Harcèlement moral au Travail : 23 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/02542

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Harcèlement moral au Travail : 23 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/02542
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 10

ARRET DU 16 FEVRIER 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/02542 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBYOJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Février 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° 15/11731

APPELANTE

S.A.S. RESTALLIANCE représentée par son représentant légal domicilié audit siège

en cette qualité

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Michel GUIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

INTIMEE

Madame [D] [B]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Emilie VIDECOQ, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

– contradictoire

– mis à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, prorogé jusqu’à ce jour.

– signé par Monsieur Nicolas TRUC, Président et par Sonia BERKANE, présent lors du prononcé.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Madame [D] [B] a été embauchée par la société SOGERES, par contrat à durée indéterminée du 1er juillet 2008, en qualité d’employée de service.

Par suite d’une perte de marché, son contrat de travail a été transféré au sein de la S.A.S. RESTALLIANCE.

Dans le dernier état de la relation contractuelle, Mme [B] exerçait les fonctions d’employée de restauration.

La convention collective applicable est la convention collective nationale du personnel des entreprises de restauration de collectivités

Afin de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail , Mme [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris, le 9 octobre 2015.

Le 17 décembre 2015, lors de la deuxième visite de reprise, Mme [B] a été déclarée inapte à tous les postes dans l’entreprise, par le médecin du travail.

Par courrier du 8 janvier 2016, Mme [B] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 19 janvier 2016.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 22 janvier 2016, la société RESTALLIANCE a notifié à Mme [B] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par jugement en formation de départage du 20 février 2020, notifié à la S.A.S. RESTALLIANCE par courrier daté du 21 février 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a :

-prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail au 22 janvier 2016 aux torts de la société RESTALLIANCE ;

-condamné la société RESTALLIANCE à payer à Madame [D] [B] les sommes suivantes :

* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement :

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du défaut de prévention du harcèlement ;

* 3 237,92 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

* 323,79 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis ;

* 15 000 euros à titre d’indemnité au titre de la rupture ;

* 2 000 euros à titre d’indemnité au titre des frais irrépétibles ;

Avec intérêt au taux légal s’agissant des condamnations de nature salariale a’ compter de la notification devant le bureau de conciliation et d’orientation et s’agissant des condamnations de nature indemnitaire a’ compter du jugement ;

-condamné la société RESTALLIANCE aux intérêts au taux légal sur les intérêts

ayant couru sur une année ;

-ordonné la remise par la société RESTALLIANCE à Madame [D] [B] d’une attestation Pôle Emploi et d’un bulletin de salaire en conformité avec la résiliation et les condamnations prononcées ;

-condamné la société RESTALLIANCE aux dépens ;

-débouté Madame [D] [B] de ses autres demandes et la société RESTALLIANCE de sa demande d’indemnité ;

ordonné l’exécution provisoire du jugement.

La S.A.S RESTALLIANCE a interjeté appel de ce jugement par déclaration déposée par voie électronique le 16 mars 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 4 novembre 2020, la S.A.S. RESTALLIANCE demande à la cour de :

-infirmer le jugement rendu le 20 février 2020 en toutes ses dispositions, sauf en ce

qu’il a constaté l’absence de tout fait de harcèlement sexuel et de propos racistes ;

En conséquence,

-confirmer le jugement rendu le 20 février 2020 en ce qu’il a constaté l’absence de

tout fait de harcèlement sexuel et de propos racistes ;

-constater que la plainte pénale du 22 septembre 2015 a été classée sans suite et est donc dépourvue de l’autorité de la chose jugée ;

Statuant a’ nouveau ;

-constater l’absence de tout fait de harcèlement moral exercé à l’encontre de

Mme [B] ;

En conséquence,

-débouter Mme [B] de la demande qu’elle formule de ce chef ;

-constater que la société RESTALLIANCE n’a pas manqué à son obligation de sécurité ;

En conséquence,

-débouter Mme [B] de la demande qu’elle formule de ce chef ;

En conséquence,

-constater l’absence de tout manquement suffisamment grave justifiant la résiliation

judiciaire aux torts de la société RESTALLIANCE ;

-débouter Mme [B] des demandes qu’elle formule de ce chef ;

-dire et juger que le licenciement pour inaptitude médicalement constatée et impossibilité de pourvoir au reclassement de Mme [B] est parfaitement justifié ;

En conséquence,

-débouter [B] des demandes qu’elle formule de ce chef ;

-à titre subsidiaire, si la cour venait à dire et juger que la rupture n’est pas justifiée,

réduire les dommages et intérêts au titre de la rupture à de plus justes proportions,

dans la limite de 6 mois de salaire conformément aux dispositions de l’ancien

article L. 1235-3 du code du travail, soit la somme de 8 906,28 euros ;

-à titre très subsidiaire, si la cour venait à dire et juger que la rupture n’est pas

justifiée, confirmer le jugement rendu en ce qu’il a alloué la somme de 15 000 euros

-à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture ;

En tout état de cause,

-condamner Mme [B] à verser à la société RESTALLIANCE la somme de

1 500 euros

au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Elle fait valoir que :

-la demande de résiliation judiciaire est infondée et injustifiée, Mme [B] n’établissant pas de manquements graves ;

-le licenciement est bien-fondé et justifié et bien que le médecin du travail ait précisé qu’il n’était pas nécessaire de rechercher un autre poste, elle a proposé 3 offres de reclassement le 30 décembre 2015 à Mme [B], que cette dernière a refusés.

Par ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 25 août 2022, Mme [B] demande à la cour de :

-confirmer le jugement en ce qu’il a jugé établis le harcèlement moral et le manquement à l’obligation de prévention à l’égard de Mme [B] ;

-infirmer le jugement en ce qu’il a jugé non établis les faits de harcèlement sexuel et d’injure raciste ;

En conséquence,

-condamner la société au paiement des sommes suivantes :

* 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en application des articles L.4121-1 et L.1152-4 et L1153-5 du code du travail ;

* 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en application des articles L.1152-1, L.1153-1, L1152-2, L1153- 2, L1132-1 et L1134-1 du code du travail ;

-A titre principal, confirmer le jugement en ce qu’il a prononcé la résiliation

judiciaire du contrat de travail au 22 janvier 2016 aux torts de la société

RESTALLIANCE ;

-confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société RESTALLIANCE au paiement des sommes suivantes :

* 3 237,92 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis (2 mois) :

* 323,80 € au titre des congés payés sur préavis :

-l’infirmer sur le quantum de l’indemnité pour licenciement nul ou subsidiairement

sans cause réelle et sérieuse et la porter à la somme de 40 000 euros ;

-A titre subsidiaire, juger le licenciement notifié postérieurement par lettre du 22 janvier 2016, nul ou sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

-condamner la société au paiement des sommes suivantes :

* 3 237,92 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis (2 mois) ;

* 323,80 euros au titre des congés payés sur préavis ;

* 40 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ;

-ordonner à la société de remettre à Mme [B] une attestation Pôle Emploi et des

bulletins de paie conformes pour le préavis, sous astreinte de 150 euros par jour de

retard et par document que la cour se réservera le droit de liquider ;

-dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal avec capitalisation des

intérêts en application de l’article 1154 du code civil ;

-confirmer la condamnation de la société à payer à Mme [B] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles exposés en première instance et y ajouter la somme de 2000 euros pour les frais irrépétibles exposés en appel ;

-débouter la société RESTALLIANCE de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-condamner la société RESTALLIANCE entiers dépens d’instance.

L’intimé fait valoir que :

-sa demande de résiliation judiciaire est bien-fondée et justifiée par le harcèlement moral et sexuel qu’elle a subi de la part de son nouveau responsable, Monsieur [Y] ;

-son employeur a manqué à son obligation de sécurité et de prévention contre le harcèlement moral et sexuel;

-à titre subsidiaire, son licenciement pour inaptitude est nul dès lors qu’il est la conséquence du harcèlement et de la discrimination dont elle a été victime.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 14 septembre 2022.

SUR CE,

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail

Il résulte des dispositions des articles 1224 et 1228 du code civil qu’un contrat de travail peut être résilié aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave de sa part à ses obligations contractuelles.

L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat, doit assurer la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.

Dès lors que de tels faits sont avérés, la responsabilité de l’employeur est engagée, ce dernier devant répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés.

Selon les dispositions de l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L1152-2 dispose qu’aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

En application de l’article L.1153-1 aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel.

Enfin, l’article L1154-1 prévoit, qu’en cas de litige, si le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

En l’espèce, au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, Mme [B] reproche à son employeur des faits de harcèlement moral et sexuel et des faits de discrimination.

Mme [B] invoque les faits suivants :

-M. [Y] lui aurait enfoncé un doigt dans les côtes le 19 décembre 2013,

-M. [Y] aurait tenté de l’embrasser le 16 juillet 2015 puis l’aurait frappée avec la porte du frigo,

-M. [Y] l’aurait insultée,

-M. [Y] lui aurait tenu des propos racistes,

-la société RESTALLIANCE n’a pas mené d’enquête et a voulu lui imposer une mutation.

Pour étayer ses affirmations, Mme [B] produit notamment une main courante déposée par ses soins le 26 décembre 2013, une plainte déposée le 22 septembre 2015 et plusieurs attestations.

La cour observe que le 26 décembre 2013 dans sa main courante, elle dénonce le fait que M. [Y] lui aurait mis un doigt dans les côtes mais que ce fait n’est pas repris dans la plainte déposée le 22 septembre 2015 bien que Mme [B] évoque dans cette plainte des faits de 2013.

Les faits dénoncés dans la main courante, qui ne fait que reprendre des propos de Mme [B], ne sont corroborés par aucun autre élément de preuve.

Les différentes attestations produites par Mme [B] n’évoquent aucun fait précis et circonstancié. Elles sont imprécises. Certaines ne mettent pas même en cause M. [Y].

Dans sa plainte du 22 septembre 2015, Mme [B] indique que M. [Y] l’aurait insultée le 26 juillet précédent dans la salle à manger devant tout le monde mais ne produit aucune attestation confirmant son propos.

Mme [B] n’établit pas la matérialité des faits qu’elle invoque.

En ce qui concerne les faits du 16 juillet 2015, elle indique avoir informé la hiérarchie de l’incident. Elle produit elle-même aux débats le mail rédigé par M. [K] le 30 septembre 2015. Celui-ci avait organisé une confrontation entre Mme [B] et M. [Y] à la suite de l’incident. Dans ce mail, M. [K] indique « sur les faits reprochés, en tentant de comprendre la situation, [B] [O] [D] m’avait confirmé qu’il se peut qu’elle ait mal interprété le mouvement de [L] lorsqu’il a fermé la porte du frigo subitement sur le bras de [B] [O] dans cette zone assez exigue ». Il indique également « [B] [O] [D] ayant accepté ses excuses et les deux m’ayant exprimé leurs motivations pour tâcher de travailler ensemble de manière convenable et dans le respect de chacun, nous avions jugé de ne pas donner de suite officielle à ce passage. Je leur avait néanmoins clairement dit à tout deux que s’ils n’étaient pas capables de se comporter en adulte et de travailler de manière cohérente ensemble, nous envisagerions un transfert de l’un ou de l’autre des protagonistes tout en donnant bien entendu priorité au postulat éventuel de [B] [O] à la transférer sur un site plus proche de son domicile. »

Ainsi, il n’est pas établi que M. [Y] aurait tenté d’embrasser Mme [B] le 16 juillet 2015. Mme [B] n’évoque par ailleurs aucun autre fait de nature sexuelle.

Par ailleurs, s’il n’est pas contesté que M. [Y] a brutalement fermé la porte du réfrigérateur, il n’est pas établi que ce faisant, il aurait intentionnellement frappé Mme [B].

Ainsi, Mme [B] ne caractérise la matérialité d’aucun fait permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral ou d’un harcèlement sexuel.

Il ressort des éléments produits au dossier que la société RESTALLIANCE est intervenue à la suite de la dénonciation par Mme [B] des faits du 16 juillet 2015 et qu’à la suite du courrier du conseil de Mme [B] incriminant M. [Y], elle a proposé à Mme [B] une rencontre.

La société RESTALLIANCE n’est donc pas restée sans réaction à la suite des dénonciations de Mme [B]. On ne saurait lui reprocher de ne pas avoir procédé à une enquête dès lors que celle- ci nécessitait d’entendre Mme [B] afin de connaître précisément les faits qu’elle reprochait à Mme [Y] et que celle-ci a refusé tout entretien.

Il ressort enfin des éléments produits aux débats que M. [Y] se serait excusé des propos à caractère raciste tenus le 16 juillet 2015.

Aucun autre propos de même nature n’est dénoncé par Mme [B].

Dans ces conditions, il n’est pas établi que Mme [B] aurait subi une discrimination.

Cette dernière ne caractérise aucun grave manquement de la société RESTALLIANCE à ses obligations qui pourrait justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur la nullité du licenciement

A titre subsidiaire, Mme [B] soutient que son licenciement serait nul, son inaptitude trouvant sa cause dans le harcèlement et la discrimination mis en ‘uvre par M. [Y].

Le harcèlement et la discrimination n’étant pas établis, Mme [B] ne peut soutenir la nullité de son licenciement.

Le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions et Mme [B] sera déboutée de l’ensemble de ses demandes.

Sur les frais de procédure

Mme [B], partie perdante, sera condamnée aux dépens.

L’équité commande de ne pas faire droit à la demande de la société RESTALLIANCE au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

 

 


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