Harcèlement moral au Travail : 23 février 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02293

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Harcèlement moral au Travail : 23 février 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/02293
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C 2

N° RG 21/02293

N° Portalis DBVM-V-B7F-K4LC

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET

la SELARL EUROPA AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 23 FEVRIER 2023

Appel d’une décision (N° RG 19/00024)

rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 19 avril 2021

suivant déclaration d’appel du 19 mai 2021

APPELANT :

Monsieur [R] [C]

né le 01 Juin 1985 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 1]

représenté par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

Association ADMR EMMA représentée par son président en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Sylvain REBOUL de la SELARL EUROPA AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Jean-Pierre DELAVENAY, Président,

M. Frédéric BLANC, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

Assistés lors des débats de Mme Carole COLAS, Greffière,

DÉBATS :

A l’audience publique du 14 décembre 2022,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, a été chargée du rapport, et les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries.

Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

EXPOSE DU LITIGE

M. [R] [C], né le 1er juin 1985, a été embauché le 7 novembre 2017 par l’association’ADMR Emma (Equipe Mobile pour les Malades Alzheimer) suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, en qualité d’ergothérapeute.

Le contrat est soumis à la convention collective nationale de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile du 21 mai 2010.

Le 19 septembre 2018, M. [R] [C] a été convoqué à un premier entretien professionnel.

M. [R] [C] a été placé en arrêt de travail du 26 octobre 2018 au 16 novembre 2018.

Par courrier daté du 4 décembre 2018 remis le 5 décembre 2018, l’employeur a proposé à M.'[R] [C] un entretien préalable à une éventuelle rupture conventionnelle fixé au’11’décembre 2018.

M. [R] [C] a été placé en arrêt de travail pour maladie du’6 décembre 2018 au’25’janvier’2019. Il a déclaré un accident de travail survenu le 6 décembre 2018.

Par décision du 3 mai 2019, la caisse primaire d’assurance maladie a refusé la prise en charge de l’accident déclaré le 6 décembre 2018.

Suivant requête en date du 10 janvier 2019, M. [R] [C] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

A l’issue de la visite médicale du 22 janvier 2019, le médecin du travail l’a déclaré inapte à son poste avec dispense de recherche de reclassement au motif que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

Par courrier en date du 5 mars 2019, l’association ADMR Emma a informé M. [R] [C] de l’impossibilité de le reclasser en raison de la dispense prononcée par le médecin du travail.

Par courrier en date du 12 mars 2019, l’association’ADMR Emma a convoqué M. [R] [C] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au’26’mars’2019.

Par lettre du 1er avril 2019, l’association ADMR Emma a notifié à M. [R] [C] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Au dernier état de ses demandes devant le conseil de prud’hommes, M. [R] [C] sollicitait du conseil de prud’hommes de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur et à titre subsidiaire de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse en demandant la réparation de préjudices subis du fait d’agissements constitutifs de harcèlement moral, et de manquements de l’employeur à ses obligations de prévention, de sécurité, de formation et d’exécution loyale du contrat de travail.

L’association ADMR Emma s’est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement en date du 19 avril 2021, le conseil de prud’hommes de Grenoble a’:

– débouté M. [R] [C] de l’intégralité de ses demandes.

– débouté l’Association ADMR Emma de ses demandes reconventionnelles

– dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 21 avril 2021 pour M. [R] [C] et le 22 avril 2021 pour l’association ADMR Emma.

Par déclaration en date du 19 mai 2021, M. [R] [C] a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2022, M.'[R] [C] sollicite de la cour de’:

Vu les dispositions de l’article L. 1471-1 et suivants du code du travail,

Infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté l’Association ADMR Emma de ses demandes reconventionnelles,

Statuant à nouveau,

Débouter l’association ADMR Emma de toutes ses demandes,

Juger que M. [R] [C] a été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral,

Juger que l’association ADMR Emma a violé son obligation de prévention du harcèlement moral,

Juger que l’association ADMR Emma a violé son obligation de sécurité à l’égard du salarié,

Condamner l’association ADMR Emma à payer à M. [R] [C] les sommes de :

– 10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral sur le fondement de l’article L. 1152-1 du code du travail.

– 10 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour réparer le préjudice moral sur le fondement de l’article L.1152-4 du code du travail,

– 10 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour réparer son préjudice moral sur le fondement des articles L. 1222-1 et L. 4121-1 du code du travail,

Condamner l’association ADMR Emma à payer à M. [R] [C] la somme de’3’000’euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice né de l’absence de formation à son outil de travail informatique,

Condamner l’association ADMR Emma à payer à M. [R] [C] la somme de’5’000’euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice né de l’exécution déloyale de son contrat de travail,

A titre principal :

Prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] [C] aux torts exclusifs de l’Association ADMR Emma, et lui faire produire les effets d’un licenciement nul à titre principal, et sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire,

A titre subsidiaire :

Juger que le licenciement pour inaptitude notifié à M. [R] [C] est nul à titre principal, et dépourvu de sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire,

En tout état de cause :

Condamner l’Association ADMR Emma à verser à M. [R] [C] les sommes suivantes’:

à titre principal, la somme de 15 000,00 euros net, à titre de dommages et intérêts au titre de la nullité de la rupture,

à titre subsidiaire, la somme de 15 000,00 euros net, à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamner l’association ADMR Emma à verser à M. [R] [C] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamner l’association ADMR Emma aux dépens.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 2 décembre 2022, l’association ADMR Emma sollicite de la cour de’:

Confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, à l’exception de celles ayant débouté l’association ADMR Emma de sa demande de répétition de l’indu et de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant de nouveau sur ces points :

Condamner M. [R] [C] à rembourser à l’Association ADMR Emma la somme de’2’751,87€;

Condamner M. [R] [C] à payer à l’association ADMR Emma la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.

Débouter M. [R] [C] de l’intégralité de ses demandes ;

Condamner M. [R] [C] aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article’455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 8 décembre 2022.

L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 14 décembre 2022, a été mise en délibérée au’23 février 2023.

MOTIFS DE L’ARRÊT

1 ‘ Sur le harcèlement moral

L’article L.1152-1 du code du travail énonce qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L.1152-2 du même code dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir les agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L’article L. 1152-4 du code du travail précise que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Sont considérés comme harcèlement moral notamment des pratiques persécutrices, des attitudes et/ou des propos dégradants, des pratiques punitives, notamment des sanctions disciplinaires injustifiées, des retraits de fonction, des humiliations et des attributions de tâches sans rapport avec le poste.

La définition du harcèlement moral a été affinée en y incluant certaines méthodes de gestion en ce que peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en ‘uvre par un supérieur hiérarchique lorsqu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits, à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le harcèlement moral est sanctionné même en l’absence de tout élément intentionnel.

Le harcèlement peut émaner de l’employeur lui-même ou d’un autre salarié de l’entreprise.

Il n’est, en outre, pas nécessaire que le préjudice se réalise. Il suffit pour le juge de constater la possibilité d’une dégradation de la situation du salarié.

A ce titre, il doit être pris en compte non seulement les avis du médecin du travail mais également ceux du médecin traitant du salarié.

L’article L 1154-1 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n°2016-1088 du’8’août 2016 est relatif à la charge de la preuve du harcèlement moral :

«’En cas de litige relatif à l’application des articles L 1151-1 à L 1152-3 et L 1152-3 à L 1152-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des éléments de faits qui permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral l’existence d’un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.’».

La seule obligation du salarié est d’établir des éléments de faits précis et concordants, à charge pour le juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble et non considérés isolément, permettent de supposer l’existence d’un harcèlement, le juge ne pouvant se fonder uniquement sur l’état de santé du salarié mais devant pour autant le prendre en considération.

Au cas d’espèce, M. [R] [C] avance, comme faits qui permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral, les éléments de fait suivants’:

– son employeur lui a manifesté son hostilité à partir de l’entretien du’19 septembre 2018 et de la rédaction d’un compte-rendu non conforme,

– il a fait l’objet d’un contrôle accru de son activité et de son agenda,

– il s’est vu imposer de restituer son véhicule de service neuf au profit d’un véhicule plus usagé,

l’employeur a tenté de lui imposer une rupture conventionnelle,

– il a fait l’objet de dénigrement au cours de la réunion du 6 décembre 2018,

– il a subi des agissements anormaux pendant son arrêt de travail,

– les conditions de travail au sein de l’association étaient dégradées au moins depuis le départ de son prédécesseur.

Cependant il n’établit pas la matérialité des faits suivants :

En premier lieu, il n’établit pas que le compte-rendu de l’entretien du 19 septembre 2018 rédigé par sa responsable hiérarchique, Mme [H] [W] ne serait pas conforme à la réalité des propos échangés tel qu’il le prétend, aucun élément probant n’étant produit à ce titre.

En second lieu, il est acquis que l’employeur lui a proposé un entretien en vue d’une rupture conventionnelle du contrat de travail, sans que les circonstances ne révèlent l’exercice de pressions pour lui imposer une telle rupture.

En effet, les menaces de voir engager une procédure licenciement à défaut d’accepter une rupture conventionnelle ne ressortent que du courriel du salarié lui-même qui affirme, le 29 novembre 2018, «’Suite à notre entretien physique en présence de Madame [H] [W] hier à 10h00, dans les locaux de l’EMMA, vous m’avez fait part de «’la perte de confiance’» de mes collègues et de ma hiérarchie ainsi que, le souhait de «’poser de nouvelle base dans l’équipe’». Je viens à vous solliciter afin de clarifier vos attentes. Lors de cet entretien, en qualité de responsable d’activités Santé, vous m’avez recommandé d’accepter une rupture conventionnelle. En cas de refus, vous m’avez indiqué que vous engagerez une procédure de licenciement à mon encontre. Vous m’avez évoqué le souhait que je vous réponde ce jour. Abasourdi, je vous ai demandé la possibilité de vous répondre le lundi 03 décembre 2018’».

Le seul fait que Mme'[O]'[Y] ne conteste pas ces affirmations dans son courriel de réponse du 4 décembre 2018 ne suffit pas à démontrer qu’elle acquiescerait aux affirmations du salarié alors qu’elle se limite à indiquer «’Suite à ta demande et comme nous en avons convenu lors de l’entretien du’28.11.2018, je souhaiterais que tu te positionnes quant à la possibilité de mettre un terme à ton contrat de travail par rupture conventionnelle, en me donnant une réponse pas mail, lundi’3’décembre 2018’».

La concomitance avec les reproches précédemment formulés par Mme [H] [W] dans son courriel du 23 octobre 2018 en concluant «’je trouve que toutes ces situations me montrent qu’il existe une réelle difficulté pour travailler ensemble et qu’à ce jour les faits ne me permettent pas d’envisager une amélioration’» ne suffisent pas à établir la matérialité des pressions alléguées, d’autant que Mme [H] [W] avait à cette occasion, proposé un entretien distinct au salarié.

Les éléments produits ne permettent donc pas d’établir la matérialité d’actes de pressions en vue de contraindre le salarié à accepter une rupture conventionnelle, tel qu’il le prétend, le fait de proposer une rupture conventionnelle ne constituant pas, par lui-même, un acte matériel relevant de la qualification de harcèlement.

En troisième lieu, M. [R] [C] s’appuie sur des éléments émanant de Mme'[Z]'[J] qui avait exercé au poste d’ergothérapeute pendant six années jusqu’à sa démission en septembre 2017 et qui décrit, dans une attestation rédigée le 30 mai 2020, son état de souffrance du fait du management conduit par Mme [W].

Pour autant, Mme [Z] [J] indiquait à Mme [O] [Y], par courriel du 28 août 2017, qu’elle quittait l’association afin de se rapprocher de son domicile et de renouer avec une activité de soins, sans évoquer de difficultés dans ses relations avec Mme [W], lesquelles ne ressortent que de ses échanges relatifs à l’exécution de la fin de son contrat, à partir de septembre 2017.

En tout état de cause, la situation particulière propre à Mme [Z] [J] ne suffit pas à établir que l’association souffrait d’un climat social général dégradé dont le salarié aurait eu à connaître dans le cadre de l’exercice de ses fonctions en remplacement de Mme [J] à partir de son embauche en novembre 2017, aucun autre élément probant n’étant produit par M.'[R]'[C] au sujet du mode de management de Mme [W].

En revanche, M. [R] [C] établit la matérialité des faits suivants’:

En premier lieu, il ressort du compte-rendu d’entretien du’19’septembre’2018 que le salarié s’est vu adresser différents reproches par Mme [H] [W] relatifs aux faits d’avoir pris des jours de récupération sans en informer sa supérieure, de ne pas avoir effectué une commande d’horloge numérique, de ne pas avoir finalisé son travail sur la carte inter ESAD, et d’avoir manqué de transmettre des informations utiles aux assistantes de soins.

Sans que ces reproches ne caractérisent une hostilité blâmable telle qu’alléguée, leur formalisation dans un compte-rendu d’entretien constitue des éléments de faits susceptibles d’entraîner une dégradation des conditions de travail du salarié.

En deuxième lieu, M. [R] [C] démontre qu’il a fait l’objet d’un contrôle de son activité et de son agenda, tel qu’indiqué dans le courriel adressé par sa supérieure le’23’octobre’2018, l’interrogeant sur ses calculs des heures de récupération, sur l’objet des rendez-vous enregistrés sur son planning et l’absence de programmation de rendez-vous de bilan.

En troisième lieu, il ressort également de ce courriel que Mme [H] [W] lui a demandé de restituer auprès du garage Renault le véhicule de service qui lui était confié par l’association.

En quatrième lieu, les éléments versés aux débats concernant le déroulement de la réunion du’6’décembre 2018 ne révèlent pas des actes de dénigrement de sa supérieure devant l’ensemble de ses collègues, mais l’expression d’une désapprobation de sa supérieure hiérarchique, laquelle caractérise suffisamment un élément susceptible d’entraîner une dégradation de ses conditions de travail.

En effet, il ressort du courriel de Mme [H] [W] adressé à M. [C] le’6’décembre’2018 qu’elle lui reprochait son manque d’implication en indiquant’:’«’Lors du temps de relaxation en début de réunion, j’ai dû intervenir car tu consultais ton agenda en tournant les pages, en te demandant de respecter cet espace pour l’équipe, même si tu ne souhaitais pas participer. [‘]’» sans qu’aucun autre élément probant versé aux débats ne caractérise des propos dénigrants à l’occasion de cette intervention.

Les attestations de témoin, produites par l’employeur et dont se prévaut le salarié, confirment que Mme [W] a demandé à M. [C] de ne plus faire de bruit avec les pages de son agenda pendant le temps de relaxation organisé en début de réunion, sans que les mots rapportés par les témoins n’évoquent des propos irrespectueux ou désapprobateurs de la part de Mme'[W].

En revanche, Mme [I] [V], psychomotricienne, Mme'[I] [T], assistante de soins en gérontologie et Mme'[M] [A] indiquent que M. [C] ayant répondu «’de manière forte’» lors d’un échange sur un dossier particulier, Mme [H] [W] lui a demandé «’de baisser d’un ton’», ce qui, dans le contexte de tensions et de reproches précédemment exprimés dans le cadre d’un entretien puis d’un courriel, manifeste une désapprobation susceptible d’entraîner une dégradation des conditions de travail du salarié.

En cinquième lieu, les courriels échangés entre le 20 décembre 2018 et le 2 janvier 2019, pendant l’arrêt de travail de M. [C], font état de la demande par l’employeur de la restitution du téléphone et de l’ordinateur portable de l’association par le salarié, qui sollicitait lui-même de connaître les modalités de restitution de ce matériel et se voyait indiquer’: «’nous viendrons chercher le matériel associatif dès que possible en fonction de la disponibilité de l’équipe’».

Sans que ces échanges ne caractérisent une attitude persécutrice, humiliante ou blessante de la part de l’employeur, cette demande de restitution établit la matérialité d’un fait susceptible de relever d’agissements de harcèlement moral.

En sixième lieu, il est établi que M. [C] s’est vu notifier, par courrier recommandé en date du 8 janvier 2019, une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au’16’janvier 2019, soit pendant l’arrêt de travail du salarié, avant même la visite de reprise du salarié et l’avis d’inaptitude en date du 22 janvier 2019. Même si l’entretien devait finalement être annulé par l’employeur, l’envoi de courrier de convocation constituant un fait matériel susceptible de relever d’agissements de harcèlement moral.

Par ailleurs, M. [C] démontre, par la production d’éléments médicaux, que son état de santé s’est dégradé postérieurement à ces événements.

Ainsi, l’arrêt de travail délivré par le docteur [F] [D] le’6’décembre 2018 mentionne un «’syndrome anxieux suite problème au travail’» et l’avis de prolongation du’21’décembre’2018 précise «’anxiété générale’».

Par courrier en date du 13 décembre 2018, le docteur [E], médecin du travail, déclare avoir reçu le salarié «’qui est en grande difficulté professionnelle actuellement et a entamé une procédure de rupture conventionnelle depuis le 3/12’» en constant qu’il n’est «’visiblement pas en état de reprendre le travail le 21/12 et devra à mon sens rester en arrêt de travail jusqu’à la fin de cette procédure’».

Aussi, selon attestation du 2 janvier 2019, le docteur [K] [B], spécialiste en psychiatrie, certifie que l’état de santé du salarié est «’caractérisé par une réaction anxieuse généralisée en rapport avec des difficultés d’organisation dans le cadre professionnel’».

Il résulte de ce qui précède que le salarié établit des faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’un harcèlement à son encontre.

En réponse l’association ADMR Emma allègue des justifications suivantes pour considérer que les éléments de fait retenus sont étrangers à tout agissement de harcèlement moral.

En premier lieu, l’employeur démontre qu’il a seulement usé de son pouvoir de direction en rappelant au salarié la nécessité de solliciter l’autorisation de son supérieur hiérarchique avant de prendre des jours de récupération. En effet le salarié, qui s’était certes vu inviter à récupérer’9 heures supplémentaires au cours du mois d’août, avait finalement pris 18 heures de récupération sans prétendre qu’il en avait préalablement informé Mme [H] [W].

En deuxième lieu, l’employeur justifie des circonstances étrangères à tout harcèlement qui l’ont conduit à contrôler l’agenda et l’activité du salarié au regard du quantum des heures supplémentaires cumulées et récupérées.

Ainsi, l’association ADMR Emma démontre d’une part que M. [R] [C] avait posé’18’heures de récupération en’août 2018 au lieu des 9 heures cumulées, et qu’il avait encore récupéré’31’heures au cours du mois octobre 2018 alors qu’il disposait de 14 heures à récupérer à la fin du mois de septembre 2018.

D’autre part, l’employeur démontre que cette situation a provoqué des réactions de la part de sa collègue, Mme [V], exerçant les mêmes fonctions, qui signalait par courriel du’19’octobre 2018 «’je trouve ça un peu en décalage avec le reste de l’équipe’; personne de l’équipe ne cumule autant d’heures même en habitant loin” Peut-être qu’il faudrait mettre une règle (/ au cumul d’heures par semaine / par mois, et comment on doit les poser”) c’est une idée’».

En conséquence, l’employeur démontre suffisamment, par ces derniers éléments, qu’il lui incombait de réagir aux difficultés révélées par la prise d’heures de récupération par le salarié en exerçant un contrôle sur l’activité du salarié, son agenda et le calcul des heures de récupération, et ce dans le cadre de l’exercice normal de son pouvoir de direction sans révéler aucun abus.

En troisième lieu, l’association ADMR Emma démontre, par la production du plan de location du véhicule Clio réceptionné le 2 novembre 2015 et mis à la disposition de M. [R] [C], que la demande de restitution de ce véhicule résultait uniquement de l’arrivée du terme du contrat de location le 1er novembre 2018.

En quatrième lieu, l’association ADMR Emma établit par les attestations versées aux débats, que le fait d’avoir demandé au salarié de «’baisser d’un ton’» au cours de la réunion de travail du 6 décembre 2018 était étranger à tout agissement de harcèlement moral compte tenu des circonstances dans lesquelles sa supérieure hiérarchique s’est ainsi adressé au salarié au cours de cette réunion.

En effet, trois témoins décrivent l’absence de coopération ostensiblement manifestée par le salarié lors de cette réunion’:

– Mme [I] [T], assistante de soins en gérontologie, indique «’Je sollicite à plusieurs reprises Monsieur [C] pour lui demander son avis ainsi que l’avancée des dossiers. Monsieur [C] répond succinctement à mes questions. Madame [W] reformule mes demandes. A ce moment-là, Monsieur [C] répond en haussant le ton, Madame [W] lui dit « [R], je te demande de baisser d’un ton.’»

– Mme [M] [A] décrit «’Monsieur [C] après le temps de relaxation reste muet lorsque l’on commence à parler du fonctionnement du service, les échanges se faisant spontanément. Lorsque nous avons commencé à parler des patients, les patients suivis par Monsieur [R] [C] avec l’une des assistantes de soins en gérontologie, Madame [T], n’avaient aucun écho chez lui, il avait les bras croisés et n’était pas dans l’échange. Madame [W] l’incite à participer à l’échange. Monsieur [C] [R] portait ce jour-là un pull blanc zippé dont le col lui remontait haut cachant sa bouche.’» et confirme «’A un moment de la réunion, Madame [W] [H] lui demande ce qu’il pense d’un dossier et en même temps lui demande s’il a appelé la fille de Mme [P] comme convenu [‘]. A ce moment-là Monsieur [C] lui répond de manière forte. Madame [W] lui demande de baisser d’un ton.’»

– Mme [I] [V], psychomotricienne déclare «’La réunion s’est déroulée selon l’ordre du jour établi, chacun prenant la parole spontanément lors des sujets évoqués. Monsieur [C] reste silencieux. Son col de pullover est fermé par une fermeture éclair remontée jusqu’au bas du visage recouvrant sa bouche. Il est sollicité par Madame [W] par rapport à un dossier de patient dont il est référent. Elle le questionne sur des points précis, il répond en haussant le ton. Elle le reprend : « [R], je te demande de baisser d’un ton. ».

Si les témoins ne précisent pas quels mots exacts ont été prononcés par le salarié, l’attitude décrite par les témoins suffit à démontrer que l’intervention de Mme [W] à l’égard d’un salarié manifestant ostensiblement son refus de coopération était étrangère à tout agissement de harcèlement moral.

En cinquième lieu, la récupération de l’ordinateur et du téléphone mis à la disposition de M.'[C] par l’association se révèle justifiée par la nécessité d’assurer la continuité du service de l’association, des courriels ou appels relatifs à la prise en charge des patients étant susceptibles d’être réceptionnés par le salarié placé en arrêt de travail.

En revanche, les explications fournies par l’employeur ne permettent pas de considérer que les éléments de fait suivants sont étrangers à tout agissement de harcèlement moral.

En premier lieu, l’association ADMR Emma n’apporte aucun élément quant aux reproches formulés dans le compte-rendu du 19’septembre’2018 s’agissant de la commande d’une horloge numérique et de la finalisation de la carte inter ESAD.

En second lieu, s’agissant des manquements reprochés dans les transmissions d’information utiles aux soins, l’employeur produit des pièces dénuées de valeur probante constituées d’une liste des éléments manquants dans les dossiers du salarié et d’une liste des dossiers en retard, ces pièces n’étant nullement corroborées par des éléments extérieurs.

Aussi, l’employeur s’appuie sur une comparaison entre la charge de travail de M. [C] et celle de sa collègue Mme'[V] qui prenait en charge davantage de patients et remettait ses bilans dans de meilleurs délais que le salarié. Pour autant une telle comparaison du travail effectuée par une analyse de seuls éléments statistiques se révèle sans rapport avec le reproche mentionné d’un défaut de transmission des informations utiles à la prise en charge des soins. Le reproche formulé n’est donc pas justifié par des éléments étrangers à tout harcèlement.

En troisième lieu, l’employeur ne précise pas les motifs qui ont commandé sa décision de convoquer le salarié à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement par courrier du’8 janvier 2019 à l’échéance de son arrêt de travail pour maladie.

L’analyse des pièces révèle que, dans un courriel envoyé par Mme'[H] [W] à sa hiérarchie le 6 décembre 2018 à 17h11, elle faisait état d’insuffisance professionnelle de M.'[C] en s’appuyant sur l’absence injustifiée du salarié le’6’décembre’2018 à partir de’13h30. Pourtant, à la date d’envoi de la lettre de convocation, l’association ADMR Emma avait été rendue destinataire de l’arrêt de travail pour maladie transmis par le salarié dès le 6 décembre 2019 à’17h53. En tout état de cause, aucun autre élément ne permet d’identifier d’éventuels motifs à la procédure de licenciement ainsi engagée.

De surcroît, l’employeur, informé de la prolongation de l’arrêt de travail pour maladie depuis le 9 janvier 2019, n’a avisé le salarié de l’annulation de sa convocation à un entretien préalable que le jour fixé pour l’entretien en faisant état de convenance personnelle.

L’association ADMR Emma échoue donc à établir que l’engagement de cette procédure licenciement par courrier du 8 janvier 2019 serait étranger à tout acte de harcèlement.

Enfin, l’association ADMR Emma justifie d’un message du docteur [E], médecin du travail, informant l’employeur le 4 mars 2019 de ses interrogations quant au comportement de l’ergothérapeute de la structure dans les termes suivants’:

«’Je vous confirme avoir à nouveau demandé à mon collaborateur responsable du service prévention des risques monsieur [G] une intervention au sujet du risque psychosocial dont plusieurs de vos collègues de travail apparaissent concernées lorsque je les ai récemment rencontrées à leur demande et qui semblent mettre en question le comportement et les échanges que l’ergothérapeute a eu depuis plusieurs mois à leur égard. Il est important de maintenir une bonne cohésion de groupe dans cette période difficile pour le fonctionnement de votre service’».

Outre le fait qu’il ne détermine aucun acte précis imputable à M. [C], indiscutablement visé au regard des fonctions exercées au cours des mois précédents, les observations du médecin du travail n’empêchent pas de constater que le salarié mis en cause pourrait lui-même subir des agissements de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie.

Compte tenu de ces derniers éléments, pris dans leur globalité, établis par M.'[R]'[C], auxquels l’association ADMR Emma n’a pas apporté les justifications suffisantes, il convient de constater que M. [R] [C] a fait l’objet de harcèlement moral ayant eu pour objet ou effet une dégradation de ses conditions de travail, avec un impact sur la santé du salarié.

A cet égard, le salarié ne démontre nullement qu’il se serait trouvé « en état de choc » ni « paralysé », ni « pris de nausées et de sanglots » ensuite de la réunion du 6 décembre 2018, tel qu’il le prétend.

Au contraire, il ressort des témoignages concordants produits par l’employeur qu’il a déjeuné avec ses collègues à l’issue de la réunion, sans manifester ni désarroi ni mal-être.

Aussi, il convient de constater que les agissements décrits ont perduré pendant quelques mois entre septembre 2018 et janvier 2019.

Compte tenu des circonstances du harcèlement pour les seuls agissements retenus et des conséquences dommageables pour M. [R] [C] telles qu’elles ressortent des pièces médicales fournies, le préjudice en résultant doit être réparé par l’allocation de la somme de’5’000 euros nets à titre de dommages-intérêts. Le jugement est donc infirmé sur ce point.

2 ‘ Sur l’obligation de sécurité et de prévention des risques

L’employeur a une obligation s’agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s’exonérer que s’il établit qu’il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.

L’article L. 4121-1 du code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2017-1389 du’22 septembre 2017 prévoit que :

L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

A compter du 1er octobre 2017, la référence à la pénibilité a été remplacée par un renvoi à l’article L. 4161-1 du code du travail.

L’article L. 4121-2 du code du travail prévoit que :

L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

L’article L. 4121-3 du même code dispose que :

L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le ré-aménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe.

A la suite de cette évaluation, l’employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement.

Lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l’application du présent article doivent faire l’objet d’une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat après avis des organisations professionnelles concernées.

L’article R. 4121-1 du code du travail dispose que’:

L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L 4121-3.

Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques.

L’article R. 4141-2 du même code prévoit que’:

L’employeur informe les travailleurs sur les risques pour leur santé et leur sécurité d’une manière compréhensible pour chacun. Cette information ainsi que la formation à la sécurité sont dispensées lors de l’embauche et chaque fois que nécessaire.

Et l’article L. 1152-4 du code du travail énonce que’:

L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En cas de litige, il incombe à l’employeur, tenu d’assurer l’effectivité de l’obligation de sécurité et de prévention mise à sa charge par les dispositions précitées du code du travail, de justifier qu’il a pris les mesures suffisantes pour s’acquitter de cette obligation.

D’une première part, M. [C] se prévaut de l’obligation pour l’employeur d’établir un document unique d’évaluations des risques professionnels. Ce document versé aux débats dans sa version mise à jour en janvier 2018 mentionne les risques liés à l’organisation du travail avec les risques psychosociaux contrairement aux allégations du salarié.

Aussi, l’association ADMR Emma justifie de la mise en place d’une politique de prévention des risques en produisant un rapport d’évaluation externe en date de décembre 2018 qui constatait notamment que « la sensibilisation sur les risques est permanente avec l’organisation managériale d’EMMA », « la bienveillance déployée autour de l’équipe et dans l’équipe sont de bons remparts aux risques psychosociaux », et que « tout est mis en ‘uvre pour éviter des risques psychosociaux pour les équipes ».

L’employeur justifie donc avoir mis en place une organisation et des mesures pour évaluer et prévenir les risques, y compris les risques psychosociaux.

Cependant, l’association ADMR Emma n’explicite aucunement quelles mesures ont été mises en ‘uvre après la réception du courriel de Mme [Z] [J] du 29 septembre 2017, prédécesseur de M. [C] sur le poste, dénonçant les agissements de Mme [H] [W] lors de l’exécution de son préavis et qui concluait notamment «’je suis sidérée de lire la teneur de ces échanges comme si j’avais fait une faute, j’avais mal réalisé mon travail, avait volé, menti, ou je ne sais quoi. J’ai travaillé avec sérieux jusqu’au bout’».

De même, elle s’abstient d’exposer quelles mesures ont été prises suite au signalement du docteur [E] sollicitant, par courriel du 4 mars 2019, une intervention au sujet du risque psychosocial. Même si ce message met en cause le comportement du salarié, il révèle que les mesures dont justifie l’employeur n’étaient pas suffisamment adaptées à la prévention du risque, d’autant que celui-ci s’est réalisé.

En tout état de cause, il n’est pas justifié d’actions d’information et de formation dispensées au bénéfice des salariés.

D’une seconde part, l’association ADMR Emma objecte que M. [R] [C] n’avait signalé une dégradation de ses conditions de travail que postérieurement à son arrêt de travail par courrier daté du 11 décembre 2018, alors même que M. [C] se déclarait victime d’une situation de harcèlement moral et demandait expressément à «’être protégé de ce qui traduis[ait][‘] un manquement à l’obligation de sécurité’». Faute d’avoir répondu à ce courrier, l’employeur ne démontre pas avoir respecté son obligation de sécurité à l’égard de M. [R] [C], de sorte que ce manquement est établi.

Il est donc établi que l’employeur a manqué d’une part à son obligation de prévention des risques et d’autre part, à son obligation de protéger la santé du salarié.

M.'[R] [C] justifie suffisamment d’une part du préjudice moral résultant de l’absence de mesures de prévention et d’autre part du préjudice moral résultant spécifiquement de l’absence de réponse de l’employeur à son courrier d’alerte, distincts du préjudice moral résultant des actes de harcèlement moral d’ores et déjà réparé.

Par infirmation du jugement déféré, il convient de condamner l’employeur à l’indemniser du préjudice distinct résultant de l’absence de prévention des agissements de harcèlement moral que la cour évalue à 500 euros ainsi que du préjudice moral résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité que la cour évalue à 1000 euros.

Le jugement déféré est donc infirmé de ces chefs.

3 ‘ Sur la demande indemnitaire en réparation d’un préjudice né de l’absence de formation à l’outil de travail informatique

Il résulte des dispositions de l’article L. 6121-1 du code du travail que l’employeur a l’obligation d’assurer l’adaptation du salarié à son poste et de veiller à sa capacité d’occuper un emploi.

La preuve du respect de l’obligation pèse sur l’employeur.

En l’espèce le salarié sollicite la réparation d’un préjudice né de l’absence de formation à l’outil de travail informatique mis à disposition par l’association.

L’employeur qui soutient avoir dispensé une formation initiale sur les points essentiels à la prise en main en lien avec les interventions auprès des usagers, ne justifie pas avoir proposé au salarié une formation spécifique au logiciel de gestion alors que la fiche du poste comportait une part de gestion administrative des dossiers.

Il est indifférent que le salarié ne justifie pas avoir sollicité une telle formation ni avoir signalé des difficultés pour utiliser cet outil.

Pour autant le salarié n’allègue et encore moins ne prouve qu’il a pu perdre en employabilité ou encore rencontrer des difficultés dans l’exécution de ses tâches, indépendamment du conflit qui s’est, par ailleurs, développé avec son employeur sur l’exécution de celles-ci, les reproches injustifiés formulés par l’employeur étant retenus comme constitutifs d’actes de harcèlement moral.

Faute de preuve de la réalité du préjudice subi, le jugement entrepris est confirmé en ce qu’il a débouté M. [R] [C] de sa demande indemnitaire au titre du défaut de formation et d’adaptation au poste.

4 ‘ Sur la demande indemnitaire au titre d’un manquement à l’obligation d’exécution loyale du contrat

Il résulte de l’article L. 1222-1 du code du travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. La bonne foi se présumant, la charge de la preuve de l’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur incombe au salarié.

Sous couvert d’une exécution déloyale du contrat de travail, M. [R] [C] développe les mêmes moyens que ceux afférents à ses prétentions au titre du harcèlement moral, du manquement aux obligations de sécurité et de prévention des risques et du manquement à l’obligation de formation de sorte que les manquements de l’employeur ne sauraient fonder une demande supplémentaire de dommages et intérêts alors que M. [R] [C] a d’ores et déjà bénéficié de la réparation de l’intégralité du préjudice subi à raison des agissements de harcèlement moral retenus et des manquements de l’employeur à ses obligations de sécurité et de prévention des risques.

5 ‘ Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Conformément aux dispositions de l’article 1184 du code civil, devenu l’article 1224 du code civil, la condition résolutoire étant toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement, la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté peut demander au juge la résolution du contrat.

Les dispositions combinées des articles L.1231-1 du code du travail et 1224 du code civil permettent au salarié de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations contractuelles.

Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée.

Il appartient au salarié d’établir la réalité des manquements reprochés à l’employeur et de démontrer que ceux-ci sont d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle. La résiliation prononcée produit les mêmes effets qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il relève du pouvoir souverain des juges du fond d’apprécier si l’inexécution de certaines obligations résultant d’un contrat synallagmatique présente une gravité suffisante pour en justifier la résiliation.

En cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d’effet de la résiliation ne peut être fixée qu’au jour de la décision qui la prononce, sauf si le salarié a été licencié dans l’intervalle de sorte qu’elle produit alors ses effets à la date de l’envoi de la lettre de licenciement.

Les faits de harcèlement moral conjugués au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité caractérisent des manquements d’une gravité telle que le maintien de la relation contractuelle était impossible.

M. [R] [C] est donc bien-fondé à obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, à la date du 1er avril 2019, date à laquelle son licenciement pour inaptitude lui a été notifié. La décision déférée est donc infirmée de ce chef.

Au visa de l’article L. 1152-3 du code du travail, le harcèlement moral étant établi, la résiliation judiciaire emporte les effets d’un licenciement nul.

En application de l’article L 1235-3-1 du code du travail, les dispositions définissant un barème d’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse ne sont pas applicables lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une nullité afférente à des faits de harcèlement moral. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

M. [R] [C], âgé de 33 ans à la date de la rupture, justifie d’une ancienneté de plus d’une année entière auprès de l’employeur et d’un salaire mensuel moyen de 1’572,62 euros. Aussi il produit le contrat de travail obtenu pour une durée de trois années à compter du’1er octobre 2020, sans préciser ses conditions d’emploi antérieures à cette date, ni s’il a perçu des allocations versées par Pôle Emploi.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de réformer le jugement et de condamner l’association ADMR Emma à lui verser un montant de 10 000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, le salarié étant débouté du surplus de sa demande.

5 ‘ Sur la demande reconventionnelle en restitution d’un trop versé

L’association ADMR Emma sollicite la restitution d’un trop perçu par le salarié au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité de licenciement calculées sur la base d’un licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle, alors que la caisse primaire d’assurance maladie a rendu une décision de refus de prise en charge au titre de législation professionnelle des arrêts de travail du salarié postérieurement au licenciement.

Les règles et le régime relatifs au licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle doivent trouver application lorsque l’origine de l’inaptitude a au moins pour partie une origine professionnelle et que l’employeur en avait connaissance au moment du licenciement.

Etant rappelé que le droit du travail est autonome par rapport à celui de la sécurité sociale, il est indifférent que le salarié ne justifie pas de la reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie.

En l’espèce, il ressort des éléments médicaux produits par le salarié que les arrêts de travail délivrés en décembre 2018 décrivaient une anxiété du salarié liée à des difficultés d’ordre professionnel.

Aussi, il est jugé, d’une part, que le salarié a subi des agissements de harcèlement moral de nature à entraîner une dégradation de son état de santé et, d’autre part, que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité à l’égard du salarié.

Enfin, l’avis d’inaptitude du médecin du travail en date du 22 janvier 2019 avec dispense de l’obligation de reclassement vise la mention selon laquelle «’Tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé’».

Les manquements de l’employeur n’ont donc pu que participer au risque d’une dégradation de l’état de santé du salarié, même brutale.

M. [R] [C] rapporte donc la preuve suffisante d’un lien de causalité, au moins partiel, entre les manquements de l’employeur et l’inaptitude définitive à l’origine de son licenciement.

Par ailleurs, il résulte des faits énoncés que l’employeur en avait connaissance au moment du licenciement.

Confirmant le jugement entrepris, il convient donc de débouter l’association ADMR Emma de sa demande de restitution au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et du doublement de l’indemnité de licenciement.

6 ‘ Sur les demandes accessoires

L’association ADMR Emma, partie perdante à l’instance au sens des dispositions de l’article’696 du code de procédure civile, doit être tenue d’en supporter les dépens de première instance et d’appel.

Par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’association est donc déboutée de ses prétentions au titre des frais irrépétibles.

Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la charge de M. [R] [C] l’intégralité des sommes qu’il a été contraint d’exposer en justice pour la défense de ses intérêts, de sorte qu’il convient de condamner l’association ADMR Emma à lui verser une indemnité de 2’500’euros au titre des frais irrépétibles exposés.

 

 


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