon variable,

– Les frais kilométriques,

Ainsi qu’un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi […]”.

Cette lettre manuscrite ne contient aucun grief imputé à l’employeur comme étant à l’origine de la démission, seulement la mention du souhait du salarié de percevoir, au titre du solde de tout compte et à l’issue du préavis dont il rappelle les termes, les sommes dont il s’estime alors créancier.

Par ailleurs, entre ce courrier du 14 août 2019 et la saisine du conseil de prud’hommes aux fins de requalification de la démission en prise d’acte aux torts de son employeur, le salarié ne justifie d’aucune démarche ou réclamation adressée à son employeur de nature à caractériser un litige antérieur ou contemporain à la démission.

Au contraire, l’employeur justifie d’un courrier électronique du salarié du 23 août 2019 dans lequel il indique :

“Bonjour madame [R],

Je me permets de vous écrire pour vous expliquer les raisons de ma démission je pense sûrement que vous n’avez pas compris cette Demarches subite C’est pour des raisons familiales et personnelles je suis au bord du divorce avec mon épouse et depuis le départ de [I] qui était une personne avec qui j’avais un bon relationnel je me sens seul à gérer le restaurant je me suis investi à 1000 pour 100 dans se projet avec vous et votre mari au détriment de ma famille amis et tout le reste je ne suis pas très expressif comme personne j’ai pris sur moi je suis venu travailler avec la niaque tous les jours pour satisfaire tout le monde mais je suis arrivé à un point de non retour et j’ai craqué je suis épuisé physiquement et mon opération m’a rattrapé sa fais plusieurs jours que je suis sous morphine pour calmer la douleur je vais faire une pose dans le milieu de la restauration et essayer de reconstruire ma famille se qui s’annonce compliqué et long mais j’espère y arriver Je ne voulais pas vous mettre dans l’embarras en quittant mon poste et j’espère que vous pourrez poursuivre votre projet et surtout que vous comprendrez Je tenais à vous dire que je vous énormément appris à vos côté et mR [R] Je vous transmettrai mes heures effectuées et vous tiendrais au courant dès suites de mon arrêt de travail Vous remerciant Bien cordialement [H]” (pièce n° 1).

Dès lors, nonobstant la tentative du salarié dans ses écritures d’en dénaturer le sens ainsi que celui de la réponse empathique qui lui a été adressée en retour et peu important qu’il puisse être reproché à l’employeur divers manquements dans l’exécution du contrat de travail, il ressort de ces éléments d’une part que la lettre de démission manifeste de façon claire et non équivoque la volonté du salarié de mettre fin au contrat de travail et d’autre part que le motif de celle-ci est lié à des considérations personnelles propres au salarié et non à un des manquements imputables à l’employeur ci-dessus exposés.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de requalification de la démission en une prise d’acte de rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et débouté le salarié de ses demandes à titre d’indemnité de licenciement, d’indemnité de préavis et congés payés afférents et à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

III – Sur les demandes accessoires :

– Sur la remise des documents légaux rectifiés :

La société SECC sera condamnée à remettre à M. [V] une attestation Pôle Emploi rectifiée tenant compte des sommes allouées à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires.

– Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.

La société SECC sera condamnée à payer à M. [V] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La demande de la société SECC au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel sera rejetée.

La société SECC succombant, elle supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement rendu le 20 juillet 2021 par le conseil de prud’hommes de Chalon-sur-Saône sauf en ce qu’il a :

– alloué à M. [H] [V] les sommes suivantes :

* 20 141,94 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

* 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– rejeté les demandes de M. [H] [V] à titre de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail,

– ordonné à la société d’exploitation du Château de [Localité 4] de communiquer à M. [H] [V] les éléments relatifs à la vente de restauration, à savoir le chiffre d’affaires afin de procéder au calcul de la rémunération variable,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société d’exploitation du Château de [Localité 4] à payer à M. [H] [V] les sommes suivantes :

– 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales quotidiennes de travail,

– 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales hebdomadaires de travail,

– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel,

REJETTE les demandes de M. [H] [V] :

– à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

– à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,

– aux fins de communication des éléments relatifs à la vente de restauration, à savoir le chiffre d’affaires afin de procéder au calcul de la rémunération variable,

CONDAMNE la société d’exploitation du Château de [Localité 4] à remettre à M. [H] [V] une attestation Pôle Emploi rectifiée,

REJETTE la demande de la société d’exploitation du Château de [Localité 4] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société d’exploitation du Château de [Localité 4] aux dépens et d’appel.

Le greffier Le président

Kheira BOURAGBA Olivier MANSION

 


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