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6 juillet 2023
Cour d’appel de Metz
RG n°
19/02813
Arrêt n° 23/00350
06 juillet 2023
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N° RG 19/02813 –
N° Portalis DBVS-V-B7D-FE6S
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Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de FORBACH
08 octobre 2019
F 18/00063
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
Six juillet deux mille vingt trois
APPELANTE :
Mme [S] [D]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Maud GIORIA, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Mélina VARSAMIS, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant
INTIMÉE :
S.A.R.L. GAIATREND prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Yves ROULLEAUX, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Alain MARTZEL, avocat au barreau de SARREGUEMINES, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 février 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller, chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Hélène BAJEUX
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
La SARL Gaïa-Csp a embauché à durée indéterminée à compter du 31 mars 2014 Mme [S] [D], en qualité de directrice du marketing et de la communication, moyennant une rémunération forfaitaire de 5 000 euros brut par mois, outre la mise à disposition d’un véhicule de fonction.
La convention collective applicable à la relation de travail était celle des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (SYNTEC).
Mme [D] a été en arrêt de travail à compter du 11 avril 2016 pour ‘Pbs au travail, stress’.
Le 25 avril 2016, Mme [D] a déclaré une maladie professionnelle pour ‘Etat de souffrance psychique au travail en lien avec des comportements discriminatoires’.
Le 16 août 2016, la caisse primaire d’assurance maladie de Moselle a refusé de prendre en charge cette maladie au titre de la législation relative aux risques professionnels.
Par courrier du 16 septembre 2016, Mme [D] a été convoquée le 29 septembre 2016 à un entretien préalable au licenciement.
Par lettre du 4 octobre 2016, Mme [D] a été licenciée pour ‘motif personnel’.
Estimant à titre principal qu’elle avait été victime de harcèlement moral et que son licenciement était nul, Mme [D] a saisi, par courrier posté le 5 avril 2018, la juridiction prud’homale.
Le 26 novembre 2018, la société Gaïa -Csp a été dissoute par anticipation sans liquidation, ce qui a entraîné la transmission universelle de son patrimoine à la SARL Gaiatrend.
Par jugement contradictoire du 8 octobre 2019, la formation paritaire de la section encadrement du conseil de prud’hommes de Forbach a :
– dit que le licenciement était intervenu à juste titre pour cause réelle et sérieuse ;
– débouté les parties de leurs demandes ;
– condamné Mme [D] aux dépens.
Le 8 novembre 2019, Mme [D] a interjeté appel par voie électronique.
Par actes d’huissier du 10 février 2020, Mme [D] a signifié ses conclusions à Me [Z] [J], ès qualités de mandataire ad hoc de la société Gaïa-Csp, et assigné en intervention forcée la société Gaiatrend.
Par ordonnance du 30 mars 2021 statuant sur incident, le conseiller de la mise en état a:
– déclaré recevable l’appel interjeté par Mme [D] à l’encontre du jugement du 8 octobre 2019;
– déclaré recevable l’assignation en intervention forcée signifiée le 10 février 2020 à la société Gaiatrend ;
– rejeté la demande présentée par la société Gaiatrend sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Gaiatrend aux dépens de la procédure d’incident.
Par arrêt du 7 décembre 2021 statuant sur déféré, la présente juridiction a :
– confirmé l’ordonnance du 30 mars 2021 ;
– constaté que le mandataire ad hoc de la société Gaïa-Csp est hors de cause, la procédure se poursuivant contre la seule société Gaiatrend ;
– condamné la société Gaiatrend aux dépens du déféré ;
– condamné la société Gaiatrend à payer à Mme [D] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 27 juin 2022, Mme [D] requiert la cour d’infirmer le jugement puis, statuant à nouveau :
à titre principal,
– de dire le licenciement nul ;
– de condamner solidairement Me [J], ès qualités de mandataire ad hoc de la société Gaïa-Csp, et la société Gaiatrend au paiement des montants suivants augmentés des intérêts au taux légal à compter de l’arrêt :
* 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral tenant au harcèlement moral subi pendant l’exécution du contrat de travail ;
* 40 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
à titre subsidiaire,
– de dire que la rupture des relations contractuelles s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
– de condamner solidairement Me [J], ès qualités de mandataire ad hoc de la société Gaïa-Csp, et la société Gaiatrend au paiement des montants suivants augmentés des intérêts au taux légal à compter de l’arrêt :
* 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral tenant au harcèlement moral subi pendant l’exécution du contrat de travail ;
* 40 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
en tout état de cause,
– d’indiquer dans le ‘jugement’ la moyenne des trois derniers mois de salaire, conformément à l’article R. 1454-28 du code du travail ;
– de condamner solidairement Me [J], ès qualités de mandataire ad hoc de la société Gaïa-Csp, et la société Gaiatrend au règlement d’une indemnité à hauteur de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l’arrêt.
A l’appui de ses conclusions, elle expose :
– qu’elle a subi des conditions de travail particulièrement difficiles entre le mois de décembre 2015 et le mois d’avril 2016, en raison du comportement inacceptable de ses supérieurs ;
– qu’elle a fait l’objet de nombreux reproches, critiques, insultes, moqueries et même de menaces;
– qu’elle a été humiliée, dénigrée et dévalorisée par son employeur à de nombreuses reprises, et ce publiquement ;
– que, malgré son prétendu statut de ‘cadre dirigeant’, elle ne disposait en réalité d’aucune autonomie, puisqu’elle devait rendre compte de son activité de manière hebdomadaire par des rapports et lors de réunions avec l’ensemble des cadres, voire justifier son emploi du temps quotidien ;
– qu’elle avait une charge de travail très importante, à raison de 80 heures par semaine, sans disposer des moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions ;
– qu’elle a régulièrement fait part à l’employeur de sa surcharge de travail, notamment lors de l’entretien du 10 décembre 2015 ;
– que l’employeur, au mépris de l’obligation de sécurité qu’il supporte, n’a pris aucune mesure afin de la soulager ;
– qu’en raison de l’arrivée d’un consultant, elle a été privée de son équipe qui était mise à la disposition de celui-ci ;
– qu’elle a été, en réalité, évincée de son poste de directrice.
Elle ajoute :
– qu’elle a dû consulter un psychiatre dont le certificat montre qu’elle présentait des symptômes compatibles avec une souffrance au travail ;
– qu’à la suite de son courrier du 6 juin 2016 faisant part de sa souffrance au travail, l’employeur lui a répondu qu’il refusait d’engager toute discussion avec elle ;
– que, trois jours après, la société Gaïa-Csp faisait même paraître une offre d’emploi pour un poste de directeur marketing avec des missions presque identiques aux siennes ;
– qu’il n’y a pas eu de suite à l’enquête de l’inspection du travail, car la procédure de licenciement avait été engagée ;
– que toute rupture du contrat de travail résultant d’un harcèlement moral est nulle de plein droit.
A titre subsidiaire, elle souligne :
– que la lettre de licenciement, particulièrement agressive, formule des reproches qui sont de nature disciplinaire plus qu’ils ne caractérisent une insuffisance professionnelle;
– que les griefs qui lui sont opposés sont anciens, alors qu’elle ne peut pas se voir reprocher de faits antérieurs au 16 juillet 2016, au regard de la prescription en matière disciplinaire ;
– que les reproches relatifs à sa prétendue incapacité professionnelle ne sont ni justifiés ni démontrés ;
– que son licenciement est intervenu pour des motifs fallacieux, car elle s’était plainte du comportement de son employeur et de ses conditions de travail ;
– qu’elle a fait part de son mal-être à la société Gaïa-Csp, a été placée en arrêt de travail et a sollicité l’intervention de l’inspection du travail ;
– qu’elle ne souhaite pas sa réintégration au sein de la société Gaïa-Csp ;
– qu’elle n’a retrouvé du travail qu’après plusieurs mois de recherches.
Dans ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 12 septembre 2022, la société Gaiatrend sollicite que la cour confirme le jugement et condamne Mme [D] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle rappelle les termes de la lettre de licenciement et réplique :
– que Mme [D] ne conteste précisément aucun des motifs figurant dans cette lettre;
– que la salariée n’a réalisé ni proposé aucune étude de marché, alors que les buralistes représentaient des débouchés nouveaux pour la société ;
– que le manque de temps prétexté par Mme [D] n’explique ni sa passivité ni son incapacité à tirer les leçons de l’échec ;
– que, lors de l’entretien du 10 décembre 2015, Mme [D] s’est déclarée satisfaite de ses tâches au sein de l’entreprise et des missions attribuées ;
– que, s’agissant du contrat de relations presse signé avec la société Oxygen, l’intervention de Mme [D] a rendu la prestation plus onéreuse qu’à l’origine et a laissé le prestataire sans objectifs à atteindre ;
– que Mme [D] n’a pas été en mesure d’expliquer sa décision de priver la société de représentation et de publicité dans le média e-cig magazine.
Elle ajoute :
– que l’enquête ouverte par l’inspecteur du travail n’a pas conclu ne fût-ce qu’à un commencement de harcèlement ;
– que Mme [D] ne justifie ses accusations que par ses propres déclarations ;
– que le harcèlement ne doit pas être confondu avec l’exercice du pouvoir de direction et d’organisation de l’employeur ;
– que la lettre de licenciement ne fait à aucun moment référence à une quelconque dénonciation de harcèlement, alors que la nullité que l’appelante soulève ne protège que les salariés licenciés pour avoir subi, refusé de subir, relaté des agissements de harcèlement ou en avoir témoigné ;
– que Mme [D] ne justifie d’aucun préjudice, à la suite de son licenciement.
Le 13 septembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction.
MOTIVATION
A titre liminaire, en raison de la transmission universelle de patrimoine qui s’est opérée le 26 novembre 2018 consécutivement à la ‘dissolution sans liquidation de la société confondue’ (pièce n° 46), la société Gaiatrend est venue aux droits de la société Gaïa-Csp, de sorte que les demandes de paiement présentées par Mme [D] à l’encontre de Maître [Z] [J], ès qualités de mandataire ad hoc de la société Gaïa-Csp, sont rejetées, étant au demeurant rappelé que la présente juridiction, par arrêt du 7 décembre 2021 statuant sur déféré, a déjà constaté la mise hors de cause de mandataire ad hoc de la société Gaïa-Csp, la procédure se poursuivant contre la seule société Gaiatrend.
Sur le harcèlement moral
L’article L. 1152-1 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
S’agissant de la preuve du harcèlement, l’article L. 1154-1 du même code précise que lorsque survient un litige relatif notamment à l’application de l’article L. 1152-1, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, puis, au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, Mme [D] présente les éléments de fait suivants :
– l’entretien de suivi de la convention de forfait annuel en jours (sa pièce n° 4) dans lequel elle répond, le 10 décembre 2015, à la question ‘Etes-vous satisfait de votre rythme de travail” qu’elle est ‘allée au-delà de (ses) possibilités physiques’, puis à la question ‘Votre équilibre activité professionnelle/vie personnelle vous satisfait-il” que ‘pas pour l’instant, ça ira mieux à partir de février’ ;
– une chronologie (sa pièce n° 5) des ‘reproches et humiliations oraux’ subis du 3 décembre 2015 au 11 avril 2016 ;
– un SMS du gérant (pièce n° 32) qui, à la fin du mois de mars 2016, à la suite d’une difficulté de réservation de billets d’avion pour la Chine, demande à la salariée un ‘compte rendu détaillé de (son) activité d’aujourd’hui de la validation des billets d’avion par [E] jusqu’au payement des billets’ ;
– un message électronique du 5 avril 2016 (sa pièce n° 33) dans lequel elle sollicite du gérant un rendez-vous pour obtenir, à la suite de l’arrivée d’un consultant, M. [M] [I], des clarifications sur la position qu’elle occupe, étant observé qu’elle précise qu’il y a ‘sanction’ à son égard ;
– l’avis initial d’arrêt de travail du 11 avril 2016 pour ‘Pbs au travail, stress’ (sa pièce n° 7) ;
– la déclaration de maladie professionnelle datée du 21 avril 2016 pour ‘Etat de souffrance psychique au travail en lien avec des comportements discriminatoires’ (sa pièce n° 13) ;
– son courrier du 6 juin 2016 (sa pièce n° 14) adressé au gérant, dans lequel elle affirme que son absence résulte d’une ‘situation professionnelle insoluble, dégradante et génératrice d’une grande souffrance’, ajoutant que ‘Les pressions et déstabilisations successives auxquelles j’ai dû faire face ont entraîné une dégradation considérable de mes conditions de travail ces dernières semaines d’activité et ont engendré une grande violence psychologique’, avant de donner différents exemples ;
– la réponse du 10 juin 2016 de l’employeur qui indique ne pas avoir l’intention d’engager la discussion ni de polémiquer (pièce n° 15 de l’appelante) ;
– la réponse détaillée de la société Gaïa-Csp du 22 juillet 2016, dans laquelle l’employeur indique notamment s”inscrire en faux contre l’allégation purement mensongère selon laquelle vous auriez été victime d’une ‘humiliation et de ricanements’ (pièce n° 17) ;
– un écrit du 19 octobre 2018 d’un médecin psychiatre qui certifie ‘avoir eu en traitement Mme [D] [S] qui présentait un tableau clinique avec état de panique, doute et culpabilité, TOC, trouble de concentration, troubles du sommeil et manifestations somatiques associés au vu des éléments (courriels, SMS…) présentés par la patiente, à des risques psycho sociaux permettant de porter le diagnostic de souffrance au travail pour lesquels une ITT de plusieurs mois a été (illisible) avec une inaptitude au travail et des séquelles comme des rêves traumatiques restent présents à ce jour’ (sa pièce n° 37).
Ces éléments de fait, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.
La société Gaïa-Csp produit de nombreuses pièces, y compris plusieurs de ses écrits dont les termes sont parfois sévères, qui dénotent son exaspération à l’encontre du travail de Mme [D].
Il ressort d’une lettre du 16 juin 2016 (pièce n° 16) que l’inspection du travail a diligenté une enquête, à la suite d’un courrier de Mme [D], mais il n’est pas contesté qu’aucun rapport d’enquête n’a été établi.
La maladie (état de panique, sentiment de dévalorisation et état de souffrance au travail) déclarée le 25 avril 2016 par Mme [D] à la caisse primaire d’assurance maladie n’a pas été prise en charge par cet organisme. Il doit cependant être souligné que, dans sa notification du 16 août 2016, la caisse précise que cette pathologie ne figure dans aucun tableau de maladies professionnelles et qu’après avis du service médical, les éléments en sa possession ne permettent pas de statuer sur le caractère professionnel de la maladie.
Selon un message électronique émanant de l’entreprise, Mme [D] a annulé une visite de reprise qui était prévue le 21 juin 2016 devant le médecin du travail (pièce n° 11). Toutefois, Mme [D] ayant finalement été en arrêt de travail pendant tout le mois de juin, comme cela ressort de l’attestation de paiement de ses indemnités journalières, il ne peut pas lui être fait grief, à défaut de reprise, de ne pas avoir maintenu la visite.
Contrairement à ce qu’affirme l’employeur, le médecin psychiatre, dans son certificat du 19 octobre 2018, ne s’est pas contenté de relater les dires de sa patiente: il a dressé un tableau clinique et porté un diagnostic de souffrance au travail.
Alors que la salariée l’avait informée de sa souffrance au travail qui s’est traduite par des arrêts de travail d’une durée de plusieurs mois, la société Gaïa-Csp – qui supporte une obligation de prévention sur le fondement de l’article L. 4121-1 du code du travail – n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger Mme [D].
Certes, la société Gaïa-Csp a autorisé Mme [D] à prendre trois jours de congés dans le courant du mois d’avril 2016 et procédé à l’embauche d’une personne, Mme [V] [T], pour renforcer l’équipe de l’appelante.
Toutefois, la société Gaïa-Csp a fait intervenir un consultant, M. [M] [I], qui pouvait recourir aux services de l’équipe de Mme [D], de sorte que celle-ci a pu légitimement se sentir dépossédée de ses responsabilités et désavouée devant ses collaborateurs.
L’employeur ne verse aux débats aucune pièce démontrant une carence avérée et objective de Mme [D] s’agissant de plusieurs griefs :
– les lancements marketing bâclés ;
– la teneur exacte des conseils qu’elle a donnés à la direction quant au droit à l’image dans le projet ‘Alasiempre’ ;
– la réservation défaillante des billets d’avion à la fin du mois de mars 2016.
Concernant la gestion du contrat de communication Oxygen du 22 avril 2014, le simple fait que la société Gaiatrend l’ait résilié le 12 janvier 2017 (pièce n° 46) ne vaut pas preuve d’une faute commise par la salariée. Mme [D] verse à ce sujet aux débats une attestation de M. [X] [N], alors directeur associé de l’agence Oxygen de Strasbourg, qui témoigne (sa pièce n° 39) que : ‘Tout au long de notre collaboration, à aucun moment, Mme [D] n’a validé aucune décision sans obtenir l’aval express et accord préalable de sa direction’.
Il est aussi reproché à Mme [D] d’avoir ‘coupé les ponts’ avec e-cig magazine, premier média spécialisé de la vape, alors qu’elle produit (sa pièce n° 30) un message électronique du 21 mars 2016 du gérant de la société qui lui répond avec objet ‘URGENT-interview’ : ‘Le directeur industriel est en congé, de plus je ne pense pas qu'[E] soit très chaud pour une interview qui n’apporte pas grand chose’.
Ainsi, l’employeur ne fournit pas d’éléments objectifs de nature à écarter une situation de harcèlement moral subi par Mme [D] qui s’est traduite par le fait qu’elle a subi plusieurs reproches injustifiés pendant une courte période (premiers mois de l’année 2016), sans que la société Gaïa-Csp ne prenne en considération la souffrance au travail exprimée par sa salariée, à l’origine d’un arrêt de travail de plusieurs mois, l’employeur usant même de propos particulièrement sévères, notamment dans la lettre de licenciement.
La cour acquiert ainsi la conviction que les agissements répétés de la société Gaïa-Csp à l’égard de Mme [D] sont constitutifs d’un harcèlement moral.
L’indemnisation de Mme [D] à ce titre est fixée à un montant de 5 000 euros, au regard de la teneur des agissements de l’employeur et de leurs répercussions importantes sur l’état de santé de la salariée.
Sur la nullité du licenciement
En application de l’article L. 1153-4 du code du travail, le licenciement d’un salarié avec une situation de harcèlement moral justifie l’annulation du licenciement.
Toutefois, le fait qu’une situation de harcèlement moral envers un salarié ait été reconnue n’empêche pas d’admettre qu’un licenciement puisse être déclaré valable, parce que prononcé pour une cause qui est totalement étrangère à la situation de harcèlement.
Le licenciement peut même être reconnu sans cause réelle et sérieuse, mais non nul, si la raison pour laquelle il est sans cause réelle et sérieuse est indépendant de la situation de harcèlement moral.
En l’espèce, dans un courrier de six pages du 4 octobre 2016, la société Gaïa-Csp a licencié Mme [D] dans les termes suivants :
‘ (…) Engagée en qualité de Directrice du Marketing et de la Communication et malgré les qualités et les promesses de votre CV, il est aujourd’hui avéré que vous vous êtes montrée défaillante et incapable de mener avec tout le sérieux professionnel requis et la rigueur nécessaire plusieurs projets d’importance.
Votre incapacité à satisfaire les exigences professionnelles découlant de votre contrat de travail ont à plusieurs reprises nui aux intérêts de l’entreprise, ainsi qu’à vos relations professionnelles.
Le fait de devoir de surcroît constater que vous n’aviez jamais fait état de difficultés, de questionnements ou d’hésitations sur les options que vous reteniez dans l’exécution de vos attributions doit être retenu comme valant circonstance aggravante. D’évidence vous aviez en vérité fait le choix de travailler à bien des égards de manière autarcique, parvenant ainsi (de manière délibérée ou non) à nous dissimuler votre insuffisance, voire une forme de légèreté professionnelle.
Plus les dossiers ou les sujets à traiter étaient importants, mieux vous êtes parvenue à endormir notre vigilance, sachant que vous jouissiez en qualité de professionnelle expérimentée et au regard des responsabilités assumées, d’une confiance absolue alors que nous avons dû à nos dépens apprendre et découvrir au fur et à mesure vos négligences, manquements, défaillances face à vos obligations, voire fuite devant les responsabilités. (…)
Du fait de votre formation et de vos expériences professionnelles vous auriez dû être à même de mener à bien ces missions inhérentes au poste de Directrice du Marketing et de la Communication. La bonne exécution de ces missions constitue la raison même de votre recrutement par la société qui attend d’être utilement et efficacement guidée dans vos domaines de compétence. Faut-il vous rappeler que notre marché est de plus en plus concurrentiel et que des différences peuvent à certains égards se faire sur le seul terrain de la communication et du positionnement marketing, ce que vous avez manifestement oublié (en dépit de votre propension à la fanfaronnade et une certaine suffisance). (…)
Ces faits démontrent votre manque de sérieux et de professionnalisme et finalement l’inadaptation de votre profil – par vos capacités et votre investissement professionnel – aux fonctions de Directrice du marketing et de la Communication et aux exigences du poste lequel ne saurait se satisfaire d’un travail partiellement fait, superficiel et d’une passivité, voire d’une complaisance face à l’échec (en effet aucune réaction). (…)
Par ailleurs nous prenons connaissance et devons prendre la mesure de nombreuses anomalies, voire aberrations dans votre gestion de notre communication – relations avec la presse et les partenaires – et au-delà, de l’image véhiculée. (…)
Nous déplorons également votre manque de professionnalisme dans vos relations aux autres, qu’il s’agisse des membres de votre équipe ou de tiers et plus généralement une manière de travailler, très dictatoriale et en tout état de cause en rupture avec le mode de fonctionnement de nos entreprises familiales. (…)
La rétention d’information dont vous avez régulièrement fait preuve sur des dossiers en cours et les projets a au demeurant causé des difficultés pour assurer la continuité du travail lors de votre absence.
Par ailleurs, la façon de vous adresser à votre équipe et à vos interlocuteurs est trop souvent irrespectueuse, voire méprisante (…).
Votre légèreté professionnelle et votre capacité à répondre à vos obligations contractuelles sont très préjudiciables à l’entreprise, a fortiori au regard des fonctions à hautes responsabilités que vous occupez. (…)
En conséquence, bien que nous le regrettions, nous n’avons plus d’autre alternative que de mettre un terme à votre contrat de travail pour motif personnel. (…)’
Peu important de déterminer si le licenciement est intervenu pour insuffisance professionnelle – comme l’affirme l’employeur – ou pour des raisons disciplinaires – comme le soutient Mme [D], il y a lieu de constater que la lettre de licenciement, au regard des termes qui y employés, participe du harcèlement moral dont la salariée a été victime :
– ‘ vous aviez en vérité fait le choix de travailler à bien des égards de manière autarcique parvenant ainsi (de manière délibérée ou non) à nous dissimuler votre insuffisance, voire une forme de légèreté professionnelle’ ;
– ‘vous êtes parvenue à endormir notre vigilance’ ;
– ‘fuite devant les responsabilités’ ;
– ‘votre passivité face à la situation’ ;
– ‘la légèreté et l’absence de travail sérieux dont vous avez fait preuve sont indignes d’une Directrice du Marketing et de la Communication’ ;
– ‘un double diagnostic catastrophique de votre rôle’ ;
– ‘en dépit de votre propension à la fanfaronnade et une certaine suffisance’ ;
– ‘travail partiellement fait, superficiel et d’une passivité, voire d’une complaisance face à l’échec’ ;
– ‘Votre absence d’implication et d’intérêt pour vos fonctions et pour l’entreprise’ ;
– ‘vous êtes restée sourde et entêtée face à sa mise en garde’ ;
– ‘De manière totalement déraisonnable’ ;
– ‘Du fait de votre laxisme, puisque vous ne vous êtes d’évidence pas véritablement souciée au moment de la signature du contrat de défendre nos intérêts de client’.
L’indemnité pour licenciement nul est au moins égale au salaire des six derniers mois, quelle que soit l’ancienneté de l’intéressé et quel que soit l’effectif de l’entreprise.
Eu égard à l’ancienneté, à l’âge et à la rémunération de Mme [D] à l’époque du licenciement, ainsi qu’à sa situation professionnelle ultérieure (Mme [D] a rapidement retrouvé un emploi de responsable communication marketing dans une grande entreprise), l’indemnité pour licenciement nul doit être fixée à un montant de 35 000 euros que la société Gaiatrend est condamnée à payer à l’appelante.
Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens
La société Gaiatrend est déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, mais condamnée à payer sur le fondement de ce même article la somme de 3 000 euros à Mme [D].
La société Gaiatrend est condamnée aux dépens de première instance et d’appel, conformément à l’article 696 du même code.
En définitive, la décision des premiers juges – qui ont examiné l’insuffisance professionnelle, puis estimé, sans autre motivation, que Mme [D] n’établissait pas la matérialité de faits et d’agissements de harcèlement moral – est infirmée, sauf en ce qu’elle a rejeté la demande de la société Gaïa-Csp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement, sauf en ce qu’il a rejeté la demande de la SARL Gaïa-Csp au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Rejette les demandes de paiement présentées par Mme [S] [D] à l’encontre de Maître [Z] [J], ès qualités de mandataire ad hoc de la SARL Gaïa-Csp ;
Déclare le licenciement nul ;
Condamne la SARL Gaiatrend à payer à Mme [S] [D] les sommes suivantes augmentées des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt :
– 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du harcèlement moral ;
– 35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
– 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande présentée par la SARL Gaiatrend sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Gaiatrend aux dépens de première instance et d’appel.
La Greffière La Présidente