Harcèlement d’un rappeur sur Twitter (X) : l’efficacité de l’article 145 du CPC

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Harcèlement d’un rappeur sur Twitter (X) : l’efficacité de l’article 145 du CPC

Multiplier des attaques à l’encontre d’une personnalité (Rappeur) sur le réseau social X, dans des termes outrepassant les limites de la liberté d’expression et traduisant un acharnement est susceptible de caractériser l’infraction de harcèlement moral aggravé, réprimée par les dispositions de l’article 222-33-2-2 4° du code pénal. Ces publications justifient de recourir à l’article 145 du code de procédure civile.

Twitter (X), en qualité d’hébergeur, est tenu d’apporter son concours pour la lutte contre la diffusion de contenus constituant des cyberviolences et harcèlement en ligne, en application de l’article 6.IV.A. de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) (elle se réserve le droit, en vertu de ses conditions générales d’utilisation, de conserver et divulguer toutes informations pour satisfaire à toute loi ou règlement applicable ou à toute procédure judiciaire).

Pour rappel, l’article 145 du code de procédure civile dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile supposent que soit constatée l’existence d’un procès « en germe » possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés par le défendeur, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée, sous réserve que celle-ci ne consiste pas en une mesure d’investigation générale.

Si ces dispositions ne visent expressément que les mesures d’instruction légalement admissibles, leur champ d’application a été étendu à toutes les mesures tendant à conserver ou établir la preuve des faits ; sont ainsi concernées non seulement les mesures d’instructions proprement dites mais aussi les mesures de production de pièces.

La production forcée doit en outre porter sur des actes ou des pièces déterminés ou déterminables et ne peut porter sur un ensemble indistinct de documents ; ceux-ci doivent être suffisamment identifiés.

Les mesures d’instruction devant être circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi, il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Cass., 2ème civ., 25 mars 2021, n° 20-14.309).

La recherche ou la conservation des preuves doit être utile au futur procès et de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

Résumé de l’affaire :

Contexte de l’affaire

Monsieur [M] [S] et Monsieur [C] [Y], artistes de musique rap, sont en conflit suite à des contenus injurieux publiés sur la plateforme X (anciennement Twitter). Monsieur [M] [S] a assigné la société Twitter International Unlimited Company, responsable de l’hébergement de la plateforme en France, pour obtenir la conservation et la communication de données liées au compte de Monsieur [C] [Y].

Demandes de Monsieur [M] [S]

Monsieur [M] [S] a formulé plusieurs demandes, notamment la conservation des données du compte « @[R] » pour six mois, la communication de contenus supprimés et la mise sous séquestre de ces éléments. Il a également demandé que cette communication soit effectuée dans un délai de huit jours, sous astreinte de 2 000 € par jour de retard.

Arguments de Monsieur [M] [S]

Monsieur [M] [S] soutient que les publications de Monsieur [C] [Y] dépassent les limites de la liberté d’expression et pourraient constituer un harcèlement moral. Il affirme que Twitter, en tant qu’hébergeur, a l’obligation de lutter contre la diffusion de contenus nuisibles et qu’il a besoin de ces données pour prouver les agissements de Monsieur [C] [Y].

Réponse de Twitter International Unlimited Company

La société Twitter a demandé le rejet des demandes de Monsieur [M] [S], arguant qu’il ne justifie pas d’un motif légitime pour les mesures sollicitées. Elle a également souligné que les demandes étaient imprécises et disproportionnées, et que les mesures d’instruction n’étaient pas légalement admissibles.

Décision du tribunal

Le tribunal a décidé d’accueillir la demande de communication des contenus publiés sur le compte « @[R] » pour la période du 1er janvier 2024 au 21 octobre 2024, tout en rejetant la demande de conservation des données pour six mois. La communication devra être faite à l’avocat de Monsieur [M] [S] dans un délai de deux mois.

Conséquences financières

Le tribunal a décidé qu’il n’y aurait pas d’astreinte imposée à Twitter, considérant qu’il n’y avait pas de risque d’inexécution de sa part. Les dépens de la procédure seront à la charge de Monsieur [M] [S].

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions pour ordonner des mesures d’instruction en référé selon l’article 145 du code de procédure civile ?

L’article 145 du code de procédure civile stipule que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, des mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Ces dispositions supposent que soit constatée l’existence d’un procès « en germe » possible et non manifestement voué à l’échec, au regard des moyens soulevés par le défendeur.

Il est également nécessaire que le fondement juridique soit suffisamment déterminé et que la solution puisse dépendre de la mesure d’instruction sollicitée, sous réserve que celle-ci ne consiste pas en une mesure d’investigation générale.

La production forcée doit porter sur des actes ou des pièces déterminés ou déterminables et ne peut porter sur un ensemble indistinct de documents.

Les mesures d’instruction doivent être circonscrites dans le temps et dans leur objet, et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Il incombe donc au juge de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Cass., 2ème civ., 25 mars 2021, n° 20-14.309).

Quels sont les droits et obligations des hébergeurs de contenus en vertu de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) ?

L’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) précise les droits et obligations des hébergeurs de contenus. En vertu de l’article 6.I, les hébergeurs ne sont pas responsables des contenus qu’ils hébergent, à condition qu’ils n’aient pas connaissance de leur caractère illicite.

Cependant, l’article 6.IV.A. impose aux hébergeurs de coopérer à la lutte contre la diffusion de contenus illicites, notamment en retirant promptement les contenus signalés comme illicites.

L’article 6.V.A. précise que les hébergeurs doivent conserver les données d’identification des utilisateurs, mais ne sont pas tenus de conserver les contenus supprimés par les utilisateurs, sauf si ces contenus sont considérés comme illicites.

Les hébergeurs peuvent également conserver des informations pour satisfaire à toute loi ou règlement applicable ou à toute procédure judiciaire, comme le stipule l’article 4 des conditions générales d’utilisation de Twitter.

Comment le juge évalue-t-il la légitimité d’une demande de communication de contenus en référé ?

Le juge évalue la légitimité d’une demande de communication de contenus en se basant sur plusieurs critères. Tout d’abord, il doit s’assurer que le demandeur justifie d’un motif légitime d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige potentiel.

Il doit également vérifier si la mesure sollicitée est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur. Dans le cas présent, le demandeur a produit des captures d’écran qui laissent présumer du caractère malveillant des contenus diffusés.

Le juge doit aussi s’assurer que la mesure de communication est légalement admissible. Les textes invoqués par la partie défenderesse pour s’opposer à la demande doivent être examinés pour déterminer s’ils sont applicables au cas d’espèce.

Enfin, la demande doit être suffisamment circonscrite, tant dans le temps que dans son objet, pour ne pas constituer une mesure d’investigation générale, ce qui pourrait être prohibé par la loi.

Quelles sont les conséquences d’une demande d’astreinte dans le cadre d’une décision de justice ?

L’article L. 131-1 du code de procédure civile d’exécution stipule que tout juge peut ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision. L’astreinte est une somme d’argent que le débiteur d’une obligation doit payer en cas de non-exécution de cette obligation dans le délai imparti.

Cependant, pour qu’une astreinte soit ordonnée, il doit exister des éléments laissant supposer que la partie concernée ne respectera pas la décision de justice. Dans le cas présent, le juge a estimé qu’aucun élément ne laissait supposer que la société Twitter ne respecterait pas la décision, ce qui a conduit à ne pas fixer d’astreinte.

Il est également important de noter que la partie défenderesse à une mesure ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, ce qui a des implications sur la charge des dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

11 décembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
24/57501
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 24/57501 – N° Portalis 352J-W-B7I-C6BBH

N° : 1/MM

Assignation du :
18 Octobre 2024

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 11 décembre 2024

par Lucie LETOMBE, Juge au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEUR

Monsieur [M] [S]
Chez Me Gilles Vercken
[Adresse 1]
[Localité 2]

représenté par Maître Gilles VERCKEN de la SELARL CABINET VERCKEN & GAULLIER, avocats au barreau de PARIS – #P0414

DEFENDERESSE

Société TWITTER INTERNATIONAL COMPAGNY
[Adresse 4]
[Adresse 3]

représentée par Me Karim BEYLOUNI, avocat au barreau de PARIS – #J0098

DÉBATS

A l’audience du 13 Novembre 2024, tenue publiquement, présidée par Lucie LETOMBE, Juge, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [M] [S] et Monsieur [C] [Y] sont des auteurs, compositeurs et artistes-interprètes de musique rap, connus respectivement sous les noms d’artiste « [O] » et « [R] ».

La société Twitter International Unlimited Company est en charge de l’hébergement, de l’exploitation, et du contrôle de la plateforme X (anciennement dénommée « Twitter ») en France. X est une plateforme de conversation publique en temps réel.

Se prévalant de contenus injurieux à son encontre publiés puis effacés par Monsieur [C] [Y] sur le réseau social X, Monsieur [M] [S] a, par acte du 21 octobre 2024, fait assigner la société Twitter International Unlimited Company devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référés aux fins de voir :
– ordonner à la société Twitter International Unlimited Company la conservation pour une durée minimale de six mois, renouvelable par une nouvelle saisine du président du tribunal judiciaire de Paris, des données du compte X dont le nom d’utilisateur est « @[R] », dont l’URL du profil X concerné est https://x.com/[R] incluant les contenus qui ont été supprimés par le titulaire du compte outre les contenus qui sont actuellement en ligne ainsi que ceux qui le seront ultérieurement,
– ordonner la communication, d’une copie de sauvegarde, sur un support exploitable, des contenus visés ci-dessus à Maître [A] [E], commissaire de justice à [Localité 5], aux fins de mise sous séquestre entre les mains de ce dernier, dans l’attente d’une procédure, le cas échéant pénale, et en vue de toute réquisition des autorités de police ou autorités judiciaires,
– juger que cette communication à Maître [A] [E] aux fins de séquestre devra intervenir dans un délai de 8 jours à compter de la décision, sous astreinte de 2 000 € par jour de retard,
– ordonner à la société Twitter International Unlimited Company à lui communiquer une copie de sauvegarde, sur un support exploitable, des contenus publiés sur le compte X dont le nom d’utilisateur est « @[R] », et l’URL du profil X concerné est https://x.com/[R], correspondant soit aux publications (tweets) dont ledit titulaire du compte est directement l’auteur, soit qui ont été republiées sous forme de « retweets»/ « reposts » par ledit titulaire du compte, sur une période remontant au 1er janvier 2022, et incluant les contenus qui ont été supprimés par le titulaire du compte :
– qui interpellent directement [M] [S] avec l’indication « @[O] » soit au début de la publication pour ce que celui-ci soit vu directement par le titulaire de ce compte soit dans la suite du tweet ;
– qui le ciblent au moyen de l’un des hashtags «#» suivants: #[O], #[M], #[S], #[D], #[T], #[J], #[U], #[W], #[B],
– ou qui le visent en le nommant par son nom ou l’un de ses pseudonymes ou surnoms, sans faire figurer le signe «@» ou «#»: « [O] », « [M] », « [S] », « [T] », « [J] », «[U] », « [W] », « [K] »,
– juger que cette communication à Monsieur [M] [S], devra être réalisée directement auprès de l’avocat de ce dernier, Maître Gilles Vercken, dans un délai de 8 jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 2 000 € par jour de retard,
– juger qu’il lui en sera déféré en cas de difficulté,
– se réserver la liquidation de l’astreinte ordonnée aux termes de l’ordonnance,
– rappeler le caractère exécutoire de l’ordonnance.

A l’audience du 13 novembre 2024, Monsieur [M] [S] a, par l’intermédiaire de ses conseils, maintenu les prétentions de son acte introductif d’instance et les moyens qui y sont contenus, sauf en ce qui concerne les « contenus qui sont actuellement en ligne ainsi que ceux qui le seront ultérieurement », demandes pour lesquelles il se désiste oralement. Il précise en outre oralement que ses demandes portent uniquement sur les contenus du compte X dont le nom d’utilisateur est « @[R] », et non sur les données d’identification de ce compte.

Le demandeur expose que :
– Monsieur [C] [Y] ([R]) multiplie les attaques à son encontre sur le réseau social X via le compte « @[R] », dont ce dernier est titulaire, dans des termes outrepassant les limites de la liberté d’expression et traduisant un acharnement à son encontre susceptible de caractériser l’infraction de harcèlement moral aggravé, réprimée par les dispositions de l’article 222-33-2-2 4° du code pénal,

– la défenderesse, en qualité d’hébergeur, est tenue d’apporter son concours pour la lutte contre la diffusion de contenus constituant des cyberviolences et harcèlement en ligne, en application de l’article 6.IV.A. de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) et, alors qu’elle se réserve le droit, en vertu de ses conditions générales d’utilisation, de conserver et divulguer toutes informations pour satisfaire à toute loi ou règlement applicable ou à toute procédure judiciaire,

– il est contraint de saisir juge des référés sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile afin que Twitter lui communique les contenus du compte « @[R] » le ciblant personnellement lui ou ses proches et auxquels il n’a plus accès en raison de leur suppression par Monsieur [C] [Y] ; et plus généralement, dans la perspective d’investigations qui ont vocation à être initiées, il soutient qu’il est impératif que Twitter conserve, pour une durée initiale minimale de six mois, l’intégralité de l’historique en remontant au 1er janvier 2022 des contenus du compte « @[R] », incluant les contenus qui ont été supprimés par le titulaire du compte ;

Il ajoute que les conditions de l’article 145 du code de procédure civile sont réunies :
– aucun procès relatif aux faits litigieux n’existe à ce jour,
– les mesures sollicitées procèdent d’un motif légitime, à savoir disposer des éléments de preuve lui permettant de démontrer les agissements fautifs de Monsieur [C] [Y] ([R]), alors que ce dernier tente d’échapper à toute responsabilité pénale ou civile en supprimant les contenus menaçants et injurieux de son compte le visant,
– les mesures sollicitées sont légalement admissibles, en ce qu’est admise en jurisprudence la communication forcée de pièces détenues par un tiers qui ne serait pas partie au litige en vue duquel la mesure est sollicitée, et qu’il a pris soin de circonscrire précisément, au moyen de mots-clés définis, les contenus dont il sollicite la communication afin de limiter la mesure au strict nécessaire, sans atteinte disproportionnée à la vie privée de Monsieur [C] [Y].

Il conclut que la mesure de conservation et de communication de l’ensemble des contenus du compte X « @[R] » à un commissaire de justice dans la perspective d’une enquête pénale est légitime, eu égard à la nécessité de conservation d’éléments susceptibles de caractériser une infraction pénale.

Par conclusions déposées à l’audience et soutenues oralement par son conseil, la société Twitter International Unlimited Company demande au juge des référés de :
A titre principal,
– débouter Monsieur [M] [S] de l’ensemble de ses demandes,
A titre subsidiaire,
– débouter Monsieur [M] [S] de sa demande tendant à ce que la communication de données intervienne dans un délai de 8 jours à compter de la décision à intervenir,
En tout état de cause,
– débouter Monsieur [M] [S] de ses demandes d’astreinte,
– juger qu’il ne sera pas fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et que chaque partie conservera la charge de ses dépens.

La société Twitter International Unlimited Company soutient en substance que :
– Monsieur [M] [S] ne justifie pas d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile, en ce que les mesures d’instruction sollicitées ne sont ni utiles ni nécessaires en vue du litige potentiel qu’il souhaite initier à l’encontre du titulaire du compte X @[R], le demandeur disposant déjà de quatre captures d’écran des tweets litigieux, suffisantes pour engager une action pénale ;

– le demandeur ne dispose pas d’un motif légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile, en ce que les mesures d’instruction sollicitées sont imprécises, disproportionnées et constituent des mesures générales d’investigation expressément prohibées par ce même texte :
– s’agissant de la mesure de conservation des données et contenus : aucune limitation de temps ni critères de sélection ne sont précisés sur les contenus publiés passés supprimés et ceux à venir,
– s’agissant de la mesure de communication de contenus : les demandes de communication des publications visant directement ou indirectement le demandeur ne sont pas suffisamment circonscrites malgré les mots clés proposés, et visent une période excessive de trois années, sans justification de la pertinence de couverture d’une telle période, et sans date de fin précise ;

– les mesures d’instruction sollicitées par Monsieur [M] [S] ne constituent pas des mesures légalement admissibles au sens de l’article 145 du code de procédure civile, puisque :
– elle n’est pas tenue de conserver les « contenus » mis en ligne par ses utilisateurs sur la plateforme X, l’article 6.V.A. de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) ne prévoyant que la détention, la conservation et la communication des données d’identification, telles définies par le décret LCEN, dont les règles varient selon la finalité poursuivie (pour les besoins des procédures pénales ou de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave),
– les hébergeurs n’ont pas l’obligation de conserver les contenus qui auraient été supprimés de leur plateforme par leurs utilisateurs, à l’exception des contenus illicites retirés par l’hébergeur et conservés par celui-ci afin de pouvoir établir si nécessaire, a posteriori, leur caractère illicite auprès des autorités compétentes ;

– à titre subsidiaire, si les mesures sollicitées étaient ordonnées, la défenderesse fait valoir que leur exécution nécessite au moins un délai de deux mois, et qu’aucun risque d’inexécution de sa part n’est caractérisé, devant conduire au rejet de la demande d’astreinte.

Conformément à l’article 446-1 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé du litige et des prétentions des parties, il est renvoyé à l’assignation, aux écritures déposées et développées oralement à l’audience, et à la note d’audience.

L’affaire a été mise en délibéré au 11 décembre 2024, date de la présente ordonnance.

MOTIVATION

Sur les demandes de communication et de conservation de contenus

L’article 145 du code de procédure civile dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile supposent que soit constatée l’existence d’un procès « en germe » possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés par le défendeur, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée, sous réserve que celle-ci ne consiste pas en une mesure d’investigation générale.

Si ces dispositions ne visent expressément que les mesures d’instruction légalement admissibles, leur champ d’application a été étendu à toutes les mesures tendant à conserver ou établir la preuve des faits ; sont ainsi concernées non seulement les mesures d’instructions proprement dites mais aussi les mesures de production de pièces.

La production forcée doit en outre porter sur des actes ou des pièces déterminés ou déterminables et ne peut porter sur un ensemble indistinct de documents ; ceux-ci doivent être suffisamment identifiés.

Les mesures d’instruction devant être circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi, il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Cass., 2ème civ., 25 mars 2021, n° 20-14.309).

La recherche ou la conservation des preuves doit être utile au futur procès et de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

Au cas présent, Monsieur [M] [S] forme deux demandes distinctes :
– une demande de communication d’une copie de sauvegarde des contenus publiés sur le compte X dont le nom d’utilisateur est « @[R] », correspondant soit aux « tweets » ou aux « retweets » par le titulaire du compte, sur une période remontant au 1er janvier 2022, et incluant les contenus qui ont été supprimés par le titulaire du compte,
– une demande de conservation des données du compte dont le nom d’utilisateur est « @[R]» incluant les contenus supprimés, pour une durée minimale de six mois renouvelable, et de communication à un commissaire de justice aux fins de placement sous séquestre de ces éléments.

– sur la demande de communication de contenus :

Il est suffisamment établi, au moyen des captures d’écran produites de contenus diffusés à partir du compte « @[R] », l’existence d’indices laissant présumer du caractère malveillant et réitéré de ces contenus visant Monsieur [M] [S].

Le demandeur justifie donc d’un motif légitime d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige potentiel l’opposant à Monsieur [C] [Y], la mesure sollicitée lui permettant de réunir les éléments de fait pouvant servir de base au procès pénal ou civil qu’il est susceptible d’engager.

La mesure sollicitée est également de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur, puisque seule la défenderesse est en mesure de communiquer à ce dernier les contenus supprimés par le titulaire du compte « @[R] ».

S’agissant du caractère légalement admissible de la mesure de communication sollicitée, les textes invoqués par la société Twitter International Unlimited Company pour s’y opposer, notamment l’article 6.V.A. de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, ne visent que les données d’identification des comptes d’utilisateurs, données en l’espèce non réclamées par le demandeur, de sorte que ces moyens sont inopérants.

En outre, la mesure sollicitée est compatible avec les conditions générales d’utilisation de la défenderesse : « Nous nous réservons également le droit d’accéder à, de lire, de conserver et de divulguer toute information que nous estimons raisonnablement nécessaire pour : (i) satisfaire à toute loi ou tout règlement applicable, ou à toute procédure judiciaire ou demande administrative […] » (article 4), et avec la politique de confidentialité de X : « Nous pouvons préserver, utiliser, partager ou divulguer vos informations si nous pensons que ceci est raisonnablement nécessaire pour: – respecter une loi ou un règlement, une procédure judiciaire ou une demande d’une autorité publique » (section 3.3.).

Enfin, si la demande de communication est suffisamment circonstanciée au moyen de mots clés relatifs aux nom d’artiste et surnoms du demandeur, permettant de cibler les contenus de manière proportionnée, ce dernier ne justifie pas de l’étendue temporelle de la mesure, puisqu’il est constant que les relations entre Monsieur [C] [Y] et lui-même se sont dégradées au cours de l’année 2024. Il y a donc lieu d’y faire droit uniquement à compter du 1er janvier 2024 jusqu’au 21 octobre 2024, date de l’assignation.

Dès lors, la demande de communication de contenus du demandeur sera accueillie dans les conditions fixées au dispositif de la présente ordonnance.

– sur la demande de conservation de contenus :

En revanche, la pertinence et l’utilité de la demande de conservation, pour une durée minimale de six mois renouvelable, des données du compte X dont le nom d’utilisateur est « @[R] », incluant les contenus qui ont été supprimés, et de séquestre entre les mains d’un commissaire de justice, ne sont pas démontrées par le demandeur.

En effet, force est de constater que la première mesure permet d’ores et déjà d’atteindre la finalité invoquée par Monsieur [M] [S], à savoir collecter des éléments de preuve supprimés du compte de « @[R] » en vue d’un procès pénal ou civil futur.

Dès lors, la demande de ce chef sera rejetée.

Sur la demande d’astreinte

L’article L. 131-1 du code de procédure civile d’exécution dispose que tout juge peut ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision.

Au cas présent, aucun élément ne laissant supposer que la défenderesse ne respectera pas la présente décision de justice, il convient de dire n’y avoir lieu à astreinte.

Sur les dépens

La partie défenderesse à une mesure ordonnée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne peut être considérée comme une partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile (2e Civ., 10 février 2011, pourvoi n° 10-11.774).

En effet, les mesures d’instruction sollicitées avant tout procès le sont au seul bénéfice de celui qui les sollicite, en vue d’un éventuel procès au fond, et sont donc en principe à la charge de ce dernier.

Dès lors, les dépens seront laissés à la charge de Monsieur [M] [S].

PAR CES MOTIFS,

Statuant en référé, par remise au greffe le jour du délibéré, après débats en audience publique, par décision contradictoire et en premier ressort,
Ordonnons à la société Twitter International Unlimited Company à communiquer à Monsieur [M] [S] une copie de sauvegarde, sur un support exploitable, des contenus publiés sur le compte X dont le nom d’utilisateur est «@[R]», et l’URL du profil X concerné est https://x.com/[R], correspondant soit aux publications (tweets) dont ledit le titulaire du compte est directement l’auteur, soit qui ont été republiées sous forme de « retweets»/« reposts » par ledit titulaire du compte, sur une période remontant au 1er janvier 2024 jusqu’au 21 octobre 2024, et incluant les contenus qui ont été supprimés par le titulaire du compte, qui contiennent :
– l’indication « @[O] » soit au début de la publication soit dans la suite du tweet ;
– l’un des hashtags «#» suivants : #[O], #[M], #[S], #[D], #[T], #[J], #[U], #[W], #[B],
– les éléments suivants, sans faire figurer le signe «@» ou «#»: « [O] », « [M] », « [S]», « [T] »,« [J] », « [U]», « [W] », « [K] » ;

Disons que cette communication à Monsieur [M] [S], devra être réalisée directement auprès de son conseil, Maître Gilles Vercken, dans un délai de 2 mois à compter de la signification de la décision ;

Disons n’y avoir lieu à fixer une astreinte ;

Rejetons le surplus des demandes de Monsieur [M] [S] ;

Laissons la charge des dépens à Monsieur [M] [S] ;

Rappelons que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.

Fait à Paris le 11 décembre 2024

Le Greffier, Le Président,

Minas MAKRIS Lucie LETOMBE


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