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La Société des Auteurs de Jeux (SAJE) a été déboutée de son action en paiement de redevance de gestion collective (20 millions d’euros) contre l’opérateur Orange au titre de la diffusion en intégral, simultanée et sans changement de programmes audiovisuels incluant des jeux télévisés (« droits de retransmission secondaires »). Orange, dans le cadre de ses offres Triple et Quadruple Play, reprend notamment le signal des chaînes de la télévision numérique terrestre (« TNT »). L’opérateur était en droit de faire valoir que la redevance réclamée était déjà incluse dans les contrats généraux de représentation conclus avec d’autres organismes de gestion collective de droits d’auteur (SACEM, SDRM, SACD, SCAM et ADAGP) et de producteurs de vidéogrammes (ANGOA/AGICOA).
Pour rappel, la SAJE est un organisme de gestion collective régi par les dispositions des articles L.321-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle de droits créée le 29 juillet 1997. Elle figure sur la liste des sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) reconnues par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique et ses comptes sont examinés annuellement par la commission permanente de contrôle des SPRD.
Elle a notamment pour objet statutaire, selon l’article IV de ses statuts, de gérer certains droits de ses membres, qui sont les auteurs des formats des œuvres audiovisuelles de jeux, dont la gestion par un organisme de gestion collective est :
– soit « obligatoire », pour les droits dont une directive communautaire ou une loi interne impose la perception par un organisme de gestion collective, ce qui est le cas de la rémunération pour copie privée audiovisuelle, que la SAJE perçoit via la SDRM depuis 2006 pour les jeux télévisés diffusés depuis le ler janvier 1999 ;
– soit « volontaire », s’agissant du droit exclusif d’autoriser la retransmission simultanée, intégrale et sans changement, en France, de leurs œuvres par réseau filaire (câble, ADSL, ou toute autre technologie filaire) ou non filaire notamment par bouquet satellite numérique, pour la réception par le public d’une transmission initiale, sans fil ou avec fil, notamment par satellite, d’émissions de télévision ou de radio destinées à être captées par le public ainsi que la perception et la répartition des rémunérations de ces droits.
L’extension de l’objet social de la SAJE à l’exercice de ce droit dit de « retransmission secondaire » ou de « télédiffusion secondaire » résulte d’une décision de son assemblée générale extraordinaire du 23 septembre 2011.
Aux termes de l’article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle , tel qu’issu de l’ordonnance n°2016-1823 du 22 décembre 2016 (transposant la directive 2014/26/UE du 26 février 2014 concernant la gestion collective et l’octroi de licences multiterritoriales), les organismes de gestion collective régulièrement constitués ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont ils ont statutairement la charge et pour défendre les intérêts matériels et moraux de leurs membres, notamment dans le cadre des accords professionnels les concernant.
Si cette disposition permet à un organisme de gestion collective d’agir en justice en son nom propre pour assurer la défense des droits dont ses membres lui ont confié la gestion, quelle que soit la qualification juridique des apports qui lui ont été consentis, et donc y compris lorsqu’il n’est que mandataire de ses membres et non titulaires des droits de ces derniers, elle suppose au préalable que l’existence de ces droits, et donc le caractère protégeable des éléments composant son répertoire, soient avérés.
En l’espèce, la SAJE réunit 147 membres, auteurs de formats de jeux télévisuels et son répertoire est composé de 105 formats de jeu dont 42 adaptations de formats étrangers (« le bachelor » « qui veut gagner des millions », « danse avec les stars », « le maillon faible » « loft story » « la roue de la fortune » « master chef»….).
Le format de jeu est un « mode d’emploi » qui décrit le déroulement formel du jeu afin de fournir de base au jeu télévisuel qui en sera tiré. Or l’existence d’une œuvre de l’esprit suppose, en application de l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle, une incarnation formelle de l’activité intellectuelle de son auteur, suffisamment précise et détaillée pour se distinguer de la simple idée, de libre parcours. La création de forme, pour être protégeable, doit également être originale en ce sens qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable. Et, en application de l’article L 112-1 du même code, dès que les conditions d’existence d’une forme suffisamment précise et d’originalité sont remplies, ce droit appartient à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.
Ainsi, si le format de jeu télévisé n’est pas a priori exclu de la protection par le droit d’auteur, il doit pour constituer une œuvre de l’esprit protégeable contenir un degré de formalisation suffisant de la règle du jeu qu’il édicte, en définissant avec précision les séquences de celui-ci, leur agencement et leurs caractéristiques susceptibles de révéler l’activité créatrice de son ou ses auteurs et l’empreinte de la personnalité de celui ou ceux-ci. A défaut, le format relève du simple concept non protégeable. S’agissant des adaptations de formats étrangers, à supposer qu’elles revêtent une expression formelle suffisamment précise, elles doivent être en elle-même originales par rapport au format étranger ce qui suppose que l’adaptateur ait fourni un travail créatif en apportant au jeu d’origine des modifications significatives sans se contenter de reprendre à l’identique les caractéristiques de celui-ci.
L’appréciation du caractère protégeable ou non d’un format ne peut donc résulter que d’une étude au cas par cas, aucune présomption d’originalité n’étant attachée à l’adhésion de son auteur à un organisme de gestion collective. Le caractère protégeable du format ne peut se déduire de son adaptation en jeu télévisé ni de la diffusion du jeu en résultant. Le programme télévisuel, qui doit lui-même répondre à la condition d’originalité pour être protégeable en tant qu’œuvre audiovisuelle, est en effet le fruit du travail de différents intervenants, notamment de son réalisateur qui peut parfaitement compenser par son apport le manque de formalisation du format qui lui est soumis. Enfin, la qualification d’œuvre de l’esprit étant d’ordre public, il est indifférent que certains auteurs de formats de jeu aient pu conclure avec des producteurs des contrats d’adaptation ou de cession de droit.
Il appartenait donc à la SAJE d’expliciter les contours de l’originalité des formats de jeu télévisuels de son répertoire, la qualité d’organisme de gestion collective régulièrement constitué, ne dispense pas de cette obligation.
Il a été jugé que le répertoire de la SAJE est composé d’éléments dont la formalisation suffisante pour donner prise au droit d’auteur n’est pas acquise par nature, s’agissant de formats de jeux pouvant relever de la simple idée (outre l’adaptation de formats étrangers dont certains constituent des reprises quasiment à l’identique des jeux d’origine).
Faute pour la SAJE d’avoir justifié du caractère protégeable des formats composant son répertoire, et donc de l’existence des droits qu’elle prétend exercer, celle-ci n’avait pas qualité pour agir en contrefaçon au sens des articles 31 et 32 du code de procédure civile et L 331-1 du code de la propriété intellectuelle. Ses demandes ont été jugées irrecevables conformément à l’article 122 du code de procédure civile.
S’il a été jugé au sujet de la SACEM à l’occasion des litiges qui l’opposaient à certains exploitants de discothèques, que celle-ci n’était pas tenue de communiquer la liste des œuvres dont elle assurait la protection lorsqu’elle agissait pour la défense de son répertoire, c’était en considération des difficultés matérielles évidentes auxquelles se serait heurtée la communication de l’ensemble des œuvres musicales composant son répertoire, étant souligné que le caractère protégeable de celles-ci n’était pas en débat.
Par ailleurs, si aucune présomption d’originalité n’est attachée à l’apport d’une œuvre à un organisme de gestion collective et qu’il n’est donc pas exclu que certaines musiques inscrites au répertoire de la SACEM puissent être dénuées d’originalité, il n’est pas contestable à tout le moins que tous les éléments de celui-ci répondent à l’exigence d’expression formelle indispensable à leur protection, les œuvres musicales étant en particulier expressément mentionnées parmi les oeuvres de l’esprit protégeables sous condition d’originalité dans la liste prévue à l’article L.112-2 du code de la propriété intellectuelle (contrairement aux formats de jeux télévisuels).
Autre volet essentiel de cette affaire : la propriété même des droits sur les formats de jeu télévisuels a été remise en cause. Il appartenait à la SAJE d’établir que ces membres pouvaient valablement lui faire apport de leurs droits. La SAJE affirmait qu’il s’agissait d’un apport- cession alors que l’opérateur Orange précisait qu’il s’agissait uniquement d’un mandat de gestion des droits.
Les juges ont retenu la qualification d’apport en propriété à la SAJE du droit de télédiffusion secondaire de ses membres : cet apport s’opérant par l’insertion d’une clause dédiée dans les contrats avec les producteurs (« clause de réserve »).
Or, à supposer que les formats de jeux télévisuels soient constitutifs d’œuvres de l’esprit, il s’agit d’œuvres audiovisuelles composites. Or, aux termes de l’article L.113-7 du code de la propriété intellectuelle « lorsque l’oeuvre audiovisuelle est tirée d’une oeuvre ou d’un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l’oeuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l’oeuvre nouvelle ». Les auteurs des formats protégeables incorporés dans des œuvres audiovisuelles sont donc, par l’effet de cette fiction légale, considérés comme co-auteurs de celles-ci, quand bien même ils n’auraient pas concouru avec les autres co-auteurs à l’élaboration du programme télévisuel. Et précisément, l’article L. 132-24 institue au profit du producteur de l’œuvre audiovisuelle une présomption de cession des droits exclusifs d’exploitation de l’œuvre audiovisuelle appartenant aux co-auteurs de celle-ci.
Il en résulte que pour pouvoir valablement apporter en propriété à la SAJE le droit de télédiffusion secondaire des formats incorporés dans des œuvres audiovisuelle, les auteurs de formats protégeables ne doivent pas, au moment de leur adhésion, s’être déjà dessaisis de ce droit au profit du producteur de l’oeuvre audiovisuelle de jeu.
Les exemples de contrats de cession de droit d’auteur produits démontraient précisément que les droits de retransmission secondaire des adaptations des formats ont été inclus dans les cessions consenties aux producteurs des programmes audiovisuels de jeu, une rémunération étant par ailleurs prévue à ce titre au profit de l’auteur du format. En conséquence, la SAJE ne pouvait pas être cessionnaire des droits de télédiffusion secondaire sur tous les formats de son répertoire.
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