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ARRÊT DU
17 Février 2023
N° 283/23
N° RG 21/00022 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TLZ6
VCL/VM
AJ
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de HAZEBROUCK
en date du
30 Novembre 2020
(RG 19/00012 -section 2 )
GROSSE :
aux avocats
le 17 Février 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [B] [U]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Me Céline VENIEL, avocat au barreau de SAINT-OMER
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/22/010325 du 02/12/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉE :
S.A.R.L. LEROY ET DASSONVILLE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Hervé JOLY, avocat au barreau de DUNKERQUE
DÉBATS : à l’audience publique du 08 Décembre 2022
Tenue par Virginie CLAVERT
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Séverine STIEVENARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 17 Février 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 17 novembre 2022
EXPOSE DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES :
La SARL LEROY ET DASSONVILLE a engagé M. [B] [U] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 9 mai 2016 en qualité de conducteur routier M138.
Ce contrat de travail était soumis à la convention collective nationale des transports routiers.
M. [B] [U] a été placé en arrêt maladie à compter du 27 juillet 2017.
Par lettre datée du 10 février 2018, M. [B] [U] s’est vu notifier son licenciement pour absence prolongée supérieure à 6 mois, désorganisation de l’entreprise et nécessité de procéder à son remplacement définitif et nécessité absolue de proposer un effectif stable et suffisant dans le cadre de la renégociation de divers contrats commerciaux.
Saisi d’une demande de communication des relevés chronotachygraphes depuis son embauche, et par ordonnance de référé du 20 mars 2019, le conseil de prud’hommes d’Hazebrouck a constaté l’existence d’une contestation sérieuse et a débouté M. [B] [U] de l’ensemble de ses demandes.
Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant divers rappels de salaire et indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, M. [B] [U] a saisi le 6 février 2019 le conseil de prud’hommes d’Hazebrouck qui, par jugement du 30 novembre 2020, a rendu la décision suivante :
-dit et juge que le licenciement de M. [U] [B] est fondé sur des causes réelles et sérieuses et le déboute, en conséquence, de sa demande de requalification,
-dit et juge que M. [U] [B] n’apporte pas la matérialité de faits précis et répétés laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral,
-dit et juge que les états fournis par M. [U] à l’appui de sa demande de paiement d’heures de travail ne sont ni probants ni recevables,
-déboute, en conséquence, M. [U] de l’ensemble de ses demandes,
-déboute la société LEROY et DASSONVILLE de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamne M. [U] [B] aux entiers frais et dépens.
M. [B] [U] a relevé appel de ce jugement, par déclaration électronique du 4 janvier 2021.
Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 14 novembre 2022 au terme desquelles M. [B] [U] demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de :
– JUGER sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [U]
– Condamner la société LEROY ET DASSONVILLE à réparer le préjudice de M. [U] consécutif à cette rupture abusive à hauteur de 10 000.00 €.
– Constater que la société LEROY ET DASSONVILLE a manqué à son obligation de sécurité de résultat
– En conséquence, Condamner la SARL LEROY ET DASSONVILLE à verser à M. [U] la somme de 4 000.00 € au titre du préjudice subi
– Condamner la SARL LEROY ET DASSONVILLE à payer à M. [U] la somme de 192.88€ brut outre 19.28 € au titre des congés payés afférents.
– Condamner la SARL LEROY ET DASSONVILLE aux entiers frais et dépens de l’instance outre une somme de 2000.00 € pour la procédure de première instance et une somme de 2000.00 € pour la procédure d’appel.
-Débouter la SARL LEROY ET DASSONVILLE de toutes ses demandes , fins et conclusions.
Au soutien de ses prétentions, M. [B] [U] expose que :
-Son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, dans la mesure où la convention collective applicable prévoit une garantie d’emploi pour les salariés absents pour une durée au plus égale à 6 mois. Or, la rupture de son contrat de travail est intervenue avant que son arrêt maladie n’ait atteint une durée de six mois.
-Par ailleurs, le motif du licenciement n’est ni réel ni sérieux, en ce qu’aucune perturbation de l’entreprise au moment du licenciement n’est établie, que la rupture est intervenue en basse saison, qu’il pouvait facilement être remplacé par un intérimaire, que les autres salariés de l’entreprise pouvaient pallier ses absences et se répartir ses tâches
-Le remplacement du salarié par l’embauche d’un chauffeur n’est pas non plus établi, ce d’autant que plusieurs chauffeurs ont été licenciés au cours de la même période ou ont démissionné.
-La société LEROY ET DASSONVILLE a également manqué à son obligation de sécurité de résultat, au regard des pressions et harcèlement subis et du fait qu’il était soumis à de mauvaises conditions de travail et disposait de matériel en mauvais état.
-Il n’a pas non plus été réglé de l’intégralité de ses heures de travail, dès lors que les temps de travail enregistrés par le salarié avant ou après la conduite correspondent bien à des temps effectifs de travail et non à des temps de repos au cours desquels le salarié peut vaquer à ses obligations personnelles et que l’employeur ne démontre pas que les temps réclamés correspondent à des temps de pause et de repos ou que le salarié se serait mis en position travail pendant la pause du midi.
-L’employeur ne pouvait pas apporter des modifications aux relevés d’heures et n’avait donné aucune précision aux chauffeurs concernant les consignes de chargement ou déchargement ni même de quelconques fiches de transport avec des heures précises de rendez vous.
-Il devait également assumer les chargements et déchargements, les réparations ou le lavage de son véhicule, de sorte qu’il lui est dû un rappel de salaire et les congés payés y afférents.
Vu les dernières conclusions notifiées par RPVA le 15 novembre 2022, dans lesquelles la SARL LEROY ET DASSONVILLE, intimée, demande à la cour de :
-confirmer le jugement frappé d’appel,
-débouter M. [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
-condamner M. [U] à payer à la société LEROY ET DASSONVILLE la somme de 1500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
-le condamner aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel.
A l’appui de ses prétentions, la société LEROY ET DASSONVILLE soutient que :
-Le licenciement de M. [U] n’a pas été prononcé de manière prématurée, dès lors qu’au regard du début de son arrêt de travail au 1er août 2017, il a été licencié 14 jours après les six premiers mois de son absence, conformément à l’article 16-1 de la convention collective applicable.
-L’absence prolongée du salarié a perturbé le bon fonctionnement de l’entreprise en ce qu’il était impossible d’anticiper la date prévisible de son retour , un audit ayant mis en évidence le poids de l’absentéisme sur les comptes de l’entreprise, que cette dernière maintient chaque conducteur sur le véhicule qui lui est attribué, que les absences ont conduit à un niveau de productivité médiocre et qu’il était indispensable de conserver la confiance des trois principaux clients, ce dans un contexte d’accroissement des besoins et de pénurie de chauffeurs.
-En outre et en tout état de cause, si le licenciement devait être déclaré sans cause réelle et sérieuse, l’ancienneté de M. [U] inférieure à deux ans ne lui permet de prétendre qu’à une indemnité entre un et deux mois de salaire brut.
-L’employeur n’a pas non plus manqué à son obligation de sécurité, M. [U] n’établissant nullement la matérialité des faits allégués.
-Concernant la demande au titre des heures de travail demeurées impayées, celle-ci n’est pas fondée, en ce que le chronotachygraphe est programmé pour passer en mode travail dès que le véhicule est à l’arrêt, que le passage en mode repos nécessite une intervention manuelle du conducteur, qu’en cas d’oubli, le calcul des heures est erroné, comptabilisant alors comme temps de travail des pauses repas ou des coupures avant chargement ou déchargement, que surtout, au sein de l’entreprise, les chauffeurs n’accomplissent aucun autre travail que les débâchages, les arrimages, la surveillance des opérations et le remplissage des documents de transport.
-L’examen des relevés de lecture de carte montre que le conducteur ne s’est pas soucié de l’enregistrement fidèle de son activité, conduisant l’employeur à y apporter les corrections nécessaires au cours de seulement trois mois d’activité de grand routier de M. [U].
-La demande de rappel de salaire n’est pas fondée.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 17 novembre 2022.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur les rappels de salaire et les congés payés y afférents :
Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
A l’appui de sa demande de rappel de salaire, M. [B] [U] produit :
-un tableau incorporé à ses conclusions et mentionnant pour la période située entre mai 2016 et juillet 2017 les 9 mois comportant, selon le salarié, un décalage entre les heures retenues par l’employeur et celles effectivement réalisées, les heures réglées, les heures réalisées, le nombre d’heures impayées et le salaire dû pour un total de 192,88 euros, outre 19,28 euros au titre des congés payés y afférents.
-les relevés d’heures établis par l’intéressé sur toute la période avec le total journalier, hebdomadaire et mensuel, la durée des coupures, du pointage, le nombre d’heures payées par la société LEROY ET DASSONVILLE et le nombre d’heures dues.
-une attestation de M. [I] [R], salarié de l’entreprise de juin à septembre 2017 indiquant l’absence d’ordres de mission écrits, des informations données par téléphone (nom du client et ville) et, parfois, une absence de communication de l’heure de livraison afin d’obliger les chauffeurs à se dépêcher et à reprendre une nouvelle livraison après, des manques d’informations concernant le volume du matériel pris en charge, et la nécessité de laver le véhicule devant la porte au moyen d’une échelle, d’une brosse et d’un karcher en mauvais état.
-une attestation de M. [V] [X], salarié de l’entreprise en septembre 2017 qui fait état de l’absence d’ordre de mission écrit, faute d’informatique embarqué, une communication téléphonique des missions de transport, des consignes données afin de se mettre après chaque livraison en coupure et du lavage de camion par les conducteurs au dépôt à l’aide d’un karcher en très mauvais état.
-une attestation d'[H] [C] qui relate l’absence d’ordres de missions écrits clairs, la réalisation des opérations de chargement et déchargement par les conducteurs, la consigne de se mettre en coupure pendant ces opérations «’sous peine d’être mis à la soupe’», la demande d’arriver «’avant l’heure de rendez vous qu’on ne connaissait pas pour être repartis le plus tôt possible’».
-une attestation de M. [A] DASSONVILLE, salarié de 2015 à 2017, qui expose que les missions étaient données par téléphone, que les adresses étaient incomplètes, qu’il n’y avait pas d’horaire précis et qu’aucune précision n’était donnée concernant le chargement lequel était effectué exclusivement par le chauffeur.
-une photographie du karcher et d’un mot invitant à le ranger correctement pour le chauffeur suivant.
Ainsi, il résulte de l’ensemble de ces éléments que M. [B] [U] présente, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
De son côté, la SARL LEROY ET DASSONVILLE démontre que les enregistrements automatiques des temps de conduite sont effectués au moyen d’un chronotachygraphe, dispositif de contrôle embarqué, et que lorsque le véhicule se trouve à l’arrêt le dispositif est paramétré pour se placer automatiquement en mode «’travail’». Ainsi, le passage en mode «’repos’» nécessite une manipulation et intervention manuelle du conducteur.
L’employeur produit également un tableau établi par ses soins et intitulé différences d’activité pour la période de mai 2016 à juillet 2017 mentionnant les données brutes, les données modifiées ainsi que l’écart constaté. Il est, par ailleurs, communiqué un second tableau expliquant les correctifs appliqués et leur motif, notamment lié à une arrivée anticipée par rapport à l’heure prévue au rendez vous de chargement ou déchargement ou au maintien de la position «’travail’» lors de la coupure du midi.
La société intimée admet, dès lors, avoir procédé à des correctifs manuels sur le dispositif de contrôle embarqué, afin de réduire la durée de travail du salarié ou de maintien à disposition de son employeur.
Néanmoins et en premier lieu, le fait de pouvoir modifier unilatéralement les données du chronotachygraphe remet en cause la fiabilité du système mis en place par la SARL LEROY ET DASSONVILLE à qui il incombe de garantir à ses salariés un dispositif de contrôle embarqué adapté à leur travail et à la nature de leurs missions.
En outre, si la société intimée soutient pour certains correctifs qu’ils correspondent à une arrivée prématurée sur le lieu de chargement ou de déchargement, elle ne verse aux débats aucun ordre de mission mentionnant le lieu de rendez vous, l’identité du client et l’heure prévue, nonobstant les attestations établies par M. [K] [Z], chauffeur et Mme [S] [Y], employée du service administratif, laquelle indique donner aux conducteurs les informations nécessaires à la réalisation des missions et notamment les date, heure, lieu de chargement, date , heure et lieu de livraison… A cet égard, les pièces produites par le salarié remettent en cause l’existence de tels ordres de missions écrits ou suffisamment précis au profit d’informations données par téléphone, parfois accompagnées d’un horaire, parfois sans, analyse confortée par l’absence de communication par la société intimée de quelconques ordres ou fiches de missions.
Dans ces conditions, il ne peut être tenu compte des correctifs opérés dans un contexte d’arrivée prématurée dont le lieu et l’horaire du rendez vous ne sont pas justifiés et ont donné lieu à un maintien du chauffeur à la disposition de son employeur aux directives duquel il restait soumis sans possibilité de vaquer à ses obligations personnelles.
Par ailleurs, les pièces produites permettent également de retenir que, si chez certains clients les opérations de chargement / déchargement n’étaient pas assurées par les chauffeurs mais par leur propre personnel, d’autres requéraient l’intervention complète du chauffeur de la société LEROY ET DASSONVILLE à cette fin, ce conformément au matériel remis à ces derniers (attestation de Mme [Y]). Les opérations de chargement/déchargement ne doivent, dès lors, pas donner lieu à rectificatif sauf pour l’employeur à démontrer la prise en charge par ledit client des chargements et déchargements, ce qu’il ne fait pas en l’espèce.
De la même façon, dès lors que les relevés du salarié laissent apparaître une coupure, il n’y a pas lieu de déduire des horaires dits de «’travail’» une pause déjeuner dont la réalisation est d’ores et déjà prise en compte.
Enfin et à l’inverse, il résulte des tableaux produits par l’employeur que certains rectificatifs allégués par M. [U] et pour lesquels un rappel de salaire est sollicité n’ont, en réalité, pas donné lieu à une quelconque modification de la part de l’employeur.
Par conséquent, au regard de tous ces éléments avancés par l’une et l’autre partie et pris dans leur ensemble, la cour fixe à 115,79 euros le montant du rappel de salaire dû à M. [B] [U], outre 11,57 euros au titre des congés payés y afférents.
Le jugement entrepris est infirmé sur ce point.
Sur l’obligation de sécurité :
Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
L’obligation générale de sécurité se traduit par un principe de prévention au titre duquel les équipements de travail doivent être équipés, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la santé et la sécurité des travailleurs .
Respecte l’obligation de sécurité, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail (actions de prévention, d’information, de formation…) et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
Par ailleurs, aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, M. [B] [U] soutient que la société LEROY ET DASSONVILLE a manqué à son obligation de sécurité de résultat, au regard des pressions et harcèlement subis et du fait qu’il était soumis à de mauvaises conditions de travail et disposait de matériel en mauvais état.
D’une part, concernant les faits de harcèlement moral allégués, l’appelant se prévaut d’une mise au placard avec baisse de travail par rapport aux autres salariés à compter de janvier 2017. A l’appui de ses allégations, il verse aux débats :
-une lettre recommandée qui lui a été adressée par l’employeur le 24 février 2017 évoquant un appel téléphonique de la veille au cours duquel M. [U] leur a fait part d’un sentiment de harcèlement et sollicitant des précisions à cet égard.
-la réponse non datée apportée par M. [B] [U] lequel évoque une panne de la climatisation de son véhicule, une porte arrière difficile à ouvrir, un marche-pied cassé, lesquels n’ont pas été réparés, une très grande fatigue de sa part courant septembre laquelle n’a pas été prise en compte par la société LEROY ET DASSONVILLE qui l’a soumis à un important stress, des altercations et de nombreux coups de téléphone journaliers, outre une baisse de coefficient de 150 à 138 et une modification du nombre d’heures de travail.
-le courrier en réponse apporté par la société LEROY ET DASSONVILLE le 10 mars 2017 réfutant les faits allégués, rappelant le soin pris au maintien en bon état du matériel, et l’absence de modification de son contrat de travail, seules des erreurs ayant été commises dans le cadre du bulletin de salaire de janvier 2017 de l’ensemble des salariés, compte tenu d’erreurs de paramétrage du prestataire chargé de mettre en place la DSN mais pour lesquels les montants calculés sont corrects.
-un courrier adressé par un autre salarié, M. [T], à l’employeur lui reprochant des faits de harcèlement moral.
Néanmoins, ces seuls éléments émanent pour la plupart de M. [U] et reposent exclusivement sur un courrier rédigé par celui-ci à l’intention de son employeur lequel y a répondu. Aucune pièce ne vient étayer ces allégations, étant précisé que, concernant les bulletins de salaire, s’il est justifié d’une erreur de coefficient sur le seul bulletin de salaire de janvier 2017, celle-ci n’a jamais été réitérée au-delà avec un coefficient toujours retenu à hauteur de 150 et surtout n’a engendré aucun impact financier, les sommes versées en janvier 2017 correspondant à un coefficient 150. Aucune diminution des horaires n’est, par ailleurs établie et le fait pour un autre salarié d’avoir reproché à la société LEROY ET DASSONVILLE un harcèlement moral n’est pas de nature à justifier de faits matériellement établis à l’encontre de l’appelant.
Il en résulte que M. [B] [U] ne justifie pas de faits matériellement établis qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral dont il aurait été victime.
D’autre part, concernant les mauvaises conditions de travail et le mauvais état du matériel et des véhicules mis à disposition du salarié, M. [B] [U] se prévaut de plusieurs photographies, outre deux attestations de MM. [I] [R] et [V] [X], ayant respectivement travaillé 4 mois et 1 mois au sein de l’entreprise, lesquels font état de conditions de travail «’exécrables’» dans un entrepôt, de la présence d’excréments, de toilettes sales et de véhicules en mauvais état ainsi que de la mise à disposition d’un kärcher en très mauvais état.
Il incombe à la SARL LEROY ET DASSONVILLE, débitrice de cette obligation de sécurité, de justifier avoir pris des mesures suffisantes pour s’en acquitter.
En l’espèce et à l’exception d’une unique attestation de Mme [S] [Y], employée du service administratif et représentante du personnel faisant état de la mise à disposition aux salariés du matériel nécessaire, la société intimée ne produit aucune pièce de nature à démontrer l’entretien régulier des véhicules, la nature et l’entretien du matériel de chargement et déchargement et la bonne hygiène des locaux pendant la période d’emploi de M. [U], nonobstant le déménagement de l’entreprise dans un autre lieu postérieurement à la rupture de son contrat de travail et la fiche d’évaluation favorable Ecovadis de février 2021 laquelle correspond aux nouveaux locaux.
La société LEROY ET DASSONVILLE ne démontre, dès lors, pas avoir respecté son obligation de sécurité vis à vis de M. [B] [U].
Toutefois, celui-ci n’allègue ni ne démontre aucun préjudice subi de nature à justifier de l’octroi à son profit de dommages et intérêts.
Par conséquent, la demande de dommages et intérêts formée par M. [B] [U] pour manquement à l’obligation de sécurité est, par conséquent, rejetée.
Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.
Sur le licenciement :
Aux termes de l’article L. 1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Par ailleurs, la lettre de licenciement fixe les limites du litige.
Il résulte, en outre, de l’article L. 1132-1 du Code du travail, qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de son état de santé ou son handicap, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail.
Toutefois, ce texte ne s’oppose pas au licenciement motivé, non par l’état de santé du salarié, mais par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par les absences prolongées ou répétées du salarié qui peut être licencié si ces perturbations entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif.
En l’espèce, M. [B] [U] a été licencié, du fait d’une absence prolongée supérieure à six mois continus pour maladie non professionnelle ayant causé une désorganisation de l’entreprise et nécessitant de proposer un effectif stable et suffisant dans le cadre de la renégociation en mars 2018 du contrat InBev, dans le cadre des augmentations de volumes chez le client FM Douvrin au cours du premier semestre 2018, dans le cadre de la renégociation du contrat Heineken pour février 2018 et de la nécessité absolue de disposer de l’ensemble des moyens de production pour faire face aux impératifs saisonniers de l’activité Boisson renforcés par les effets attendus de la coupe du monde de football.
En premier lieu, si M. [B] [U] se prévaut de la garantie d’emploi fixée par la convention collective des transports routiers et de ce que son licenciement est intervenu avant l’expiration du délai de six mois, il ressort des dispositions de l’article 16 de ladite convention que
«1°)’L’absence d’une durée au plus égale à six mois, justifiée par l’incapacité résultant de maladie ou d’accident autre qu’ accident du travail, ne constitue pas une rupture du contrat de travail. (‘) 2°) (…)Lorsque l’absence impose le remplacement effectif de l’intéressé, l’employeur doit aviser, par lettre recommandée, le salarié malade de l’obligation où il se trouve de le remplacer et peut constater la rupture du contrat de travail sous réserve du respect des formalités prévues par les articles L. 122-14 à L. 122-14-2 du code du travail. (‘)’»
Surtout, il résulte des pièces produites que le salarié appelant a été hospitalisé entre le 27 juillet 2017 et le 1er août 2017. Il est justifié de son placement en arrêt maladie, de façon continue, à compter du 2 août 2017.
La SARL LEROY ET DASSONVILLE a convoqué M. [B] [U] à un entretien préalable au licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 26 janvier 2018, puis a licencié celui-ci par lettre du 10 février suivant.
Les dispositions précitées de la convention collective ne précisent pas que la durée de l’absence à prendre en considération pour déterminer l ‘expiration ou non de la durée de garantie d’emploi doit se faire à compter de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement mais à l’inverse fait référence à une appréciation au moment de la rupture du contrat de travail.
Ainsi, en l’espèce, la cour constate qu’au moment de son licenciement daté du 10 février 2018, M. [B] [U] se trouvait absent depuis plus de six mois et ne bénéficiait donc plus de la garantie d’emploi.
Par ailleurs, sur le fond, pour légitimer la rupture du contrat de travail du salarié malade en invoquant le caractère prolongé de son absence, l’employeur doit apporter la preuve de la désorganisation de l’entreprise et de la nécessité de son remplacement définitif.
En l’espèce, la SARL LEROY ET DASSONVILLE verse aux débats un extrait des contrats conclus avec deux clients, la société AB Inbev et la société HEINEKEN, lesquels font tous deux état de l’engagement de la société de transport à couvrir les fluctuations saisonnières, et de la nécessaire mise en place de performances minimales et/ou d’un système de bonus/malus et, le cas échéant, de mesures correctives. A défaut, ces deux clients ont la possibilité de demander la résiliation du contrat, notamment après deux mois consécutifs de performances amoindries.
Néanmoins, aucune pièce ne démontre que l’employeur se soit vu attribuer un malus, ou encore n’aurait pas atteint les performances minimales requises, ni même se serait vu reprocher par lesdits clients un taux de livraison trop faible ou des retards.
En outre, si la société intimée produit la page 4 d’un rapport de 38 pages qu’elle dit correspondre à un audit réalisé en novembre 2017 par une entreprise indéterminée, ce très court extrait ne permet pas de l’attribuer à un contrôle spécifiquement établi au sein de la société LEROY ET DASSONVILLE, dès lors qu’il ne nomme aucune entreprise de façon précise et a été réalisé de façon globale, comme en atteste, par exemple, l’emploi des termes «’entreprise n°5’».
Surtout, s’il est fait un lien général entre l’immobilisation d’un véhicule et l’absence de chauffeurs avec un coût journalier de 605 euros, il n’est pas démontré que le camion attribué à M. [B] [U] a fait l’objet d’une immobilisation effective. Aucun élément financier quel qu’il soit n’est, en outre, communiqué de nature à démontrer une perte financière ou un coût de l’immobilisation sur la période d’arrêt maladie du salarié, ce d’autant que la période d’absence du salarié a coïncidé en majeure partie avec la basse saison de l’activité de l’employeur, tel que mentionné dans les deux extraits de contrats communiqués.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la SARL LEROY ET DASSONVILLE ne justifie ni de répercussions financières effectives durant la période d’absence de M. [B] [U], ni de retards de livraison, ni de plainte de clients, ni d’application d’un malus, ni même d’une surcharge de travail des autres chauffeurs routiers du fait de ladite absence, peu important que les contrats avec trois clients soient en cours de renégociation ou encore qu’une hausse des livraisons de boissons soit envisagée 4 mois plus tard avec le début de la coupe du monde de football.
Il n’est pas non plus justifié de difficultés d’embauche avérées sur des postes en CDD les articles de presse produits étant postérieurs de plus d’une année au licenciement de M. [U].
Dans ces conditions et sans qu’il soit besoin d’examiner la question de la nécessité du remplacement définitif du salarié, la société LEROY ET DASSONVILLE ne rapporte pas la preuve de la désorganisation de l’entreprise et des dysfonctionnements engendrés par l’absence de M. [B] [U].
Le licenciement de celui -ci est sans cause réelle et sérieuse et le jugement entrepris est infirmé.
Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse :
En application de l’article L1235-3 du code du travail applicable à l’espèce, si un licenciement intervient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse et qu’il n’y a pas réintégration du salarié dans l’entreprise, il est octroyé à celui-ci, à la charge de l’employeur, une indemnité dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés, dans le cadre des tableaux repris auxdits articles.
Ainsi, compte tenu de l’effectif supérieur à 11 salariés de la société LEROY ET DASSONVILLE, de l’ancienneté de M. [U] (pour être entré au service de l’entreprise le 9 mai 2016), de son âge (pour être né le 18 novembre 1972) ainsi que du montant de son salaire brut mensuel (1529,12 euros) , le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est fixé à 3000 euros.
Le jugement entrepris est infirmé en ce qu’il a débouté M. [U] de sa demande formée à cet égard.
Sur les autres demandes :
Les dispositions du jugement entrepris afférentes aux dépens et aux frais irrépétibles sont infirmées.
Succombant partiellement à l’instance, la SARL LEROY ET DASSONVILLE est condamnée aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à M. [B] [U] 2500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ladite somme recouvrant les frais exposés devant la juridiction prud’homale et la cour d’appel.