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SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 décembre 2022
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1341 F-D
Pourvoi n° G 21-19.112
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 DÉCEMBRE 2022
Mme [N] [L], épouse [X], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-19.112 contre l’arrêt rendu le 16 octobre 2020 par la cour d’appel de Rennes (8e chambre prud’homale), dans le litige l’opposant à l’Association intercommunale de maisons de retraite, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lacquemant, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [L], épouse [X], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l’Association intercommunale de maisons de retraite, après débats en l’audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présentes Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lacquemant, conseiller rapporteur, Mme Salomon, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 16 octobre 2020), Mme [L] a été engagée en qualité d’aide-soignante le 1er avril 2006 par l’Association intercommunale de maisons de retraite.
2. La salariée, placée en arrêt de travail à plusieurs reprises à compter du 6 novembre 2008, a été licenciée le 3 juin 2015, le médecin du travail l’ayant déclarée inapte à son poste le 17 avril 2015, lors de la visite de reprise.
3. Contestant son licenciement, la salariée a saisi la juridiction prud’homale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La salariée fait grief à l’arrêt de la débouter de ses demandes au titre de son licenciement, alors « que si le moyen tiré du défaut de motivation de la lettre de licenciement n’a pas été relevé par le salarié devant les juges du fond, il est nécessairement dans le débat ; qu’il appartient donc aux juges de rechercher, au besoin d’office, en respectant le principe du contradictoire, si la lettre de licenciement énonce le ou les motifs du licenciement ; que ne constitue pas l’énoncé d’un motif précis de licenciement l’indication de l’inaptitude physique du salarié, sans mention de l’impossibilité de reclassement ; que la lettre de licenciement du 3 juin 2015 ayant mis fin à la relation contractuelle de la salariée ”déclarée inapte de manière définitive à tous les postes de l’entreprise” mentionne une recherche de reclassement sans indiquer que le reclassement était impossible ; qu’en jugeant que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a violé les articles L. 1232-6 et L. 1235-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. Le moyen tiré du défaut de motivation de la lettre de licenciement est nécessairement dans le débat.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l’article L. 1226-2 du code du travail, dans sa version antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l’article L. 1232-6 du même code, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :
8. Il résulte de ces textes qu’il appartient aux juges du fond de rechercher, au besoin d’office, en respectant le principe de la contradiction, si la lettre de licenciement énonce le ou les motifs du licenciement et que ne constitue pas l’énoncé d’un motif précis de licenciement l’inaptitude physique du salarié, sans mention de l’impossibilité de reclassement.
9. L’arrêt déboute la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la lettre de licenciement énonçait l’impossibilité de reclasser la salariée déclarée inapte, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute Mme [L], épouse [X], de sa demande tendant à voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes en paiement formée à ce titre et en ce qu’il condamne cette dernière aux dépens et à payer à l’association intercommunale de maisons de retraite la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 16 octobre 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;
Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Rennes autrement composée ;
Condamne l’Association intercommunale de maisons de retraite aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l’Association intercommunale de maisons de retraite et la condamne à payer à Mme [L], épouse [X], la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour Mme [L], épouse [X]
Mme [N] [X] fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué de l’avoir déboutée de ses demandes au titre du harcèlement moral ;
Alors que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner d’abord l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d’apprécier, ensuite, si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que tous les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont toutes justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a relevé que « pour caractériser les éléments permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral » (p. 5, dernier §), la salariée invoquait une altercation avec M. [K], homme d’entretien concernant l’usage de sa place de parking, entourée de poubelles à plusieurs reprises, le forçage de son casier et le déversement de ses affaires personnelles dehors avec l’indication qu’elles provoquaient une odeur infestant les locaux, l’imputation de fautes graves relativement à une personne en fin de vie, l’impossibilité de se rendre à des obsèques, des pressions dans l’exécution de ses missions, la nécessité d’assurer seule immédiatement une douche d’un résident, d’achever seule son service, les mauvais traitements d’une infirmière et d’un cuisinier, son état de santé provoqué par des relations conflictuelles avec la direction et des collègues, et soutenait qu’elle établissait ainsi « l’existence de faits répétés ayant eu pour effet de dégrader ses conditions de travail et son état de santé, permettant de présumer un harcèlement moral » (arrêt p. 6, 2ème §) ; qu’il ressort par ailleurs de l’arrêt attaqué que Mme [X] a, le 10 février 2012, été déclarée apte à un poste d’aide-soignante « avec restriction sur les manutentions très lourdes qui ne pourront être effectuées qu’avec l’aide d’un deuxième personne » (arrêt p. 8, 2ème §) et que l’employeur l’a laissé exécuter de telles missions sans solliciter et déranger ses collègues (p. 8, 5ème §) ; qu’en n’ayant pas caractérisé en quoi l’employeur justifiait objectivement le non-respect des préconisations du médecin du travail, le forçage du casier de la salariée et le déversement de ses affaires personnelles dehors et les reproches faits à la salariée, la cour d’appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, ensemble les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Mme [N] [X] fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué de l’avoir déboutée de ses demandes au titre de son licenciement ;
Alors 1°) que si le moyen tiré du défaut de motivation de la lettre de licenciement n’a pas été soulevé par le salarié devant les juges du fond, il est nécessairement dans le débat ; qu’il appartient donc aux juges de rechercher, au besoin d’office, en respectant le principe du contradictoire, si la lettre de licenciement énonce le ou les motifs du licenciement ; que ne constitue pas l’énoncé d’un motif précis de licenciement l’indication de l’inaptitude physique du salarié, sans mention de l’impossibilité de reclassement ; que la lettre de licenciement du 3 juin 2015 ayant mis fin à la relation contractuelle de la salariée « déclarée inapte de manière définitive à tous les postes de l’entreprise » mentionne une recherche de reclassement sans indiquer que le reclassement était impossible ; qu’en jugeant que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a violé les articles L. 1232-6 et L. 1235-3 du code du travail ;
Alors 2°) que le licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse lorsque l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée ; que viole son obligation de sécurité de résultat l’employeur qui ne respecte pas les préconisations du médecin du travail, laissant la salariée seule, sans instruction donnée, solliciter de l’aide de ses collègues ; qu’en l’espèce, en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles Mme [X] avait été, le 10 février 2012, déclarée apte à un poste d’aidesoignante « avec restriction sur les manutentions très lourdes qui ne pourront être effectuées qu’avec l’aide d’un deuxième personne » (arrêt p. 8, 2ème §) et que l’employeur l’avait laissée exécuter de telles missions sans solliciter ni déranger ses collègues (arrêt p. 8, 5ème §), sans avoir veillé au respect des prescriptions du médecin du travail, la cour d’appel a violé les articles L. 1235-3, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;
Alors 3°) que le licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse lorsque l’inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée ; qu’en n’ayant pas recherché, ainsi qu’elle y était invitée, si l’absence d’organisation par l’employeur des plannings des salariés afin de respecter les préconisations de la médecine du travail, laissant Mme [X] seule, sans instruction, solliciter l’aide de ses collègues, dont la charge de travail impliquait qu’ils ne pouvaient que très rarement l’aider, n’expliquait pas l’accident du 10 mars 2013 dont avait été victime Mme [X] alors qu’elle portait seule une personne de plus de 100 kilogrammes, ce dont il résultait que l’AIMR n’avait pas respecté son obligation de sécurité et qu’en conséquence, le licenciement était sans cause réelle et sérieuse (conclusions d’appel p. 6 à 9), la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1235-3, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;
Alors 4) et en tout état de cause que le juge ne peut statuer par voie d’affirmation et doit indiquer les éléments de preuve sur lesquels il se fonde pour affirmer l’existence d’un fait ; qu’en affirmant « qu’il ressort des pièces versées aux débats que l’employeur permettait à la salariée qui a bénéficié d’une formation spécifique de geste et posture, de solliciter l’aide de ses collègues pour exécuter les tâches pour lesquelles des restrictions avaient été émises, qu’elle préférait utiliser les lève-personnes mis à sa disposition en nombre suffisant, pour ne pas avoir à solliciter et déranger ses collègues et parvenait à exécuter ses missions normalement dans ces conditions, de sorte qu’il ne peut être soutenu que l’employeur s’abstenait de faire respecter l’avis d’aptitude de 2012 », sans indiquer la nature et l’origine des éléments de preuve sur lesquels elle se fondait pour fonder de telles affirmations, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile.