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SOC.
HA
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 15 février 2023
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 156 F-D
Pourvoi n° E 21-20.811
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 FÉVRIER 2023
La société Uretek France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-20.811 contre l’arrêt rendu le 28 mai 2021 par la cour d’appel de Toulouse (4e chambre, section 2), dans le litige l’opposant :
1°/ à M. [U] [Y], domicilié [Adresse 3],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations écrites de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Uretek France, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [Y], après débats en l’audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Prieur, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l’article L. 431-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 28 mai 2021), M. [Y] a été engagé, le 6 mai 2015, par la société Uretek France, en qualité d’ingénieur d’affaires.
2. Licencié par lettre du 10 juillet 2017, il a saisi la juridiction prud’homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. L’employeur fait grief à l’arrêt de juger le licenciement nul et de le condamner à payer au salarié diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts ainsi qu’à rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées dans la limite de trois mois, alors :
« 1°/ que si le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, d’une liberté d’expression, il ne peut en abuser en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs ; que tel est le cas lorsque le salarié profère à l’encontre d’un des membres de la direction des propos excessifs et insultants, même dans une lettre confidentielle adressée à son seul supérieur hiérarchique ; que pour écarter l’existence d’une faute grave et annuler le licenciement, la cour d’appel a en l’espèce jugé que le salarié n’avait pas excédé sa liberté d’expression en adressant un courriel dénonçant au directeur général qu’il tutoyait, de manière confidentielle, les ”difficultés posées par M. [R]” et a estimé que si le salarié avait émis des jugements de valeur à l’encontre du directeur administratif et financier de la société, il n’avait en revanche employé aucun terme injurieux ; qu’en statuant ainsi, quand elle constatait que, le 31 mai 2017, le salarié avait adressé un courrier électronique à la direction générale de la société Uretek dans lequel il dénigrait M. [R], le directeur administratif et financier de la société, en indiquant notamment que ce dernier était ”pédant”, ”odieux” et ”nuisible”, ”incapable de répondre à une question simple, même s’agissant de finance” et qu’il était ”détesté et dangereux : détesté parce que détestable et dangereux car incompétent”, ce dont il résultait que le salarié avait abusé de sa liberté d’expression en tenant des propos excessifs et insultants à l’égard d’un membre de la direction, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1121-1, L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail ;
2°/ que pour juger que le salarié n’avait pas abusé de sa liberté d’expression et annuler son licenciement, la cour d’appel s’est bornée à affirmer que, dans le courriel du 31 mai 2017, le salarié avait informé le directeur général de ”difficultés posées par M. [R], directeur administratif et financier” et avait illustré ”ses propos par des exemples concrets qui ne sont pas repris dans la lettre de licenciement” ; qu’en statuant ainsi, sans s’expliquer sur ces ”exemples concrets” prétendument invoqués par le salarié pour justifier ses propos excessifs, insultants et diffamatoires à l’encontre de M. [R], ni constater que leur réalité était établie par le salarié, la cour d’appel s’est prononcée par un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1, L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail ;
3°/ que si le licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié, c’est à la condition que le salarié ait effectivement témoigné d’agissements susceptibles de caractériser un harcèlement moral ; que ne caractérise pas un acte de dénonciation de faits de harcèlement moral, au sens de l’article L. 1152-2 du code du travail, la démarche du salarié qui se borne à indiquer que ”certaines personnes au siège se sentent harcelés” par un membre de la direction, sans qu’il ne fasse état du moindre fait précis en ce sens ; qu’en jugeant au contraire que le salarié ne pouvait être licencié à raison d’un mail par lequel il portait à la connaissance de l’employeur des faits de harcèlement moral susceptibles de se dérouler dans l’entreprise, et en annulant en conséquence le licenciement, alors que le salarié ne faisait état d’aucun agissement précis, la cour d’appel a violé les articles L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1232-6 du code du travail. »
Réponse de la Cour
4. Aux termes de l’article L. 1152-2 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
5. Selon l’article L. 1152-3 du même code, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code précité, toute disposition contraire ou tout acte contraire est nul.
6. Il s’en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce.
7. La cour d’appel a d’abord relevé que le salarié avait été licencié à raison d’un courriel qu’il avait adressé au directeur général, dans lequel il mentionnait clairement que certaines personnes au siège de l’entreprise se sentaient harcelées par le directeur administratif et financier, en sorte qu’il s’agissait de manière non équivoque d’une dénonciation à l’égard de l’employeur de faits de harcèlement que subiraient certains collaborateurs.
8. Elle a ensuite constaté qu’il s’agissait d’une dénonciation faite par un cadre membre du comité directeur au directeur général, de manière confidentielle, afin que celui-ci puisse connaître la situation et le cas échéant prendre les mesures adéquates.
9. De ces constatations, dont il ne ressort pas que la dénonciation avait été faite de mauvaise foi, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, en a exactement déduit que ce grief emportait à lui seul la nullité du licenciement.
10. Le moyen, inopérant en ses deux premières branches, n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Uretek France aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Uretek France et la condamne à payer à M. [Y] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Uretek France
III.- La société Uretek France fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’AVOIR dit et jugé que le licenciement de M. [Y] était nul, de l’AVOIR condamnée à payer à ce dernier les sommes de 10.677 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 1.067,70 euros brut au titre des congés payés afférents au préavis, 2.570,04 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement et 26.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et de l’AVOIR condamnée à rembourser au Pôle Emploi Occitanie les indemnités chômage versées à M. [Y] dans la limite de trois mois d’indemnisation ;
1°) ALORS QUE si le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, d’une liberté d’expression, il ne peut en abuser en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs ; que tel est le cas lorsque le salarié profère à l’encontre d’un des membres de la direction des propos excessifs et insultants, même dans une lettre confidentielle adressée à son seul supérieur hiérarchique ; que pour écarter l’existence d’une faute grave et annuler le licenciement de M. [Y], la cour d’appel a en l’espèce jugé que le salarié n’avait pas excédé sa liberté d’expression en adressant un courriel dénonçant au directeur général qu’il tutoyait, de manière confidentielle, les « difficultés posées par M. [Z] » et a estimé que si le salarié avait émis des jugements de valeur à l’encontre du directeur administratif et financier de la société, il n’avait en revanche employé aucun terme injurieux ; qu’en statuant ainsi, quand elle constatait que, le 31 mai 2017, M. [Y] avait adressé un courrier électronique à la Direction générale de la société Uretek dans lequel il dénigrait M. [Z], le directeur administratif et financier de la société, en indiquant notamment que ce dernier était « pédant », « odieux » et « nuisible », « incapable de répondre à une question simple, même s’agissant de finance » et qu’il était « détesté et dangereux : détesté parce que détestable et dangereux car incompétent », ce dont il résultait que le salarié avait abusé de sa liberté d’expression en tenant des propos excessifs et insultants à l’égard d’un membre de la direction, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1121-1, L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail ;
2°) ALORS QUE pour juger que le salarié n’avait pas abusé de sa liberté d’expression et annuler son licenciement, la cour d’appel s’est bornée à affirmer que, dans le courriel du 31 mai 2017, M. [Y] avait informé le directeur général de « difficultés posées par M. [Z], directeur administratif et financier » et avait illustré « ses propos par des exemples concrets qui ne sont pas repris dans la lettre de licenciement » ; qu’en statuant ainsi, sans s’expliquer sur ces « exemples concrets » prétendument invoqués par M. [Y] pour justifier ses propos excessifs, insultants et diffamatoires à l’encontre de M. [Z], ni constater que leur réalité était établie par M. [Y], la cour d’appel s’est prononcée par un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard des L. 1121-1, L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail ;
3°) ALORS QUE si le licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié, c’est à la condition que le salarié ait effectivement témoigné d’agissements susceptibles de caractériser un harcèlement moral ; que ne caractérise pas un acte de dénonciation de faits de harcèlement moral, au sens de l’article L.1152-2 du code du travail, la démarche du salarié qui se borne à indiquer que « certaines personnes au siège se sentent harcelés » par un membre de la direction, sans qu’il ne fasse état du moindre fait précis en ce sens ; qu’en jugeant au contraire que M. [Y] ne pouvait être licencié à raison d’un mail par lequel il portait à la connaissance de l’employeur des faits de harcèlement moral susceptibles de se dérouler dans l’entreprise, et en annulant en conséquence le licenciement, alors que le salarié ne faisait état d’aucun agissement précis, la cour d’appel a violé les articles L. 1152-2, L. 1152-3 et L.1232-6 du code du travail.