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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 4
ARRET DU 10 MAI 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/03266 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDPJM
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Février 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 19/01824
APPELANTE
S.A.S. EURASIE ET FRERES
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Fabien BARBUDAUX-LE FEUVRE, avocat au barreau de PARIS, toque : R057
INTIME
Monsieur [Z] [F]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Pierre LUMBROSO, avocat au barreau de PARIS, toque : B0724
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme MARQUES Florence, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
M. de CHANVILLE Jean-François, président de chambre
Mme BLANC Anne-Gaël, conseillère
Mme MARQUES Florence, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Justine FOURNIER
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Justine FOURNIER, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Eurasie et frères exerce une activité de fabrication de produits alimentaires asiatiques.
Suivant contrat à durée indéterminée à temps plein en date du 2 janvier 2007, M. [Z] [F] a été embauché en qualité de préparateur, moyennant une rémunération horaire de 9,43 euros.
Son salaire mensuelle brute s’élevait en dernier lieu à la somme de 1534,22 euros.
La convention collective applicable est celle de l’alimentation (Industries Alimentaires diverses IDCC 3109).
Le salarié a fait l’objet, après convocation en date du 8 mars 2019 avec mise à pied conservatoire et entretien préalable fixé au 20 mars, puis au 21 mars 2019, d’un licenciement pour faute grave le 27 mars 2019.
M. [Z] [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny, le 7 juin 2019, aux fins de voir annuler sa mise à pied en date du 1er mars 2019, juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamner la société Eurasie et frères à lui verser diverses sommes.
Par jugement en date du 25 février 2021, le conseil de prud’hommes de Bobigny a :
– annulé la mise à pied conservatoire du 1er mars 2019,
– requalifié le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamné la société Eurasie et frères à payer à M. [F] les sommes suivantes :
* 18.290,64 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 5.576,89 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
* 3.408,10 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
* 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire au titre de l’article 515 du code de procédure civile du présent jugement,
– ordonné le remboursement par la société Eurasie et frères à Pôle Emploi les indemnités chômage versées à M. [F] dans la limite de six mois d’indemnités en application de l’article L.1235-4 du code du travail,
– débouté M. [F] du surplus de ses demandes,
– débouté la société Eurasie et frères de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamné aux dépens.
Par déclaration au greffe en date du 30 mars 2021, la société Eurasie et frères a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Par ses uniques conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 29 juin 2021, la société Eurasie et frères demande à la Cour de :
– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bobigny du 25 février 2021 sauf en ce qu’il a débouté M. [F] de sa demande de paiement au titre des heures supplémentaires,
Statuant à nouveau :
– dire et juger le licenciement de M. [F] fondé sur une faute grave,
-dire et juger M. [F] mal fondé en l’ensemble de ses demandes,
– débouter M. [F] de l’ensemble de ses demandes fins et prétentions,
– le condamner au paiement d’une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses uniques conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 septembre 2021, M. [Z] [F] demande à la Cour de :
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de paris en date du 25 février 2021 et l’infirmer en ce qu’il rejette la demande sur le fondement du préjudice moral,
En conséquence,
– condamner la société Eurasie et frères à payer à M. [F] :
* la somme de 18.290,64 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* la somme de 5.576,89 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,
* la somme de 3.408,10 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
* la somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral,
* la somme de 1.819,26 euros au titre des heures supplémentaires impayées,
* la somme de 3.000 euros au titre de l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 13 décembre 2022.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour un exposé complet du litige.
MOTIFS DE LA DECISION
1- Sur les heures supplémentaires
En application des articles L.3121-27 et L.3121-28 du code du travail, la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine et toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent. L’article L.3121-36 du même code prévoit que, à défaut d’accord, les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée à l’article L. 3121-27 ou de la durée considérée comme équivalente donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires et 50% pour les suivantes.
Aux termes de l’article L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Il a été jugé que constituent des éléments suffisamment précis des tableaux mentionnant le décompte journalier des heures travaillées, peu important qu’ils aient été établis par le salarié lui-même pour les besoins de la procédure.
En l’espèce, au soutien de ses prétentions, le salarié ne produit strictement aucun élément, aucun décompte, aucun tableau, se contentant d’affirmer qu’il a effectué des heures supplémentaires non rémunérées.
Ce faisant, il ne produit aucun élément permettant à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, de répondre utilement à ses pretentions salariales.
Dès lors le salarié ne peut qu’être débouté de sa demande de ce chef.
Le jugement est confirmé sur ce point.
2-Sur le licenciement pour faute grave
L’article L.1231-1 du code du travail dispose que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié. Aux termes de l’article L.1232-1 du même code, le licenciement par l’employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il résulte par ailleurs des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d’une part d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise.
En l’espèce, aux termes de la lettre de rupture du 27 mars 2019 , il est reproché à M. [Z] [F], lors qu’il était chargé de la récupération des tofus à l’issu du processus de leur pasteurisation, d’être intervenu, sans autorisation et sans en avertir quiconque, sur le panneau de contrôle du pasteurisateur en appuyant de manière délibérée sur plusieurs touches, ce qui a eu pour conséquence l’arrêt mécanique du pasteurisateur et l’arrêt de sa chaufferie.
Il est précisé que la pasteurisation des produits n’a pas pu se faire et que vers 16h40, le chef d’atelier s’est rendu compte d’un probléme avec les tofus lesquels ont dû être jetés, leur valeur marchande étant de 9883,20 euros. La lettre de licenciement souligne qu’en ne signalant pas son intervention, M. [F] n’a pas permis de limiter les pertes et a pris le risque que des produits, potentiellement contaminés soient diffusés sur le marché , ce qui aurait nuit gravement à l’image de la société en cas de crise sanitaire et à ses ventes futures.
Aux termes de la lettre de licenciement, il est également reproché au salarié d’avoir fait preuve d’insubordination en se rendant à l’usine les 12 et 13 mars 2019, malgré sa mise à pied, perturbant ainsi l’enquête interne et désorganisant l’entreprise, certaines personnes ayant été chargées de le surveiller.
Il est enfin reproché au salarié d’avoir menacé, le 20 mars 2019, le stagiaire chargé de traduire les échanges lors de l’entretien préalable.
Le salarié indique que le 1er mars 2019, il y a eu une panne sur la machine de pasteurisation à laquelle il est étranger, qu’un technicien l’a réparée mais que personne ne lui a demandé d’arrêter de travailler pendant les réparations.
L’employeur conteste toute panne de la machine, le 1er mars 2019.
La cour constate que le grief d’insubordination ne peut être retenu dans la mesure ou la lettre de convocation à un entretien préalable, portant mise à pied, a été postée le 11 mars 2019 et distribuée le 14 mars 2019, si bien que M. [Z] [F] n’était pas (officiellement) infomé de sa mise à pied lorsqu’il s’est rendu sur son lieu de travail les 12 et 13 mars 2019, une information verbale , d’ailleurs contestée par le salarié, étant inopérante.
Le troisième grief ne peut être retenu, la seule attestation du stagiaire, sous un lien renforcé de subordination compte tenu de son statut précaire, selon laquelle M. [F] l’a menacé étant insuffisante d’un point de vu probatoire.
Les parties s’opposent sur l’origine de l’arrêt de la machine à pasteurisation, la perte des tofus n’étant pas contestée.
Pour preuve du grief n°1 fait à son salarié, la société verse aux débats une attestation d’un salarié, M. [R] qui témoigne qu’il a vu M. [F] toucher aux boutons du panneau de contrôle du pasteurisateur lequel s’est ensuite arrêté, une attestation du responsable maintenance selon laquelle, il a constaté , le 1er mars 2019, que le bouton de chauffe était “relaché”, ce qui a arrêté la chauffe et qu’il lui a suffit de “ré-actionné” ledit bouton, une feuille intitulée “historiques des intervention 2019” sur lequel il n’est mentionné aucune intervention/réparation sur le pasteurisateur en mars 2019 et le rapport de révision annuelle de la machine pour les années 2018 et 2019.
Le rapport établi le 13 mars 2019 mentionne que le but de l’intervention est ‘la réalisation des tâches de révision annuelle du pasteurisateur et amélioration de la machine suite au non arrêt de la machine sur extinction de chauffe’. Il précise également que suite à l’incident du 1er mars 2019, il a été nécessaire de mettre en place un dispositif de sécurité pour le contrôle des températures de pasteurisation.
Ces éléments établissent d’une part qu’un opérateur a interrompu la commande de chauffe, que cet opérateur est M. [F], lequel ne conteste pas avoir été de service, alors même qu’il n’était pas autorisé à intervenir sur le panneau de commande du pasteurisateur et d’autre part que cette machine n’était pas dotée d’un dispositif de sécurité permettant de contrôler les températures de pasteurisation en cas d’un arrêt de la chauffe (ou un manque de vapeur).
Dès lors si M. [F] a bien commis une faute dans l’exercice de ses fonctions justifiant son licenciement, les conséquences qui en ont résultées ne lui sont pas intégralement imputables, ce qui retire à la faute son caractère de gravité rendant impossible son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis , d’autant que la société a mis 8 jours à notifier au salarié sa mise à pied.
Le licenciement pour faute grave de M. [Z] [F] est requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse.
Le jugement est infirmé de ce chef et en ce qu’il a alloué au salarié une somme à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
3-Sur les conséquences financières du licenciement pour cause réelle et sérieuse
3-1-Sur l’indemnité compensatrice de préavis
La salariée peut prétendre à deux mois de préavis. Il lui est dû de ce chef la somme de 3408,10 euros.
Le jugement est confirmé de ce chef.
3-2-Sur l’indemnité légale de licenciement
En application de l’article R 1234-2 du code du travail dans sa version applicable au litige, il est dû au salarié la somme de 5576,89 euros.
Le jugement est confirmé de ce chef.
4-Sur la demande d’annulation de la mise à pied en date du 1er mars 2019
En l’absence de faute grave, la mise à pied, mesure provisoire au prononcé de licenciement pour faute grave, est injustifiée et en conséquence nulle.
La mise à pied de M. [Z] [F] doit être annulée.
Le jugement est confirmé de ce chef.
5-Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral
Le salarié expose que les circonstances de son licenciement ont été particulièrement traumatisantes, ce dont il ne justifie pas.
Le salarié est débouté de ce chef.
Le jugement est confirmé.
6-Sur les demandes accessoires
Le jugement est confirmé sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.
Partie perdante, la SAS Eurasie et Frères est condamnée aux dépens d’appel.
L’équité commande de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel au profit de M. [Z] [F] ainsi qu’il sera dit au dispositif.
La SAS Eurasie et Frères est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a annulé la mise à pied conservatoire en date du 1er mars 2019 et condamné la SAS Eurasie et Frères à payer à M. [Z] [F] la somme de 3408,10 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et celle de 5576,89 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement et en ce qu’il a débouté M. Yuluan [F] de sa demande au titre des heures supplémentaires, de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Infirme le jugement déféré pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Requalifie le licenciement pour faute grave de M. [Z] [F] en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
Déboute M. [Z] [F] de sa demande d’indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS Eurasie et Frères à payer à M. [Z] [F] la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel,
Déboute la SAS Eurasie et Frères de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel,
Condamne la SAS Eurasie et Frères aux dépens d’appel.
La greffière Le président