Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE – SECTION A
————————–
ARRÊT DU : 10 MAI 2023
PRUD’HOMMES
N° RG 20/01002 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LPFK
Monsieur [S] [G]
c/
SAS EOLIANCE RESIDENTIEL (anciennement dénommée SAS Quinoa Résidentiel)
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 février 2020 (R.G. n°F 18/00037) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LIBOURNE, Section Encadrement, suivant déclaration d’appel du 21 février 2020,
APPELANT :
Monsieur [S] [G]
né le 16 Juin 1973 à [Localité 3] de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Hugo tahar JALAIN, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
SAS EOLIANCE RESIDENTIEL (anciennement dénommée SAS Quinoa Résidentiel), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]
N° SIRET : 351 607 866
représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, assistée de Me Murielle GANDIN, avocat au barreau de PARIS substituant Me Emmanuel ESCARD DE ROMANOVSKY, avocat au barreau de PARIS,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 mars 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Tronche, conseillère chargée d’instruire l’affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvie Hylaire, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [S] [G], né en 1973, a été engagé par la SARL holding MC, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2009, avec reprise d’ancienneté au 3 mai 1996. en qualité de directeur des achats et chargé de mission, statut cadre, position 3.2, coefficient 210 de la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils dite Syntec.
Dans le cadre de ses fonctions, M. [G] s’est vu attribuer un véhicule de fonction.
En 2015, les actionnaires de la société MC ont cédé leurs actions à la société Autogyre, devenue la société Quinoa Résidentiel le 1er avril 2018.
En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [G] s’élevait à la somme de 5.874,71 euros.
Par courrier recommandé en date du 29 décembre 2017, M. [G] a informé la société de sa démission, son contrat a pris fin le 30 mars 2018.
Sollicitant le versement d’heures supplémentaires non réglées par son employeur ainsi que des dommages et intérêts pour travail dissimulé, M. [G] a saisi le 30 mars 2018 le conseil de prud’hommes de Libourne qui, par jugement rendu le 7 février 2020, a :
– prononcé la mise hors de cause de la société MC,
– constaté la réalité d’une partie des heures supplémentaires effectuées par M. [G] pour la période de mars 2015 à avril 2018,
– dit que la contrepartie financière due à M. [G] par heure de déplacement est fixée à 25% du taux horaire normal,
Par voie de conséquence,
– condamné la société Quinoa Résidentiel à verser à M. [G], les sommes suivantes :
* 4.045,28 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées en 2015 et 404,53 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
* 6.582,44 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées en 2016 et 658,24 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
* 9.248,64 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées en 2017 et 924,86 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
* 2.290,21 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées en 2018 et 229,02 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
* 2.395,73 euros brut à titre de contrepartie aux temps de trajets effectués en 2015, 2016, 2017 et 2018,
* 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné la remise de bulletins de salaires et des documents sociaux rectifiés sur la période de mars 2015 à avril 2018,
– dit que les créances de nature salariale porteront intérêts aux taux légal capitalisés à compter de la demande en justice,
– rejeté les demandes plus amples ou contraires,
– condamné la société Quinoa Résidentiel en la personne de son représentant légal aux dépens de l’instance.
Par déclaration du 21 février 2020, M. [G] a relevé appel de cette décision, notifiée le 11 février 2020.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 22 novembre 2022, M. [G] demande à la cour de
– donner acte de la mise hors de cause de la société MC,
– confirmer le jugement en ce qu’il a fait droit partiellement au paiement d’heures supplémentaires non réglées pour la période de mars 2015 à avril 2018,
– infirmer le jugement :
* en ce qu’il a commis une erreur d’appréciation en validant une rémunération
au forfait heures du salarié sur 219 jours annuels,
* en ce qu’il a commis une erreur d’appréciation en écartant le paiement d’heures selon les pointages informatisés en possession du salarié,
* en ce qu’il a commis une erreur d’appréciation en écartant le paiement de la contrepartie financière pour le temps de déplacement anormal selon le décompte joint aux débats par le salarié,
Sur la comptabilisation des temps de trajets anormaux,
– infirmer la décision attaquée en ce qu’elle retient une majoration de 25% des temps de déplacement en se fondant sur la convention collective du commerce et de la réparation de l’automobile,
Statuant à nouveau,
– dire que les temps de déplacements doivent être valorisés à hauteur de 40% conformément à la convention Syntec,
En conséquence, sur le temps de travail effectif et les temps de trajets anormaux,
A titre principal,
– juger inopposable à M. [G] la convention de forfait en heures stipulée par le contrat de travail sur le fondement de dispositions conventionnelles,
– faire droit aux heures supplémentaires non réglées pour la période de mars 2015 à décembre 2017 à compter de la 36ème heure pour les heures supplémentaires,
– condamner la société à verser à M. [G] les sommes suivantes :
* 54.391,97 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires sur les années 2015, 2016, 2017 et 2018 outre 5.439,19 euros à titre de congés payés sur salaire,
* 8.465,40 euros à titre de rappel de salaire sur la contrepartie financière des temps de trajets anormaux sur les années 2015, 2016, 2017 et 2018,
A titre subsidiaire, en cas d’opposabilité du forfait en heures à M. [G],
– dire que les heures supplémentaires seront décomptées à partir de la 38,30ème heure,
– condamner la société à verser à M. [G] les sommes suivantes :
* 32.886,02 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires sur les années 2015, 2016, 2017 et 2018 outre 5.439,19 euros à titre de congés payés sur salaire,
* 7.972,56 euros à titre de rappel de salaire sur la contrepartie financière des temps de trajets anormaux sur les années 2015, 2016, 2017 et 2018,
– dire que le non-paiement d’éléments de salaire est constitutif de travail dissimulé,
– condamner la société à verser à M. [G] les sommes suivantes :
* 32.248,26 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
* 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonner la remise de bulletins de salaires et les documents sociaux rectifiés sur la période de janvier 2015 à décembre 2017, sous astreinte de 80 euros par jour de retard,
– dire que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal capitalisés à compter de la demande en justice,
– condamner la société aux dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 20 octobre 2020, la société intimée demande à la cour de’:
A titre principal,
– infirmer le jugement entrepris, et
Statuant à nouveau,
– débouter M. [G] :
* de sa demande en paiement de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires,
* de sa demande en paiement d’une contrepartie financière des temps de trajets anormaux,
* de sa demande en paiement d’une indemnité pour travail dissimulé,
* de sa demande en paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire,
– confirmer le jugement entrepris,
résidentiel à verser à M. [G] les sommes suivantes :
* 4.045,28 euros bruts à titre de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires effectuées en 2015, et 404,53 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 6.582,44 euros bruts à titre de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires effectuées en 2016, et 658,24 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 9.248,64 euros bruts à titre de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires effectuées en 2017, et 924,86 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 2.290,21 euros bruts à titre de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires effectuées en 2018, et 229,02 euros bruts au titre des congés payés afférents,
* 2.395,73 euros bruts à titre de contrepartie aux temps de trajet effectués en 2015, 2016 et 2017, 2018,
En tout état de cause,
– condamner M. [G] aux dépens,
– le condamner à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 février 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 14 mars 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la mise hors de cause de la société MC
Lors de la saisine du conseil de prud’hommes, M. [G] a formulé des demandes à l’encontre de la société MC et de la société Quinoa résidentiel.
La société MC ayant été absorbée au 1er janvier 2018 par la société Autogyre, elle a été radiée au 3 avril 2018 au moment où la société Autogyre est devenue la société Quinoa Résidentiel, désormais dénommée société Eoliance Résidentiel.
Dès lors, les parties s’accordent sur le fait qu’il convient de mettre hors de cause la société MC.
Sur ce point, le jugement dont appel sera ainsi confirmé.
Sur l’opposabilité de la convention de forfait en heures
M. [G] conclut à l’inopposabilité de la convention de forfait prévue à son contrat de travail au motif qu’il ne disposait que d’une autonomie limitée dans son travail et que ce dispositif ne lui a jamais été appliqué dans la mesure où chacun de ses bulletins de salaire indique une durée de travail de 151,67 heures sans jamais faire référence à des heures supplémentaires.
M. [G] ajoute qu’il n’a pas bénéficié des jours de RTT prévus puisqu’il a travaillé 230 jours alors même que le forfait en prévoyait 219.
La société intimée conclut au rejet de cette demande au motif que M. [G] disposait d’une grande autonomie et ne pouvait pas avoir un horaire de travail prédéfini et que, dès lors, une convention de forfait en heures pouvait valablement être conclue, la convention collective permettant d’y soumettre les cadres dont la rémunération est au mois égale au plafond de la sécurité sociale dans le cadre de modalités dites de réalisation de missions.
***
L’accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail a été conclu avec les partenaires sociaux en application de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 et annexé à la convention collective Syntec.
Cet accord prévoit dans son chapitre II, trois types de modalités de gestion des horaires pour les salariés soumis à l’accord, applicables à l’initiative de l’entreprise :
– 1. modalités standard ;
– 2. modalités de réalisation de missions ;
– 3. modalités de réalisation de missions avec autonomie complète.
Les modalités standard (1) peuvent concerner tous les salariés et correspondent à un décompte horaire hebdomadaire du temps de travail correspondant à 35 heures par semaine.
Les modalités dites de réalisation de mission (2) s’appliquent aux salariés non concernés par les modalités standard ou les réalisations de missions avec autonomie complète.
Tous les ingénieurs et cadres peuvent a priori en relever à condition que leur rémunération soit au moins égale au plafond de la sécurité sociale. De plus, en fonction de l’activité de l’entreprise, un accord d’entreprise doit préciser les conditions dans lesquelles d’autres catégories de personnel peuvent disposer de ces modalités de gestion.
Les appointements de ces salariés englobent les variations horaires éventuellement accomplies dans une limite dont la valeur est au maximum de 10 % pour un horaire hebdomadaire de 35 heures (soit 38h30 au maximum).
Le personnel ainsi autorisé à dépasser l’horaire habituel dans la limite de 10 % doit bénéficier d’une rémunération annuelle au moins égale à 115 % du minimum conventionnel de sa catégorie.
Selon l’accord, les dépassements significatifs du temps de travail, commandés par l’employeur, au-delà de la limite de 38h30, représentent des tranches exceptionnelles d’activité de 3,5 heures et sont enregistrés en suractivité. Le compte de temps disponible peut être utilisé pour enregistrer ces suractivités qui ont vocation à être compensées par des sous-activités (récupérations, intercontrats…) par demi-journée dans le cadre de la gestion annuelle retenue.
Ces salariés ne peuvent travailler plus de 219 jours pour l’entreprise, compte non tenu des éventuels jours d’ancienneté conventionnels. Le compte de temps disponible peut être utilisé pour enregistrer les jours accordés aux salariés concernés par ces modalités. Toutefois, ce chiffre de 219 jours pourra être abaissé par accord d’entreprise ou d’établissement.
Les modalités de réalisation de missions avec autonomie complète (3) s’appliquent aux ingénieurs ou cadres réalisant leurs missions en autonomie complète et prévoient un forfait annuel en jours.
Le contrat de travail signé par les parties stipule qu’en contrepartie de l’accomplissement de ses fonctions, M. [G] percevra un salaire mensuel brut égal à 4.166 euros et une prime d’ancienneté de 519,79 euros bruts. Il ajoute que la rémunération susmentionnée correspond à un horaire hebdomadaire de 35 heures et inclut également une augmentation de l’horaire hebdomadaire jusqu’à 38h30 sur 219 jours par an maximum.
La société soutient que M. [G] relevait de la modalité dite de réalisation de mission (2).
Il n’est pas contesté que la rémunération de M. [G] était au moins égale au plafond de la sécurité sociale.
Si M. [G] ne bénéficiait pas d’une autonomie complète, il ressort des explications des parties qu’il disposait toutefois d’une autonomie dans la réalisation de ses missions et qu’il n’avait pas d’horaires prédéfinis.
Le fait que ce dernier soit soumis à une obligation de pointage ne remet pas en cause la latitude qui lui était accordée dans l’organisation de son travail ni l’absence d’horaires prédéfinis que la cour relève dans les pièces produites.
Par ailleurs, aux termes de l’article R.3243-1. 5° a) du code du travail, le bulletin de paie doit obligatoirement indiquer la nature et le volume du forfait convenu.
En l’espèce, force est de constater que l’ensemble des bulletins de salaire de M. [G] font seulement mention d’un horaire mensuel de 151,67 heures au titre du salaire de base, sans référence à la réalisation d’heures supplémentaires ou à un forfait en heures et sans que ne figurent de jours de RTT.
Par ailleurs, la clause du contrat de travail stipule un nombre de jour maximal de 219 jours par an et ce, conformément aux conditions prévues par l’accord de branche, qui, fixe un tel maximum pour la modalité 2, rappelant la nécessité d’assurer et de garantir le droit à la santé, à la sécurité, au repos et à l’articulation entre vie professionnelle et vie privée des salariés et de mettre en place un outil de suivi pour assurer le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire du salarié.
M. [G] indique avoir travaillé 230 jours par an et ne pas avoir disposé de jours de réduction du temps de travail en contrepartie du forfait visé à son contrat.
Il n’est pas contesté par la société intimée qu’il a effectivement travaillé un nombre de jour supérieur à celui fixé dans la clause contractuelle (219 jours) et qu’aucun jour RTT ne lui a été attribué.
Les conditions de l’accord de branche n’ayant pas été respectées, la convention de forfait prévue dans le contrat de travail conclu entre les parties n’est pas opposable à M. [G] qui peut donc prétendre au paiement des heures supplémentaires éventuellement réalisées selon le régime de droit commun.
Le jugement du conseil de prud’hommes de Libourne du 7 février 2020 est ainsi infirmé en ce qu’il a dit la convention de forfait opposable au salarié.
Sur les demandes en paiement au titre des rappels de salaire
Aux termes de l’article L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l’article L. 3171-3 du même code, l’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
Enfin, selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
A l’appui de la demande d’heures supplémentaires, M. [G] soutient avoir réalisé, eu égard à ses fonctions, de nombreux déplacements et de nombreux dépassements de son temps de travail contractuel.
Il produit notamment :
– les relevés de pointage informatisés incluant les déplacements réalisés, pour les années 2015 à 2018, dont la durée n’est pas clairement précisée,
– un tableau récapitulatif des heures supplémentaires pointées au-delà de 35 heures hebdomadaires incluant les temps de déplacement, distinguant les sommes dues au titre des temps de déplacement de celles correspondant aux heures supplémentaires de travail effectives (sans que le nombre d’heures ne soit précisé notamment pour lesmajorations de 25 ou 50%),
– un tableau récapitulatif des heures supplémentaires pointées au-delà de 38,5 heures hebdomadaires incluant les temps de déplacement, faisant la même distinction que le tableau précédent,
– des justificatifs des temps de déplacement, calculés sur la base de 40% du taux horaire,
– des attestations de salariés indiquant que M. [G] était amené régulièrement à se déplacer dans les différents sites du groupe.
Ces pièces constituent des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre et de justifier des horaires effectivement réalisés.
*
Pour s’opposer à la demande en paiement d’heures supplémentaires, la société s’appuie tout d’abord sur la validité de la convention de forfait en heures et sur le fait que la rémunération du salarié incluait l’accomplissement éventuel d’heures supplémentaires jusqu’à 38h30 par semaine.
Puis, elle soutient que si M. [G] était amené à effectuer de fréquents déplacements hors de son site d’affectation, ces temps de déplacements ne constituent pas du temps de travail effectif et ne donnent donc pas lieu au paiement d’heures supplémentaires.
La société intimée ajoute que de nombreuses anomalies ont été décelées dans les pointages de M. [G] et qu’ainsi les décomptes produits par le salarié sont imprécis, que peu de courriels ont été envoyés par le salarié en dehors de ses horaires habituels de travail et qu’elle a établi un tableau comparatif à l’aide de l’agenda professionnel du salarié.
Enfin, la société indique que M. [G] n’avait pas l’obligation de repasser par son lieu de travail, qu’il n’est pas possible de vérifier les heures de départ et d’arrivée qu’il déclare et que les justificatifs des déplacements versés ne permettent pas de contrôler les heures auxquelles les trajets ont été effectués.
A titre subsidiaire, la société intimée reconnaît, qu’au vu des relevés de pointage produits par M. [G] et compte tenu du forfait de 38h30, le nombre d’heures supplémentaires effectivement réalisées et prouvées par l’appelant et non réglées par elle s’élève à 108,41 heures pour l’année 2015, 177,51 heures pour l’année 2016, 258,36 heures pour l’année 2017 et 65,21 heures pour l’année 2018.
La société chiffre ces heures supplémentaires à la somme maximale de 14.108,01 euros bruts, hors congés payés.
S’agissant des temps de trajet, la société considère, au vu des éléments du dossier (agenda et pointage) que parmi les heures déclarées par M. [G], 332,36 heures constituent en réalité des heures de trajet effectuées en dehors de ses heures de travail pour se rendre à des rendez-vous professionnels, ce qui représente la somme de 2.395,73 euros, calculée sur la base de 25% du taux horaire.
***
La cour relève que les parties s’accordent sur le fait, qu’eu égard à la prescription triennale applicable, la période concernant les mois de janvier et février 2015 est prescrite, l’appelant ayant réajusté ses demandes en cause d’appel qui portent sur la période de mars 2015 à mars 2018.
Sur les temps de déplacement
Il n’est pas contesté que M. [G] était amené à effectuer des déplacements réguliers, notamment pour rencontrer les fournisseurs.
L’appelant verse d’ailleurs les justificatifs de nombreux de ces déplacements.
En vertu de l’article L.3121-4 du code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif mais s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière..
Ainsi, le temps de trajet qui dépasse le temps normal de trajet n’est pas considéré comme un temps de travail effectif, mais ouvre droit à une contrepartie et n’a pas à être pris en compte pour le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires, ni à être rémunéré comme des heures de travail.
En l’absence d’accord collectif ou d’engagement unilatéral de l’employeur sur la contrepartie due en cas de déplacement professionnel qui excède le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il appartient au juge de fixer le montant de cette contrepartie. Pour ce faire, il ne peut assimiler ce temps de déplacement à un temps de travail effectif.
Les circonstances de l’espèce commandent d’évaluer la contrepartie financière à laquelle M. [G] peut prétendre à 30% de son taux horaire, l’appelant bénéficiant par ailleurs de la mise à disposition d’un véhicule par la société à titre d’avantage en nature.
La cour relève que les tableaux produits aux débats par M. [G], notamment en pièce 9, font état d’un nombre d’heures de déplacement distinct selon que le récapitulatif et le calcul aient été établis, sur la base d’un forfait de 38h30 ou sur la base de la durée légale de 35 heures.
Or, le nombre d’heures de déplacement ne peut varier sur cette base. Dès lors, compte tenu de ces incohérences, le temps de déplacement retenu correspond à 617,89 heures soit une somme due de 6.407,52 euros (calculée sur la base de 30% du taux horaire évoluant chaque année) au cours de la période de mars 2015 à mars 2018.
Sur les heures supplémentaires
M. [G] ne peut prétendre à des heures supplémentaires que si son temps de travail hebdomadaire a dépassé 35 heures.
L’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié
Outre les éléments partiels de badgeage figurant dans les pièces de la société, l’appelant décompte, dans les tableaux qu’il produit, des heures supplémentaires sur des semaines qui n’ont été travaillées qu’en partie, se référant à un dépassement quotidien du temps de travail.
Dès lors, la cour ne peut retenir les semaines incomplètes.
Compte tenu des incohérences relevées par la société, la cour a la conviction que M. [G], au cours de la période de mars 2015 à mars 2018, a effectué des heures supplémentaires non rémunérées, mais pas à la hauteur de la somme qu’il revendique.
En conséquence et, au vu des éléments dont la cour dispose, la créance de M. [G] sera fixée à la somme de 34.688,77 euros outre la somme de 3.468,88 euros au titre des congés payés y afférents, correspondant à 801,04 heures au cours de la période de mars 2015 à mars 2018.
Le jugement du conseil de prud’hommes sera confirmé dans son principe mais infirmé sur le quantum des sommes allouées.
Sur la demande au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
En vertu des dispositions de l’article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement soit à l’accomplissement de la formalité relative à la déclaration préalable à l’embauche, soit à la délivrance d’un bulletin de paie ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie, soit aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
L’article L.8223-1 prévoit qu’en cas de rupture du contrat, le salarié auquel l’employeur a eu recours en commettant les faits prévus au texte susvisé a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Il appartient au salarié qui sollicite le bénéfice de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé de rapporter la preuve du caractère intentionnel de celui-ci.
En l’espèce, ce caractère intentionnel n’est pas établi dès lors, d’une part, que M. [G] n’avait formulé aucune demande antérieure au litige quant à son temps de travail et que, d’autre part, il n’est fait droit que partiellement à ses prétentions et au terme d’un long débat judiciaire.
Confirmant le jugement dont appel, M. [G] sera par conséquent débouté de sa demande à ce titre.
Sur les autres demandes
La société devra remettre à M. [G] un bulletin de salaire récapitulatif et les documents sociaux de fin de contrat rectifiés, conformes aux condamnations prononcées dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, sans qu’il ne soit nécessaire en l’état d’assortir cette remise d’une astreinte.
Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le conseil de prud’hommes, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
La société intimée, partie perdante à l’instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu’à verser à M. [G] la somme complémentaire de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement du conseil de prud’hommes de Libourne du 7 février 2020 sauf en ce qu’il a dit la convention de forfait en heures opposable à Monsieur [S] [G] et sauf sur le quantum des sommes allouées à titre de rappel de salaire,
Infirmant la décision de ces chefs,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit la convention de forfait en heures inopposable à Monsieur [S] [G],
Condamne la société Eoliance Résidentiel anciennement dénommée société Quinoa Résidentiel à verser à Monsieur [S] [G] les sommes suivantes
– 6.407,52 euros à titre de contrepartie financière des temps de déplacement sur la période de mars 2015 à mars 2018,
– 34.688,77 euros à titre de rappel de salaire correspondant aux heures supplémentaires effectuées entre mars 2015 et mars 2018 outre la somme de 3.468,88 euros au titre des congés payés y afférents,
– 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,
Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
Dit que la société Eoliance Résidentiel anciennement dénommée société Quinoa Résidentiel devra délivrer à Monsieur [S] [G] un bulletin de salaire rectificatif et les documents sociaux de fin de contrat rectifiés conformément à la présente décision et ce, dans le délai de deux mois à compter de sa signification,
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,
Condamne la société Eoliance Résidentiel anciennement dénommée société Quinoa Résidentiel aux dépens de la procédure d’appel.
Signé par Madame Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire