Gipsy Kings : le droit à la continuité du projet artistique

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Gipsy Kings : le droit à la continuité du projet artistique
Ce point juridique est utile ?

Pour départager le droit d’usage sur un nom de groupe dont les membres se sont séparés, la notion de « continuité du projet artistique du groupe » est désormais incontournable.

Nouvelle affaire Gipsy Kings

Certains anciens membres du groupe (‘The Originals Gypsies’) ont été condamnés pour concurrence déloyale pour avoir communiqué sous le nom The Gipsy Kings. La communication sur le site You Tube du groupe ‘The Originals Gypsies’, selon l’énoncé suivant (traduction) : ‘Les membres originaux du célèbre groupe des années 80, The Gipsy Kings, se sont réunis après plus de 20 ans pour ramener leurs rumbas fougueuses et leur flamenco furieux’, communication qui émane du groupe The Originals Gypsies’ lui-même, est fautive, étant susceptible de générer une confusion entre le groupe ‘Gipsy Kings’ et le groupe ‘The Originals Gypsies’. Est également fautive l’émission de billets de concert pour la tournée allemande du groupe.  

Notion de continuité artistique

Seuls les membres ‘historiques’ du groupe ‘Gipsy Kings’ peuvent revendiquer des droits sur cette dénomination collective intransmissible et incessible, à l’exclusion de leurs enfants ou de tout tiers. Ces derniers ont justifié assurer la continuité du projet artistique du groupe ‘Gipsy Kings’ et ont pu continuer à user de cette dénomination, le cas échéant en intégrant de nouveaux musiciens.

La dénomination d’un groupe est la propriété indivise des membres du groupe qui ont continué l’oeuvre commune et qui assurent la permanence du projet artistique. Conformément à un arrêt précédent rendu le 25 janvier 2000 par la Cour de cassation, l’un des membres du groupe a depuis cette date, perdu le droit d’user de l’appellation ‘Gipsy Kings’, si ce n’est pour se prévaloir de sa qualité d’ancien membre du groupe.

La permanence du projet artistique du groupe peut être appréciée au vu des pièces soumises au juge, indépendamment de la présence de l’ensemble des membres de ce groupe. La sanction du défaut de mise en cause de tous les membres est l’inopposabilité de la décision aux intéressés.

Le groupe ‘Gipsy Kings’ originel est, depuis 2014, scindé en au moins deux formations distinctes qui revendiquent chacune le droit d’utiliser la dénomination ‘Gipsy Kings’ à son seul profit. Dans ces circonstances, à défaut d’accord entre les co-indivisaires sur l’usage du pseudonyme indivis, il appartient au juge de rechercher laquelle des formations assure la permanence du projet artistique servant de support au pseudonyme collectif.

Si aucune des parties n’a expressément défini le projet artistique du groupe ‘Gipsy Kings’, il ressort des éléments versés et de l’histoire de cette formation que ce projet artistique peut s’entendre non seulement du style musical dans lequel s’inscrivent les compositions du groupe depuis son origine, à savoir la musique flamenca-gitane, mais aussi de leur mode d’interprétation organisé autour d’un guitariste et d’un chanteur solistes accompagnés de plusieurs musiciens.

En l’occurrence, les membres fondateurs démontraient à cet égard leur présence permanente dans le groupe depuis 1982, le premier comme chanteur soliste et guitariste, le second comme guitariste soliste, l’intervention de l’un deux comme chanteur soliste apparaissant marginale, ne concernant que 14 titres répartis sur 6 albums, alors que les ‘Gipsy Kings’ comptent 14 albums comprenant chacun une quinzaine de titres. En outre, si certaines chansons ont été écrites et composées par plusieurs membres du groupe – les fondateurs ont la qualité d’auteurs-compositeurs de la plupart des titres du groupe, notamment de l’album Savor Flamenco ayant obtenu en 2014 le Grammy Awards du meilleur album de musique du monde (ex-aequo), ce qui leur assure, un rôle prépondérant dans l’activité créatrice du groupe et une visibilité accrue auprès du public (preuve par affiches de concert, couvertures d’albums, articles de presse …).

A l’opposé, les autres membres, après la séparation du groupe, ont cessé toute prestation sous le nom ‘Gipsy Kings’, poursuivant leur carrière d’interprètes au sein d’autres formations – ’Gipsy nouveau’, ‘Gipsy Royale’ … –  sans émettre pendant plus de deux ans la moindre protestation à l’égard des fondateurs sous la dénomination collective ni revendiquer l’usage de cette dénomination à leur profit.  

Mise en cause nécessaire  

Néanmoins, les juges ont déclaré irrecevable la demande des membres fondateurs tendant à se voir attribuer l’usage exclusif de la dénomination indivise ‘Gipsy Kings’, faute d’avoir appelé en la cause les autres membres du groupe, lesquels ne peuvent être considérés comme ayant renoncé à leurs droits sur cette dénomination, même s’il est justifié qu’ils se consacrent à des projets artistiques personnels depuis 2014 sous d’autres dénominations.

Droits des indivisaires  

En effet, une telle demande en justice, qui pourrait aboutir à priver les indivisaires qui ne sont pas dans la cause de leurs droits éventuels sur la dénomination indivise, ne peut être considérée comme un acte relevant de l’exploitation normale de cette dénomination indivise ne nécessitant pas le consentement de tous les indivisaires, en application de l’avant dernier alinéa de l’article 815-3 du code civil : « le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l’exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux visés au 3° [3° Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision] »

Il résulte également de l’article 815-9 du code civil qu’en cas de désaccord entre les co-indivisaires, il revient au juge de régler l’exercice des droits des intéressés. En l’occurrence, la dénomination collective de l’ensemble d’un groupe de musiciens est la propriété indivise des membres du groupe et à défaut d’accord entre les co-indivisaires sur l’usage du nom indivis par chacun dans la mesure compatible avec le droit des autres, l’exercice de ce droit indivis doit être réglé par le juge au profit de ceux qui assurent la permanence du projet artistique.


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