Your cart is currently empty!
ARRÊT DU
17 Février 2023
N° 259/23
N° RG 21/00023 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TL2B
VCL / GD
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de HAZEBROUCK
en date du
30 Novembre 2020
(RG -section )
GROSSE :
aux avocats
le 17 Février 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [S] [H]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Céline VENIEL, avocat au barreau de SAINT-OMER
INTIMÉE :
S.A.R.L. LEROY ET [N]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Hervé JOLY, avocat au barreau de DUNKERQUE
DÉBATS : à l’audience publique du 08 Décembre 2022
Tenue par Virginie CLAVERT
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Séverine STIEVENARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 17 novembre 2022
EXPOSE DU LITIGE ET PRETENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES :
La SARL LEROY ET [N] a engagé M. [S] [H] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 17 décembre 2007 en qualité de conducteur routier M138.
Ce contrat de travail était soumis à la convention collective nationale des transports routiers.
Saisi d’une demande de communication des relevés chronotachygraphes depuis son embauche, et par ordonnance de référé du 20 mars 2019, le conseil de prud’hommes d’Hazebrouck a dit n’y avoir lieu à référé, constaté l’existence d’une contestation sérieuse ainsi que la production des pièces demandées et a débouté M. [S] [H] du surplus de ses demandes.
Sollicitant la résiliation judiciaire de son contrat de travail, se prévalant d’une situation de harcèlement et réclamant divers rappels de salaire et indemnités, M. [S] [H] a saisi le 28 mars 2019 le conseil de prud’hommes d’Hazebrouck.
Suivant avis du 9 avril 2019, le salarié a été déclaré inapte à son poste de travail avec dispense d’obligation de reclassement au motif que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.
Suite à un entretien préalable qui s’est déroulé le 3 mai 2019 et par lettre datée du 7 mai 2019, M. [S] [H] s’est vu notifier son licenciement pour inaptitude.
Par jugement du 30 novembre 2020, le conseil de prud’hommes d’Hazebrouck a rendu la décision suivante :
– dit et juge que M. [S] [H] n’apporte pas la matérialité de faits précis et répétés laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral ou d’une souffrance au travail,
– dit et juge qu’il n’est pas prouvé que la dégradation de l’état de santé de M. [H] soit en lien avec son activité professionnelle et ses conditions de travail et que les manquements allégués par M. [H] ne sont pas prouvés.
– en conséquence, dit et juge qu’il n’y a pas lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [H] et le déboute de sa demande de paiement de dommages et intérêts et indemnité compensatrice de préavis,
– dit et juge justifié le licenciement pour inaptitude de M. [H] et qu’il n’y a pas lieu à requalification et le déboute, en conséquence, de ses demandes financières (indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et indemnité compensatrice de préavis),
-déboute M. [H] de sa demande de rappel d’heures supplémentaires, frais de déplacement et heures de nuit,
– laisse à la charge de chacune des parties les frais engagés pour assurer sa propre défense,
– déboute, en conséquence, la société LEROY ET [N] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamne M. [H] [S] aux entiers frais et dépens.
M. [S] [H] a relevé appel de ce jugement, par déclaration électronique du 4 janvier 2021.
Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 14 novembre 2022 au terme desquelles M. [S] [H] demande à la cour de :
-infirmer le jugement du Conseil des Prud’hommes d’Hazebrouck en toutes ses
dispositions
Jugeant à nouveau,
A titre principal
-prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [H] aux torts de l’employeur
A titre subsidiaire
-prononcer le licenciement de M. [H] comme étant sans cause réelle et sérieuse
En tout état de cause
-condamner la société LEROY ET [N] à verser à M. [H] :
-à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 25 000 €
-à titre d’indemnité compensatrice de préavis : 4 284.12€
-à titre de congés payés sur préavis : 428.42 €
-Condamner la Société LEROY ET [N] à verser à M. [H] :
– 2 920.82 € au titre des heures supplémentaires accomplies et non réglées
– 548.60 € au titre des frais de déplacement
– 201.75 € au titre des heures de nuit
-Condamner la société LEROY et DASSONVILE aux entiers frais et dépens de l’instance outre une
somme de 2000,00€ au titre de l’article 700 du CPC pour les frais de première instance et 2500.00 € pour la procédure d’appel
-Débouter la société LEROY ET [N] de toutes ses demandes fin et conclusions
Au soutien de ses prétentions, M. [S] [H] expose que :
– La résiliation judiciaire de son contrat de travail se trouve fondée sur les manquements de l’employeur liés au non-respect des règles d’hygiène et de sécurité, à la diffusion d’instructions illégales visant à se mettre en repos lors des chargements et déchargements en entreprise, à sa mise au placard avec une réduction des heures de travail et une affectation sur des trajets courte distance, au manquement à l’obligation de sécurité de résultat compte tenu des faits de harcèlement moral subis, et au non paiement des heures supplémentaires, suite aux rectifications opérées par la société LEROY ET [N].
– Subsidiairement, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse dans la mesure où son inaptitude résulte d’un manquement de l’employeur ayant contribué à la dégradation de son état physique du fait des pressions et du harcèlement moral auxquels il a été soumis ainsi que des mauvaises conditions de travail.
– Il n’a pas non plus été réglé de l’intégralité de ses heures de travail, frais de déplacement et heures de nuit pour la période entre 2016 et 2018, dès lors que les temps de travail enregistrés par le salarié avant ou après la conduite correspondent bien à des temps effectifs de travail et non à des temps de repos au cours desquels le salarié peut vaquer à ses obligations personnelles et que l’employeur ne démontre pas que les temps réclamés correspondent à des temps de pause et de repos ou que le salarié se serait mis en position travail pendant la pause du midi.
– L’employeur ne pouvait pas apporter des modifications aux relevés d’heures et n’avait donné aucune précision aux chauffeurs concernant les consignes de chargement ou déchargement ni même de quelconques fiches de transport avec des heures précises de rendez vous.
– Il devait également assumer les chargements et déchargements, les réparations ou le lavage de son véhicule, de sorte qu’il lui est dû un rappel de salaire et les congés payés y afférents. Il n’a jamais été mis en garde ou averti concernant une mauvaise manipulation de l’appareil tachygraphe.
Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 15 novembre 2022, dans lesquelles la société LEROY ET [N], intimée, demande à la cour de :
– confirmer le jugement frappé d’appel,
-débouter M. [H] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– condamner M. [H] à payer à la société LEROY ET [N] la somme de 1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– le condamner aux entiers frais et dépens.
A l’appui de ses prétentions, la société LEROY ET [N] soutient que :
– M. [H] ne démontre pas les manquements reprochés à son employeur et fondant sa demande de résiliation judiciaire, les pièces produites afférentes aux conditions de travail concernant l’ancien dépôt de la société, un véhicule qu’il n’a jamais conduit, et alors que le matériel et les conditions de travail ont été inspectés et contrôlés conformément à la réglementation en vigueur ainsi que par la médecine du travail.
– S’il est établi un syndrome anxiodépressif du salarié, aucun lien avec le travail ne saurait résulter de l’attestation du médecin traitant de l’intéressé.
– M. [H] ne rapporte aucun élément laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, ce alors que l’employeur justifie des équipements mis à disposition des salariés ainsi que de 18 véhicules neufs sur 23.
– Il n’y a donc pas lieu au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, ni à sa requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– Dans ces conditions, au regard de son licenciement pour inaptitude, M. [H] ne peut prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents.
– -En outre et en tout état de cause, si le licenciement devait être déclaré sans cause réelle et sérieuse, l’ancienneté de M. [H] inférieure à douze ans ne lui permet de prétendre qu’à une indemnité entre 3 et 10,5 mois de salaire brut.
– Concernant la demande au titre des heures de travail, frais de déplacement et heures de nuit demeurées impayées, celle-ci n’est pas fondée, en ce que le chronotachygraphe est programmé pour passer en mode travail dès que le véhicule est à l’arrêt, que le passage en mode repos nécessite une intervention manuelle du conducteur, qu’en cas d’oubli, le calcul des heures est erroné, comptabilisant alors comme temps de travail des pauses repas ou des coupures avant chargement ou déchargement, que surtout, au sein de l’entreprise, les chauffeurs n’accomplissent aucun autre travail que les débâchages, les arrimages, la surveillance des opérations et le remplissage des documents de transport.
– L’examen des relevés de lecture de carte montre que le conducteur ne s’est pas soucié de l’enregistrement fidèle de son activité, conduisant l’employeur à y apporter les corrections nécessaires, ce d’autant que des indications et feuilles de route précises étaient remises aux chauffeurs.
– La demande de rappel de salaire n’est pas fondée, ce d’autant que les calepins de M. [H] mentionnent eux même certaines erreurs de manipulation et approximations.
– Concernant les frais de déplacement, ceux-ci sont réglés forfaitairement dans le strict respect des dispositions conventionnelles, toute demande en dehors du champs conventionnel n’ayant pas été prise en compte.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 17 novembre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur les rappels d’heures supplémentaires, frais de déplacement et heures de nuit:
– Sur les heures supplémentaires et les heures de nuit :
Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
A l’appui de sa demande de rappel de salaire, M. [S] [H] produit :
– un tableau récapitulatif des années 2016 à 2018 lequel reprend pour chaque mois les temps de service effectifs, les temps de service retenus par l’employeur et le différentiel, les frais de déplacement exposés et payés par la société LEROY ET [N] ainsi que le différentiel et,enfin, les heures de nuit effectuées, la prime payée, le montant effectivement dû et le différentiel.
– 3 cahiers ou carnets de bord renseignés au jour le jour par le salarié pour les années 2016, 2017 et 2018 lesquels mentionnent pour chaque jour de travail , les horaires complets et le listing de toutes les tâches réalisées avec les horaires précis mais également les heures de repas, les heures de début et fin de travail, le kilométrage réalisé à chaque étape ainsi que le kilométrage affiché sur le compteur de son véhicule et les « découchers ».
– une attestation de M. [C] [E], salarié de l’entreprise de juin à septembre 2017 indiquant l’absence d’ordres de mission écrits, des informations données par téléphone (nom du client et ville) et, parfois, une absence de communication de l’heure de livraison afin d’obliger les chauffeurs à se dépêcher et à reprendre une nouvelle livraison après, des manques d’informations concernant le volume du matériel pris en charge, et la nécessité de laver le véhicule devant la porte au moyen d’une échelle, d’une brosse et d’un karcher en mauvais état.
-une attestation de M. [I] [X], salarié de l’entreprise en septembre 2017 qui fait état de l’absence d’ordre de mission écrit, faute d’informatique embarqué, une communication téléphonique des missions de transport, des consignes données afin de se mettre après chaque livraison en coupure et du lavage de camion par les conducteurs au dépôt à l’aide d’un karcher en très mauvais état.
– une attestation d'[P] [W] qui relate l’absence d’ordres de missions écrits clairs, la réalisation des opérations de chargement et déchargement par les conducteurs, la consigne de se mettre en coupure pendant ces opérations « sous peine d’être mis à la soupe », la demande d’arriver « avant l’heure de rendez vous qu’on ne connaissait pas pour être repartis le plus tôt possible ».
– une attestation de M. [S] [N], salarié de 2015 à 2017, qui expose que les missions étaient données par téléphone, que les adresses étaient incomplètes, qu’il n’y avait pas d’horaire précis et qu’aucune précision n’était donnée concernant le chargement lequel était effectué exclusivement par le chauffeur.
– une photographie du karcher et d’un mot invitant à le ranger correctement pour le chauffeur suivant.
Ainsi, il résulte de l’ensemble de ces éléments que M. [S] [H] présente, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
De son côté, la SARL LEROY ET [N] démontre que les enregistrements automatiques des temps de conduite sont effectués au moyen d’un chronotachygraphe, dispositif de contrôle embarqué, et que lorsque le véhicule se trouve à l’arrêt le dispositif est paramétré pour se placer automatiquement en mode « travail ». Ainsi, le passage en mode « repos » nécessite une manipulation et intervention manuelle du conducteur.
L’employeur produit également un tableau établi par ses soins et intitulé différences d’activité pour la période du 1er mai 2016 au 31 décembre 2018 mentionnant les données brutes, les données modifiées ainsi que l’écart constaté. Il est, par ailleurs, communiqué un second document expliquant les correctifs appliqués et leur motif, notamment lié à un « travail » avant le début ou après la fin de journée, un « travail » pendant la coupure repas, un « travail » à l’arrivée sur site avant consignes de livraison/ chargement, un « travail » suite à oubli de retrait de carte, un « travail » durant une interruption de conduite, pause règlementaire, un « travail » alors que le salarié était manifestement en attente, une erreur de manipulation , et même, en faveur du salarié, en « repos » alors qu’il se trouvait, en réalité, en attente et donc des heures rajoutées par l’entreprise.
La société intimée admet, dès lors, avoir procédé à des correctifs manuels sur le dispositif de contrôle embarqué, afin de réduire la durée de travail du salarié ou de maintien à disposition de son employeur.
Néanmoins et en premier lieu, le fait de pouvoir modifier unilatéralement les données du chronotachygraphe remet en cause la fiabilité du système mis en place par la SARL LEROY ET [N] à qui il incombe de garantir à ses salariés un dispositif de contrôle embarqué adapté à leur travail et à la nature de leurs missions.
En outre, si la société intimée soutient pour certains correctifs qu’ils correspondent à une arrivée prématurée sur le lieu de chargement ou de déchargement, elle ne verse aux débats, pour une grande partie des correctifs apportés sur ce fondement, aucun ordre de mission mentionnant le lieu de rendez vous, l’identité du client et l’heure prévue, nonobstant les attestations établies par M. [D] [Y], chauffeur et Mme [U] [O], employée du service administratif, laquelle indique donner aux conducteurs les informations nécessaires à la réalisation des missions et notamment les date, heure, lieu de chargement, date , heure et lieu de livraison. A cet égard, les pièces produites par le salarié remettent en cause l’existence de tels ordres de missions écrits ou suffisamment précis au profit d’informations données par téléphone, parfois accompagnées d’un horaire, parfois sans.
Dans ces conditions, il ne peut être tenu compte des correctifs opérés dans un contexte d’arrivée prématurée dont le lieu et l’horaire du rendez vous ne sont pas justifiés et ont donné lieu à un maintien du chauffeur à la disposition de son employeur aux directives duquel il restait soumis sans possibilité de vaquer à ses obligations personnelles.
Par ailleurs, les pièces produites permettent également de retenir que, si chez certains clients les opérations de chargement / déchargement n’étaient pas assurées par les chauffeurs mais par leur propre personnel, d’autres requéraient l’intervention complète du chauffeur de la société LEROY ET [N] à cette fin, ce conformément au matériel remis à ces derniers (attestation de Mme [O]). Les opérations de chargement/déchargement ne doivent, dès lors, pas donner lieu à rectificatif sauf pour l’employeur à démontrer la prise en charge par ledit client des chargements et déchargements, ce qu’il ne fait pas en l’espèce.
En outre, dès lors que les relevés du salarié laissent apparaître une coupure, il n’y a pas lieu de déduire des horaires dits de « travail » une pause déjeuner dont la réalisation est d’ores et déjà prise en compte.
A l’inverse, il doit être tenu compte des rectifications opérées par l’employeur et dont le bien fondé est justifié par la production d’une fiche de mission, d’une capture d’écran informatique reprenant les heures et lieux de livraison prévus ainsi que de l’extrait du chronotachygraphe correspondant permettant de relever une arrivée très anticipée par rapport à l’horaire prévu et justifiant d’une absence de maintien à la disposition de l’employeur pendant ce délai (ex:4 septembre 2016, 20 février 2017, 15 juin 2017,14 août 2017, 14 mai 2018).
De la même façon, il y a lieu de retenir les rectifications opérées concernant les cas où le tachygraphe est resté en position travail après la fin de service ou durant toute la nuit de façon injustifiée, cette erreur étant démontrée par la communication de l’extrait journalier correspondant du système de contrôle et/ou par le cahier de bord de M. [H] (ex: 4 octobre 2016, 9 et 10 mai 2017, 2 et 3 septembre 2017).
Par ailleurs, il est également retenu les rectifications opérées par la société LEROY ET [N] concernant les pauses repas, dès lors qu’il est produit le relevé chronotachygraphe correspondant et qu’il n’est constaté aucune pause sur la période concernée (ex: 18 août 2016, 10 janvier 2017,17 mars 2017, 6 juillet 2017).
Enfin, il est également tenu compte des quelques erreurs du décompte de M. [H], qui comparé à ses cahiers de bord et aux extraits du tachygraphe, conduisent à constater le maintien en position « travail » alors que celui-ci avait confié son véhicule au garage, avait fait halte pour son déjeuner dans une friterie, ou connaissait un problème de fonctionnement de son tachygraphe.
Par conséquent, au regard de tous ces éléments avancés par l’une et l’autre partie et pris dans leur ensemble, la cour fixe à 1956,94 euros le montant du rappel d’heures supplémentaires dû à M. [S] [H].
Concernant les heures de nuit et conformément aux développements repris ci-dessus et notamment aux erreurs relevés afférentes à quelques oublis de retrait de carte durant la nuit ou après la fin de journée, les sommes dues à ce titre sont fixées à 135,20 euros.
Le jugement est infirmé concernant les rappels d’heures supplémentaires et d’heures de nuit.
– Sur les frais de déplacement :
M. [S] [H] sollicite le paiement d’un rappel de frais de déplacement correspondant exclusivement à des repas.
Dans le cadre de la convention collective nationale des transports routiers, les frais de déplacement sont indemnisés conformément aux dispositions issues du protocole du 30 avril 1974 relatif aux ouvriers- frais de déplacement annexe I. Des horaires précis permettant l’attribution des frais sont, par ailleurs, fixés par la convention collective, de sorte qu’un repas pris en dehors des horaires fixés ne peut pas ouvrir droit à l’octroi de frais de déplacement.
A l’appui de sa demande, l’appelant verse aux débats, outre ses cahiers de bord, un tableau explicatif des frais de déplacement au cours des années 2016 à 2018 précisant, pour chaque mois, le montant versé par la société LEROY ET [N], le montant qui aurait dû être versé au salarié, et la différence.
De son côté, la société intimée produit un tableau explicatif des frais de déplacement ainsi que des extraits du chronotachygraphe avec des mentions explicatives.
Il résulte, par suite, de ces éléments et de leur comparaison avec les cahiers de bord et les extraits du tachygraphe que les frais de déplacement dont le rappel est sollicité ont été légitimement refusés à M. [S] [H] soit en raison de l’heure de prise de service ou de l’heure de fin de service antérieures ou concomitantes aux horaires déterminés par la convention collective et ouvrant un droit à repas, étant précisé que la société LEROY ET [N] a également à plusieurs reprises payé des repas dont la déclaration avait été omise par le salarié.
M. [S] [H] est, par conséquent, débouté de sa demande formée au titre des frais de déplacement et le jugement entrepris est confirmé sur ce point.
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :
Le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.
La résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse avec toutes ses conséquences de droit.
M. [S] [H] fonde sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail sur les manquements de l’employeur liés au non-respect des règles d’hygiène et de sécurité, à la diffusion d’instructions illégales visant à se mettre en repos lors des chargements et déchargements en entreprise, à sa mise au placard avec une réduction des heures de travail et une affectation sur des trajets courte distance, au manquement à l’obligation de sécurité de résultat compte tenu des faits de harcèlement moral subis, et au non paiement des heures supplémentaires, suite aux rectifications opérées par la société LEROY ET [N].
– Sur le non-respect des règles d’hygiène et de sécurité :
Concernant les mauvaises conditions de travail et le mauvais état du matériel et des véhicules mis à disposition du salarié, M. [S] [H] produit plusieurs photographies, outre deux attestations de MM. [C] [E] et [I] [X], ayant travaillé au sein de l’entreprise, lesquels font état de conditions de travail « exécrables » dans un entrepôt, de la présence d’excréments, de toilettes sales et inutilisables, de véhicules en mauvais état ainsi que de la mise à disposition d’un kärcher en très mauvais état.
La société LEROY ET [N] ne conteste pas que les photographies produites représentent ses anciens locaux dont elle dit avoir déménagé depuis janvier 2018. Or, les pièces produites démontrent que ce déménagement n’est pas intervenu plus d’une année avant le licenciement de M. [H] mais courant janvier 2019, soit quelques semaines avant celui-ci.
Les éléments produits démontrent que les locaux se trouvaient encombrés de matériels divers, voire de déchets et d’excréments et que l’employeur n’a mis à la disposition de ses salariés qu’un unique toilette très vétuste et particulièrement sale, sans autre point d’eau.
Et si les entrepôts ne constituent pas le lieu de travail permanent des salariés, il n’en reste pas moins qu’ils doivent leur permettre de bénéficier au départ et à l’arrivée de leurs différents trajets de conditions d’hygiène et de sécurité satisfaisantes, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
La société LEROY ET [N] a, par conséquent, gravement manqué à ses obligations à cet égard, peu important que les nouveaux locaux soient désormais conformes et qu’ils aient fait l’objet d’une évaluation favorable Ecovadis en février 2021.
– Sur la diffusion d’instructions illégales :
M. [S] [H] se prévaut de ce qu’il était donné pour instructions à l’ensemble des chauffeurs de se mettre en repos lors des chargements et déchargements en entreprise.
Néanmoins, aucune pièce ne se trouve produite à cet égard, la preuve d’instructions illégales ne pouvant résulter de la seule attestation de deux salariés ayant travaillé durant quelques mois pour le compte de la société LEROY ET [N], non corroborée par d’autres éléments.
Ce manquement n’est pas établi.
– Sur sa mise à l’écart, la réduction des heures de travail et une affectation sur des trajets courte distance :
Il ne résulte pas des pièces produites et notamment des bulletins de salaire de M. [H] que celui-ci ait connu une réduction de ses heures de travail ou aurait été affecté à des trajets de courte distance.
Ce manquement n’est pas établi.
– Sur le harcèlement moral et le manquement à l’obligation de sécurité :
Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Respecte l’obligation de sécurité, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail (actions de prévention, d’information, de formation…) et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
Par ailleurs, aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, M. [S] [H] soutient que la société LEROY ET [N] a manqué à son obligation de sécurité de résultat, au regard des faits de harcèlement subis.
A l’appui de ses allégations, il verse aux débats :
– une lettre recommandée avec accusé de réception adressée le 6 février 2018 par M. [H] à l’employeur au terme de laquelle celui-ci se plaint d’une activité réduite avec des journées de 3-4 heures alors que d’autres conducteurs ont des journées bien remplies. Il fait état d’une mise à l’écart mais rappelle à la société LEROY ET [N] son obligation de lui payer son salaire et de lui fournir du travail.
– le courrier en réponse de l’employeur du 20 février 2018 lequel conteste les griefs allégués et fait le constat de 179h83 travaillées au cours des semaines « incriminées », outre une journée chômée payée le 1er janvier et un jour de congé payé.
– un mail de M. [H] adressé à la société le 31 mai 2018 sollicitant une rupture conventionnelle « pour des raisons de bien être et de santé qui ne lui sont plus favorables ».
– un compte rendu d’entretien très succinct.
– une lettre recommandée de l’employeur du 22 juin 2018 lequel fait état de son refus de rupture conventionnelle, notamment compte tenu du contentieux ouvert par le salarié.
– une prescription médicale du 16 février 2019 du Dr [J] et un courrier du médecin traitant du 8 mars 2019 du médecin traitant s’adressant au médecin du travail et faisant part du souhait du salarié de s’entretenir avec lui de ses conditions de travail dans un contexte de syndrome anxio-dépressif.
– une demande du médecin du travail du 18 mars 2019 qui fait état de ce que « son état clinique est préoccupant quant à un syndrome anxio-dépressif allégué en lien avec un contexte professionnel dégradé » et demande des précisions sur le suivi et le traitement.
– une réponse du médecin traitant du 18 mars 2019 indiquant que M. [H] « présente depuis un an une dégradation de ses conditions de travail et une relation compliquée avec son patron. Il se plaint d’être peu considéré et se sent oppressé et surmené. Cela se traduit depuis quelques mois par un syndrome anxiodépressif nécessitant un traitement de fond antidépresseur et anxiolytique ».
– un avis d’inaptitude du 9 avril 2019 avec dispense de reclassement, mentionnant que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.
– un courrier adressé par un autre salarié, M. [A], à l’employeur lui reprochant des faits de harcèlement moral.
Néanmoins, ces seuls éléments émanent pour la plupart de M. [H] et reposent exclusivement sur des courriers rédigés par celui-ci à l’intention de son employeur lequel y a répondu. Aucune pièce ne vient étayer ces allégations, étant précisé que, concernant les éléments médicaux produits, s’ils font état d’une souffrance au travail de l’intéressé, ils n’en évoquent pas pour autant la relation de faits de harcèlement moral.
Aucune diminution des horaires ni aucune mise à l’écart ou sanction injustifiée n’est, par ailleurs établie. Le refus de la rupture conventionnelle dans un contexte conflictuel salarié/employeur ne caractérise pas non plus un agissement de harcèlement moral.
Dans le même sens, si le non-paiement de certaines heures supplémentaires en lien avec la rectification des relevés tachygraphes est avéré, il s’inscrit non pas dans un acte de harcèlement dirigé contre le salarié mais dans un système généralisé mis en place par la société LEROY ET [N] pour l’ensemble des chauffeurs de l’entreprise.
Enfin, le fait pour un autre salarié d’avoir reproché à la société LEROY ET [N] un harcèlement moral n’est pas de nature à justifier de faits matériellement établis à l’encontre de l’appelant.
Il en résulte que M. [S] [H] ne justifie pas de faits matériellement établis qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral dont il aurait été victime.
Ce grief n’est pas établi.
– Sur le non paiement des heures supplémentaires :
Il résulte des développements repris ci-dessus au titre des rappels d’heures supplémentaires que la SARL LEROY ET [N] a procédé à plusieurs reprises à des rectifications infondées des relevés d’heures retenus par le tachygraphe embarqué à bord du camion conduit par M. [H] conduisant à une minoration de ses revenus de l’ordre de près de 2000 euros.
Or, le fait pour un employeur de minorer les heures de travail de ses salariés ou encore de ne pas leur rémunérer des heures supplémentaires constitue un manquement grave dudit employeur à ses obligations.
Par conséquent, au regard de l’ensemble de ces éléments, l’employeur a gravement manqué à ses obligations à l’égard de M. [S] [H] tant en ce qui concerne les conditions d’hygiène et de sécurité au sein de l’entrepôt que du non-paiement d’un grand nombre d’heures supplémentaires réalisées, ce qui a empêché la poursuite de son contrat de travail et justifie le prononcé de la résiliation judiciaire dudit contrat aux torts de l’employeur.
La date d’effet de cette résiliation judiciaire doit, en outre, être fixée au jour du licenciement soit le 7 mai 2019.
La résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [S] [H] produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences de la résiliation judiciaire :
-au titre du préavis et des congés payés y afférents :
Le salarié déclaré inapte à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis.
Toutefois, en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, le salarié a droit à l’indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés afférents, même s’il est dans l’impossibilité d’exécuter le préavis.
M. [S] [H] est, par conséquent, fondé à obtenir le paiement de la somme de 4284,12 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 428,41 euros au titre des congés payés y afférents, étant précisé que les montants réclamés ne sont pas remis en cause par la société LEROY ET [N].
– au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
En application de l’article L1235-3 du code du travail applicable à l’espèce, si un licenciement intervient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse et qu’il n’y a pas réintégration du salarié dans l’entreprise, il est octroyé à celui-ci, à la charge de l’employeur, une indemnité dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés, dans le cadre des tableaux repris auxdits articles.
Ainsi, compte tenu de l’effectif supérieur à 11 salariés de la société LEROY ET [N], de l’ancienneté de M. [H] (pour être entré au service de l’entreprise à compter du 17 décembre 2007), de son âge (pour être né le 18 janvier 1980) ainsi que du montant de son salaire brut mensuel ( 1645,04 euros) et de l’absence de justificatif de situation postérieure au licenciement, le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est fixé à 16 000 euros.
Le jugement entrepris est infirmé en ce qu’il a débouté M. [H] de l’ensemble de ses demandes financières.
Sur l’application de l’article L1235-4 du code du travail :
Le licenciement de M. [H] ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu de faire application des dispositions de l’article L1235-4 du code du travail.
En conséquence, la cour ordonne le remboursement par la SARL LEROY ET [N] aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. [S] [H], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé dans la limite de trois mois d’indemnités de chômage.
Sur les autres demandes :
Les dispositions du jugement entrepris afférentes aux dépens et aux frais irrépétibles sont infirmées.
Succombant partiellement à l’instance, la SARL LEROY ET [N] est condamnée aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à M. [S] [H] 2500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ladite somme recouvrant les frais exposés devant la juridiction prud’homale et la cour d’appel.