Harcèlement moral au Travail : 21 février 2023 Cour d’appel de Riom RG n° 20/01843

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Harcèlement moral au Travail : 21 février 2023 Cour d’appel de Riom RG n° 20/01843
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21 FEVRIER 2023

Arrêt n°

SN/NB/NS

Dossier N° RG 20/01843 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FQDO

Association CROIX MARINE AUVERGNE RHÔNE-ALPES, prise en son établissement secondaire SERVICE MANDATAIRE JUDICIAIRE A LA PROTECTION DES MAJEURS

/

[T] [N]

jugement au fond, origine conseil de prud’hommes – formation de départage de moulins, décision attaquée en date du 30 novembre 2020, enregistrée sous le n° f 19/00047

Arrêt rendu ce VINGT ET UN FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Frédérique DALLE, Conseiller

Mme Sophie NOIR, Conseiller

En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

Association CROIX MARINE AUVERGNE RHÔNE-ALPES ayant son siège social sis [Adresse 4], prise en son établissement secondaire SERVICE MANDATAIRE JUDICIAIRE A LA PROTECTION DES MAJEURS

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Antoine PORTAL de la SARL TRUNO & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANTE

ET :

Mme [T] [N]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Anicet LECATRE, avocat au barreau de MOULINS

INTIMEE

Après avoir entendu Mme NOIR, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l’audience publique du 05 Décembre 2022, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Mme [T] [N] a été embauchée en qualité de déléguée à la tutelle par l’association Croix Marine d’Allier à compter du 23 février 1998 en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.

La relation de travail était soumise à la convention collective du 16 novembre 1971 de l’UNAF.

Mme [N] a été victime d’un accident du travail le 11 février 2008, suite à des menaces et insultes de la part d’un majeur protégé. La Caisse Primaire d’Assurance Maladie lui a reconnu un taux d’IPP de 5% le 12 mars 2010 en raison d’un état anxieux réactionnel à une agression en milieu professionnel.

La salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 26 avril 2016, régulièrement renouvelé.

A compter du 25 juillet 2016 ses arrêts de travail ont été pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.

Entre temps, le contrat de travail a été transféré le 1er novembre 2016 à l’association Croix Marine d’Auvergne – devenue l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes -suite à une fusion absorption.

Le 9 octobre 2017, à l’issue d’une visite médicale de reprise, le médecin du travail l’a déclarée inapte à son poste de déléguée à la protection en un seul examen dans les termes suivants :

‘ Inapte au poste et à tout emploi dans l’entreprise. Le maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé et son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.’

Par ordonnance du 21 novembre 2017, la formation des référés du conseil de prud’hommes de Moulins, saisie par Mme [T] [N] d’une contestation de cet avis d’inaptitude, a ordonné une expertise confiée au Docteur [Y].

Le 11 octobre 2017, le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) a reconnu l’existence d’une relation causale directe et essentielle entre les activités professionnelles de Mme [N] et la maladie ‘F32 Episodes dépressifs’ dont souffre la salariée sous la forme d’un syndrome dépressif et burn-out diagnostiqués le 25 juillet 2017.

Mme [T] [N] a de nouveau été placée en arrêt de travail d’origine professionnelle entre le 10 octobre 2017 et le 9 novembre 2017.

Par ordonnance du 20 mars 2018, la formation de référés du conseil de prud’hommes de Moulins a :

– entériné les conclusions du rapport d’expertise du 6 février 2018 du docteur [Y]

– dit que ce rapport se substitue aux conclusions du médecin du travail contenues dans son avis d’inaptitude du 9 octobre 2017

– ‘dit que Mme [N] était inapte à tout poste sur le site de la Croix Marine de [Localité 1], que cependant, compte tenu de son état de santé actuel, un reclassement peut lui être proposé, privilégiant ses compétences, au sein de cette entreprise et qu’il n’existe pas de restriction sur le plan physique par ailleurs’.

Par courrier recommandé avec accusé réception du 28 mars 2018, l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes a écrit à Mme [T] [N] dans les termes suivants :

‘Objet : proposition de reclassement

Madame,

Nous avons engagé des démarches en vue de tenter de procéder à votre reclassement au sein de notre association, suite à l’avis d’inaptitude dont vous avez fait l’objet.

Aujourd’hui, après examen des postes et des possibilités de reclassement vous concernant, nous avons recensé un poste vacant susceptible de vous être proposé, sous réserve d’une part que le médecin du travail confirme la compatibilité du poste à votre état de santé, d’autre part, que votre candidature soit retenue par la commission de recrutement suite à entretiens.

En effet, si vous manifestez un intérêt pour ce poste, vous serez soumise au processus de recrutement classique pour vérifier que votre profil correspond aux attentes s’agissant de ce poste.

Ainsi, si vous souhaitez postuler, vous serez auditionnée par la commission de recrutement pour le poste suivant à titre de reclassement dans les conditions d’emploi décrite ci-après :

Poste Mme [T] [N] : chef de service au sein du SMJPM 63 de l’association

– définition de fonction (CF fiche de poste ci-jointe)

– temps plein, réparti du lundi au vendredi

– statut cadre, coefficient 507

– convention collective applicable : convention nationale du 31 octobre 1951 hospitalisation privée à but non lucratif

– horaire de travail : 39 heures hebdomadaires avec récupération sous forme de RTT (soit 22 JRTT/an)

– rémunération de base : 2243,47 euros bruts par mois à laquelle s’ajouteront les éventuelles primes et majorations prévues par la convention collective

– service/structure SMJPM 63

– lieu de travail : [Localité 6] (63 400).

À défaut de réponse expresse de votre part ou jeudi 5 avril 2018 inclus, nous considérerons cette proposition de reclassement comme refusée’.

Le 5 avril 2018, Mme [T] [N] a écrit à l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes pour lui demander de soumettre cette proposition de poste au médecin du travail afin de vérifier qu’elle ne risquait pas une rechute d’accident du travail ou de maladie professionnelle au regard de ses antécédents.

Par courrier du 6 avril 2018, l’employeur lui a répondu que le poste avait déjà été soumis au médecin du travail le 28 mars 2018 et que ce dernier l’avait jugé compatible avec son état de santé. Un délai jusqu’au vendredi 13 avril 2018 était laissé à la salariée pour répondre à la proposition de poste de chef de service.

Par courrier du 11 avril 2018, Mme [T] [N] a rappelé à l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes que sa situation personnelle nécessitait un reclassement en dehors de toute procédure de recrutement conditionnelle et lui a demandé de faire à nouveau vérifier par le médecin du travail si le poste de chef de service au sein de l’établissement de [Localité 6], qu’il ne connaissait pas, lui semblait compatible avec son état de santé.

L’employeur a refusé de faire droit à sa demande par courrier du 23 avril 2018 et lui a précisé que le poste proposé était disponible et qu’il était soumis au processus de recrutement classique pour lequel plusieurs candidats avaient déjà été reçus.

Mme [T] [N] a finalement passé un entretien devant la commission de recrutement de l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes le 23 mai 2018.

Par courrier du 29 mai 2018, l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes l’a informée que sa candidature n’était pas retenue et qu’elle relançait une recherche de reclassement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 juin 2018, l’employeur a informé la salariée qu’étant dans l’impossibilité de lui proposer une solution de reclassement, il était contraint d’envisager une mesure de licenciement et l’a convoquée à un entretien préalable fixé au 27 juin 2018.

Mme [T] [N] a été licenciée le 9 juillet 2018 par courrier recommandé avec accusée réception rédigé ainsi :

‘ Madame,

Nous faisons suite à l’entretien préalable en date du 27 juin dernier au cours duquel nous vous avons exposé la situation suite à l’avis d’inaptitude à votre poste dont vous avez fait l’objet de la part du Docteur [E], médecin du travail, le 9 octobre 2017.

Cet avis a été modifié compte tenu de la décision rendue par le conseil des prud’hommes de Moulins en date du 20 mars 2018 dans les termes suivants:

‘ Madame [N] est inapte à tout poste sur le site de la Croix Marine de [Localité 1], que cependant, et compte tenu de son état de santé, un reclassement peut lui être proposé, privilégiant ses compétences, au sein de cette entreprise et qu’il n’existe pas de restriction sur le plan physique par ailleurs’.

Nous vous avons exposé les recherches menées pour tenter de procéder à votre reclassement au sein de l’ensemble des établissements de notre association.

À cette fin, nous avons étudié toute solution pour favoriser votre maintien dans l’emploi, par un classement sur tout poste disponible et compatible avec votre qualification, ainsi qu’avec votre état de santé, au besoin par la mise en ‘uvre de mesures telles que, notamment, une mutation, un aménagement de la durée du travail et/ou une transformation de poste.

Malheureusement, après examen des postes et des possibilités de reclassement concernant, nous constatons au terme de nos démarches, que notre recherche de reclassement s’avère infructueuse.

C’est dans ces conditions que nous constatons au terme de notre démarche et en l’absence de solution de reclassement, l’impossibilité de procéder à votre reclassement.

C’est la raison pour laquelle nous avons malheureusement été contraints d’envisager la rupture de votre contrat de travail.

Nous vous notifions votre licenciement pour impossibilité de reclassement.

La date d’envoi de cette lettre marquera la date de fin de votre contrat de travail.

Deux par votre reconnaissance en maladie professionnelle, votre préavis non effectué vous sera payé et votre indemnité légale de licenciement sera doublée (…)’.

Le 14 juin 2019, Mme [N] a saisi le conseil de prud’hommes de Moulins.

Par jugement du 30 novembre 2020, le conseil de prud’hommes de Moulins en sa formation de départage a :

– donné acte aux parties de leur reconnaissance du caractère professionnel de l’inaptitude de Mme [N] ;

– débouté Mme [N] de ses demandes en nullité de son licenciement et de dommages et intérêts correspondants ;

– requalifié le licenciement de Mme [N] pour impossibilité de reclassement suite à inaptitude, notifié le 8 juillet 2018, en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamné en conséquence l’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes à verser à Mme [N] les sommes de :

– 18.000 euros net à titre de dommages et intérêts ;

– 1.500 euros net de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

– 1.500 euros net au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– dit que les sommes nettes s’entendent – net – de toutes cotisations sociales;

– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision ;

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

– condamné l’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes aux dépens.

L’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes a interjeté appel de ce jugement le 15 décembre 2020.

Par jugement du 28 juin 2021, le Pôle social du Tribunal judiciaire de Moulins a rejeté la demande de Mme [T] [N] en reconnaissance de faute inexcusable au titre de la maladie déclarée le 26 juillet 2016.

Mme [T] [N] a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions de l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes notifiées le 9 novembre 2022 ;

Vu les dernières conclusions de Mme [T] [N] notifiées le 2 novembre 2022 ;

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 7 novembre 2022

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, l’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes demande à la cour de :

– réformer le jugement rendu entre les parties par le juge départiteur du conseil de

prud’hommes de Moulins le 30 novembre 2020, en ce qu’il :

‘- requalifie le licenciement de Mme [N] pour impossibilité de reclassement suite à inaptitude, notifiée le 8 juillet 2018, en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamne en conséquence l’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes à verser à Mme [N] les sommes de :

– 18.000 euros net à titre de dommages et intérêts

– 1.500 euros net de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

– 1.500 euros net au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– ordonne l’exécution provisoire de la présente décision ;

– déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

– condamne l’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes aux dépens.’

Statuant à nouveau,

Sur la nullité du licenciement :

– dire et juger que les éléments matériels produits par Mme [N] ne permettent pas de présenter des faits de harcèlement moral ;

– dire et juger que l’inaptitude physique de Mme [N] est étrangère à des faits de harcèlement moral.

En conséquence :

– débouter Mme [N] de sa demande de nullité du licenciement ;

– débouter Mme [N] de sa demande à titre d’indemnité pour licenciement nul ;

– débouter Mme [N] de sa demande indemnitaire pour harcèlement moral ;

– débouter Mme [N] de sa demande indemnitaire pour manquement de l’employeur à l’obligation de prévention des faits de harcèlement moral ;

– Sur la rupture du contrat de travail :

– dire et juger qu’elle a mené une recherche de reclassement loyale, sérieuse et conforme aux préconisations médicales ;

– dire et juger que Mme [N] a participé à la recherche de reclassement, et accepté d’être auditionnée par une commission de recrutement concernant un poste de chef de service ;

– dire et juger que la recherche de reclassement a été menée en prenant en considération la

position de la salariée inapte ;

– dire et juger qu’elle justifie d’une impossibilité de reclassement ;

En conséquence :

– débouter Mme [N] de sa demande de requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– débouter Mme [N] de sa demande indemnitaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; subsidiairement, limiter la somme à allouer l’indemnisation minimale de 3 mois en application du barème de l’article L. 1235-3 du code du travail ;

Sur l’exécution du contrat de travail :

– dire et juger prescrite la demande indemnitaire de Mme [N] pour exécution déloyale du contrat de travail ;

– dire et juger que Mme [N] ne justifie pas d’un préjudice distinct de la perte de son emploi ;

– dire et juger qu’elle prouve l’exécution loyale du contrat de travail ;

En conséquence :

– débouter Mme [N] de sa demande indemnitaire pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Sur la demande infiniment subsidiaire de sursis à statuer,

– débouter Mme [N] de sa demande infiniment subsidiaire tendant à ce qu’il soit prononcé un sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt de la chambre sociale de la cour d’appel de Riom dans le cadre de la procédure enregistrée sous le numéro RG 21/01641 ;

En toute hypothèse :

– débouter Mme [N] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

– débouter Mme [N] de son appel incident concernant le rejet de sa demande en nullité du licenciement pour harcèlement moral, ainsi que de ses demandes indemnitaires afférentes ;

– débouter Mme [N] de son appel incident concernant le quantum de sa demande indemnitaire pour exécution déloyale du contrat de travail;

– condamner Mme [N] au versement d’une somme de 3.000 euros en applications des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, Mme [N] demande à la cour de :

– constater l’absence de bien fondé de l’appel principal de l’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes ;

– constater la recevabilité et le bien fondé de son appel incident ;

A titre principal :

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul en conséquence ;

Statuant à nouveau,

– constater l’existence d’une situation de harcèlement moral dont elle a été victime ;

– requalifier le licenciement pour inaptitude intervenu consécutivement à ces agissements en un licenciement nul ;

– condamner l’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes à lui payer et porter les sommes suivantes :

– dommages et intérêts manquement à l’obligation de prévention des faits de harcèlement moral art. L 1152-4 : 10.000 euros ;

– dommages et intérêts harcèlement moral art L 1152-1 : 10.000 euros ;

– dommages et intérêts licenciement nul car consécutif à des faits de harcèlement moral : 50.000 euros ;

A titre subsidiaire :

– confirmer le jugement déféré en ce qu’il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– l’infirmer toutefois en ce qu’il a condamné l’employeur à lui payer et porter la somme de 18.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau

– condamner l’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes à lui payer et porter la somme de 50000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes à lui payer et porter des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation d’exécuter loyalement le contrat de travail ;

– l’infirmer toutefois sur le quantum et, statuant à nouveau, condamner l’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes à lui payer et porter la somme de 10.000 euros ;

A titre infiniment subsidiaire :

Si par impossible, la cour ne retenait ni la nullité du licenciement ni le défaut de cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de reclassement ou comportement fautif de l’employeur à l’origine de l’inaptitude :

– ordonner le sursis à statuer dans l’attente de l’arrêt de la cour dans l’instance enregistrée sous le numéro RG 21/01641 sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable ;

– au visa des dispositions de l’article 1231-6 du code civil, dire que ces sommes porteront intérêts de droit au taux légal à compter :

– du jugement dont appel pour les sommes allouées à caractère indemnitaire;

– de l’arrêt à intervenir pour les sommes à caractère indemnitaire allouées en plus de celles allouées par le jugement dont appel ;

– ordonner la capitalisation de ces intérêts échus pour une année entière et rappeler que ces intérêts échus porteront eux-mêmes intérêts au taux légal le cas échéant majorés au visa de l’article 1343-2 du code civil ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes à lui payer et porter la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles de première instance ;

Y ajoutant

– condamner l’association Croix Marine Auvergne Rhône-Alpes à lui payer et porter la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions recevables des parties et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion contenue dans ces écritures mais qu’en revanche, elle ne statue pas sur des prétentions indéterminées, trop générales ou non personnalisées, ou non efficientes, notamment celles qui relèvent d’une reprise superfétatoire, dans le dispositif des conclusions d’une partie, de l’argumentaire (ou des moyens) contenu dans les motifs.

Sur la demande de rabat de l’ordonnance de clôture formée par l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes :

A 5 jours de la date fixée pour la clôture, Mme [T] [N] a notifié de nouvelles conclusions le 2 novembre 2022 par lesquelles elle forme une demande subsidiaire de sursis à statuer.

La clôture a été prononcée à la date annoncée du 7 novembre 2022.

Par conclusions du 9 novembre 2022, l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes a sollicité la révocation de l’ordonnance de clôture en faisant valoir qu’elle n’avait pas disposé du temps suffisant pour lui permettre de répondre en temps utile aux dernières conclusions de la partie intimée.

Au vu l’accord des parties, la cour ordonne le rabat de l’ordonnance de clôture du 7 novembre 2022.

La clôture de l’instruction sera fixée au 5 décembre 2022, jour de l’audience. Les conclusions et pièces notifiées contradictoirement avant ou jusqu’à cette date sont donc recevables.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, Mme [T] [N] fait valoir qu’elle a été victime d’un harcèlement moral à compter de l’année 2007, qui s’est accentué à partir du mois de novembre 2015.

Elle invoque les faits suivants :

– une désorganisation de son service et une surcharge de travail ayant dégradé son état de santé jusqu’à se voir reconnaître les symptômes d’un stress réactionnel au mois d’avril 2016 :

La salariée verse aux débats la copie de l’avis du Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles du 20 juillet 2017 ayant émis un avis favorable à la reconnaissance du caractère professionnel du syndrome dépressif, burnout lié à surmenage et stress professionnel déclaré par la salariée le 25 juillet 2016 dans laquelle le Comité relève que l’enquête et le médecin du travail ‘décrivent un métier – celui de délégué à la tutelle à la SMJPM Croix Marine de [Localité 1] – comportant une charge de travail et psychologique importante’.

Elle produit également :

– l’attestation de Mme [C], déléguée à la protection juridique qui indique avoir travaillé au sein de la Croix Marine de l’Allier jusqu’en 2020 – dont l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes affirme mais sans en rapporter la preuve qu’elle est partie à la retraite en 2011 – qui affirme que la charge de travail était devenue très importante dans les années précédant son départ, ce qui conduisait fréquemment à des états d’épuisement

– la copie du rapport d’expertise du Docteur [I] [Z], désignée par jugement du Pôle social du Tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand le 1er octobre 2020 pour établir le taux d’IPP correspondant aux séquelles de la maladie professionnelle du 25 juillet 2016 dans lequel il est fait mention, parmi les pièces transmises par le service médical de l’assurance-maladie, des termes du certificat médical initial du 25 juillet 2016 du Docteur [X] faisant état d’un syndrome dépressif, burnout via surmenage et stress professionnel.

L’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes produit quant à elle le procès-verbal d’audition du 13 décembre 2016 de Mme [P], directrice de la délégation Allier-Croix Marine Auvergne Rhône Alpes, entendue dans le cadre de l’enquête diligentée par la CPAM suite à la déclaration de maladie professionnelle du 25 juin 2016, laquelle reconnaît que tous les salariés du service étaient soumis à une charge de travail importante, la seule différence avec Mme [T] [N] étant, selon ses propres dires, que les autres salariés arrivaient à faire face aux situations très complexes et très difficiles qui leur étaient confiées.

Ces différentes pièces et les éléments médicaux versés aux débats, qui n’ont jamais émis des doutes sur le lien entre l’état de santé de la salariée et l’existence d’un surmenage, permettent d’établir que Mme [T] [N] a été soumise à une surcharge de travail à l’origine d’une dégradation de son état de santé sous la forme d’un syndrome dépressif, burnout, peu important que cette dernière ne se soit pas plainte de cette surcharge au cours de la relation de travail.

– plusieurs rejets de ces candidatures à un poste de chef de service notamment au mois de janvier 2016 sur un poste qui lui a été proposé deux ans plus tard dans le cadre des recherches de reclassement :

Mme [T] [N] verse au débat un courrier du 6 février 2016 adressé à Mme [P], alors directrice SMJPM de l’association Croix Marine de l’Allier, par lequel elle fait acte de candidature au poste de cadre social pour seconder la directrice dans l’encadrement des équipes tutélaires et des agents chargés de la mise en ‘uvre des mandats judiciaires ainsi que le courrier de réponse de l’employeur daté du 20 avril 2016 dans lequel ce dernier lui indique qu’après ‘ un examen attentif de vos motivations et de vos propositions, le jury n’a pas retenu [sa] candidature’ au poste de chef de service SMJPM actuellement vacant.

Sont également versés aux débats, cette fois par l’employeur, deux autres courriers datés du 15 septembre 2006 et du 7 mars 2011 informant Mme [T] [N] que ses candidatures au poste de chef de service n’ont pas été retenues.

Il est ainsi établi que l’employeur a rejeté à plusieurs reprise les candidatures de Mme [T] [N] au poste de chef de service.

Tous ces faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.

Il incombe donc à l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes, qui conteste tout harcèlement moral, de rapporter la preuve de ce que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

À cet égard, l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes soutient que le rejet de la candidature de Mme [T] [N] au poste de chef de service le 20 avril 2016 était motivé, non pas par les compétences professionnelles de celle-ci, mais en raison de l’existence d’une candidature externe plus convaincante, ce dont elle ne rapporte pas la preuve.

S’agissant de la surcharge de travail, elle soutient que ‘la surcharge de travail disproportionnée n’a plus convaincue le Pôle social du tribunal judiciaire de Moulins’ dans le cadre de l’appréciation de la faute inexcusable.

Cependant, outre que le jugement du Pôle social du tribunal judiciaire de Moulins du 28 juin 2021 fait l’objet d’un appel, la cour rappelle qu’en vertu du principe d’autonomie du droit du travail et du droit social, le juge prud’homal n’est pas lié par la décision d’un organisme de sécurité sociale ou d’une juridiction de sécurité sociale.

Enfin, l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes n’allègue et ne justifie pas de ce que la surcharge de travail à laquelle Mme [T] [N] a été soumise était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

L’existence d’un harcèlement moral est donc établie et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Au vu du rapport d’expertise du Docteur [Z]-[M] duquel il résulte que Mme [T] [N] présente un état dépressif chronique avec asthénie persistante nécessitant toujours une surveillance psychiatrique attentive avec une chimiothérapie à visée anxiodépressive à nouveau instituée depuis le mois de septembre 2020, la cour évalue le préjudice moral subi par la salariée du fait du harcèlement dont elle a été victime à la somme de 7 000 euros.

Cette condamnation sera assortie d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

En revanche, la salariée ne justifie pas d’un préjudice distinct découlant du manquement de l’employeur à son obligation de prévention des faits de harcèlement moral de sorte que la demande de dommages et intérêts formée à ce titre sera rejetée.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur la demande de nullité du licenciement :

Selon l’article L1152-3 du code du travail: ‘Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul’.

En l’espèce, Mme [T] [N] soutient que son inaptitude est « nécessairement » consécutive au harcèlement moral dont elle a été victime.

De son côté, l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes conteste l’existence d’un harcèlement moral.

Il est constant que la déclaration d’inaptitude est en lien avec le syndrome dépressif et le burnout dont il est jugé plus haut qu’il découle d’un harcèlement moral au travail.

De ce fait, et par application de l’article L1152-3 du code du travail susvisé, le licenciement de Mme [T] [N] est nul.

Compte tenu notamment du montant de la rémunération versée à la salariée (2 718,05 euros de salaire moyen au cours des 6 derniers mois précédant le licenciement), de son âge au jour de son licenciement (45 ans), de son ancienneté à cette même date (20 ans et 4 mois), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels que ces éléments résultent des pièces et des explications fournies qui démontrent qu’elle n’avait toujours pas retrouvé un emploi au 12 février 2020, la cour évalue le montant des dommages et intérêts propres à réparer le préjudice consécutif au licenciement nul à la somme de 45 000 euros.

Cette condamnation sera assortie d’intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :

La cour relève que la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail est formée à titre subsidiaire.

La demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral étant accueillie, la cour infirme le jugement en ce qu’il a fait droit à la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Sur le remboursement des sommes payées par Pôle emploi :

Selon l’article L1235-4 du code du travail dans sa version applicable au litige: ‘Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées’

S’agissant d’un licenciement nul en raison d’un harcèlement moral, il y a lieu d’ordonner, d’office et par application de l’article L 1235-4 du code du travail, le remboursement par l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à Mme [T] [N] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois de prestations.

Sur la capitalisation des intérêts légaux:

La capitalisation des intérêts sera ordonnée, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Sur les demandes accessoires:

Partie perdante, l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes supportera la charge des dépens de première instance et d’appel.

Par ailleurs, Mme [T] [N] a dû pour la présente instance exposer tant en première instance qu’en appel des frais de procédure et honoraires non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser intégralement à sa charge.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné l’association Croix Marine Auvergne Rhône Alpes à lui payer la somme de 1 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, et de condamner cet employeur à lui payer sur le même fondement une indemnité de 2 000 euros au titre des frais qu’elle a dû exposer en appel.

 

 


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