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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 11
ARRÊT DU 21 Février 2023
(n° , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 22/04461 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFSEJ
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 février 2015 par le conseil de prud’hommes de Villeneuve-Saint-Georges
APPELANT
Monsieur [J] [U]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Chanel DESSEIGNE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0607
INTIMEE
S.A.S. EIFFAGE ENERGIE SYSTEMES – ILE DE FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 3]
N° SIRET : 420 540 643
représentée par Me Anne VINCENT-IBARRONDO, avocat au barreau de PARIS, toque : G0668 substituée par Me Olivia GUILHOT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0270
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Janvier 2023, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière présente lors du prononcé.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
M. [J] [U], né en 1973, a été engagé par la SAS Forclum Marne La Vallée par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mars 2002 en qualité d’électricien, niveau 2, position 2, coefficient 110 en application de la convention collective des ouvriers des travaux publics.
En 2004, la société Forclum Marne La Vallée a été absorbée par la société CICO.
En 2007, la société CICO a elle-même été absorbée par la SAS Forclum IDF devenue par la suite SAS Eiffage Energie IDF puis SASU Eiffage Energie Systèmes – IDF (ci-après société Eiffage).
M. [U] était investi de plusieurs mandats de représentant du personnel depuis 2003. A l’issue des élections professionnelles organisées en mars 2011, M. [U] a été élu membre du comité d’établissement et délégué du personnel. Il était également membre du CHSCT du Pôle Arc de Seine Sud de la société et délégué syndical d’établissement.
Le 24 mars 2010, M. [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Villeneuve Saint Georges, aux fins de résiliation judiciaire de son contrat et en paiement d’un rappel de salaires et de diverses indemnités.
L’affaire a été radiée le 24 mai 2011. M. [U] a demandé le rétablissement de cette affaire le 30 avril 2013.
Par jugement en date du 17 février 2015, le conseil de prud’hommes de Villeneuve-Saint-Georges a :
– dit que M. [U] n’est pas lié par un contrat de travail avec Eiffage Energie SAS ;
– dit qu’il y a lieu de mettre hors de cause Eiffage Energie SAS ;
– débouté Eiffage Energie SAS de sa demande reconventionnelle d’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté M. [U] de l’intégralité de ses demandes ;
– débouté le Syndicat Sud Eiffage IDF de l’intégralité de ses demandes ;
– débouté la SAS Eiffage Energie IDF de la demande reconventionnelle d’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [U] aux entiers dépens.
M. [U] a interjeté appel de ce jugement le 13 mars 2015.
M. [U] a été placé en arrêt de travail à compter du 16 juin 2015 jusqu’au 21 mars 2016.
Le 21 mars 2016, à l’issue de visite médicale de reprise, il a été déclaré définitivement inapte au poste d’électricien intérieur.
L’affaire a été radiée le 30 mars 2017 pour absence de diligence.
Par lettre datée du 29 juin 2017, M. [U] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de la société.
L’affaire a été rétablie le 29 mars 2019.
L’affaire a été radiée le 21 janvier 2020 pour absence de diligence.
L’affaire a été rétablie le 13 avril 2022.
Dans ses conclusions soutenues à l’audience, M. [U] demande à la cour de :
– rétablir l’affaire radiée du rôle par ordonnance du 30 mars 2017 rendue par la cour d’appel de Paris (Pôle 6 ‘ chambre 11),
– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [U] de l’ensemble de ses demandes,
Statuant à nouveau,
– dire et Juger que les demandes M. [U] sont recevables et bien fondées,
– donner acte à M. [U] qu’il a fait sommation à la société Eiffage Energie Systèmes de communiquer avant tout jugement sur le fond et sous astreinte, les contrats de travail, avenants, bulletins de paie, les tableaux d’avancement et de prévention, les primes exceptionnelles des salariés suivants et pour tout autre salarié concerné : M. [G] [T], M. [K] [E], M. [Y] [C], M. [N] [X], M. [A] [D], M. [O] [C], M. [M] [V], M. [S] [L],
A défaut, ordonner à la société Eiffage Energie Systèmes de communiquer ces éléments à M. [U],
– juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail est justifiée et qu’elle s’analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
– juger que M. [U] a fait l’objet de harcèlement moral,
– juger que la société Eiffage Energie Systèmes n’a pas rempli son obligation de résultat en matière de santé et sécurité au travail,
– juger que la société Eiffage Energie Systèmes n’a pas exécuté loyalement le contrat de travail de M. [U],
– juger que M. [U] a subi une discrimination salariale et syndicale,
– condamner la société Eiffage Energie Systèmes à verser à M. [U] la somme globale de 60 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudice subi ‘ 30 000 euros pour la discrimination syndicale et 30.000 euros pour la discrimination salariale,
– juger que M. [U] a subi une absence d’évolution de sa carrière,
– condamner la société Eiffage Energie Systèmes à verser des dommages-intérêts :
* pour harcèlement moral et non-respect du principe d’exécution de bonne foi du contrat de travail : 20.000 euros,
* au titre du préjudice moral et de santé 20.000 euros,
– ordonner le positionnement de M. [U] au statut de Technicien de chantier ETAM F ou chef de chantier, niveau 4 coefficient 180,
Et par conséquent,
– condamner la société Eiffage Energie Systèmes à verser à M. [U] la somme de 6 777,83 euros au titre de rappels de salaires de 2008 à 2012,
– condamner la société Eiffage Energie Systèmes à verser à M. [U] une somme de 677,78 euros au titre de congés payés sur les rappels de salaires,
– condamner la société à verser à M. [U] 183,675 euros au titre de rappels de salaire relatifs à l’application de l’accord SERCE et de l’accord sur la réduction du temps de travail,
– ordonner la remise des bulletins de salaires rectifiés sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du 8ème jour du prononcé de l’arrêt à intervenir,
– condamner la société Eiffage Energie Systèmes à verser la somme de 2.500 euros à M. [U] au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société en tous les dépens.
Dans ses conclusions soutenues à l’audience, la société Eiffage Energie Systèmes demande à la cour de :
– juger qu’il n’est nullement démontré par l’appelant que les conditions de rétablissement de l’affaire, telles qu’elles ont été prévues dans l’ordonnance de radiation du 21 janvier 2020 et prescrites à peine de péremption de l’instance, sont réunies et en tirer les conséquences qui s’imposent le cas échéant.
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Villeneuve-Saint-Georges le 17 février 2015 en ce qu’il a débouté M. [U] de l’intégralité de ses demandes,
Statuant à nouveau :
– juger qu’il n’y pas lieu de faire droit à la sommation de communiquer de M. [U] concernant un certain nombre d’éléments contractuels de ses collègues dès lors que la Société y a procédé spontanément dans le cadre de la présente instance et qu’en tout état de cause, les salariés avec lesquels il se compare et qui sont visés par cette sommation ne sont pas placés dans la même situation que lui,
– juger que M. [U] n’a aucunement été victime de harcèlement moral, de discrimination syndicale ou encore de discrimination salariale,
– juger que M. [U] n’établit nullement la matérialité des faits qu’il allègue à l’appui de sa prise d’acte,
– juger que la société Eiffage Energie Systèmes n’a commis aucun manquement grave à l’égard de M. [U],
– juger que la société Eiffage Energie Systèmes a exécuté loyalement le contrat de travail la liant à M. [U] et a respecté à son égard
son obligation en matière de santé et de sécurité,
– juger, en conséquence, que la prise d’acte de M. [U] doit être requalifiée en démission,
– débouter M. [U] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner M. [U] à verser à la Société Eiffage Energie Systèmes la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
L’affaire a été plaidée à l’audience du 10 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient de rappeler à titre liminaire que par application de l’article 954, alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statuera que sur les prétentions énoncées au dispositif des écritures des parties en cause d’appel, ce que ne sont pas au sens de ces dispositions des demandes visant seulement à ‘dire’ ou ‘constater’ un principe de droit ou une situation de fait.
Sur la péremption d’instance
Vu l’article 386 du code de procédure civile
Par ordonnance du 21 janvier 2020, l’affaire a été radiée du rôle de la cour, étant précisé qu’elle pourra être rétablie au vu de la demande de la date d’audience par courrier adressé au greffe, de l’assignation de l’intimé par l’appelant du bordereau de communication des pièces, d’un exposé écrit des demandes et des moyens de l’appelant ou de la partie la plus diligente.
Par courrier adressé au greffe le 17 décembre 2021, M. [U] a demandé une date d’audience. Il a réitéré sa demande le 16 février 2022. Par acte d’huissier du 21 juillet 2022, M. [U] a fait assigner la SASU Eiffage Energie Ile de France devant la cour d’appel de Paris à l’audience du 13 septembre 2022 et lui a signifié ses conclusions récapitulatives ainsi que le bordereau des pièces communiquées. Il s’ensuit que l’instance n’est pas périmée.
Sur la qualification
M. [U] sollicite à titre principal la reconnaissance de la qualification de technicien de chantier ETAM F et à titre subsidiaire celle de chef de chantier niveau 4 coefficient 180.
La société Eiffage s’y oppose motifs pris qu’il n’exerçait pas ces fonctions au quotidien.
Il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu’il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique.
En l’espèce, M. [U] n’établit pas qu’il exerçait de manière permanente des fonctions relevant du statut des employés techniciens et agents de maîtrise niveau F ce qui correspond aux salariés réalisant des tâches d’exécution, de contrôle et d’organisation, hiérarchiquement supérieurs à ceux du statut employé, exerçant également un rôle de commandement et d’autorité, pouvant être sollicités comme formateurs pour les salariés moins qualifiés, devant donc être experts dans leur spécialité, avec une excellente technicité, et se former continuellement aux nouveautés. Ces salariés ETAM F gèrent en outre des interlocuteurs externes, vérifient les règles de sécurité et leur bonne application, avec à une force de proposition en cas de possibles améliorations de ces règles.
Selon la convention collective des ouvriers des travaux publics applicable en l’espèce, le chef d’équipe niveau 4 coefficient 180 possède une parfaite maîtrise du métier permettant soit de réaliser avec autonomie les travaux les plus délicats nécessitant une haute technicité dans une technique et de plus, des connaissances techniques connexes permettant d’assurer des travaux relevant de ceux-ci, soit de conduire et d’animer régulièrement suivant les directives donnés par les agents de maîtrise une équipe dans une spécialité et de rendre compte de l’activité de cette dernière ; il doit être capable de transmettre son expérience ; il peut être apte à assurer un tutorat vis-à-vis de jeunes ; il peut être amené à assurer des rapports avec des tiers dans le cadre d’instructions précises et ponctuelles et dans un domaine d’activité bien délimité ; les emplois du niveau 4 impliquent les connaissances définies au niveau III, position 2, acquises par formation et/ou expérience professionnelle.
S’il n’est pas contredit que M. [U] est intervenu sur les chantiers cités dans ses conclusions, il n’en demeure pas moins que le salarié n’établit nullement que les fonctions exercées étaient celles d’un salarié de niveau 4 coefficient 180 possédant notamment une parfaite maîtrise du métier lui permettant de réaliser avec autonomie les travaux plus délicats ou animant régulièrement une équipe, et non celles d’un salarié niveau 3 position 1 à l’instar de M. [U] qui réalise à partir de directives générales l’ensemble des travaux notamment délicats de sa spécialité, disposant d’une certaine autonomie lui permettant de prendre des initiatives se rapportant à la réalisation des travaux qui lui sont confiés ou pour faire face à des situations imprévues et qui peut être amené à accomplir certaines tâches avec l’assistance d’aides dont il guide le travail et contrôle les résultats.
Il s’ensuit qu’il convient de débouter M. [U] de sa demande de requalification de son emploi et de rappels de salaires subséquents. La décision critiquée sera confirmée de ces chefs.
Sur le rappel de salaire en application de l’accord SERCE et l’accord réduction du temps de travail
M. [U] fait valoir qu’en 2004, la société CICO a absorbé la société Forclum Marne la Vallée Ile de France ; que cela a eu pour conséquence l’application, pour les salariés de Forclum, de l’accord sur la réduction du temps de travail ; qu’en 2008, une entité Forclum IDF a été créée à partir de l’établissement de [Localité 7] (Forclum Paris Nord) qui a absorbé l’ensemble des établissements de Forclum Ile de France ; que faute d’accord entre les instances représentatives du personnel et la direction, ce sont les accords les plus favorables aux salariés applicables dans l’établissement absorbant, à savoir celui de [Localité 7], qui vont s’appliquer aux salariés de cette nouvelle entité ; que dès lors les accords du SERCE (syndicat des entrepreneurs de réseaux, de centrales et d’équipement industriel électrique) sont appelés à s’appliquer au sein des établissements de Forclum IDF ; que c’est le cas dans tous les établissements à l’exception de ceux de [Localité 5] et [Localité 6] ; qu’en conséquence, il lui est dû des rappels de salaire au titre des heures de nuits effectuées et non majorées, de la prime de pénibilité et de l’accord sur la réduction du temps de travail.
La société Eiffage rétorque que les accords SERCE ont été dénoncés avant même l’entrée de M. [U] dans l’entreprise ; que l’accord RTT Forclum Marne la Vallée, mis en cause du fait de l’absorption par la société CICO en 2004 s’avère moins avantageux que l’accord mis en place au sein de la société CICO et toujours applicable au sein de la société Eiffage.
Sur les accords SERCE
Il résulte des courriers en date du 10 septembre 1998, que l’ensemble des accords signés par le SERCE a été dénoncé. Il convient donc de débouter le salarié de ses demandes de rappels de salaires et de prime formulées sur ce fondement.
Sur la réduction du temps de travail et les heures supplémentaires
En application de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, l’accord sur la réduction du temps de travail mis en place au sein de la société CICO qui prévoit un horaire hebdomadaire de 37h30 et 15 jours de RTT par an est plus favorable que l’accord applicable au sein de la société Forclum Marne la Vallée qui prévoyait un horaire hebdomadaire de 37H50 et 15 jours de RTT.
En tout état de cause, au constat que le seul élément présenté par le salarié est un tableau figurant dans ses conclusions avec mention du nombre d’heures supplémentaires qu’il dit avoir réalisées à raison de un ou deux jours certains mois (exemple : 0.5 heure le 7 janvier 2008, 1 heure le 16 janvier 2008, 2 heures le 20 mars 2008, 1 heure le 6 novembre 2008) n’est pas suffisamment précis quant aux heures supplémentaires non rémunérées qu’il dit avoir réalisées, permettant ainsi à la société Eiffage qui assure le contrôle des heures effectuées d’y répondre utilement, la cour déboute M. [U] de sa demande de paiement des heures supplémentaires.
La décision déférée sera confirmée de ces chefs.
Sur la discrimination
Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail dans sa rédaction applicable, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l’article 1er’de la loi n°’2008-496 du 27’mai’2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article’L.3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’action, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses activités syndicales.
L’article L.1134-1 du code du travail prévoit qu’en cas de litige relatif à l’application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l’article 1erde la loi n°’2008-496 du 27’mai’2008, au vu desquels, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, à l’appui de sa demande, M. [U] fait valoir une absence d’évolution de carrière et de salaire, un refus systématique de formation, des sanctions injustifiées, l’absence de fourniture de matériel portatif et de véhicule, l’absence d’entretien annuel d’évaluation.
Il présente les éléments suivants :
– un tableau de comparaison entre lui et des salariés sans précision sur le poste occupé et la qualification (pièce 63),
– des bulletins de salaire de mars 2002 à février 2013,
– un courrier du 30 août 2006 adressé par M. [U] à M. [I] directeur de la société CICO dénonçant des sanctions salariales discriminatoires répétées motifs pris qu’en 2002 son taux horaire était supérieur à celui de ses collègues ayant la même qualification (monteur électricien N2P2 coefficient 145), qu’il se retrouve avec le taux horaire le plus faible et de ce fait a minima sociaux, en raison de ses mandats électifs et de délégué syndical (pièce 4),
– des courriers du salarié sollicitant une promotion,
– les réponses de M. [I] directeur de la société CICO et de M. [P], directeur de la société Forclum Ile de France selon lesquelles la classification de M. [U] correspond toujours à ses compétences ‘qui ne sont certainement pas celles d’un chef d’équipe mais bien celles d’un ouvrier professionnel’ ; la demande de promotion n’est pas justifiée précisant en outre que son taux horaire a été porté à 11,64 euros au 1er avril 2007 ; les formations VDI demandées ont été validées et seront réalisées dans les prochains mois,
– des attestations selon lesquelles M. [U] a exercé des fonctions de chef de chantier et le descriptif de ces chantiers,
– des demandes de formation et les réponses négatives,
– des attestations et les feuilles de pointage révélant des affectations au service de l’éclairage public alors qu’il faisait partie du service électrique intérieur,
– un arrêt de travail du 9 juin 2009 pour anxiété réactionnelle,
– un tableau comparatif des moyens attribués révélant que M. [U] ne dispose d’aucun moyen.
M. [U] présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination, sans qu’il soit utile en l’espèce d’ordonner la communication de pièces sous astreinte, et au vu desquels, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
A cet effet, la société Eiffage fait valoir que M. [U], peu après son embauche, a été investi par le syndicat Force Ouvrière de plusieurs mandats qui ne l’ont pas empêché d’évoluer professionnellement ; qu’il a bénéficié régulièrement d’une augmentation de salaire, de plus de 40% en 10 ans ; qu’en dernier lieu, il exerçait les fonctions d’électricien niveau 3 position 1 coefficient 150 ; que M. [U] se compare à tort à des salariés qui ne sont pas entrés à la même date que lui dans l’entreprise et qui n’occupent pas les mêmes fonctions que lui ; que la comparaison avec des collègues placés dans une situation identique ne fait apparaître aucune disparité de traitement ; que ne remplissant pas les conditions requises par la convention collective pour se voir attribuer la qualification revendiquée, il ne peut exiger le statut de chef de chantier niveau IV coefficient 180 ; que le salarié n’a nullement été exclu des programmes de formation et a bénéficié de plusieurs stage ; que les demandes de formation refusées étaient incohérentes au regard du poste occupé : qu’aucune sanction injustifiée n’a été prononcée.
Eu égard aux éléments produits, la cour retient que l’employeur ne contredit pas l’absence d’évaluation professionnelle régulière de M. [U] et ne verse aux débats qu’un seul compte rendu d”entretien de progrès ouvrier’ du 23 mars 2010 ; que l’employeur ne justifie pas davantage des raisons objectives qui ont conduit au refus de prise de congés ou de jours RTT, ni qu’un manque d’organisation du service imposait que non seulement M. [U], mais également d’autres salariés, soient sans affectation fin août 2017 ; que l’employeur ne démontre pas non plus que M. [U] n’était pas le seul salarié à avoir fait l’objet d’un changement d’affectation en raison d’un surcroît d’activité étant observé qu’il n’est pas contredit que des intérimaires étaient affectés dans le service d’origine (service intérieur) de M. [U] ; qu’il ne prouve pas que d’autres salariés étaient affectés comme M. [U] sur des chantiers hors département 77 où il était d’usage qu’il soit affecté. En conséquence, la cour a la conviction que M. [U] a été l’objet d’une discrimination syndicale.
En revanche, l’employeur établit que M. [U] n’a pas connu de progression salariale défavorable par rapport à d’autres salariés placés dans une situation identique, que son salaire se situe même à un niveau supérieur à la moyenne des salaires de l’entreprise des salariés classés N3P1 coefficient 150. L’inégalité de traitement n’est donc pas établie contrairement à ce que soutient le salarié au titre de la discrimination salariale.
Compte tenu de l’importance dans le temps de la discrimination subie par M. [U] et des différents éléments retenus par la cour, par infirmation de la décision entreprise, il convient de condamner la société Eiffage à lui verser la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice subi.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L’article L.1152-2 du même code dispose qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L’article L.1152-3 du même code précise que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fussent sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur.
En application des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, à l’appui de sa demande, M. [U] fait valoir qu’il a été affecté au service d’éclairage public (service extérieur) en période hivernale en 2003 et 2004, que son périmètre usuel d’intervention a été modifié, qu’il a été bloqué dans son évolution, qu’il n’a pas fait l’objet d’entretien d’évaluation régulier, que des congés lui ont été refusés.
Il se prévaut également d’un rapport de l’expert auprès du CHSCT du 15 septembre 2012 partiellement produit, l’extrait versé aux débats ne visant pas la situation de M. [U] ou des cas de harcèlement moral, ainsi que de différents certificats médicaux révélant qu’il présentait un syndrome dépressif majeur en lien avec une situation professionnelle qu’il vivait de façon conflictuelle et dévalorisante, une hypersomnie, une irritabilité importante, des troubles anxieux et une revendication envahissante sur un mode sthénique et coléreux.
Si la cour n’a pas retenu ci-avant une absence d’évolution salariale ou une inégalité de traitement, le salarié présente néanmoins des faits matériellement établis qui pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral. Il appartient donc à l’employeur de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
A cet effet, l’employeur réplique que le contrat de travail de M. [U] était suspendu depuis le 16 juin 2015 en raison d’une maladie d’origine non professionnelle et que le lien entre l’état de santé du salarié et ses conditions de travail n’est pas établi.
Au vu de ces éléments, la cour retient que l’employeur ne contredit pas l’absence d’évaluation professionnelle régulière de M. [U] ; qu’il ne justifie pas davantage des raisons objectives qui ont conduit au refus de prise de congés ou de jours RTT, ni qu’un manque d’organisation du service imposait que M. [U] soit sans affectation fin août 2007 ; que l’employeur ne démontre pas le surcroît d’activité qui aurait selon lui motivé le changement d’affectation de M. [U] alors qu’il n’est pas contredit que des intérimaires étaient affectés dans le service d’origine de M. [U] ; qu’il ne justifie pas par des raisons objectives l’affectation de M. [U] sur des chantiers hors département 77.
En conséquence, la cour retient que M. [U] a fait l’objet de harcèlement moral qui a eu pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En réparation du préjudice causé par les agissements répétés constitutifs de harcèlement et la dégradation des conditions de travail qui en résulte, compromettant la santé du salarié, distinct du préjudice causé par la discrimination consistant en une différence de traitement eu égard à l’exercice d’un mandat syndical, la société Eiffage devra verser à M. [U] la somme de 10.000 euros.
Sur la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral et de santé
M. [U] ne justifie pas d’un préjudice moral et de santé distinct de celui réparé par les dommages-intérêts alloués ci-avant. La cour relève également qu’il ne justifie d’aucun préjudice lié à une quelconque exposition à l’amiante. La décision critiquée qui l’a débouté de sa demande à ce titre sera confirmée de ce chef.
Sur la prise d’acte
Pour infirmation de la décision entreprise, M. [U] soutient en substance que la société Eiffage Energie a commis des manquements graves empêchant la poursuite de la relation de travail. Il invoque à ce titre du harcèlement moral, le non respect de l’obligation en matière de protection de sa sécurité et de sa santé mentale, l’exposition à l’amiante en l’absence de fiche d’exposition, la discrimination syndicale et l’exécution déloyale de son contrat de travail.
La société Eiffage Energie conteste les manquements invoqués par le salarié.
Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.
En cas de prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission. Il appartient au salarié d’établir les faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur.
L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d’examiner les manquements de l’employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.
En l’espèce, les manquements retenus ci-avant par la cour sont d’une gravité de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, de telle sorte que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de M. [U] produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans la limite de la demande du salarié, au 29 juin 2017. La décision sera infirmée de ce chef.
La cour relève que le salarié ne sollicite ni l’indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, ni les indemnités de rupture.
Sur les documents de fin de contrat
Eu égard à la solution du litige, il n’y a pas lieu d’ordonner à la société Eiffage de remettre à M. [U] un bulletin de salaire récapitulatif.
Sur les frais irrépétibles
La société Eiffage sera condamnée aux entiers dépens et devra verser à M. [U] la somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.