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Nos Conseils:
1. **Sur la compétence du juge prud’homal**: 2. **Sur le harcèlement moral**: 3. **Sur le licenciement**: Ces conseils visent à garantir le respect des droits du salarié et à assurer une procédure juridique conforme aux exigences légales. |
→ Résumé de l’affaireM. [L] a été engagé par la Sarl Zara France en tant que vendeur, puis vendeur caissier, à temps partiel puis à temps plein. Après avoir été déclaré inapte au travail suite à des faits de harcèlement moral, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Le conseil de prud’hommes a jugé que le licenciement était nul, que M. [L] avait été victime de harcèlement moral et a condamné la Sarl Zara France à lui verser des indemnités. La société a interjeté appel et demande l’infirmer du jugement. M. [L] demande la confirmation du jugement et des indemnités supplémentaires en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 13 JUIN 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 25 Janvier 2022
APPELANTE :
S.A.R.L. ZARA FRANCE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Simon MOSQUET-LEVENEUR de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Hugo TANGUY, avocat au barreau de PARIS
INTIME :
Monsieur [T] [L]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Partielle numéro 2022/007934 du 30/08/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rouen)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 07 Mai 2024 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame ROYAL, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 07 mai 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 13 juin 2024
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 13 Juin 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme DUBUC, Greffière.
M. [T] [L] a été engagé par la Sarl Zara France en qualité de vendeur de catégorie C par contrat de travail à temps partiel à compter du 13 septembre 2010, puis à temps plein à compter du 26 août 2013.
En dernier lieu, M. [L] occupait les fonctions de vendeur caissier employé de catégorie C.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des maisons à succursales de vente au détail d’habillement.
Déclaré inapte par le médecin du travail à la suite de la visite de reprise du 3 février 2020, le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifié à M. [L] le 27 juillet 2020.
La Sarl Zara France occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.
Par requête du 9 février 2021, M. [L] a saisi le conseil de prud’hommes du Havre en invoquant des faits de harcèlement moral, ainsi qu’en contestation du licenciement et paiement d’indemnités.
Par jugement du 25 janvier 2022, le conseil de prud’hommes a :
– dit qu’il est compétent pour trancher l’intégralité du litige
– dit que M. [L] a été victime de harcèlement moral par Mme [S] et que la Sarl Zara France, bien qu’informée, n’a rien fait pour y remédier
– dit que le licenciement est nul
– dit que l’inaptitude de M. [L] est la conséquence des faits de harcèlement dont il a été victime et est de ce fait, d’origine professionnelle
– condamné la Sarl Zara France à payer à M. [L] les sommes de :
dommages et intérêts pour préjudice subi par les faits de harcèlement moral : 30 000 euros
indemnité relative au licenciement nul : 38 171, 66 euros
indemnité compensatrice équivalente au préavis : 3 817,16 euros
– condamné la Sarl Zara France à payer à Maître Vallée la somme de 3 000 euros au titre du 2° de l’article 700 du code de procédure civile
– ordonné l’exécution provisoire du jugement, nonobstant appel et sans continuité de garantie
– dit que les intérêts légaux commenceront à courir à compter de la demande introductive d’instance
– condamné la Sarl Zara France à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage perçues par M. [L] dans la limite de 6 mois
– mis à la charge de la SARL Zara France les entiers dépens et frais d’exécution de la présente instance
– débouté la SARL Zara France de l’intégralité de ses demandes
– dit qu’à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par le jugement et en cas d’exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l’huissier instrumentaire, en application de l’article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par le défendeur en sus de l’indemnité mise à sa charge sur le fondement de l’art 700 du code de procédure civile
– dit qu’en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, il convient de transmettre le jugement aux services de M. le procureur de la République du Havre.
Le 6 février 2022, la société SARL Zara France a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions signifiées le 6 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la SARL Zara France demande à la cour d’infirmer le jugement dans toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– déclarer la compétence du pôle social du tribunal judiciaire du Havre et renvoyer les parties devant cette juridiction pour qu’il soit statué au fond sur cette demande
Subsidiairement,
– débouter M. [L] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral
En tout état de cause, sur les autres demandes,
– dire que la société Zara France a parfaitement respecté son obligation de sécurité à l’égard de M. [L], qu’elle ne s’est rendue responsable d’aucun fait de harcèlement moral, que le licenciement n’a pas d’origine professionnelle et que la société Zara France a respecté son obligation de recherche de reclassement,
En conséquence,
– débouter M. [L] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions
– condamner M. [L] à payer à la SARL Zara France les sommes de :
restitution du trop-versé d’indemnité de licenciement : 6 250,13 euros
indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros
– condamner M. [L] aux entiers dépens.
Par conclusions signifiées le 4 août 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, M. [L] demande à la cour de :
– le juger recevable et bien fondé en ses demandes
Y ajoutant
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
A titre subsidiaire,
– juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse
– condamner dès lors la société Zara France à lui verser les sommes de :
indemnité du licenciement sans cause réelle et sérieuse : 38 171,66 euros
indemnité compensatrice de préavis : 3 817, 16 euros
congés payés sur préavis : 381,71 euros
En tout état de cause,
– débouter la société Zara France de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, et particulièrement de sa demande tendant à ce qu’il soit condamné à lui payer un trop perçu à hauteur de 6 250,13 euros
– condamner la société Zara France à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 avril 2024.
I Sur la compétence du juge prud’homal
La Sarl Zara France, rappelant que la juridiction prud’homale ne peut statuer sur l’indemnisation d’un dommage résultant d’une maladie revendiquée comme professionnelle, soulève l’incompétence de cette juridiction pour statuer sur la réparation du harcèlement moral invoqué et que le salarié a choisi de déclarer en tant que maladie professionnelle.
M. [T] [L] s’y oppose en faisant valoir que sa demande étant afférente à la réparation du préjudice résultant du harcèlement moral, elle relève de la compétence du juge du travail.
Relève de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, qu’ils soient ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Il s’en déduit que si la juridiction prud’homale indemnise le préjudice résultant d’un manquement de l’employeur, quand ce préjudice devient pathologique et se concrétise par une maladie professionnelle, elle relève du régime des ATMP, lesquelles sont du ressort des seules juridictions de sécurité sociale avec indemnisation du préjudice à la date de la prise en charge.
Aussi, pour déterminer la compétence, il y a lieu d’analyser précisément la demande et la nature du préjudice dont l’indemnisation est sollicitée, la juridiction prud’homale n’étant alors pas compétente pour statuer sur le préjudice né de la maladie professionnelle.
En l’espèce, M. [T] [L] évoque avoir été victime d’un harcèlement moral dont se serait rendu coupable Mme [H] [S], sa supérieure hiérarchique, lequel a eu pour corollaire la dégradation de son état de santé, caractérisée par son arrêt maladie à compter du 23 janvier 2017 en raison d’un état dépressif, sa reprise en mi-temps thérapeutique en octobre 2018 pour une période de trois mois, avant d’être à nouveau arrêté à compter du 25 mars 2019 de manière ininterrompue et d’être déclaré inapte à son poste de travail et à tout poste de travail dans le magasin des [5] [Localité 3] le 3 février 2020.
Le salarié a déposé une demande de maladie professionnelle le 27 septembre 2019 à effet du 15 octobre 2018, que la caisse primaire d’assurance maladie a refusé de prendre en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels par décision du 6 décembre 2019.
Par requête datée du 30 juillet 2020, le salarié a saisi le pôle social du tribunal judiciaire du Havre sur les mêmes faits que ceux développés au titre du harcèlement moral ainsi que cela résulte de la requête produite sur la cause.
Au soutien de sa demande d’indemnisation à hauteur de 30 000 euros, il invoque le manquement de l’employeur à son obligation relative à la santé et sécurité en l’exposant à des faits de harcèlement moral, sans décrire un préjudice distinct de celui pouvant résulter de la maladie professionnelle déclarée sur la base des faits strictement identiques.
Ainsi, il s’en déduit que, sous couvert d’une demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité, M. [T] [L] sollicite l’indemnisation des dommages résultant d’une maladie professionnelle, qui relève de la compétence exclusive des juridictions statuant en matière de sécurité sociale, qu’elle soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
En conséquence, par arrêt infirmatif, la juridiction prud’homale est incompétente pour statuer sur la demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral.
II Sur le harcèlement moral
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.
L’article L. 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, M. [T] [L] soutient avoir été victime de faits de harcèlement moral de la part de sa supérieure hiérarchique, Mme [S], qui tenait à son égard des propos dénigrants incessants et inacceptables, ce qui a conduit à son arrêt maladie à compter d’avril 2018 en raison d’un syndrome dépressif, nécessitant un soutien psychologique, à sa reprise en temps partiel thérapeutique en octobre 2018, avant d’être à nouveau arrêté de manière continue à compter de mars 2019 jusqu’à sa déclaration d’inaptitude.
A l’appui de ses affirmations, il produit les attestations de :
– Mme [Z] [I], docteur en médecine, datée du 15 octobre 2018, qui certifie que M. [T] [L] a dû être arrêté depuis avril 2018 en raison du harcèlement moral d’un de ses supérieurs, ayant engendré un syndrome dépressif et nécessité un soutien psychologique et celle du 9 décembre 2019 évoquant une dépression sévère,
– Mme [P] [U] qui relate avoir passé beaucoup de temps à travailler en collaboration avec Mme [S] et avoir été témoin de ses manigances. Elle précise qu’au cours de leurs échanges, elle lui a dit à plusieurs reprises que, tant qu’elle travaillera dans ce magasin, jamais [T] n’évoluera ; elle était toujours dans le dénigrement de son travail ou de sa personne, même s’il faisait tout ce qu’elle lui demandait, comme changer ses plannings à la dernière minute ou accomplir des heures supplémentaires, rien n’étant assez bien ; elle faisait toujours en sorte de le tirer vers le bas, contestait souvent ses vacances, respectait rarement ses matinées comme coordinateur 35h, disant qu’elle faisait le commercial car il en est incapable,
– Mme [B] [R] du 12 octobre 2018 qui écrit avoir été témoin de propos tenus par Mme [S] lorsqu’elle était sa responsable à l’homme, tels que ‘ tant que je serais en magasin il n’aura jamais de poste à 35h’, que pendant son arrêt suite à un burn out, elle disait que s’il revenait, elle lui mettrait la misère ; elle ajoutait que le casier du salarié avait été placé dans le vestiaire femmes et laissé à cet endroit encore 5 jours avant son retour en magasin et qu'[H] avait pris [T] en grippe de peur qu’il puisse évoluer,
– Mme [X] [M] qui explique être restée en contact avec M. [T] [L] à la suite de sa mutation sur [Localité 6] en mars 2016, lequel lui a souvent fait part des problèmes de harcèlement qu’il rencontrait avec Mme [S]. Lors de son retour au rayon Homme du magasin Zara [Localité 3] en décembre 2018, elle a constaté l’acharnement de Mme [W] : reproches sur son travail alors qu’il était irréprochable, décrivant plus particulièrement une situation relative à un reproche injustifié sur des non-encaissements la contraignant à prendre sa défense. Elle explique également avoir été victime de la malveillance de Mme [S] en janvier 2019 et qu’il a alors été décidé de dénoncer collectivement ses agissements à l’employeur, ce qui a donné lieu à enquête, puis rétrogradation de Mme [S] courant juin 2019.
Il communique également la lettre du 26 février 2019, signée de sept salariés dénonçant le comportement de Mme [S] évoquant notamment ses propos à l’égard de M. [T] [L] comme ‘ moi vivante, responsable à l’homme, [T] n’aura jamais de 35h’, ou encore lors de son retour suite à un burn out : ‘ Si [T] revient, on lui mettra la misère’, qu’elle a déprécié son travail, disant qu’à son retour elle le dégagerait au rayon Homme qu’elle en pouvait plus de lui. Il est décrit ses manipulations, son manque de respect, son favoritisme, ses mensonges, ses propos injurieux comparant la section Homme à une secte, considérant que ce rayon est un champ de ruines.
Il est également produit ses évaluations dont l’examen permet d’observer que certes le salarié n’évoque pas directement des faits de harcèlement moral, mais pouvait néanmoins évoquer les difficultés qu’il pouvait rencontrer comme lors de ses évaluations des 30 mai 2015, 1er juin 2016, et dans celle réalisée le 17 janvier 2019, il indiquait que son retour avait été difficile sur les premiers temps, même s’il précisait avoir su reprendre ses marques rapidement et se sentir soutenu par l’équipe Homme, ce qui n’est pas de nature à contredire l’existence des agissements de Mme [S].
Il résulte de l’ensemble de ses éléments, qu’alors que le médecin traitant peut seulement décrire l’état de santé qu’il constate concernant son patient sans pouvoir l’imputer à une cause qu’il n’est pas à même de vérifier personnellement, en l’absence d’éléments médicaux plus précis sur les circonstances de l’arrêt de travail du 30 avril 2018, il se déduit des attestations produites, couplées aux déclarations du salarié lors de ses entretiens d’évaluation que si Mme [S] a à plusieurs reprises eu des propos et comportements inadaptés à l’égard du salarié, ils sont établis postérieurement au premier arrêt de travail d’avril 2018, à l’issue duquel le salarié a repris en mi-temps thérapeutique pour une durée de trois mois dans le même service, ce qui corrobore cette analyse.
Ainsi, M. [T] [L] établit l’existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre postérieurement à octobre 2018, en ce qu’il résulte des éléments produits que Mme [S] avait mis en place un mode de fonctionnement généralisé induisant de la tension au travail, M. [T] [L] étant particulièrement visé au travers d’un dénigrement de son travail et d’une volonté de lui nuire au point d’être en arrêt de travail à compter du 25 mars 2019 de manière ininterrompue en raison d’un état dépressif non contesté et d’être déclaré inapte à son poste suivant avis du 3 février 2020, mais aussi à tout poste de travail dans son magasin d’affectation, ce qui corrobore le lien entre son inaptitude et ses conditions de travail.
La Sarl Zara France fait valoir que les allégations du salarié sont dénuées de fondement, qu’elle est sensibilisée au risque professionnel lié aux faits de harcèlement moral comme le démontre son document unique d’évaluation des risques et les visites régulières des responsables des ressources humaines en charge du magasin du Havre permettant ainsi aux salariés de s’exprimer librement, garantissant un contrôle effectif des conditions de travail ; que concernant M. [T] [L], il n’a jamais fait part du moindre harcèlement moral dont il aurait été victime, notamment auprès de Mme [N] responsable de rayon et supérieure hiérarchique directe qui signait les entretiens d’évaluation, n’alertant pas davantage le médecin du travail ou l’inspection du travail ; que dans ses fonctions de responsable des opérations, Mme [S] a légitimement été amenée à donner des directives au salarié que celui-ci a pu interpréter par erreur comme du harcèlement. A supposer avérée la dégradation de son état de santé, elle conteste tout lien de causalité avec ses conditions de travail ou un comportement fautif de sa part, lequel ne saurait résulter du certificat médical de son médecin traitant, étant observé que la caisse primaire d’assurance maladie a refusé de prendre en charge la pathologie au titre de la législation sur les risques professionnels.
L’existence d’un document unique d’évaluation des risques au sein de l’entreprise, tout comme la venue régulière sur le site d’affectation de responsables des ressources humaines auprès desquels le salarié n’aurait jamais évoqué la situation dénoncée dans le cadre de la présente instance, ou encore l’absence de saisine de l’inspection du travail ne suffisent pas à exclure la réalité du harcèlement moral évoqué.
Par ailleurs, il convient d’observer que contrairement à ce qu’allègue l’employeur, Mme [N], responsable hiérarchique directe du salarié, était avisée du comportement de Mme [S], comme étant co-signataire de la lettre commune décrivant les agissements de celle-ci, adhésion à cette démarche commune non remise en cause dans le cadre de la présente instance.
Enfin, l’employeur ne contredit pas que Mme [S] a été rétrogradée, avant finalement que son contrat de travail ne soit rompu dans le cadre d’une rupture conventionnelle.
L’employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par M. [T] [L] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le harcèlement moral est établi.
III Sur le licenciement
M. [T] [L] soutient, à titre principal, que son licenciement notifié le 27 juillet 2020 est nul dès lors que les manquements de l’employeur trouvent leur origine dans le harcèlement moral, et à titre subsidiaire, qu’il est sans cause réelle et sérieuse dès lors que son inaptitude résulte des manquements de l’employeur, qui n’établit pas avoir mené une recherche loyale, individualisée et sérieuse de reclassement, la prétendue recherche datant de février 2020 alors que le licenciement a été notifié en juillet suivant, ni avoir consulté loyalement et préalablement le CSE.
La Sarl Zara France s’oppose à la nullité du licenciement en l’absence de harcèlement moral et de manquement fautif à l’origine de l’inaptitude.
Le harcèlement moral étant établi et le médecin du travail ayant déclaré le 3 février 2020 le salarié inapte à son poste de travail et à tout poste de travail dans le magasin des [5] [Localité 3], à la suite d’un arrêt de travail continu depuis le 25 mars 2019 en raison d’un état dépressif non discuté, le lien est suffisamment établi avec les conditions de travail, de sorte que le licenciement est nul.
La cour confirme ainsi le jugement entrepris.
IV Sur les conséquences du licenciement
Le licenciement étant nul, en considération du salaire moyen mensuel non discuté de 1 908,58 euros, de l’ouverture des droits à l’allocation de retour à l’emploi à compter du 29 août 2020, dont le versement est justifié à compter du 1er août 2021 pour un montant brut journalier de 44,59 euros, de son recrutement du 10 novembre 2022 au 13 mai 2023 par les Tissus des Ursules, puis à compter du 16 mai 2023 dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet par la société Nagawika comme vendeur conseil, moyennant une rémunération brute mensuelle de 1 903,75 euros, son préjudice sera plus justement réparé par l’octroi de la somme de 25 000 euros, la cour infirmant en ce sens le jugement entrepris.
V Sur la demande de restitution du trop-versé au titre de l’indemnité de licenciement
La Sarl Zara France soutient que le salarié ne peut bénéficier des dispositions de l’article L.1226-14 du code du travail au motif que n’est pas établi le caractère professionnel de son inaptitude et l’existence d’une maladie professionnelle.
Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement, l’application des dispositions de l’article L. 1226-10 du code du travail n’étant pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d’assurance-maladie du lien de causalité entre l’accident et l’inaptitude. Il appartient au juge de vérifier si l’inaptitude avait au moins partiellement une origine professionnelle.
En application, selon l’article L. 461-1, alinéa 4, du code de la sécurité sociale, peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau des maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage fixé à 25 % par l’article R. 461-8 du même code.
Selon l’article D. 461-30 du code de la sécurité sociale, la caisse primaire d’assurance maladie saisit le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles après avoir recueilli, notamment, le rapport du service du contrôle médical qui, aux termes de l’article D. 461-29, comprend, le cas échéant, le rapport d’évaluation du taux d’incapacité permanente partielle de la victime.
Pour l’application de ces dispositions, le taux d’incapacité permanente à retenir pour l’instruction d’une demande de prise en charge d’une maladie non désignée dans un tableau des maladies professionnelles est celui évalué par le service du contrôle médical dans le dossier constitué pour la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, et non le taux d’incapacité permanente partielle fixé après consolidation de l’état de la victime pour l’indemnisation des conséquences de la maladie.
En l’espèce, s’il a été retenu un lien entre l’inaptitude et le harcèlement moral subi par le salarié, en revanche, M. [T] [L] ne produit aucun élément hormis l’attestation de son médecin évoquant un état dépressif, ce qui est insuffisant pour apprécier le taux d’incapacité généré par cette situation après consolidation de son état, de sorte que les éléments permettant de caractériser une maladie professionnelle lui permettant d’obtenir les indemnités spécifiques résultant de l’application de l’article L.1226-14 du code du travail ne sont pas réunis.
Aussi, par arrêt infirmatif, la cour le condamne à rembourser à l’employeur la somme de 6 250,13 euros au titre du trop-perçu d’indemnité de licenciement.
Pour le même motif, le jugement est infirmé en ce qu’il a accordé une indemnité équivalente au préavis, le salarié pouvant en revanche prétendre à l’indemnité compensatrice de préavis compte tenu de la nullité du licenciement et aux congés payés afférents.
Les autres points du jugement non spécifiquement critiqués sont confirmés.
III Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie principalement succombante, la Sarl Zara France est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Pour le même motif, elle est condamnée à payer à M. [T] [L] la somme de 500 euros en cause d’appel, en sus de la somme allouée en première instance pour les frais générés par l’instance et non compris dans les dépens, en considération du bénéfice de l’aide juridictionnelle partielle.