RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
21e chambre
ARRET DU 23 SEPTEMBRE 2021
N° RG 19/01938 –��N° Portalis DBV3-V-B7D-TE2K
AFFAIRE :
M K-L
C/
SASU MONDADORI MAGAZINES FRANCE, devenue […], prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 7 Mars 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTROUGE
N° Section : E
N° RG : 16/01069
LE VINGT TROIS SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame M K-L
née le […] à […]
de nationalité Française
[…]
[…]
Représentant : Me Emmanuelle GAMBLIN de la SELEURL Gamblin Avocats, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1478
APPELANTE
****************
SASU MONDADORI MAGAZINES FRANCE, devenue […], prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège en cette qualité
N° SIRET : 452 791 262
[…]
[…]
Représentant : Me Agnès VIOTTOLO de la SELARL Teitgen & Viottolo, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R011 Représentant : Me Christophe DEBRAY, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 8 Juin 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,
Madame Valérie AMAND, Président,
Madame Florence MICHON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,
FAITS ET PROCÉDURE
Engagée par contrat de travail en date du 22 juin 2009 – avec reprise d’ancienneté au 18 mai 2009 –
par la société Mondadori Magazines France, devenue Reworld Média, en qualité de ‘Rédactrice
Beauté’, statut journaliste titulaire, affectée à la rédaction du magazine ‘Grazia’, Mme
K-L a été promue, suivant avenant du 1er mai 2012, au poste de ‘Chef de rubrique
beauté’.
Le 25 octobre 2012, elle a été élue déléguée du personnel titulaire, mandat qu’elle a conservé
jusqu’au 17 décembre 2015.
Au mois de février 2015, Mme X, ‘Rédactrice en chef beauté’ et supérieure hiérarchique directe
de Mme K-L, a été promue au poste de ‘Rédactrice en chef Print-Digital’.
Le 8 février 2015, Mme K-L a postulé au poste de ‘Rédactrice en chef beauté’, en
remplacement de Mme X, lequel a finalement été confié dans le cadre d’un recrutement externe,
à Mme F Y au mois d’avril 2015.
Placée en arrêt maladie du 30 juin au 24 juillet 2015, puis de nouveau après une période de congés
payés, continûment à compter du 13 août 2015, déclarée inapte à son poste de travail au visa de
l’article R. 4624-31 du code du travail, à l’issue de la visite médicale de reprise en date
du 21 décembre 2015, Mme K-L a été licenciée par lettre datée du 22 mars 2016 pour
inaptitude et impossibilité de reclassement après que l’inspecteur du travail a autorisé son
licenciement le 17 mars 2016.
Le 19 mai 2016, Mme K-L a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt
aux fins d’entendre juger le licenciement nul pour discrimination syndicale et harcèlement moral et, à
défaut, dépourvu de cause réelle et sérieuse et d’obtenir le paiement de diverses sommes de nature
salariale et indemnitaire.
La société s’est opposée aux demandes, et a sollicité une somme de 1 000 euros au titre de
l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 7 mars 2019, notifié le 20 mars 2019, le conseil a statué comme suit :
Dit et jugé que le licenciement est pour inaptitude professionnelle,
Condamné la société à verser la somme de 3 700 euros au titre des dommages et intérêts pour
violation de l’obligation de sécurité de résultat,
Condamné la société à verser à Mme K-L la somme de 1 000 euros au titre de l’article
700 du code de procédure civile,
Débouté Mme K-L du surplus de ses demandes et la société de sa demande de 1 000
euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamné les parties à leurs dépens et surplus.
Le 19 avril 2019, Mme K-L a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par ordonnance rendue le 12 mai 2021, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de
l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 8 juin 2021.
‘ Selon ses dernières conclusions, en date du 19 juillet 2019, Mme K-L demande à la
cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a jugé fondé le licenciement pour inaptitude professionnelle et
l’a déboutée de ses demandes au titre du harcèlement moral et de la discrimination syndicale, mais de
le confirmer en ce qu’il a condamné la société pour violation de son obligation de sécurité, sauf à le
réformer en son quantum et de :
Dire et juger que l’inaptitude résulte de ses conditions de travail, qu’elle a subi des faits constitutifs
de harcèlement moral et de discrimination syndicale ;
Condamner en conséquence, à titre principal, la société à lui la somme nette de 22200 euros à titre de
dommages et intérêts pour licenciement nul, ou à titre subsidiaire, la même somme à titre
d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
En tout état de cause, condamner la société à lui verser la somme de :
7 396,04 euros bruts à titre d’indemnité de préavis et 739,60 euros au titre des congés payés y afférents ;
1.
11 100 euros nets à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat ;
2.
11 100 euros nets au titre de dommages et intérêts en raison de la discrimination syndicale ;
3.
11 100 euros nets au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
4.
5 000 euros par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
5.
Assortir les sommes auxquelles sera condamnée la société des intérêts au taux légal courus depuis la
date de la saisine du conseil de prud’hommes ;
Condamner la société à lui délivrer les documents sociaux rectifiés, le tout sous astreinte de 50 euros
par jour de retard ;
La condamner aux entiers dépens.
‘ Selon ses dernières conclusions, remises au greffe le 15 octobre 2019, la société Reworld Média,
venant aux droits de la société Mondadori Magazines, demande à la cour de :
Débouter Mme K-L de son appel mal fondé, l’en débouter et faire droit par contre à son
appel incident ;
Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il l’a
condamnée au paiement de la somme de 3 700 euros à titre de dommages et intérêts pour violation
de l’obligation de sécurité de résultat et de celle de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du
code de procédure civile ;
Confirmer la décision de première instance en toutes ces autres dispositions
En conséquence, débouter Mme K-L de l’intégralité de ses demandes, fins et
conclusions et condamner Mme K-L au paiement de la somme de 1000 euros sur le
fondement de l’article 700 du code civil, ainsi qu’aux entiers dépens dans les conditions de l’article
699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des
parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
MOTIFS
Nonobstant le principe de séparation des pouvoirs entre le juge judiciaire et le juge administratif
consacré par la loi des 16 et 24 août 1790, dans le cas où une demande d’autorisation de licenciement
d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l’administration du travail
de vérifier que celle-ci est réelle et justifie son licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche,
dans l’exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la
faute invoquée résulte d’un harcèlement moral dont l’effet, selon les dispositions combinées des
articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du code du travail, serait la nullité de la rupture du contrat de travail.
Il s’ensuit que l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à
ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l’origine de
l’inaptitude lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations.
I – sur le harcèlement moral :
Selon les dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, dans leurs versions
applicables au litige antérieure à la réforme de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, aucun salarié ne
doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une
dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité,
d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; en cas de litige,
lorsque le salarié établit des faits constituant, selon lui, un harcèlement, il appartient au juge
d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un
harcèlement et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont
pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs
étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction
qu’il estime utiles
En l’espèce, Mme K-L énonce les faits suivants, constitutifs selon elle d’un harcèlement
moral exercé par sa supérieure
hiérarchique, Mme Y :
1. La dégradation de ses conditions de travail depuis sa candidature au poste de rédactrice en chef
beauté le 8 février 2015 à laquelle l’employeur lui a annoncé préférer une candidature extérieure,
caractérisée par l’absence de réponse à sa candidature au poste de ‘responsable Web beauté’ pourtant
proposée par le directeur de publication, des pressions incessantes et le comportement antipathique
de Mme Y arrivée sur le poste de Responsable beauté en mai 2015, des reproches récurrents
sur la prise de congés payés ou relativement à un prétendu manque d’implication, sa mise à l’écart
caractérisée par le fait qu’elle n’était plus convoquée aux réunions et qu’elle était dépossédée de ses
responsabilités lesquelles étaient confiées à des pigistes que la nouvelle responsable du service
connaissait par ailleurs, l’annulation d’un voyage de presse organisé à Ibiza sous le fallacieux
prétexte de son état de santé précaire, l’annulation de jours de RTT qu’elle avait posés au mois de
mars, alors qu’elle avait déjà effectué des réservations, le refus de sa candidature au plan de départ
volontaire après avoir été incitée à postuler à ce plan, et le refus d’aller chercher ses affaires dans son
bureau le jour de l’
entretien préalable à un éventuel licenciement.
2. La dégradation de sa santé physique et mentale qui a entraîné son arrêt maladie du 30 juin
au 21 décembre 2015, l’employeur ne respectant pas la déconnexion préconisée par les médecins en
lui adressant un message le 2 novembre 2015.
L’employeur réfute tout harcèlement et soutient que la salariée, dont la candidature n’avait pas été
retenue sur le poste de Responsable beauté, a manifesté de manière réitérée le souhait de quitter dès
lors l’entreprise, sa candidature au plan de départ volontaire n’ayant pu être retenue, son poste n’étant
pas supprimé.
1 – Sur l’absence de réponse à sa candidature au poste de ‘responsable Web beauté’ pourtant proposée
par M. Z, directeur de publication :
Au soutien de cette affirmation, Mme K-L communique une note, non datée, adressée à
un certain ‘B’, (pièce n°33), aux termes de laquelle, la salariée, précisant faire suite à leur
entretien du lundi précédent, lui fait part de ses réflexions pour ‘répondre aux ambitions de la
marque en termes de différenciation et d’innovation’ et lui soumet un organigramme comprenant
notamment une ‘Rédactrice en chef beauté’, en charge notamment de la ligne éditoriale beauté print
et une ‘Rédactrice en chef adjointe’, en charge de la ligne éditoriale web.
L’employeur ne présente aucune observation sur ce point.
À la lecture du mail adressé le 23 avril 2015 par Mme K-L à Mme A, par lequel
elle lui confirme l’arrivée d’F Y pour prendre le poste de rédactrice en chef beauté et
lui indique n’avoir ‘reçu aucun retour précis sur le poste ni sur les missions que vous souhaitez me
confier dans le cadre de cette nouvelle organisation, les perspectives évoquées sur le digital et le
mémo demandé et envoyé à B le 8 février n’a donné lieu à aucun commentaire’, il s’en déduit
que le rendez-vous évoqué dans le mémo référencé ’33 », est la date à laquelle la salariée a été reçue
par le directeur de publication pour présenter sa candidature au poste de Rédactrice en chef beauté,
jusqu’alors occupé par Mme X, à l’issue duquel elle a été invitée à présenter ses réflexions sur la
réorganisation du service qui pourrait lui être confié.
Il sera considéré comme établi que la direction n’a pas donné suite aux réflexions que
Mme K-L avait pu présenter à l’occasion de sa candidature au poste de Rédactrice en
chef beauté, laquelle n’a pas été retenue au profit d’une candidature externe, à savoir celle de Mme
F Y.
2 – Sur le refus de lui accorder un changement de bureau :
À ce titre, Mme K-L allègue, sans produire le moindre élément au soutien de ses dires,
que Mme Y lui a refusé ‘un changement de bureau validé par son ancienne supérieure avant
son départ’. Ce grief n’est pas établi.
3 – Sur l’annulation du voyage de presse organisé à Ibiza :
Il est constant que Mme Y a annulé le 19 mai la participation de Mme K-L à ce
voyage de presse, organisé à Ibiza du 25 mai au 29 mai 2015, soit la semaine suivant l’arrêt maladie
d’une semaine qui a été prescrit à Mme K-L ensuite du malaise qu’elle a fait le lundi 18
sur son lieu de travail, que la salariée reliait à des problèmes de tension (hypertension et chute de
tension) dont elle souffrait depuis l’accouchement de son deuxième enfant, semaine correspondant,
par ailleurs, à une semaine de congés posée par la supérieure
hiérarchique.
La décision prise par la supérieure
hiérarchique de supprimer, dans ce contexte, sa participation à ce
voyage à Ibiza est établie.
4 – Sur des pressions incessantes et le comportement antipathique de Mme Y :
Mme K-L soutient que Mme Y lui a ensuite reproché de prendre des congés
payés dont l’appelante affirme, sans être démenti par la société qu’ils lui avaient été accordés avant
l’arrivée de sa nouvelle supérieure
hiérarchique.
Au soutien de ce grief, Mme K-L communique un échange de messages faisant suite à
la décision prise par sa supérieure de la remplacer au voyage de presse prévu à Ibiza. (pièces n°10)
Il ressort de ces messages échangés du 26 au 28 mai, que :
— la salariée a remis en question l’annulation de ce voyage à Ibiza, qui lui aurait été imposée à seule
fin d’assurer la permanence en l’absence de la Rédactrice en chef, en congés celle semaine là, et a
interrogée sa supérieure sur les missions qu’elle comptait lui confier ;
— Mme Y lui a répondu en relevant que le médecin traitant de sa collaboratrice était
favorable à une prolongation de son arrêt-maladie durant la semaine du 25 au 29 mai, qu’elle prenait
trois semaines de congés au mois de juin, période d’activité chargée, qu’elle n’avait pas à se justifier
du choix de la personne choisie pour la remplacer à ce voyage de presse à Ibiza, regrettant ‘son
manque d’implication et son investissement minimum’ ;
— Mme K-L a réfuté son prétendu manque d’implication, en invitant son interlocutrice à
‘lister les manquements constatés dans l’exercice de ses missions’, qualifiant ses remarques répétées à
propos de ses congés de déplacées’ ;
— Mme Y lui faisant remarquer que dès son arrivée elle lui avait indiqué quitter le service,
Mme K-L concédait avoir sollicité les ressources humaines en ce sens.
Cet échange de mails est établi.
Par ailleurs, il est établi que durant les trois semaines de congés payés pris au mois de juin par la
salariée, Mme Y a été interrogée par la société ‘G H’, vers qui
Mme K-L l’avait renvoyée, au sujet d’un voyage de deux jours organisé à New-York
City pour lequel la salariée ne pouvait se rendre compte tenu de ses congés, en suite de quoi
Mme Y lui a adressé le message suivant : ‘Salut M, c’est quoi ce voyage ‘ Nous n’en
avions pas parlé… ça tombe pendant tes congés, tu t’étais engagée avant de les prendre ‘ Bises.’
Son envoi est objectivé.
5 – Sur sa mise à l’écart :
De ce chef, Mme K-L prétend que certaines missions, qu’elle ne décrit pas, lui auraient
été retirées. Elle affirme que sa supérieure confiait à une pigiste, Mme C, des sujets relevant de sa
compétence. Toutefois, la salariée ne communique aucun élément sur ce point.
Le seul fait que Mme Y lui réponde le 27 mai ‘qu’elle ne pouvait expliquer pourquoi (Mme
K) n’avait pas eu de sujets commandés avant son arrivée’, à une époque où l’appelante
affirme avoir assumé l’intérim du poste de Rédactrice en chef beauté, n’objective en aucune façon sa
prétendue mise à l’écart.
Ses allégations n’étant pas étayées, ce grief n’est pas objectivé.
6 – Sur un refus de jours RTT :
Il est établi par la salariée qu’elle a reçu le 12 juin 2015 un message de la direction des ressources
humaines, lui annonçant que la pose de ses RTT du 10 au 15 juillet était reportée dans l’attente d’un
entretien entre Mme Y et elle sur ce point.
Mme K-L prétend, sans en justifier, qu’elle avait obtenu un accord sur cette demande
qu’elle avait formulée en mars et que le refus que lui a finalement opposé sa supérieure l’a mise en
difficulté par rapport à des réservations qu’elle avait déjà passées.
Il ressort en réalité de l’échange de messages communiqué (pièce n°12) qu’en réponse au courriel par
lequel Mme Y lui indiquait que ‘D ne se souvenait pas lui avoir donné un accord sur ce point’, Mme K-L répliquait simplement que sa demande de RTT, qu’elle affirmait avoir
formulée en mars, avait dû se perdre dans les ‘limbes entre le départ de D et ton arrivée’.
Il n’est pas justifié que la direction avait approuvé la pose de ces jours de RTT, ni que le refus lui a
occasionné une quelconque difficulté au regard d’une prétendue réservation.
Sur ce point, la salariée n’objective qu’une chose, à savoir que sa responsable, après avoir réservé
l’approbation de cette demande dans l’attente d’un entretien, a finalement rejeté celle-ci pour des
questions d’organisation du service.
Il est donc simplement établi par l’appelante que Mme Y lui a refusé la pose de 4 jours de
RTT en juillet.
7 – Sur le fait que l’entreprise aurait tenté de se séparer d’elle dans le cadre d’un Plan de départ
Volontaire :
Mme K-L ne justifie en aucune façon qu’elle aurait été incitée à postuler au plan de
départ volontaire, de sorte qu’en rejetant finalement sa candidature, l’employeur aurait changé d’avis
sur ce point. Il est constant en revanche que sa candidature à ce plan de départ, formulée durant l’été
2015 alors qu’elle était en arrêt maladie, a été rejetée, l’employeur exposant, sans être démenti sur ce
point par l’intéressée, que son poste n’était pas affecté par le plan de départ, l’appelante plaidant par
ailleurs avoir été remplacée à son emploi par Mme C, jusqu’alors pigiste.
Mme K-L n’établit qu’une chose à savoir qu’elle a postulé à ce plan, qu’elle s’est
inquiétée de savoir si elle pourrait déposer à temps son dossier en raison de ses congés d’été et que sa
candidature a été rejetée au motif que son poste n’était pas supprimé.
8 – Sur le fait qu’elle n’aurait pu récupérer ses affaires personnelles le jour de son audition devant le
Comité d’entreprise.
Mme K-L établit que le comité d’entreprise a interrogé la direction sur le point de
savoir pourquoi Mme K-L ne pouvait pas récupérer ses affaires, ce à quoi il a été
répondu par la directrice des ressources humaines que la salariée pouvait récupérer ses affaires sauf à
prévoir sa visite afin que le service en soit prévenu.
Par ailleurs, Mme K-L objective la dégradation de son état de santé en ce qu’elle :
— a été contrainte de modifier son traitement contre ses troubles de l’hypertension (Pièce n°16) ;
— a fait, le 18 mai 2015, un malaise à la suite d’une conférence de presse qui a donné lieu à un arrêt de
travail d’une semaine (Pièce n°8) ;
— s’est vue prescrire, le 8 juin 2015, un scanner cérébral à la suite de migraines ophtalmiques (pièce
n°20), dont elle affirme, sans l’établir, qu’elles peuvent être déclenchées par la fatigue ou le stress ;
— s’est vue prescrire un traitement par Xanax 0.25, à compter du 30 juin 2015 (Pièce n°19) ;
— a été arrêtée du 30 juin au 24 juillet 2015, date à laquelle elle a bénéficié de ses congés payés, à
l’issue desquels elle a de nouveau été placé en arrêt maladie.
— s’est vu prescrire les 16 et 23 juillet 2015, la prise d’ Omeprazole 20mg et de Xolaam au titre,
précise-t-elle d’un traitement contre un ulcère à l’estomac.(Pièce n°17) ;
— a consulté ‘régulièrement’ du mois d’octobre 2015 au mois d’avril 2016 une
psychothérapeute/psychologue clinicienne (Pièce n°21) ;
En revanche, si elle prétend que ses médecins lui ont spécifiquement prescrit ‘une déconnexion avec
son travail, source d’anxiété’, la pièce qu’elle vise à ce titre dans ses écritures, référencée n°22, qui
consiste en un échange de mails entre l’intéressée et Mme Y, en date du 2 novembre 2015,
est sans lien avec un de ses médecins. Aucune prescription spécifique en ce sens n’est objectivée.
S’agissant de l’échange de message il est établi que Mme Y a transmis à sa collaboratrice qui
venait de lui adresser, quelques minutes plus tôt, le renouvellement de son arrêt maladie, un message
ainsi libellé ‘je viens d’avoir un appel de chez I J au sujet de ta confirmation, de présence
aux portes ouvertes de la maison Tui Na ce vendredi 6 novembre. J’imagine que c’est une erreur un
rdv pris avant la prolongation de ton arrêt […] en te souhaitant un bon rétablissement’, ce à quoi Mme
K-L lui a aussitôt répondu qu’elle venait elle-même ‘de recevoir le même appel et
qu’elle l’avait invitée à revenir vers Mme Y […]’.
Il n résulte pas de cet échange une violation par l’employeur de la suspension du contrat de travail.
Enfin, il est constant qu’à l’occasion d’une visite de pré-reprise, en date du 16 décembre 2015, le
médecin du travail a déclaré qu’une inaptitude au poste était à envisager et qu’à l’issue de la visite
médicale de reprise, en date du 21 décembre 2015, Mme K-L a été déclarée inapte au
poste, le médecin précisant que la salariée ‘pourrait être reclassée à un poste similaire dans un autre
établissement ou à un poste en télétravail’.
Pris dans leur ensemble, les seuls faits précis ci-avant identifiés comme établis, font présumer
l’existence d’un harcèlement.
Tout en soulignant comme éléments de contexte que Mme K-L avait exprimé dès
l’annonce de l’engagement de Mme Y au poste de Responsable beauté qu’elle convoitait, sa
volonté de quitter son poste, ainsi que l’établit son courriel du 28 mai 2015 (pièce n° 10), puis qu’elle
a postulé pour le plan de départ volontaire, et s’est inquiétée en février 2016 que sa convocation à
l’
entretien préalable à un éventuel licenciement ne soit pas plus vite fixée, la société Reworld
Média, venant aux droits de Mondadori Magazines France justifie :
— en premier lieu, que sa décision d’annuler le déplacement de Mme K-L à Ibiza
répondait à son obligation de sécurité, en ce qu’elle lui évitait un voyage à l’étranger la semaine
suivant son malaise et son arrêt maladie, ce que ne contestait pas sérieusement
Mme K-L à l’époque qui précisait dans un courriel du 26 mai 2015 que ‘son médecin
traitant souhaitait la prolonger d’une semaine’, et à des questions organisationnelles, eu égard à
l’absence de Mme Y cette semaine là, qui pouvait donc être remplacée par sa collaboratrice,
de sorte que cette décision était étrangère à tout harcèlement,
— en second lieu, que sa décision de rejeter en juin sa demande de RTT pour la semaine du 10 au 15
juillet 2015, alors que la salariée avait bénéficié en juin de trois semaines de congés payés, et qu’il lui
appartenait d’organiser en période estivale les absences de ses collaborateurs était justifiée par des
motifs étrangers à tout harcèlement,
— en troisième lieu, que Mme Y a pu inviter la salariée, qui lui avait annoncé dès son arrivée
au poste qu’elle convoitait, qu’elle ne comptait pas rester au sein du service, au motif que celui-ci
n’offrait pas d’évolution, à faire preuve de davantage d’implication (pièce n°10).
Relativement au message concernant un voyage à New-York, la salariée s’abstient de préciser en
quoi le message de sa supérieure lui demandant de l’informer sur ce point, pourrait participer d’un
harcèlement.
En outre, il résulte des pièces médicales communiquées par la salariée que l’intéressée souffre
d’hypertension depuis la naissance de son second enfant, affection dont Mme K-L
précisait elle-même qu’elle était sans lien avec une éventuelle surcharge de travail, aucun de ses
médecins n’établissant un lien entre la dégradation de son état de santé et le milieu professionnel, la
psychologue ne fournissant dans son attestation aucun éclairage sur le contexte du suivi mis en place
en octobre 2015.
Le seul fait que, dans ces circonstances, l’employeur ne justifie pas ne pas avoir donné suite à ses
propositions de réorganisation du service à l’occasion de sa candidature au poste de Rédactrice en
chef beauté qui n’a pas été retenue, ni que Mme Y l’a invitée à faire preuve, dans des termes
parfaitement courtois, ‘de plus d’implication’, sauf à relever que l’affirmation de la supérieure selon
laquelle Mme K-L, qui concède avoir évoqué son départ à la nomination de Mme
Y, était en attente ‘que quelque chose vienne de la direction’ n’est pas contredite, et, enfin
que l’employeur souhaitait pouvoir prévenir le service beauté de la venue de Mme K-L
pour récupérer ses affaires ne caractérisent pas l’existence d’un harcèlement moral ayant eu pour effet
ou pour objet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et
à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel .
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a jugé qu’il n’est pas établi que Mme K-L ait
été victime d’un harcèlement moral.
II – Sur l’obligation de sécurité :
Au soutien du manquement qu’elle reproche à l’employeur à ce titre, Mme K-L invoque
la dégradation de ses conditions de travail à compter de l’absence de réponse à sa candidature au
poste de Rédactrice en chef beauté et le fait que son état de santé physique et psychique en a été
affecté, soulignant avoir attiré l’attention de la directrice des ressources humaines sur le fait qu’elle
espérait qu’elle pourrait parler prochainement avec sa supérieure pour que le service retrouve sa
sérénité (pièce n°11).
La société Mondadori Magazines France soutient qu’aucun manquement à ce titre n’est caractérisé,
relève que Mme K-L qui était alors salariée protégée n’a saisi aucune instance, Comité
d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou médecin du travail d’un prétendu harcèlement,
et n’a fait qu’une fois état de ‘difficulté’ en remerciant le 1er juin 2015 la directrice des ressources
humaines de son ‘écoute et de son accueil’.
Alors, d’une part, que l’employeur n’a jamais été saisi au cours de la relation de travail d’une
quelconque situation de harcèlement moral, de deuxième part, que Mme Y a, notamment
afin de préserver la santé de sa collaboratrice, évité à la salariée un déplacement à l’étranger à l’issue
d’un arrêt de travail d’une semaine faisant suite à un malaise provoqué par des problèmes de tension
artérielle, décision dont il ressort des propres pièces de Mme K-L qu’elle était conforme
à l’avis de son médecin traitant qui souhaitait prolonger son arrêt maladie, de troisième part, que la
directrice des ressources humaines a reçu en entretien la salariée le 1er juin, et observation faite
qu’aucun certificat médical produit ne fait de lien entre l’affection dont souffre la salariée et son
activité professionnelle, le docteur E, cardiologue confirmant ce que la salariée avait elle
même déclaré à sa hiérarchie (pièce n°8) à savoir que l’hypertension artérielle avait été découverte à
la suite d’une éclampsie en fin de 2e grossesse (pièce n°16), et que la salariée a pu bénéficier
d’une visite de reprise à l’issue de son arrêt maladie, la société Mondadori Magazines France justifie
avoir respecté son obligation de sécurité.
Le jugement sera infirmé en ce que le conseil a jugé que l’employeur avait manqué à son obligation à
ce titre et en ce qu’il a alloué à Mme K-L la somme de 3 700 euros à titre de dommages
et intérêts.
III – Sur la discrimination syndicale :
Selon l’article L. 2141-5 du code du travail, il est interdit à l’employeur de prendre en considération
l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter ses décision en
matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation
professionnelle, d’avancement, de rémunération et d’octroi d’avantages sociaux, de mesures de
discipline et de rupture du contrat de travail.
L’article L. 1132-1 du même code dispose qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure
de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne
peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle
que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions
d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations,
notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou
de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’adaptation, de qualification, de
classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat,
notamment en raison de ses activités syndicales.
L’article L. 1134-1 prévoit que lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait
laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il
incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs
étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin,
toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, la salariée, élue délégué du personnel titulaire le 25 octobre 2012, expose n’avoir obtenu
aucune augmentation de salaire et n’avoir bénéficié d’aucune évolution professionnelle depuis sa
promotion de mai 2012, faisant observer que cette promotion était intervenue tout juste trois ans
après son embauche.
La société Reworld Média, venant aux droits de Mondadori Magazines France objecte qu’à
l’occasion de sa promotion, la salariée a bénéficié d’une augmentation de plus de 10 % (salaire
mensuel porté de 3 000 euros bruts à 3 335,49 euros bruts) et qu’il ‘est bien évident qu’elle n’allait pas
bénéficier d’une nouvelle promotion à court terme’, étant observé qu’elle s’est trouvée en arrêt de
travail de façon continue à compter du 30 juin 2015. Elle ajoute qu’en autorisant le licenciement de
Mme K-L l’inspecteur du travail a nécessairement examiné l’absence de lien avec le
mandat.
En l’espèce, le seul fait que Mme K-L n’a pas bénéficié d’évolution salariale et
professionnelle de mai 2012 à son inaptitude en décembre 2015, soit en un peu plus de trois ans alors
même que l’intéressée venait de bénéficier d’une promotion, quatre mois avant son élection comme
délégué du personnel ne laisse pas supposer l’existence d’une discrimination syndicale.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
IV – Sur le licenciement :
Par avis en date du 21 décembre 2015, Mme K-L a été déclarée inapte à son poste de
travail.
L’inspecteur du travail a autorisé le licenciement.
Il suit de ce qui précède que Mme K-L n’a pas été victime de harcèlement moral ni
d’une discrimination syndicale et qu’aucun manquement de l’employeur à son obligation de sécurité
n’est objectivé.
Par suite, les demandes présentées par Mme K-L tendant à imputer l’origine de
l’inaptitude à un manquement de l’employeur et à être indemnisée au titre de la rupture qui serait
imputable à la société Reworld Média, venant aux droits de Mondadori Magazines France seront
rejetées.
Sur ce point le jugement sera confirmé.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement en ce qu’il a dit que la société Reworld Média, venant aux droits de Mondadori
Magazines France avait manqué à son obligation de sécurité et en ce qu’il l’a condamnée à verser à
Mme K-L les sommes de 3 750 euros de dommages et intérêts outre 1 000 euros au titre
de l’article 700 du code de procédure civile et partagé les dépens ;
Statuant de nouveau des chefs infirmés,
Dit que la société Reworld Média, venant aux droits de Mondadori Magazines France rapporte la
preuve du respect de son obligation de sécurité,
Déboute Mme K-L de sa demande de dommages et intérêts de ce chef,
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en
première instance,
Le confirme pour le surplus,
Déboute Mme K-L et la société Reworld Média, venant aux droits de Mondadori
Magazines France de leur demande en paiement sur le fondement de l’article 700 du code de
procédure civile en cause d’appel,
Condamne Mme K-L aux entiers dépens, dans les conditions de l’article 699 du code de
procédure civile pour ceux d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été
préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de
procédure civile.
Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur TAMPREAU, Greffier,
auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,