Harcèlement moral et prise d’acte : condamnation de l’employeur

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Harcèlement moral et prise d’acte : condamnation de l’employeur
Ce point juridique est utile ?

Nos Conseils:

1. Il est essentiel pour l’employeur de prévenir et de traiter les cas de harcèlement moral au sein de l’entreprise. Il doit mettre en place des mesures pour assurer la protection de la santé mentale et physique de ses salariés, conformément à l’article L 1152-1 du code du travail.

2. En cas de litige de harcèlement, il revient à l’employeur de prouver que les agissements reprochés ne constituent pas du harcèlement. Il est donc primordial de documenter et de suivre les signalements des salariés, ainsi que de prendre des mesures correctives si nécessaire, comme des formations ou des entretiens réguliers pour remédier aux comportements inadaptés.

3. En cas de prise d’acte de la rupture du contrat de travail par un salarié, il est important de vérifier si les faits allégués justifient cette décision. Si la prise d’acte est requalifiée en licenciement nul, l’employeur peut être tenu de verser une indemnité compensatrice de préavis et d’autres indemnités, comme l’indemnité de licenciement et des dommages-intérêts pour les circonstances abusives.

Résumé de l’affaire

Monsieur [L] [K] a été engagé par la société Crowe Fidelio en tant qu’assistant expert comptable en septembre 2015. Après une promotion en octobre 2018, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail en mai 2019, invoquant des faits de harcèlement moral. Le conseil de prud’hommes de Paris a condamné la société à verser diverses sommes à M. [K], notamment pour nullité du licenciement. La société a interjeté appel, contestant les accusations de harcèlement moral. Les parties ont formulé des demandes contradictoires, et l’affaire est en attente de jugement après une audience de plaidoiries en mai 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

19 juin 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/01885
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRET DU 19 JUIN 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01885 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDHHQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Octobre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS

APPELANTE

S.A.S. CROWE FIDELIO

N° SIRET : 382 285 807

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Christine HILLIG POUDEVIGNE, avocat au barreau de PARIS, toque: K0036

INTIMEE- APPELANTE INCIDENT

Monsieur [L] [K]

Né le 23 mars 1994 à [Localité 5] (77)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Lisa BATAILLE, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant et par Me Cédric VANDERZANDEN, avocat au barreau de BORDEAUX, toque : 1180, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Didier MALINOSKY magistrat honoraire exerçant des fonctions judiciaires, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Véronique MARMORAT, présidente

Anne MENARD, présidente

Didier MALINOSKY, magistrat honoraire exerçant des fonctions judiciaires

Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC

ARRET :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Véronique MARMORAT, Présidente de chambre et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Monsieur [L] [K] été engagé par la société (SAS) Crowe Fidelio le 7 septembre 2015 par contrat d’apprentissage, reconduit en contrat à durée indéterminée le 20 novembre 2017, en qualité d’assistant expert comptable. Il est élu délégué du personnel en juin 2018 pour un mandat de quatre ans.

Il bénéficie à compter du 1er octobre 2018 d’une promotion en qualité d’assistant confirmé, niveau 4, coefficient 280 de la convention collective nationale des cabinets d’experts comptables et commissaires aux comptes et d’un salaire annuel brut, hors prime, de 36 000 euros.

L’entreprise compte quarante salariés.

M. [K] a été placé en arrêt pour maladie à compter du 25 avril 2019, prolongé le 7 mai 2019 jusqu’au 22 mai 2019.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 15 mai 2019, M. [K] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Crowe Fidelio.

A la suite de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail, M. [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 20 février 2020 de diverses demandes dont la requalification de la prise d’acte et ses conséquences financières.

Par jugement du 14 octobre 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a :

Condamné la SAS Crowe Fidelio à payer à M. [K] les sommes suivantes :

– 6 000 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 2 687,50 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;

– 90 000 euros à titre d’indemnité pour nullité du licenciement pour violation du statut protecteur ;

Les intérêts courent à compter de la réception, par la partie défenderesse, de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, pour les créances de nature salariale et à compter du prononcé du jugement pour les créances à caractère indemnitaire.

– 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Débouté M. [K] du surplus de ses demandes ;

Débouté la SAS Crowe Fidelio de ses demandes reconventionnelles ;

Condamné la SAS Crowe Fidelio au paiement des entiers dépens.

La société Crowe Fidelio a interjeté appel de ce jugement le 15 février 2021.

DEMANDES DES PARTIES

Par conclusions récapitulatives déposées par messagerie électronique le 21 septembre 2021, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Crowe Fidelio demande à la cour de :

– Infirmer le jugement du 14 octobre 2020 par le conseil de prud’hommes de Paris, en ce qu’il a :

– Jugé que les éléments du harcèlement moral étaient réunis ;

– Jugé que la prise d’acte consécutive à un harcèlement moral est justifiée et produit les effets d’un licenciement nul ;

– Condamné la SAS Crowe Fidelio à payer à M. [K] les sommes suivantes :

‘ 6 000 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

‘ 2 687,50 euros à titre d’indemnité de licenciement,

‘ 90 000 euros à titre d’indemnité pour nullité du licenciement pour violation du statut protecteur,

‘ 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Débouté la SAS Crowe Fidelio de ses demandes reconventionnelles ;

– Condamné la SAS Crowe Fidelio au paiement des entiers dépens. ;

Et statuant à nouveau,

– Dire et juger que M. [K] n’a pas été victime de faits de harcèlement moral ;

– Dire et juger que la société Crowe Fidelio n’a commis aucun manquement, ni aucun manquement grave à l’égard de M. [K] ;

– Dire et juger que la prise d’acte de rupture de son contrat de travail par M. [K] produit les effets d’une démission ;

En conséquence,

– Débouter M. [K] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– Débouter M. [K] de son appel incident ;

– Condamner M. [K] à payer à la société Crowe Fidelio les sommes suivantes :

– 6 000 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– Un euro symbolique à titre de dommages intérêts pour procédure abusive.

– Ordonner le remboursement par M. [K] à Crowe Fidelio des sommes versées à M. [K] dans le cadre de l’exécution provisoire ;

– Confirmer le jugement rendu le 14 octobre 2020 par le conseil de prud’hommes de Paris, en ce qu’il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par M. [K] au titre des circonstances abusives ayant poussé la prise d’acte de rupture ;

En conséquence,

– Rejeter l’appel incident formé par M. [K] et rejeter toute demande, fin ou conclusion contraire ;

En toute hypothèse,

– Rejeter toutes les demandes, fins et conclusions formées par M. [K] car non fondées;

– Condamner M. [K] payer à la société Crowe Fidelio une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner M. [K] en tous les dépens de la présente procédure et de ses suites.

Par conclusions récapitulatives déposées par messagerie électronique le 28 juin 2021, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, M. [K] demande à la cour de :

– Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes le 14 octobre 2020, en ce qu’il a :

– Condamné la SAS Crowe Fidelio à payer à M. [K] les sommes suivantes:

‘ la somme de 6 000 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

‘ la somme de 2 687,50 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

‘ la somme de 90 000 euros à titre d’indemnité pour nullité du licenciement en violation du statut protecteur,

‘ 700,00 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– Débouté la SAS Crowe Fidelio de ses demandes reconventionnelles ;

– Condamné la SAS Crowe Fidelio aux entiers dépens ;

– Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes le 14 octobre 2020 en ce qu’il a débouté M. [K] de sa demande de versement de dommages et intérêts en raison des circonstances abusives ayant poussées M. [K] à prendre acte de la rupture ;

Statuant à nouveau,

– Condamner la société Crowe Fidelio à verser à M. [K] la somme de 18 000 euros au titre de dommages et intérêts en raison des circonstances abusives l’ayant poussé à prendre acte de la rupture ;

– Condamner la SAS Crowe Fidelio à verser à M. [K] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la SAS Crowe Fidelio aux entiers dépens ;

– Débouter la SAS Crowe Fidelio de toutes ses demandes, fins et prétentions.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 19 mars 2024 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 13 mai 2024.

Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, il sera fait référence aux conclusions d’appelant et au jugement de première instance par application de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le harcèlement moral

La société Crowe Fidelio soutient que les éléments versés aux débats seraient insuffisants à caractériser des faits de harcèlement moral. Elle fait valoir que M. [K] a accepté de conclure un contrat à durée indéterminée après son contrat d’apprentissage, ce qui démontrerait qu’aucun élément grave n’empêchait la poursuite de la relation contractuelle.

La société fait valoir qu’il aurait préalablement demandé une rupture conventionnelle, qu’il justifiait par une dégradation de son état de santé du fait d’agissements de la part de Mme [N], sans apporter de précisions.

La société prétend qu’il aurait trouvé un nouvel emploi et souhaitait seulement se libérer rapidement.

M. [K] soutient avoir subi des faits de harcèlement moral. Il fait valoir l’existence d’un ‘turn-over’ significatif dans la société, notamment des départs qui seraient en lien avec le comportement inadapté de Mme [N], décrit par d’anciens salariés comme stressant, humiliant, méprisant ou encore agressif.

Le salarié fait également valoir une surcharge de travail pesant sur l’ensemble des collaborateurs, créant une souffrance au travail, et des alertes de leur part ou de managers faites à la direction sur la gravité de la situation liée au comportement ‘tyrannique’ de Mme [N].

Sur ce,

Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, ‘aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel’.

L’article L 1154-1 du code du travail précise que dans les litiges de harcèlement ‘le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement’.

L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat, doit assurer la protection de la santé des travailleurs dans l’entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.

Dès lors que de tels faits sont avérés, la responsabilité de l’employeur est engagée, ce dernier devant répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés.

Pour justifier de faits de harcèlement M. [K] allègue de :

– Un turn over important dans l’entreprise qu’il chiffre à vingt salariés sur deux ans et pour un effectif de quarante salariés.

– Une surcharge de travail se traduisant par des horaires et un rythme de travail excessif.

– Un management ‘agressif’ comme ‘politique de gestion du personnel’ signalé par de plusieurs salariés.

– Les agissements à son encontre par l’alternance de période de calme voir emphatique et de période d’agression permanente de la part de Mme [N].

– Les conséquences sur son état de santé.

Outre son contrat de travail et ses bulletins de paie, M. [K] produit les éléments suivants :

– Les échanges de courriels entre la société Crowe Fidelio et M. [K] entre le 10 et le 19 avril 2019.

– Le courrier de la société Crowe Fidelio à M. [K] du 27 juillet 2018 ;

– Les attestations de Mmes [J] [G], [H] [G] ;

– Le courriel de Mme [P] [WP] à M. [E] en date du 1er février 2019 ;

– Les échanges de messages sur ‘WhatsApp’ entre Mme [WP] et M.[C] du 4 février 2019 ;

– Les attestations de Mmes [KB] [WP] et [P] [WP] ;

– La fiche d’évaluation annuelle de M.[K] remplie par Mme [P] [WP] le 24 mai 2018 ;

– Les courriels de Mme [N] à M. [K] du 13 novembre 2018 au 14 février 2019 ;

– Les échanges de courriels entre M. [K] et Mme [N] entre 28 et le 30 mai 2018 ;

– Les échanges de courriels entre M. [K] et Mme [N] du 19 juin 2018 ;

– Les échanges de courriels entre M. [K] et Mme [N] du 17 juillet 2018 ;

– Les échanges de courriels entre M.[K] et Mme [N] du 22 octobre 2018 ;

– Les échanges de courriels entre M. [K] et Mme [N] du 4 décembre 2018 ;

– Les échanges de courriels entre M. [K] et Mme [N] le 11 décembre 2018 ;

– Les échanges de courriels entre M. [K] et Mme [N] du 17 janvier 2019 ;

– L’arrêt maladie initial du 25 avril 2019 ;

– L’ordonnance du 25 avril 2019 du Docteur [I], médecin traitant ;

– L’arrêt maladie de prolongation du 7 mai 2019 ;

– La fiche de préconisations de la médecine du travail suite à une visite de pré-reprise en date du 2 mai 2019 ;

– L’ordonnance du 7 mai 2019 du Docteur [HN] ;

– Le certificat médical du Docteur [HN] ;

– Le courriel de M. [O] à M. [C] du 8 mars 2018 ;

– Le courriel de Mme [N] à ses collègues du 9 mars 2018 ;

– La prise d’acte de la rupture de M.[K] du 15 mai 2019 ;

– Le courrier d’accusé réception de la prise d’acte par la société Fidelio du 20 mai 2019 ;

– Les attestations de Mmes [U] [DN], [V] [Y], [X] [A], [W] [R] et de M. [T] [WP] ;

– Une capture d’écran de conversation Whatsapp avec M. [F] du 10 janvier 2020.

Au regard de l’ensemble des pièces produites, la cour relève qu’il existe un ‘turn over’ important dans la société se traduisant par près de vingt départs de la société sur deux années soit 50 % de l’effectif et que de nombreuses attestations ou courriels de salariés démontrent un comportement particulièrement inadapté de la supérieure de M. [K], comportement décrit comme stressant, humiliant, méprisant ou encore agressif et signalé à la direction de la société, à différentes reprises, tant par M. [K] que par d’autres salarié(e)s et plus précisément, pour M. [K] fin 2018 pour un management de Mme [N] alternant périodes d’agressions verbales, de reproches constants, dégradants et humiliants, des instructions contradictoires, ou encore des excès de colère avec des périodes de calme où son attitude est considérée comme démesurément élogieuse.

Pa ailleurs, au regard des bulletins de salaire produits, la cour relève le paiement régulier et mensuel de 8,66 heures supplémentaires pendant toute la relation contractuelle.

Dès lors, il apparaît que le salarié présente des éléments de fait qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

La société fait valoir qu’à l’occasion de ses entretiens d’évaluation, M. [K] n’a jamais fait état d’un mal être ou de difficultés à l’égard de sa responsable, ayant au contraire vanté son professionnalisme, cette dernière portant une appréciation positive sur son travail.

Lors d’une enquête, en mars 2018, consécutive à une altercation entre la responsable hiérarchique et un autre salarié, M. [K] aurait nié l’existence de tout fait répréhensible et indiqué clairement n’en avoir jamais fait l’objet.

La société indique que cette enquête, comme celle menée après la dénonciation par M. [K] du management de Mme [N], a conclu à l’absence de fait répréhensible de la part de cette dernière qui reconnaît elle-même avoir parfois un management strict.

La société indique, que tout comme M. [K] dans le collège employé, Mme [N] a été élue suppléante en mai 2018 au CSE dans le collège cadre et qu’il n’a jamais alerté la direction, ni la médecine du travail d’un éventuel comportement de harcèlement de sa responsable.

Pour justifier de ses dires, la société produit :

– L’audition du 8 mars 2018 de M. [O] dans le cadre d’une enquête relative à Mme [N];

– Les entretiens d’évaluation de M. [K] de juin et juillet 2017 (fiches d’évaluations et entretien final) ;

– Les entretiens d’évaluation du salarié de mai, juin et juillet 2018 (fiches d’évaluations et entretien final) :

– Le compte-rendu d’enquête de la société sur les faits de harcèlement dénoncés par M [K] et ses annexes (auditions des salariés).

– Le procès-verbal des élections du CSE du 28 mai 2018 ;

– des échanges de courriels entre Mme [N] et M. [K] entre le 14 janvier et le 27 juin 2019.

– Les attestations de plusieurs salariés : MMS [WP] [C], [D] [G], [Z] [DN], [C] [DN], [B] [DN], [WP] [M] et de Mme [WP] [G];

– Un échange de courriels entre Mme [N] et M. [K] du 9 avril 2019 ;

– Plusieurs courriels de MMS [WP] [C], [S] [G] et M. [K] du 29 avril 2019 ;

– Des courriels de plusieurs salariés déjà cités par M. [K] entre janvier 2019 et juillet 2019 ;

– Plusieurs évaluations ou entretiens de salariés attentant ou non pour M. [K] de 2017, 2018 ;

– Le compte rendu d’entretien du 8 mars 2018 de M. [K] relatif à une altercation entre Mme [N] et un autre salarié ‘junior’ ;

– Des comptes-rendus des réunions avec les délégués du personnel.

La cour relève que jusqu’en juin 2018, M. [K] était, soit affecté dans une autre équipe soit dépendant d’une autre responsable, ses entretiens d’évaluation de 2017 et ceux de début 2018 ayant été établis par d’autres responsables que Mme [N], le seul compte-rendu d’entretien réalisé par cette dernière, celui de juin 2018, étant une reprise des termes des précédents, M. [K] portant une excellente appréciation sur les premières semaines de son activité dans son nouveau groupe d’affectation.

La cour relève, aussi, que dès mars 2018 la société avait connaissance de plusieurs faits établis, dont l’altercation entre Mme [N] et M. [O], ayant fait l’objet de l’enquête de mars 2018, et des relations parfois tendues entre cette responsable et d’autres salariés concrétisées par plusieurs départs de la société.

Il est aussi constant que dès juillet 2018, M. [K] a fait part à la gouvernance de la société d’un comportement agressif de Mme [N], signalement qu’il répétera en fin 2018 et début 2019.

Il est établi par les nombreuses attestations des salariés que, d’une part, un grand nombre d’entre eux, près de vingt, ont quitté l’entreprise sur les deux dernières années en mettant en cause un management ‘par le stress’ de plusieurs cadres dont Mme [N] et, d’autre part, que la société n’a pris aucune mesure pendant l’année 2018 pour remédier à cette situation.

Ainsi, la cour relève, d’une part, que c’est suite au signalement de M. [K] du 10 avril 2019, accompagné d’une demande de rupture conventionnelle, que la société a organisé un nouvel entretien marqué par le constat d’un ‘mal être, d’angoisses et de craintes en raison du comportement’ de Mme [N].

La cour relève que jusqu’à la prise d’acte du salarié du 14 mai 2019, aucune mesure n’a été prise, la commission d’enquête n’ayant été convoquée que postérieurement à son départ avec des conclusions déposées au 25 juin 2019, soit plus d’un mois après le départ du salarié.

Ce rapport d’enquête mentionne que le pôle ‘groupe’ est dirigé ‘différemment’ par chacune des deux responsables, les salariés du pôle reprochant à Mme [N] un comportement ‘versatile’, ‘directif’et pour certains ‘une appréhension d’aller vers elle’ voir ‘ des réflexions pouvant être mal interprétées’ ou des ‘reproches injustifiés’ ou des ‘échanges inappropriés, touchant les mêmes personnes’ et’la collaboration avec elle est difficile’.

C’est le même constat qui est relevé dans les rapports entre Mme [N] et M. [K] avec des reproches constants et des pressions renouvelées débouchant sur des tensions et des remarques inappropriées et désobligeantes.

Si les conclusions du rapport excluent tout fait de harcèlement de Mme [N], elles reprennent, cependant, les reproches décrits par les salariés sur son ‘management agressif’, ‘versatile’ et ‘directif’ et propose ‘un accompagnement de Mme [N] dans ses fonctions de management avec sa participation à des formations idoines’ et ‘la mise en place d’entretiens plus réguliers avec cette responsable et la modification des entretiens d’évaluation et de leurs supports pour remédier plus rapidement aux difficultés’ de ce type de management.

Cependant, si le rapport de l’enquête fixe des pistes de réflexion pour l’avenir, la cour relève que la société ne justifie d’aucune mise en oeuvre de celles-ci renvoyant la responsabilité des difficultés sur M. [K] alors que les agissements répétés de Mme [N] ont eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail et un grave impact sur sa santé physique et mentale sans que la direction ne prenne de mesure nécessaire à la préservation de sa santé tel que constaté par son médecin traitant et le médecin du travail, d’un ‘syndrome anxiodépressif majeur et sévère’ outre la consultation d’un psychiatre une à deux fois par semaine, avec prescription d’anxiolytiques et d’antidépresseurs.

Ainsi, la cour retient que l’employeur ne démontre pas que les agissements litigieux de la responsable de M. [K] ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que son absence de décisions, étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par conséquent, l’existence de faits de harcèlement moral est caractérisée.

Sur la prise d’acte

La société Crowe Fidelio soutient qu’en l’absence de harcèlement moral, ou de manquement grave à ses obligations, la prise d’acte de rupture du contrat de travail de M. [K] devrait revêtir les effets d’une démission.

M. [K] soutient qu’il aurait largement démontré les faits de harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique, et le manquement grave de la société à son obligation de sécurité et de résultat, qui justifieraient la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, devant dès lors revêtir les effets d’un licenciement nul.

Il fait aussi valoir que prononcé en violation du statut protecteur lié à son mandat de représentation des salariés, la prise d’acte de la rupture encourt la nullité.

Sur ce,

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.l237-2 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

En cas de prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission. Il appartient au salarié d’établir les faits qu’il allègue à 1’encontre de l’employeur.

L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d’examiner les manquements de l’employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

En l’espèce, la prise d’acte de rupture étant justifiée par des faits de harcèlement reconnus par la cour et, pour le moins, par une réponse tardive sinon absente de la société aux agissements de la responsable de M. [K], faits qui sont constitutifs d’agissements répétés ayant eu pour effet une dégradation de son état de santé, il y a lieu de prononcer que cette rupture s’analyse en un licenciement nul.

Sur les demandes financières

Sur la violation du statut protecteur

Il résulte de l’article L. 1235-3-1 du code du travail qu’en cas de nullité du licenciement, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Le dernier alinéa du texte ajoute que l’indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

Lorsqu’un salarié protégé prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur et que la rupture est requalifiée en licenciement nul le salarié, représentant du personnel peut prétendre au titre de son statut protecteur, à la rémunération qu’il aurait perçue jusqu’à l’expiration de la période de protection en cours dans la limite de deux ans, durée minimale légale de son mandat, augmentée de six mois.

Ainsi, M. [K] ayant été élu comme membre titulaire du CSE au titre 28 mai 2018 peut prétendre à une indemnité égale à trente mois de rémunération soit le somme brute de 90 000 euros

Sur l’indemnité compensatrice de préavis

Aux termes de l’article L 1234-1 du code du travail, les salariés ayant une ancienneté d’au moins deux années au service d’un même employeur bénéficie d’une indemnité compensatrice de préavis de deux mois.

Ainsi, M. [K] ayant été embauché le 7 septembre 2015 a une ancienneté supérieure à deux ans et il lui sera fait droit, à ce titre dans la limite de sa demande, d’une somme de 6 000 euros.

Sur l’indemnité de licenciement

Aux termes de l’article R 1234-2 du code du travail, l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure, pour les salariés ayant dix années ou moins d’ancienneté, à un quart de mois par années de présence.

M. [K] ayant une ancienneté préavis compris de trois ans, dix mois et huit jours, il lui sera fait droit, dans la limite de sa demande, d’une somme de 2 687,50 euros.

Sur la demande d’indemnisation des circonstances abusives conduisant à la prise d’acte de la rupture

M. [K] soutient que la société a fait preuve de déloyauté lors des négociations sur une éventuelle rupture conventionnelle et sur les circonstances l’ayant conduit à sa prise d’acte. Il sollicite, à ce titre une indemnité égale à six mois de salaire.

La société soutient qu’en l’absence de tout manquement de sa part, M. [K] devra être débouté de sa demande.

Sur ce,

La cour relève que si l’entretien du 16 avril 2019 avait pour but pour M. [K] d’informer une nouvelle fois sur le comportement de harcèlement de sa responsable et de discuter d’une éventuelle rupture conventionnelle, le refus de la société de ne pas retenir cette rupture conventionnelle ne constitue pas un comportement abusif de la société qui aurait pu prendre des dispositions mettant fin au comportement de sa responsable sans discuter d’une rupture négociée de son contrat.

Par ailleurs, sa prise d’acte du 15 mai 2019 a été faite en raison de l’absence de toute mesure faisant cesser les faits de harcèlement et non sur le refus de la société d’une rupture conventionnelle.

Ainsi, en confirmation du jugement entrepris, M. [K] sera débouté de sa demande.

Sur les demandes reconventionnelles de la société

Sur le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis

La prise d’acte de la rupture du contrat de travail ayant été requalifiée en licenciement nul, la société sera déboutée de sa demande en paiement de l’indemnité compensatrice de préavis.

Sur le caractère abusif de la rupture et de la procédure

La société Crowe Fidelio soutient que la prise d’acte de rupture, ainsi que la présente action intentée par M. [K] à l’encontre de la société, seraient opportunistes et abusives. Elle sollicite des dommages intérêts à hauteur d’un euro.

Sur ce,

L’article 32-1 du code de procédure civile dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages intérêts qui seraient réclamés.

La cour rappelle que la saisie d’une juridiction n’est pas constitutive d’une action dilatoire étant rappelé que les premiers juges ont fait droit aux demandes de M. [K] et que la société est appelant en cause d’appel.

La société sera déboutée de sa demande au titre d’une procédure abusive.

Sur les autres demandes

La société Crowe Fidelio qui succombe à l’instance sera condamnée aux dépens, ainsi qu’à payer à M. [L] [K] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.


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