Harcèlement moral au Travail : Cour d’appel de Nîmes, 13 décembre 2022, 19/043091

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Harcèlement moral au Travail : Cour d’appel de Nîmes, 13 décembre 2022, 19/043091
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Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT No

No RG 19/04309 – No Portalis DBVH-V-B7D-HRQV

MS/EB

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE NIMES
24 octobre 2019 RG :17/00748

S.A.S. BOULANGERIE BG SA

C/

[I]

Grosse délivrée
le
à

COUR D’APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE
5ème chambre sociale PH

ARRÊT DU 13 DECEMBRE 2022

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NIMES en date du 24 Octobre 2019, No17/00748

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Leila REMILI, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président
Madame Leila REMILI, Conseillère
M. Michel SORIANO, Conseiller

GREFFIER :

Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l’audience publique du 29 Septembre 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 13 Décembre 2022.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

APPELANTE :

S.A.S. BOULANGERIE BG SA
[Adresse 5]
[Localité 1]

Représentée par Me Eve SOULIER de la SELARL EVE SOULIER-JEROME PRIVAT-THOMAS AUTRIC, avocat au barreau d’AVIGNON
Représentée par Me Alexandre JAMMET de la SELARL PASCAL JAMMET DALMET, avocat au barreau de TARASCON

INTIMÉE :

Madame [Y] [I]
née le [Date naissance 4] 1991 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 3]

Représentée par Me Thomas AUTRIC, avocat au barreau de NIMES

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 15 Juin 2022

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 13 Décembre 2022, par mise à disposition au greffe de la Cour

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

Mme [Y] [I] a été engagée par la SAS Boulangerie BG initialement du 23 juin 2014 au 30 septembre 2014 selon contrats de travail à durée déterminée à temps partiel afin de remplacer des salariés absents.

À compter du 6 octobre 2014, elle était embauchée suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, en qualité de vendeuse.

Par avenants au contrat de travail, la salariée était temporairement affectée au poste de première vendeuse.

Du mois de novembre 2016 au 27 janvier 2017, Mme [I] était placée en arrêt de travail.

Du 11 mars 2017 au 29 mars 2017, elle bénéficiait d’un nouvel arrêt de travail.

Par requête du 20 octobre 2017, Mme [I] sollicitait du conseil de prud’hommes de Nîmes la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusif de son employeur outre l’allocation des indemnités afférentes.

Suivant avis du 22 février 2018, la salariée était déclarée inapte à son poste de travail.

Le 12 avril 2018, la société Boulangerie BG soumettait des offres de reclassement à Mme [I], qu’elle refusait.

Par courrier du 30 avril 2018, Mme [I] était convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement.

Le 6 juin 2018, elle était licenciée pour inaptitude d’origine non-professionnelle et impossibilité de reclassement.

Par de nouvelles conclusions en date du 3 octobre 2018, Mme [I] demandait au conseil de prud’hommes de Nîmes de prononcer, à titre principal, la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour manquements graves de l’employeur à ses obligations, et, à titre subsidiaire, de dire et juger son licenciement pour inaptitude comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Par jugement contradictoire du 24 octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Nîmes a :

– dit que le contrat de travail liant les parties est résilié aux torts exclusifs de l’employeur ;
En conséquence :
– condamné la SAS Boulangerie BG, à payer à Mme [Y] [I] les sommes suivantes :
* 2000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de “résultat” ;
* 2000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice né du manquement de l’employeur à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail ;
* 4200 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 2065 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
* 206,5 euros à titre de rappel de congés payés afférents ;
* 1500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– ordonné l’exécution provisoire du jugement en application de l’article 515 du code de procédure civile
– condamné la SAS Boulangerie BG aux entiers dépens.

Par acte du 12 novembre 2019, la SAS Boulangerie BG a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par conclusions d’incident du 5 décembre 2019, Mme [I] sollicitait du conseiller de la mise en état la radiation de l’appel au visa de l’article 524 du code de procédure civile. La société Boulangerie BG s’étant exécutée dans l’intervalle, le 09 juin 2020, elle demandait au conseiller de la mise en état de constater son désistement.

Par ordonnance de retrait de désistement du 03 juillet 2020, le conseiller de la mise en état constatait le retrait de l’incident.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 15 janvier 2020, la SAS Boulangerie BG demande à la cour de :

– réformer le jugement dont appel en ce qu’il a dit que ” le contrat de travail liant les parties est résilié aux torts exclusifs de l’employeur”.

Et statuant à nouveau sur ce chef de demande,
– dire et juger que les griefs évoqués par Mme [I] à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire sont parfaitement injustifiés,
– dire et juger qu’en tout état de cause, le contrat de travail a été rompu le 6 juin 2018 en suite d’un licenciement pour inaptitude et d’une impossibilité de reclassement.

Par voie de conséquence,
– débouter Mme [I] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause,
– condamner Mme [I] à lui payer, en cause d’appel, la somme de 3500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :
– depuis les ordonnances Macron, les dommages et intérêts alloués au titre du licenciement sont plafonnés. Ainsi, Mme [I] ne saurait prétendre à une indemnisation équivalent à 6 mois de salaire alors qu’elle disposait d’une ancienneté de 3 ans 11 mois et 6 jours. Elle ne produit, en outre, aucun élément quant à la détermination de son préjudice.

– Mme [I] a été licenciée le 6 juin 2018, dès lors, la résiliation judiciaire de son contrat ne peut être prononcée à la date du jugement mais à la date du licenciement ;

– la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [I] doit être rejetée car:
* les griefs invoqués par Mme [I] sont anciens. Ils remontent à plus de 4 mois avant la saisine du conseil de prud’hommes. Elle expose que Mme [I] a saisi le conseil le 20 octobre 2017 alors qu’elle n’était plus dans l’entreprise depuis le 3 juillet 2017 et alors même que de novembre 2016 à 2017, elle n’a travaillé que 3 mois et demi.
* les faits évoqués par Mme [I] ne justifient absolument pas la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
* elle ne produit aucun élément de preuve objectif démontrant l’existence des griefs qu’elle invoque.

– son refus de faire droit aux congés par anticipation demandés par Mme [I] ne peut être assimilé à un manquement de sa part dès lors qu’elle est investie du pouvoir de direction et est libre d’apprécier la situation qui lui est soumise.

– Mme [I] ne saurait lui reprocher un manquement au titre de l’obligation de reclassement dans la mesure où elle était dispensée expressément de tout reclassement mais a quand même proposé pas moins de 81 postes à la salariée.

En l’état de ses dernières écritures en date du 08 avril 2020, Mme [Y] [I] demande à la cour de :

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la SAS Boulangerie BG pour manquements à ses obligations de sécurité de “résultat” et d’exécution loyale du contrat de travail.

Plus subsidiairement,
– déclarer le licenciement pour inaptitude dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En tout état de cause,
– condamner la SAS Boulangerie BG aux sommes suivantes :
* 3000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice né du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de “résultat”,
* 3000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice né du manquement de l’employeur à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail,
* 6200 euros à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 2 065 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 206,50 euros à titre de rappel de congés payés afférents,
* 1500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner également la SAS Boulangerie BG à la somme de 1500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,
– rejeter tous autres moyens, demandes et conclusions contraires.

Elle fait valoir que :
– c’est à bon droit que les premiers juges ont prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur, en l’état :
* du manquement à son obligation de sécurité de “résultat”
* du manquement à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail.

– la société Boulangerie BG a manqué à son obligation de sécurité de “résultat”:
* en la faisant travailler dans des conditions déplorables, notamment en l’exposant à des températures élevées à cause desquelles elle multipliait les malaises ;
* en la soumettant aux brimades, pressions et comportement vexatoires de son chef de secteur, sans qu’aucune mesure n’ait été prise pour faire cesser la situation ;
* en l’affectant à des tâches étrangères à ses missions contractuelles telles que le nettoyage du parking ou encore le ramassage de mégots de cigarettes ;
* en lui refusant des congés payés anticipés pour raison familiale ;
* en la faisant travailler en dehors de ses horaires contractuels.

– la société Boulangerie BG a exécuté déloyalement le contrat de travail dans la mesure où elle a fait l’objet de réflexions désobligeantes, notamment sur son physique, et devant la clientèle, de la part de son chef de secteur. Par ailleurs, l’employeur n’a pris aucune mesure pour faire cesser ceux-ci.

– le manquement de l’employeur à ses obligations a déclenché chez elle un syndrome anxio-dépressif.

– subsidiairement, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse compte tenu du manquement de la société Boulangerie BG à son obligation de recherche de reclassement et à son obligation de sécurité de “résultat”.

– s’il vrai que la société Boulangerie BG était dispensée de son obligation de reclassement, celle-ci a quand même entamé des recherches de reclassement. Elle expose que ces recherches de reclassement ne sont pas loyales ni sérieuses car :
* l’employeur lui a proposé 81 postes
* l’ensemble des postes proposés se situe dans un vaste périmètre géographique
* la société Boulangerie BG n’a pas recherché s’il y’avait des postes disponibles dans le Gard.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

Par ordonnance en date du 15 juin 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 15 septembre 2022. L’affaire a été fixée à l’audience du 29 septembre 2022.

MOTIFS

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.
La résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse avec toutes ses conséquences de droit.

Les juges doivent dès lors caractériser l’existence d’un ou plusieurs manquements de l’employeur et, cela fait, ils doivent, dans un second temps, apprécier si ce ou ces manquements sont d’une gravité suffisante pour justifier l’impossibilité de poursuivre le contrat de travail.

En matière de résiliation judiciaire, les manquements s’apprécient à la date à laquelle le juge prend sa décision.

Si le salarié saisit le conseil des prud’hommes d’une demande de résiliation de son contrat de travail et qu’il est ensuite licencié, le juge doit examiner d’abord la demande de résiliation judiciaire, avant de se prononcer sur la régularité du licenciement.

S’il fait droit à la demande de résiliation judiciaire :
– les effets de la résiliation judiciaire sont fixés à la date du licenciement,
– il n’y a pas lieu de statuer sur l’éventuelle contestation du licenciement.

La prise d’effet de la résiliation est fixée en principe au jour du jugement qui la prononce dès lors qu’à cette date, le salarié est toujours au service de l’employeur.

Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit en priorité rechercher si la demande de résiliation du contrat est justifiée. C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.

Lorsque le salarié n’est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

En l’espèce, Mme [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Nîmes le 20 octobre 2017 et a ensuite été licenciée par courrier du 6 juin 2018.

Pour fonder sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, la salariée invoque :

– le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité
– l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur

Le manquement à l’obligation de sécurité :

Aux termes de l’article L 4121-1 du code du travail, « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
· Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
· Des actions d’information et de formation ;
· La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes »
Pour la mise en oeuvre des mesures ci-dessus prévues, l’employeur doit s’appuyer sur les principes généraux suivants visés à l’article L.4121-23 du code du travail:
· Eviter les risques
· Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
· Combattre les risques à la source ;
· Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
· Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
· Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
· Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis par l’article L. 1142-2-1 ;
· Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
· Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
La réparation d’un préjudice résultant d’un manquement de l’employeur suppose que le salarié qui s’en prétend victime produise en justice les éléments de nature à établir d’une part la réalité du manquement et d’autre part l’existence et l’étendue du préjudice en résultant.

Enfin, l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité en démontrant qu’il a pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité des salariés.

Mme [I] soutient que l’employeur :
– la faisait travailler dans des conditions déplorables, notamment en l’exposant à des températures élevées à cause desquelles elle multipliait les malaises,
– la soumettait à des brimades, pressions et comportement vexatoires de M. [Z] [T], sans qu’aucune mesure n’ait été prise en interne pour faire cesser la situation,
– la soumettait à une organisation du travail propre à dégrader son état de santé physique et mental, notamment en l’affectant à des tâches étrangères à ses missions contractuelles (Nettoyage du parking, ramasser les mégots de cigarettes au sol, etc…), en lui refusant des congés payés anticipés pour raison familiale, en la faisant travailler en dehors des horaires contractualisés.

Les conditions de travail déplorables

Mme [I] a saisi l’inspection du travail le 3 juillet 2017, laquelle est intervenue dans l’entreprise et a constaté les faits suivants par courrier adressé à la salariée le 17 octobre 2017 :
“… il a pu être constaté des températures excessives aux différents postes de travail occupés par les travailleurs, l’employeur ayant fait l’objet d’une mise en demeure de se conformer à la réglementation dans ce domaine. La situation constatée à l’origine n’ayant pas favorablement évolué lors de la contre-visite effectuée le 04 août 2017, je porte à votre connaissance que l’entreprise SAS BOULANGERIE B.G. MARIE BLACHERE … pour laquelle vous travaillez, a fait l’objet d’un procès-verbal no 36/2017, clos le 05 septembre 2007, constatant la non-conformité ci-après :
– 1 (une) infraction aux dispositions des articles R 4222-1 à R 4222-3 du code du travail relatifs aux principes généraux applicables en matière d’aération/assainissement eu égard aux obligations pesant sur l’employeur pour l’utilisation des lieux de travail.
Je vous informe, en l’espèce, que cette infraction constitue un délit susceptible d’être réprimé d’une amende maximale de 10 000 € (dix-milles Euros), applicable autant de fois qu’il y avait de salariés concernés par l‘infraction…”

Une mise en demeure a été adressée à l’employeur le 17 juillet 2017 en ces termes :
“…
Compte tenu des niveaux exagérés de température constatés et de l’insuffisante prise en compte de l’état d’évolution de la technique, je vous notifie par la présente une mise en demeure de prendre les mesures adéquates pour faire cesser ces infractions dans les plus brefs délais (voir pièce jointe).
La température constatée dans l’établissement n’est pas compatible avec la préservation de la santé des salariés.
Qui plus est, plusieurs salariés en boulangerie ou en pâtisserie sont soumis à des efforts physiques relativement importants : l’exposition à de fortes chaleurs pourrait donc être à l’origine de troubles physiologiques sérieux.
…”

La mise en demeure est ainsi rédigée :
“Considérant que lors du contrôle, il a été constaté les températures ambiantes suivantes :
. Coin préparation sanwhiches : 36.8o
. Coin pizzas : 36.2o
. Coin boulangerie : 34.5o
. Plonge : 33.5o
. Caisses : 35o
Considérant l’absence de séparation entre le laboratoire et l’espace de vente;
Considérant par ailleurs que ces températures ont été constatées alors même que 5 ventilateurs fonctionnaient dans l’établissement ;
Considérant enfin qu’aucun système d’aspiration de l’air chaud n’existe dans le bâtiment ;
En conséquence,
DÉCIDE
L’employeur est mis en demeure de prendre toutes mesures appropriées pour faire disparaître les infractions constatées dans un délai de 8 jours à compter de la réception de la présente décision.”

Le document d’évaluation des risques du 6 juillet 2017 prévoit lors de la période estivale, l’installation de 2 breezair, un en vente et un dans le laboratoire, ce qui n’avait pas encore été réalisé lors de la visite de l’inspecteur du travail le 13 juillet 2017 et la contre-visite du 4 août 2017, d’où la saisine du parquet de Nîmes des infractions constatées.

La première obligation de l’employeur en matière de risque professionnel n’est pas de faire cesser le risque qui s’est déjà manifesté mais d’agir afin de prévenir le risque, faire en sorte qu’il ne se réalise pas.

Il s’agit d’inciter l’employeur à développer une politique de prévention des risques qu’il ne peut ignorer, dans laquelle la santé et la sécurité ne sont plus envisagées seulement sous l’angle du respect des normes techniques, mais englobées dans une démarche pro-active de prévention et d’évaluation des risques.
La responsabilité de l’employeur est engagée vis-à-vis des salariés (ou du salarié) dès lors qu’un risque pour la santé ou la sécurité des travailleurs (du travailleur) est avéré. Il n’est pas nécessaire que soit constaté une atteinte à la santé, le risque suffit.

L’employeur produit une note de service du 7 juin 2017 sur les comportements à adopter en cas de canicule et de fortes chaleurs, ce qui ne saurait le dédouaner de son obligation de prévenir les risques pour les salariés, liés aux températures excessives constatées par l’inspection du travail.

Il résulte des pièces produites par les parties que les interventions de l’employeur sont toutes postérieures à la mise en demeure visée ci-dessus et aux visites de l’inspection du travail.

L’employeur a ainsi manqué à son obligation de sécurité telle que prévue par les articles L 4121-1 et suivants du code du travail.
La salariée a été placée en arrêt maladie à compter du 3 juillet 2017 mais il n’est aucunement démontré que celui-ci a été causé par les conditions de travail décrites supra et le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Le manquement reproché à l’employeur n’a dès lors pas empêché la poursuite de la relation de travail dès lors que la suspension du contrat n’a pas de lien avec ledit manquement.

La salariée sollicite en outre la somme de 3000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice né du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité mais sans préciser la nature de son préjudice, ni fournir la moindre pièce à l’appui de sa demande.

Elle sera dans ces circonstances déboutée de ce chef de prétention par réformation du jugement déféré.

Les brimades, pressions et comportement vexatoires de M. [Z] [T], sans qu’aucune mesure n’ait été prise en interne pour faire cesser la situation
La salariée a adressé un courrier à l’employeur le 28 juin 2017, ainsi libellé :
“Madame, Monsieur,
Je viens vous informer qu’à compter de ce jour, je n’accepterai plus aucune remarque désobligeante et discriminatoire de la part de mon chef de secteur “[Z] [T]” et ce, devant les clients et collègues de travail lors d’une demande de changement de t-shirt (uniforme Marie Blachère).
Je cite : “HA HA !!! vous c’est du xxl qu’il vous faudrait !! HA HA !!!”
Je ne supporterai plus aucune humiliation en publique.
Madame, monsieur, si de tels propos devraient se reproduire, je serai dans l’obligation de me rapprocher auprès des instances compétentes.
…”

L’employeur justifie avoir diligenté une enquête CHSCTdès la réception de ce courrier, tous les collègues de Mme [I] ayant indiqué n’avoir jamais constaté de difficultés relationnelles avec d’autres personnes de l’entreprise, ni de paroles agressives ou non respectueuses, d’insultes ou de gestes agressifs.
Le grief reproché à l’employeur qui ne repose que sur les seules allégations de Mme [I] ne sera dès lors pas retenu.

L’organisation du travail propre à dégrader son état de santé physique et mental

Mme [I] reproche à son employeur de l’avoir affectée à des tâches étrangères à ses missions contractuelles (Nettoyage du parking, ramasser les mégots de cigarettes au sol, etc…), en lui refusant des congés payés anticipés pour raison familiale, en la faisant travailler en dehors des horaires contractualisés.
Aucun élément n’est produit par la salariée pour démontrer lesdits griefs, sauf la demande de congés payés anticipés pour raison familiale que l’employeur reconnaît en pas lui avoir accordés.

La détermination des dates de congés constitue une prérogative de l’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction.
En l’espèce, la salariée a écrit le 20 février 2017 à son employeur pour lui demander les raisons de son refus de lui attribuer le congé anticipé, celui-ci lui répondant par courrier du 3 mars 2019 que la pratique des congés payés par anticipation n’a pas cours au sein de l’entreprise.

Aussi, l’employeur ne justifie pas des raisons objectives pour lesquelles il ne pouvait accorder à Mme [I] les congés qu’elle sollicitait même si l’attribution des congés relève de son pouvoir de direction.
En effet, compte tenu de la taille de l’entreprise et du nombre de salariés, rien ne démontre qu’au jour de son refus, l’employeur aurait été dans l’impossibilité de mettre en oeuvre des mesures de remplacement afin de permettre à la salariée de prendre un congé par anticipation.
L’employeur a ainsi commis un abus dans son pouvoir de direction.
Cependant, ce fait n’a pas rendu impossible la poursuite de la relation contractuelle, alors que la salariée a poursuivi l’exécution de son contrat de travail, et ce jusqu’au 3 juillet 2017, date à laquelle Mme [I] a fait l’objet d’un arrêt maladie, sans qu’elle ne reprenne le travail jusqu’à sa déclaration d’inaptitude.

Il résulte des explications développées supra que la résiliation judiciaire du contrat de travail doit être rejetée, les griefs reprochés n’étant pour certains pas avérés, pour d’autres
insuffisamment graves et le manquement à l’obligation de sécurité étant sur une courte période et sans lien avec l’arrêt de travail de la salariée.
En effet, c’est au moment où il statue que le juge examine la gravité des manquements invoqués, et non en se plaçant à la date où ils se sont prétendument déroulés.
En l’espèce, Mme [I] n’a pas repris le travail après son arrêt maladie du 3 juillet 2017 et a été déclarée inapte à son poste de travail le 22 février 2018, l’inaptitude n’étant pas d’origine professionnelle.
Il ne peut dès lors être retenu que le manquement de l’employeur à son obligation de résultat a pu rendre impossible la poursuite de la relation de travail.
Le jugement déféré devra dans ces circonstances être réformé de ce chef.

Enfin, la salariée sollicite la somme de 3000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice né du manquement de l’employeur à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail, sans préciser la nature de son préjudice, ni fournir la moindre pièce à l’appui de sa demande.
Elle sera dans ces circonstances déboutée de ce chef de prétention par réformation du jugement déféré.

Sur le licenciement

Mme [I] a été licenciée le 6 juin 2018 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
L’intimée estime que l’employeur a manqué à son obligation de reclassement.
L’article L. 1226-2-1 du code du travail dispose que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

L’avis médical du 22 février 2018 est tout à fait clair et précis, le médecin du travail habilité ayant constaté l’inaptitude de la salariée ainsi que la dispense de l’obligation de reclassement en précisant que “l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi”.
L’employeur ayant dès lors été dispensé de son obligation de reclassement de la salariée, la procédure de licenciement pour inaptitude est justifiée, même à supposer que les recherches de reclassement de la salariée n’ont pas été loyales ni sérieuses, toute argumentation à ce titre étant superfétatoire.
Le licenciement de Mme [I] est dans ces circonstances fondé sur une cause réelle et sérieuse et la salariée sera déboutée de toutes ses demandes financières subséquentes.

Sur les demandes accessoires

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’appelante.

Les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de Mme [I].

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort,

Réforme le jugement rendu le 24 octobre 2019 par le conseil de prud’hommes de Nîmes en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [Y] [I] de toutes ses demandes,

Rappelle en tant que de besoin que le présent arrêt infirmatif tient lieu de titre afin d’obtenir le remboursement des sommes versées en vertu de la décision de première instance assortie de l’exécution provisoire,

Condamne Mme [Y] [I] à payer à la SAS Boulangerie BG la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la même aux dépens de première instance et d’appel,

Arrêt signé par le président et par le greffier.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


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