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C 9
N° RG 21/01385
N° Portalis DBVM-V-B7F-KZNR
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée le :
la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET
Me Guillaume ALLIX
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
Ch. Sociale -Section B
ARRÊT DU JEUDI 23 FEVRIER 2023
Appel d’une décision (N° RG 19/00162)
rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de GRENOBLE
en date du 22 février 2021
suivant déclaration d’appel du 22 mars 2021
APPELANTE :
Madame [E] [V]
née le 19 Juillet 1990 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE substituée par Me Anaïs BIANCHI, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMEE :
S.A.S. NET DISTRIBUTIONS, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Guillaume ALLIX, avocat au barreau de VALENCE substitué par Me Marine BOULARAND, avocat au barreau de VALENCE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,
Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,
M. Pascal VERGUCHT, Conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 04 janvier 2023,
M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président chargée du rapport, et Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;
Puis l’affaire a été mise en délibéré au 23 février 2023, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.
L’arrêt a été rendu le 23 février 2023.
EXPOSE DU LITIGE’:
Mme [E] [V], née le 19 juillet 1990, a été embauchée le 1er janvier 2016 par la société par actions simplifiée (SAS) Net Distributions suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à hauteur de 75,83 heures par mois. Mme [E] [V] a été embauchée en qualité d’employée administrative et commerciale, catégorie A.
Le contrat est soumis à la convention collective des entreprises de vente à distance.
Au jour de son licenciement, Mme [E] [V] était également embauchée par la société B2M38 à temps partiel, société ayant le même dirigeant que la SAS Net Distributions.
Par courrier en date du 2 janvier 2019, Mme [E] [V] a été convoquée par la SAS Net Distributions à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 11 janvier 2019 puis reporté au 18 janvier 2019.
Mme [E] [V] a été placée en arrêt maladie à compter du 5 janvier 2019.
Par courrier en date du 21 janvier 2019, Mme [E] [V] a écrit à la SAS Net Distributions au sujet de sa situation professionnelle. Une copie du courrier a été adressée à l’inspecteur du travail.
Par lettre en date du 23 janvier 2019, la SAS Net Distributions a notifié à Mme [E] [V] son licenciement pour faute.
Par requête en date du 18 février 2019, Mme [E] [V] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble aux fins de voir son employeur condamner à lui payer diverses sommes relatives à la violation par ce dernier de l’obligation de sécurité et, à titre principal, à la nullité de son licenciement estimé par elle discriminatoire.
La SAS Net Distributions s’est opposée aux prétentions adverses.
Mme [E] [V] a également été licenciée de la société B2M38 le 23 janvier 2019. L’affaire a fait l’objet d’une procédure devant le conseil de prud’hommes et la cour d’appel de Grenoble.
Par jugement en date du 22 février 2021, le conseil de prud’hommes de Grenoble statuant en formation de départage a’:
– débouté Mme [E] [V] de ses demandes de nullité du licenciement, de dommages et intérêts pour préjudice moral subi du fait de la situation de discrimination et de dommages et intérêts pour manquements de l’employeur à ses obligations de prévention et de sécurité’;
– requalifié le licenciement de Mme [E] [V] en licenciement sans cause réelle et sérieuse’;
– condamné la société par actions simplifiée Net Distributions à payer à Mme [E] [V] la somme de 1 516,00 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
– débouté les parties du surplus de leurs demandes’;
– condamné la société par actions simplifiée Net Distributions à payer à Mme [E] [V] la somme de 1 200,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 25 février 2021 par les parties.
Par déclaration en date du 22 mars 2021, Mme [E] [V] a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 octobre 2021, Mme [E] [V] sollicite de la cour de’:
Vu les dispositions de l’article L. 1471-1 et suivants du code du travail
Vu les pièces versées
Vu la jurisprudence
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Net Distribution à payer à Mme [E] [V] la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
L’infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau,
Juger que Mme [E] [V] a été victime de discrimination en lien avec sa situation familiale.
Juger que la société Net Distributions a méconnu ses obligations de prévention et de sécurité.
Condamner la société Net Distributions à verser à Mme [E] [V] les sommes suivantes :
– 10 000,00 € nets de CSG CRDS à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait de la situation de discrimination,
– 10 000,00 € nets de CSG CRDS à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la violation par l’employeur ses obligations de prévention et de sécurité.
Juger que le licenciement notifié à Mme [E] [V] est nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse.
Condamner la société Net Distributions à verser à Mme [E] [V] la somme de 10’000’€ nets de CSG CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse sans cause réelle et sérieuse.
Débouter la société Net Distributions de l’intégralité de ses demandes.
Condamner la société Net Distributions à verser à Mme [E] [V] la somme de 3’000’€ au titre de l’article 700, ainsi que les dépens.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 novembre 2022, la SAS Net Distributions sollicite de la cour de’:
Vu les dispositions du code du travail
Vu la jurisprudence constante
Vu l’ensemble des pièces versées aux débats
D’infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Grenoble, formation Départage, le 22 février 2021 en ce qu’il a :
– Requalifié le licenciement de Mme [E] [V] en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Condamné la société Net Distributions à payer à Mme [E] [V] la somme de 1.516 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
– Condamné la société à payer à Mme [E] [V] la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
De confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [E] [V] du surplus de ses demandes ;
Par conséquent,
Juger que Mme [E] [V] n’a pas été victime de discrimination ;
Juger que le licenciement de Mme [E] [V] est justifié par une cause réelle et sérieuse’;
Juger que l’employeur n’a pas manqué à son obligation de sécurité ;
En conséquence,
Débouter Mme [E] [V] de l’intégralité de ses demandes ;
Condamner Mme [E] [V] à payer la somme de 2 000 € à la société Net Distributions au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter aux conclusions des parties susvisées.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 1er décembre 2022.
L’affaire, fixée pour être plaidée à l’audience du 4 janvier 2023.
EXPOSE DES MOTIFS’:
Sur la discrimination prohibée à raison de la situation de famille’:
L’article L.1132-1 du code du travail prévoit que :
Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de sa situation de famille.
L’article L. 1134-1 du code du travail énonce que :
Lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, Mme [V] établit la matérialité des éléments de fait suivants’:
– Par courrier en date du 21 janvier 2019, elle a écrit à son employeur pour contester avoir commis la moindre faute dans l’exécution de son contrat de travail, faisant valoir de surcroît que ses conditions de travail se sont profondément dégradées depuis août 2018, date à laquelle il a appris qu’elle entretenait une relation avec M. [H] [R], un ancien salarié, considérant que la mesure de licenciement envisagée n’était que l’expression d’une discrimination à raison de sa situation de famille. Elle produit, par ailleurs, le certificat de célébration civile qui s’est déroulée le 31 juillet 2021 à [Localité 6] entre elle-même et M. [R].
– Elle verse aux débats l’attestation de Mme [X] [Z], une ancienne collègue de travail au sein de la société B2M38, l’autre employeur de Mme [V], qui témoigne notamment des faits suivants’:
«'[…]. Au bout du troisième jour, Mr [M] m’informe que le mot de passe de son ordinateur vient d’être modifié et que Madame [V] ne doit plus y avoir accès.
Lorsque je demande la raison, il me répond «’On a appris récemment qu'[E] est en couple avec un ancien employé que l’on a licencié, c’est vrai qu’on est resté choqué de cette nouvelle, on ne s’y attendait vraiment pas ! Alors vous comprenez que cette relation nous rend méfiants’».
Madame [V] n’ayant plus accès à cet ordinateur où se trouve le logiciel et tous les documents nécessaires, cela devient problématique pour travailler efficacement.
[‘] Par la suite, Mr [M] me demande de faire en sorte que Madame [V] ne soit jamais seule quand elle doit travailler dans le bureau hormis pour venir utiliser l’imprimante. [‘] L’atmosphère entre les membres de l’entreprise est très tendue surtout lorsqu’on nous demande de plus travailler en binôme. Mme [V] doit rester dans l’espace magasin pendant que moi je dois rester dans le bureau pour m’occuper de tout ce qui concernent le secrétariat. Nos compétences professionnelles étant inversées entre Mme [V] et moi, nous avons eu des difficultés à travailler efficacement. […] ».
-Mme [V] établit, par les pièces adverses n°14, 15 et 17, à savoir une note interne du 28 août 2018, un récépissé de la préfecture de la Drôme du 7 novembre 2018, d’une demande d’autorisation d’un système de vidéo-protection dans l’établissement, que la société B2M38, autre employeur de Mme [V], a procédé à l’installation, dans les locaux où cette dernière exécutait également son contrat de travail pour le compte de la société Net Distributions, un système de vidéo-surveillance des bâtiments à partir, à tout le moins, du 28 août 2018, couvrant l’espace accueil et caisse magasin, le bureau secrétariat et comptabilité et l’espace de vente. Mme [V] se prévaut d’un procédé illicite de surveillance, indiquant que son employeur, la société Net Distributions, n’a accompli aucune diligence à son égard et ne peut se retrancher derrière celles de la société B2M38. Elle en déduit que ce système de vidéo-surveillance permettait de la surveiller en permanence à son insu.
-Mme [V] a fait l’objet de l’engagement d’une procédure de licenciement par courrier du 02 janvier 2019, alors qu’elle avait 3 ans d’ancienneté, ayant conduit à la notification de son licenciement par courrier du 23 janvier 2019 pour cause réelle et sérieuse, la salariée se prévalant de l’absence d’antécédent disciplinaire, l’employeur n’évoquant, dans le courrier, aucune sanction disciplinaire si ce n’est des remarques n’ayant pas conduit à un changement de son comportement.
Mme [V] met à juste titre l’accent sur le fait que le licenciement disciplinaire est intervenu quelques mois seulement après que l’employeur a eu connaissance de sa relation avec M. [R].
Mme [V] conteste de manière circonstanciée les faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement.
-Il est versé aux débats un arrêt de la cour d’appel de Grenoble en date du 23 juin 2022 entre d’une part, la société B2M38, qui était également employeur de Mme [V], et cette dernière aux termes duquel son licenciement notifié le 23 janvier 2019, soit le même jour que la rupture à l’initiative de la société Nets Distributions, est déclaré nul à raison de faits de discrimination prohibée ayant pour origine la situation de famille de la salariée, et plus précisément sa relation intime avec M. [R].
L’ensemble de ces éléments de fait, pris dans leur globalité, laisse présumer l’existence d’une discrimination prohibée à raison de la situation de famille de Mme [V].
En réponse, en premier lieu, la société Net Distributions apporte la justification suffisante étrangère à tout harcèlement moral, nonobstant le fait que les démarches relatives à la vidéo-protection et notamment l’information de la salariée, n’ont pas été faites par elle mais par l’autre employeur de Mme [V] – ce qui rend le dispositif illicite, en application de l’article L. 1222-4 du code du travail, dans les rapports entre cette dernière et la société Net Distributions – que ce dispositif, au vu de l’arrêt du 23 juin 2022 rendu dans un litige opposant la même salariée à la société B2M38, ne visait pas, de manière détournée, à la surveiller spécifiquement en permanence puisque l’ensemble des salariés sur site était soumis au système de vidéo-protection, l’employeur avançant, au demeurant à juste titre, qu’aucun des griefs figurant dans la lettre de licenciement ne résulte de constatations alléguées faites par ce biais.
En second lieu, la société Net Distributions n’apporte pas la justification suffisante de nature à contredire les déclarations circonstanciées de Mme [Z], qui a travaillé aux côtés de Mme [V] au sein de la société B2M38, les deux entreprises occupant alors les mêmes locaux et ayant le même dirigeant, à savoir M. [L], corroborées par le courrier resté sans réponse de Mme [V] du 21 janvier 2019, qui mettent en évidence depuis août 2018 une dégradation significative des conditions de travail de cette dernière lorsque l’employeur a découvert qu’elle entretenait une relation avec M. [R], un ancien salarié.
En effet, il appert que M. [M], qui déclare un lien de communautés d’intérêts avec une des parties en qualité d’associé, sans préciser de quelle société, est gérant de la société B2MTC38, immatriculée au RCS le 21 décembre 2018 et ayant son siège social à l’un des anciens établissements de la société B2M38, et qui avait manifestement un rôle décisionnaire au sein de la société B2M38 ainsi que cela ressort tant de l’attestation de Mme [Z] qu’implicitement de ses propres déclarations, mais encore du constat d’huissier du 30 janvier 2019, effectué à la demande de cette entreprise en présence de MM. [M] et [L].
Ce témoignage, non corroboré par des éléments extrinsèques, s’agissant notamment des conditions d’accès aux outils de travail, n’est dès lors pas considéré comme suffisamment probant.
En troisième lieu, les griefs figurant dans la lettre de licenciement pour cause réelle et sérieuse du 23 janvier 2019 ne sont pas établis au vu des éléments produits par l’une et l’autre des parties’en ce que’:
– si le constat d’huissier qu’a fait dresser la société B2M 38 ne saurait être déclaré irrecevable aux motifs qu’il n’a pas été dressé de manière contradictoire avec Mme [V], ne serait-ce qu’à raison du fait que cette demande ne figure pas dans le dispositif des conclusions de l’appelante qui seul lie la cour, par application de l’article 954 du code de procédure civile, il n’en demeure pas moins que cette pièce n’établit aucunement le grief selon lequel la salariée a visionné des vidéos sur le site Youtube pendant ses heures de travail, le 21 décembre 2018, alors même que les constatations de l’huissier concernent la date du 22 décembre 2018 et qu’au demeurant, rien ne permet d’affirmer que ces faits, à supposer qu’il se soit agi d’une erreur matérielle de date, soient imputables à Mme [V]
– le grief tenant aux défauts de classement et de tris des documents, en l’absence de toute preuve de remarques ou d’observations antérieures émanant de l’employeur, ne saurait résulter de ce seul constat d’huissier réalisé le 30 janvier 2019, soit après la notification du licenciement et alors que la salariée a été en arrêt maladie de manière continue dès le 05 janvier 2019, de sorte que l’imputation des faits est là encore non démontrée
– s’agissant de l’oubli de l’envoi des documents relatifs à la livraison et à ses conditions dans le dossier [A], aucune pièce n’est produite
– concernant le fait allégué d’avoir dit à un client, le 19 décembre 2018, que sa piscine était en cours de livraison, Mme [V] fait observer que l’identité du client ne ressort pas de la lettre de licenciement, l’employeur ne visant pas la moindre pièce utile à ce titre
-la sur-facturation alléguée dans le dossier Piscines Ibiza ne saurait fonder le licenciement dès lors qu’il ne s’agit pas d’un grief visé.
Il convient, en conséquence, d’infirmer le jugement entrepris et de dire à la fois que Mme [V] a été victime d’une discrimination prohibée à raison de sa situation de famille mais encore que le licenciement qui en procède doit être déclaré nul, au visa de l’article L. 1132-4 du code du travail.
Sur l’obligation de prévention et de sécurité’:
D’une première part, l’employeur a une obligation s’agissant de la sécurité et de la santé des salariés dont il ne peut le cas échéant s’exonérer que s’il établit qu’il a pris toutes les mesures nécessaires et adaptées énoncées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ou en cas de faute exclusive de la victime ou encore de force majeure.
D’une seconde part, l’article L.4121-1 du code du travail énonce que :
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et (version avant le 24 septembre 2017′: de la pénibilité au travail) (version ultérieure au 24 septembre 2017′: y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1);
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
L’article L.4121-2 du code du travail prévoit que :
L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.
L’article L. 4121-3 du même code dispose que :
L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail. Cette évaluation des risques tient compte de l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe.
A la suite de cette évaluation, l’employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement.
Lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l’application du présent article doivent faire l’objet d’une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat après avis des organisations professionnelles concernées.
L’article R.4121-1 du code du travail précise que :
L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L. 4121-3.
Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques.
L’article R.4121-2 du même code prévoit que :
La mise à jour du document unique d’évaluation des risques est réalisée :
1° Au moins chaque année ;
2° Lors de toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, au sens de l’article L. 4612-8 ;
3° Lorsqu’une information supplémentaire intéressant l’évaluation d’un risque dans une unité de travail est recueillie.
L’article R.4121-4 du code du travail prévoit que :
Le document unique d’évaluation des risques est tenu à la disposition :
1° Des travailleurs ;
(version avant le 1er janvier 2018′: 2° Des membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou des instances qui en tiennent lieu) ; (version après le 1er janvier 2018′: 2° Des membres de la délégation du personnel du comité social et économique)
3° Des délégués du personnel ;
4° Du médecin du travail ;
5° Des agents de l’inspection du travail ;
6° Des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale ;
7° Des agents des organismes professionnels de santé, de sécurité et des conditions de travail mentionnés à l’article L. 4643-1 ;
8° Des inspecteurs de la radioprotection mentionnés à l’article L. 1333-17 du code de la santé publique et des agents mentionnés à l’article L. 1333-18 du même code, en ce qui concerne les résultats des évaluations liées à l’exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants, pour les installations et activités dont ils ont respectivement la charge.
Un avis indiquant les modalités d’accès des travailleurs au document unique est affiché à une place convenable et aisément accessible dans les lieux de travail. Dans les entreprises ou établissements dotés d’un règlement intérieur, cet avis est affiché au même emplacement que celui réservé au règlement intérieur.
D’une troisième part, l’article L. 1152-4 du code du travail énonce que’:
L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.
Les personnes mentionnées à l’article L. 1152-2 sont informées par tout moyen du texte de l’article 222-33-2 du code pénal.
En l’espèce, l’employeur ne produit aucun document unique d’évaluation des risques professionnels, notamment psycho-sociaux, ne justifie d’aucune mesure de prévention des faits de harcèlement moral et n’a pas répondu au courrier de Mme [V] du 21 janvier 2019 dénonçant une dégradation de ses conditions de travail.
Le fait que le courrier ait été adressé après l’engagement d’une procédure de licenciement, dont il est jugé par ailleurs qu’elle participe d’une discrimination prohibée, ne saurait justifier l’absence de réponse utile de l’employeur.
En outre, le fait que Mme [V] eût été la seule salariée de l’entreprise n’exonérait pas l’employeur de ses obligations légales et réglementaires relatives à la prévention des risques professionnels et à son obligation de sécurité.
Enfin, l’employeur ne saurait reporter sur la salariée la charge de la mise en ‘uvre desdites obligations en avançant de manière inopérante qu’elle n’a jamais fait la moindre sollicitation à ce titre.
Il convient en conséquence de réformer le jugement entrepris et de dire que la société Net Distributions a manqué à son obligation de prévention et de sécurité.
Sur la réparation des préjudices subis’:
D’une première part, au regard des faits discriminatoires subis, de leur durée sur quelques mois mais pour autant de leur impact significatif sur Mme [V], au vu du certificat médical du Dr [T] du 22 mars 2021, dont il se déduit à tout le moins un préjudice moral, indépendamment de la réparation du préjudice résultant de la dégradation de l’état de santé qui répond à une procédure et des règles spécifiques de reconnaissance d’une maladie professionnelle, il convient de lui allouer, par réformation du jugement entrepris, la somme de 5000 euros nets à titre de dommages et intérêts, le surplus des prétentions de ce chef étant rejeté.
D’une seconde part, au visa de l’article L. 1135-3-1 du code du travail, au jour de son licenciement nul, Mme [V] avait 3 ans d’ancienneté et un salaire de l’ordre de 749,20 euros bruts et a retrouvé un emploi à durée indéterminée le 01 septembre 2020 en qualité de secrétaire comptable moyennant un
salaire de 1645,97 euros bruts, justifiant par ailleurs avoir bénéficié d’une aide de la MSA de 545,32 euros pour régler ses charges liées à son logement en juillet 2019.
Il lui est alloué la somme de 6000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, le surplus de la demande est rejeté.
D’une troisième part, infirmant le jugement entrepris, il est alloué à Mme [V] la somme de 1500 euros nets à titre de dommages et intérêts au titre du manquement à l’obligation de prévention et de sécurité, le surplus de la demande étant rejeté, le préjudice étant jugé modéré dès lors que les difficultés afférentes à la relation de travail ne se sont manifestées que pendant quelques mois.
Sur les demandes accessoires’:
L’équité commande de confirmer l’indemnité de procédure de 1200 euros allouée par les premiers juges à Mme [V] et de lui accorder une indemnité complémentaire de 1500 euros.
Le surplus des prétentions des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile est rejeté.
Au visa de l’article 696 du code de procédure civile, confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de condamner la société Net Distributions, partie perdante, aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS’;
La cour, statuant publiquement contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi’;
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a’condamné la société par actions simplifiée Net Distributions à payer à Mme [E] [V] la somme de 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens
L’INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que Mme [V] a été victime d’une discrimination prohibée à raison de sa situation de famille
DIT que la société Net Distributions a manqué à son obligation de prévention et de sécurité
DÉCLARE nul le licenciement notifié le 23 janvier 2019 par la société Net Distributions à Mme [V]
CONDAMNE la société Net Distributions à payer à Mme [V] les sommes suivantes’:
– cinq mille euros (5000 euros) nets à titre de dommages et intérêts pour discrimination prohibée
– mille cinq cents euros (1500 euros) nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de prévention et de sécurité
– six mille euros (6000 euros) bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
RAPPELLE que les intérêts au taux légal sur les créances de dommages et intérêts courent à compter de la décision qui les prononce
DÉBOUTE Mme [V] du surplus de ses prétentions au principal
CONDAMNE la société Net Distributions à payer à Mme [V] une indemnité complémentaire de procédure de 1500 euros
REJETTE le surplus des prétentions des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE la société Net Distributions aux dépens d’appel.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière Le Président