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6 juillet 2023
Cour d’appel de Poitiers
RG n°
21/00688
PC/PR
ARRET N° 417
N° RG 21/00688
N° Portalis DBV5-V-B7F-GGUD
SOCIÉTÉ ECSS
C/
[E]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 06 JUILLET 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 février 2021 rendu par le Conseil de Prud’hommes des SABLES D’OLONNE
APPELANTE :
SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE À FORME ANONYME ÉLECTRICITÉ CHAUFFAGE CLIMATISATION SANITAIRE (ECSS)
N° SIRET : 309 707 867
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Ayant pour avocat Me Xavier ORGERIT de la SELARL ATLANTIC-JURIS, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
INTIMÉ :
Monsieur [J] [E]
né le 26 février 1973 à [Localité 5] (14)
[Adresse 3]
[Localité 2]
Ayant pour avocat Me Joël BAFFOU de la SELARL BAFFOU DALLET BMD, avocat au barreau des DEUX-SEVRES
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 08 mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIÈRE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par contrat à durée indéterminée à effet du 8 avril 2002, M. [J] [E] a été engagé en qualité de dessinateur d’études 1er échelon ETAM, par la Société Coopérative Electricité Chauffage Climatisation Sanitaire (ECCS), spécialisée dans l’activité d’électricité plomberie courants faibles.
Le contrat stipulait notamment que, pendant sa durée, le salarié s’engage à observer la discrétion la plus totale sur tout ce qui attrait à l’activité de la société dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et dans tous les domaines, ceux relevant de sa compétence propre mais aussi ceux qui lui seront professionnellement étrangers.
Dans le dernier état de la relation de travail, M. [E] occupait des fonctions de chargé d’affaires électricité tertiaire, classé cadre B, ayant la responsabilité d’un service composé de dix collaborateurs.
Par courrier remis en main propre le 24 janvier 2019, M. [E] a notifié à son employeur sa démission à effet du 24 avril 2019, après exécution d’un préavis de trois mois.
Exposant que cette démission s’est inscrite dans le cadre de la participation de M. [E] à la création d’une société concurrente (Lumelec Ocean) pour laquelle celui-ci a organisé le débauchage de près de la moitié des collaborateurs de son service et le détournement de la clientèle de son ancien employeur, la société ECCS a saisi, par acte du 14 octobre 2019 le conseil de prud’hommes des Sables d’Olonne d’une action indemnitaire pour manquement de M. [E] à ses obligations de loyauté et d’exécution de bonne foi du contrat de travail.
Par jugement du 3 février 2021, le conseil de prud’hommes des Sables d’Olonne a :
– dit que l’accusation et la condamnation au titre de la concurrence déloyale ne peuvent être retenues à l’encontre de M. [E],
– rejeté la demande de remboursements de salaires faite par la société ECCS,
– condamné M. [E] à payer à la société ECCS la somme de 10 000 € au titre de dédommagement du préjudice causé à la société suite aux manquements à son obligation d’exécution de son contrat de bonne foi et rejeté les autres demandes faites à ce titre par la société,
– condamné M. [E] à payer à la société la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du C.P.C.,
– condamné M. [E] aux éventuels dépens et frais annexes liés à l’instance,
– rejeté les demandes de M. [E] faites au titre de l’article 700 du C.P.C. ainsi que la condamnation de la société ECCS au titre des éventuels dépens et frais annexes,
– rejeté la demande d’exécution provisoire du jugement,
– rejeté toutes autres demandes faites par les parties.
La société ECCS a interjeté appel de cette décision selon déclaration transmise au greffe de la cour le 2 mars 2021.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 8 février 2023.
Au terme de ses dernières conclusions du 17 novembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, la société coopérative à forme anonyme ECCS demande à la cour :
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a :
> dit que l’accusation et la condamnation au titre de la concurrence déloyale ne peuvent être retenues à l’encontre de M. [E],
– rejeté la demande de remboursements de salaires faite par la société ECCS,
– limité la condamnation de M. [E] à payer la somme de 10 000 € à titre de dédommagement du préjudice causé à la société suite aux manquements à son obligation d’exécution de son contrat de bonne foi et en ce qu’il a rejeté les autres demandes par elle faites à ce titre,
> limité la condamnation de M. [E] à payer la somme de 1 500 € au titre de l’article 700 du C.P.C.,
> rejeté toutes autres demandes faites par elle,
– statuant à nouveau:
> à titre principal, de condamner M. [E]:
* à lui rembourser la somme de 24 804,01 € correspondant aux salaires brut des périodes courant du 1er au 31 janvier 2019 (7 089,08 €), février 2019 en totalité (7 090,17 €), mars 2019 en totalité (7 090,17 €) et du 1er au 15 avril 2019 (3 534,59 €),
* à lui payer une indemnité de 50 000 € à titre de dommages-intérêts compte tenu de la déloyauté dont il a fait preuve,
> subsidiairement, de condamner M. [E] à lui payer une indemnité de 75 000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
> très subsidiairement, de confirmer le jugement entrepris,
– en toute hypothèse, de débouter M. [E] de ses demandes et de le condamner à lui payer une indemnité de 3 500 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et de 3 500€ au titre de ceux exposés en cause d’appel, outre les entiers dépens.
Se prévalant tant des dispositions de l’article L1222-1 du code du travail que de la clause du contrat de travail stipulant que pendant sa durée, M. [E] s’engage à observer la discrétion la plus totale que tout ce qui attrait à l’activité de la société dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et dans tous les domaines, et qu’en cas de rupture du contrat, le dénigrement de la société ou le fait de faire bénéficier les concurrents de renseignements sur les méthodes et le savoir-faire de la société constituerait un acte de concurrence déloyale susceptible d’engager la responsabilité du salarié, la société ECCS soutient, sur la base d’un procès-verbal de constat d’huissier de justice du 3 mai 2019 dressé en exécution d’une ordonnance du président du tribunal de commerce de la Roche -sur-Yon du 23 avril 2019 autorisant le recueil de divers éléments d’information aux sièges des sociétés ECCS et Lumlec EGI que, pendant son préavis mais aussi lorsqu’il était encore en poste dans l’entreprise, M. [E] a travaillé pour le compte de son futur employeur et organisé le débauchage d’autres salariés et qu’il a ainsi :
– détourné et orienté des clients ECCS vers la société Lumelec EGI :
> directement, ainsi qu’il résulte d’un mail du 24 janvier 2019 adressé à M. [L] (chantier Prolaser-Solaritech) (pièce 8): ‘ECCS ne peux pas répondre à votre attente faute de personnel. Je vous donne les coordonnées de M. [D] qui dirige Lumelec EGI (spécialiste du photovoltaïque qui a déjà fait ce genre d’opération), avec votre accord je lui transmet le dossier’
> en faisant répondre par la secrétaire de la société ECCS, non habilitée, que la société ECCS n’est pas en mesure de répondre en raison de la charge de travail à un appel d’offre pour l’extension de la criée [Localité 7] (mail du 7 mars 2019, pièce 9) et en transmettant l’offre à la société Lumelec (mail du 19 mars 2019, pièce 10) avec le devis précédemment établi par le salarié (pièce 11) en utilisant à cette occasion une adresse mail Lumelec dès le 20 mars 2019 (pièces 12 et 13)
> en transmettant des offres de clients ECCS ou des informations financières à Lumelec
– dossier Fournée Dorée, CCTP et facture d’un prestataire, mails des 28 février 25 mars 2019 (pièces 14 et 15) – dossier Podis (pièce 17), la circonstance que la société Lumelec n’a finalement pas emporté ces marchés étant à cet égard inopérante,
> en transmettant des dossiers de clients ECCS à Lumelec:
* transmission sur son adresse mail Lumelec du plan d’un transformateur sur cartouche (local transfo de PSMA), d’informations sur un dossier ([I]) par mails du 25 mars 2019 (pièce 17)
* utilisation pour le compte de Lumelec d’un chiffrage établi précédemment pour le compte d’ECCS pour un restaurant O’Tacos à [Localité 8] (mails de février et mars 2019, pièces 18-19) permettant à Lumelec de pouvoir traiter directement avec le franchiseur et de définir son offre par rapport aux prix pratiqués par ECCS sur le précédent marché,
> en utilisant le fichier clients-fournisseurs ECCS de manière à créer la confusion dans l’esprit de ses partenaires, en transférant des données fichiers clients ECCS vers Lumelec et en informant les clients ECCS de son départ en utilisant des mails en réponse à partir de la boîte mail ECCS (mail du 25 mars 2019 adressé à l’ensemble des clients ECCS pour les informer de son départ et leur donner ses nouvelles coordonnées ou les inviter à l’inauguration des nouveaux locaux de Lumelec (pièce 21)),
– oeuvré, sur son temps de travail ECCS pour la société Lumelec EGI:
> présence dans les locaux de celle-ci à sept reprises entre le 10 janvier et le 22 mars 2019 (pièce 2, relevé de géolocalisation),
> appels et SMS vers Lumelec depuis le téléphone professionnel ECCS (relevés téléphoniques, pièce 22 à 24) que ne peut expliquer le transfert d’un dossier non complexe entre les deux sociétés,
> exécution de travaux (chiffrages) pour le compte de Lumelec (pièce 25), entrée dès février 2019 au capital de Lumelec Océan (cf. statuts, pièce 25), ouverture de comptes chez les fournisseurs (pièces 27 à 29), supervision de la création des boites mail des salariés encore sous contrat ECCS, à l’ouverture de lignes téléphoniques et à la gestion des frais de repas des salariés (pièces 30 et 31), participation à l’élaboration du plan de charge de la future structure dès mars 2019 (pièce 34) et avis sur l’embauche de salariés (pièce 35)
– participé au débauchage de 7 voire 8 salariés (MM. [H], [N], [F], [G], [O], [X], [M]) qui ont tous quitté l’entreprise au même moment que M. [E] pour le suivre dans la nouvelle structure, les mails saisis établissant que M. [E] est toujours en copie, que les documents transitent toujours par lui alors qu’il est encore salarié ECCS (pièces 39 à 41),
> qu’à cet égard, s’agissant de la matérialité même des faits, les attestations délivrées par ces salariés selon lesquelles M. [E] n’a pris aucune part dans leur départ de l’entreprise sont contredites par les éléments matériels du dossier: courriels des 11 et 12 mars 2019 (pièce 41) dans lesquels M.[N] indique ‘suite à un entretien téléphonique avec M. [E] je donne ma démission cette semaine afin d’intégrer votre entreprise le 1er avril 2019″ puis ‘avoir fourni tous les documents à M. [E], à voir avec lui’ et courriel du 29 mars 2019 (pièce 30) par lequel le directeur de Lumelec Océan informe M. [E] de la création des adresses courriels de MM. [G], [O], [F], [N] et [M]
> qu’il en est résulté une désorganisation complète du service ‘tertiaire’ de l’entreprise au niveau duquel doivent s’apprécier les conséquences un comportement de M. [E],
– qu’en définitive, ayant la confiance totale de sa direction et bénéficiant d’une totale autonomie, M. [E] a profité de sa situation pour convaincre des salariés d’ECCS de le rejoindre dans la nouvelle entreprise dont il allait devenir associé, ce débauchage de personnel s’accompagnant de détournement de clientèle voire de documents ECCS,
– que pendant les quatre premiers mois de 2019, il n’a plus assuré le moindre suivi de chantier ECCS et participé activement à la désorganisation de l’entreprise, jusqu’à démarcher un client (Fournée Dorée) représentant plus de 3 millions d’euros de chiffre d’affaires
– que les premiers juges ont écarté le grief tiré d’un débauchage massif de salariés ECCS au motif que leur départ n’est pas consécutif à des manoeuvres de M. [E] mais aux conditions de travail et à d’autres motifs personnels, argument ne pouvant être retenu dès lors qu’ils ont tous rejoint la société Lumelec,
– que la demande de remboursement de salaire est fondée sur le fait que M. [E] a cessé de travailler pour elle depuis le 1er janvier 2019, la circonstance qu’aucun reproche n’a été fait au salarié pendant la période litigieuse étant inopérante dès lors que les faits n’ont été découverts que postérieurement à la rupture du contrat, étant considéré par ailleurs que M. [E], de par ses fonctions, n’était pas soumis à un contrôle hiérarchique important et disposait d’une autonomie importante, étant ainsi en mesure de cacher ses agissements et d’adopter un comportement laissant penser qu’il effectuait son travail pour ECCS,
– que son préjudice économique peut être évalué à la somme de 150 000 € représentant les pertes de marge sur les marchés non conclus consécutivement à la désorganisation du service imputable aux agissements de M. [E], le résultat du secteur tertiaire pour l’année 2019 étant pour la première fois négatif de 554 000 € (compte d’exploitation 2019/2020, pièce 44),
– que dans l’hypothèse où sa demande de répétition de salaires ne serait pas accueillie, elle est fondée à solliciter l’octroi d’une indemnité de 75 000 € pour exécution déloyale du contrat de travail, étant considéré que le comportement de M. [E] relève d’une faute volontaire qualifiable de lourde.
Au terme de ses dernières conclusions du 23 août 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, M. [E], formant appel incident, demande à la cour de :
– confirmer le jugement de première instance en ce que le conseil de prud’hommes a jugé que des actes de concurrence déloyale ne pouvaient être retenus à son encontre et en ce qu’il a rejeté la demande de remboursement de salaires formée à son encontre,
– infirmant le jugement entrepris pour le surplus et statuant à nouveau :
* de débouter la société ECCS de toutes ses demandes,
* de condamner la société ECCS à lui payer la somme de
6 000 € sur le fondement de l’article 700 du C.P.C., outre les entiers dépens.
Monsieur [E] soutient en substance :
1 – s’agissant du débauchage massif de salariés:
> que l’embauche d’un ou plusieurs salariés par une entreprise concurrente n’étant pas illicite, en vertu du principe de la liberté du travail, pour être fautif, le débauchage doit résulter de manoeuvres déloyales de la part du nouvel employeur et avoir entraîné une véritable désorganisation de l’entreprise,
> qu’en l’espèce, le prétendu débauchage se limitait à 7 personnes dont un cadre, soit 2,3 % de l’effectif total,
> qu’ECCS est une société prospère dont l’activité n’a pu être perturbée, même légèrement, par le départ concomitant de 7 salariés dont la quasi-totalité sont des salariés d’exécution, lui-même ‘étant qu’un des 10 chargés d’affaires placés sous l’autorité de son supérieur hiérarchique (attestation de M. [U] et organigramme annexé, pièce 17)
> que la désorganisation de l’entreprise consécutive à un débauchage massif de salariés doit être appréciée au niveau global de l’entreprise et non par service, sauf à vider de son sens le principe général exigeant une désorganisation de l’entreprise,
> qu’en toute hypothèse, la société ECCS a contribué par son comportement (défaut d’anticipation et de réaction) à la désorganisation du service ‘tertiaire’,
> que la société ECCS ne démontre pas une quelconque démarche active de sa part auprès des salariés démissionnaires avant que ceux-ci ne notifient leur démission à leur ancien employeur et qu’il ressort de leurs attestations que sa propre initiative n’a joué qu’un rôle marginal, voire inexistant dans leur décision de quitter ECCS (attestations de MM. [F], [G], [O], [M], [N], pièces 12 à 16, faisant état de motifs tant personnels que tirés de l’organisation du travail et des conditions de rémunération au sein d’ECCS,
> que la société ECCS ne justifie pas du préjudice par elle invoqué de ce chef,
2 – s’agissant de la concurrence déloyale alléguée au titre du comportement du salarié pendant l’exécution du préavis :
– s’agissant du prétendu détournement de clientèle :
> quant au dossier Prolaser-Solaritech, que la société ECCS ne prouve pas que l’affirmation selon laquelle elle n’était pas en mesure de répondre à la proposition par manque d’effectif contenue dans le mail du 24 janvier 2019 serait fausse et qu’il aurait donné instruction de répondre par la négative à la proposition de marché relative à l’extension de la criée [Localité 7],
> quant au dossier Fournée Dorée : que même si des informations ont été communiquées par lui pendant son préavis, aucune des sociétés Lumelec n’a passé le moindre marché avec la Fournée Dorée sur lequel ECCS aurait répondu à un appel d’offres, que les marchés par la suite conclus avec Lumelec ne résultaient pas de la violation de ses obligations contractuelles pendant le préavis mais de la volonté du client de poursuivre avec lui, à travers le nouvel employeur, la relation de confiance nouée depuis plusieurs années,
> quant aux dossiers PSMA, Podis et [I] : qu’il n’est pas établi qu’une quelconque des sociétés Lumelec a conclu le moindre marché au nom de ces clients,
> quant au dossier O’Tacos : que cette société n’était pas un client habituel d’ECCS et que le chiffrage effectué pour un premier projet avorté pour lequel ECCS avait soumissionné ne présentait aucune utilité pour le nouveau projet, totalement distinct , pour lequel Lumelec a été retenue,
> quant à la ‘circularisation’ de ses données auprès des clients ECCS: que la liste des invitations invoquée par elle est succinte (8 clients) et le document ne porte aucune mention les incitant à le rejoindre chez Lumelec,
– s’agissant des contacts avec Lumelec pendant la durée du préavis :
> que sa présence au siège de Lumelec EGI avait pour objet le dossier Solaritech sur lesquels les deux sociétés collaboraient de longue date,
> que rien n’établit qu’il a procédé au chiffrage de devis du centre de vacances de [Localité 2] pendant la durée de son préavis (chiffrage ayant été effectué le 29 novembre 2019, pièce 31) ni que la société ECCS a présenté une offre sur ce chantier,
> qu’il n’a acquis qu’une participation minoritaire (25%) dans le capital social de la société Lumelec Océan dont la décision de constitution est postérieure à sa démission (mail du 31 janvier 2019 de l’avocat chargé de l’établissement des statuts, pièce 25)
> que l’invitation à participer au capital ne peut être interprétée comme la récompense de la captation de clientèle au détriment d’ECCS, la participation des salariés au capital social étant l’une des constantes des sociétés du groupe Lumelec (listes d’associés, pièces 26 et 27),
3 – sur la demande de remboursement de salaires :
> que dès lors qu’il a perçu pendant son préavis les salaires auxquels il pouvait prétendre en vertu des stipulations de son contrat, ECCS ne peut se prévaloir d’un trop perçu fondé sur un paiement indu au sens de l’article 1302 du code civil,
> que s’il avait eu une activité inexistante au bénéfice d’ECCS pendant la durée du préavis, elle n’aurait pu passer inaperçue tant à l’égard de la hiérarchie que des autres collaborateurs de l’entreprise,
4 – sur la demande indemnitaire :
> que lorsque le dommage intervient avant la fin du contrat de travail, le salarié ne peut voir sa responsabilité pécuniaire engagée qu’en cas de faute lourde,
> qu’en l’espèce, aucun élément du dossier n’établit de sa part une intention de nuire à la société ECCS ni aucun préjudice en relation avec les fautes alléguées.
MOTIFS
La responsabilité de M. [E] n’est pas recherchée sur le fondement de l’article L1237-2 du code du travail au titre d’une rupture abusive du contrat de travail, la légitimité même de sa démission n’étant pas contestée par l’employeur, mais sur le fondement d’une exécution déloyale du contrat de travail consistant :
– d’une part, en une absence totale d’activité pour le compte de son employeur pendant la durée du préavis (au titre de laquelle la société ECCS sollicite remboursement des salaires versés à M. [E]),
– d’autre part, en la commission de divers actes au profit d’une société concurrente (débauchage de collaborateurs, détournements de clientèle et de fichiers) constitutifs d’une concurrence déloyale.
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté la société ECCS de sa demande de remboursement des salaires versés à M. [E] pendant la période de préavis dès lors qu’aucun élément du dossier n’établit que les temps de travail de M. [E], tels qu’ils peuvent être déterminés à la lecture du relevé de géolocalisation et du relevé téléphonique professionnel de l’intéressé (pièces n°2 et 3 de l’appelante), étaient, comme soutenu par celle-ci, exclusivement consacrés à des activités pour le compte de tiers et spécialement du groupe Lumelec, l’existence de désordres/défauts de finition sur certains chantiers (attestation de divers chargés d’affaires et d’un responsable d’agence, pièces 55 à 58 de l’appelante) n’étant pas suffisante à établir la réalité de l’abandon de poste invoqué par la société ECCS.
S’agissant des faits d’exécution déloyale du contrat de travail et de concurrence déloyale invoqués par la société ECCS, il doit être rappelé :
– que le salarié est tenu d’une obligation générale de loyauté et de fidélité impliquant que, pendant l’exécution du contrat de travail (dont fait partie la période de préavis) il s’interdit d’exercer une activité concurrente de celle de son employeur, pour son compte ou pour celui d’un tiers,
– que la mise en cause de la responsabilité pécuniaire du salarié pour des faits commis dans le cadre de l’exécution du contrat suppose la démonstration d’une faute lourde impliquant une intention de nuire à l’employeur.
I – Sur la matérialité même des faits dénoncés par la société ECCS :
1 – sur le débauchage de salariés d’ECCS :
Il est fait grief à M. [E] d’avoir été, pendant la période même d’exécution de son préavis, l’instigateur de la migration, concertée et concomitante, au sein de la société Lumelec, de sept salariés, tous membres du service ‘tertiaire’ dont il avait la responsabilité.
A l’appui de sa demande, la société ECCS verse aux débats:
– des échanges de mails entre M. [Z] (secrétaire général de la société Lumelec) et M. [N] (pièces 39 et 41):
> 11 mars 2019 : suite à un entretien téléphonique avec M. [E], je donne ma démission cette semaine afin d’intégré votre entreprise le 1er avril 2019. Afin d’officialiser ma venue, je souhaites recevoir la confirmation de la date ainsi que mon contrat de travail,
> 12 mars 2019 : peux-tu me faire passer les éléments suivants pour établissement du contrat de travail: date et lieu de naissance, numéro de sécurité sociale et me transmettre copie de ton habilitation électrique et CECES nacelle…
> 12 mars 2019 : j’ai fourni tous les documents à M. [E]. Voir avec lui
> 13 mars 2019 : ni [J] ni moi ne les avons. Merci de me faire passer simplement ton numéro de sécu, date et lieu de naissance…
> 13 mars 2019 : [J] m’a confirmé avoir les documents en sa possession. Voir avec lui. Je ne peux pas vous les envoyer, le scan ne fonctionne pas
> 18 mars 2019 (M. [E] en copie) Bonjour [V] tu trouveras ci-joint ton projet de contrat de travail. Je te joins également le courrier relatif à l’abattement pour frais professionnels…
– un mail de M. [Z] à M. [E] du 29 mars 2019: tu trouveras les comtes de messagerie pour les salariés d’Océan. Je n’ ai pas reçu les tél aujourd’hui. J’espère pouvoir te les livrer au plus tard semaine pro… (concernant MM. [G], [O], [F], [N], [M]).
La mise en perspective de ces éléments établit que M. [E] a été, non seulement l’élément déclencheur, par sa démission d’ECCS, mais également l’instigateur et l’organisateur du départ concerté des salariés qu’il avait sous sa responsabilité, reconstituant au profit de la nouvelle structure dont il avait acquis une part importante du capital social, l’équipe qu’il dirigeait au sein d’ECCS, un tel transfert de personnel ne pouvant se réaliser de manière inopinée et improvisée mais nécessitant une planification de longue date, étant par ailleurs constaté que les attestations des collègues concernés ne précisent pas les conditions dans lesquelles ils sont entrés en contact avec la société Lumelec.
La circonstance que la fuite d’effectif n’a affecté qu’un service spécialisé d’ECCS doit demeurer sans incidence dès lors qu’il est constant que ledit service a été, à tout le moins temporairement, totalement désorganisé par le départ, inopiné et concomitant, de la moitié de son effectif.
La matérialité même du grief invoqué par la société ECCS est ainsi établie.
2 – exécution déloyale du contrat de travail :
Si ne constitue pas une faute la participation d’un salarié, non lié par une clause de non-concurrence, à la création et/ou l’exploitation d’une société concurrente dès lors qu’elle est postérieure à la rupture du contrat de travail, il en est autrement lorsque le salarié est encore en fonction, spécialement pendant la durée d’exécution de son préavis.
L’exercice d’une activité professionnelle effective pour le compte de Lumelec pendant la durée du préavis est établie :
– tant par la fréquence et le nombre des appels téléphoniques échangés entre M. [E] et les responsables de Lumelec dont les premiers juges ont exactement considéré qu’ils dépassaient très largement le cadre d’une simple collaboration occasionnelle entre deux entreprises (34 communications en février, 62 en mars),
– que par leur contenu, ainsi qu’il résulte des exemples suivants :
> mails du 11 mars 2019 de la direction Lumelec à M. [E] (pièces 49 et 53) lui demandant de chiffrer un marché relatif à un bâtiment SNCF à [Localité 9] sur une demande d’offre de prix à communiquer pour le 22 mars,
> mail du 28 mars 2019 (pièce 50) contenant demande de chiffrage de travaux pour le 5 avril 2019 pour le chantier d’une salle de sports au [Localité 6]
> offres de prix commerciales de divers sous-traitants (Socolec, ICC tableaux) adressées les 27 mars et 2 avril 2019 à M. [E] (pièce 50),
> mail du 2 avril 2019 contenant liste des marchés à répondre dont s’agissant de M. [E] la concession Mercédès d'[Localité 4], la salle de sport de [Localité 6] et le pôle culturel de [Localité 10],
> mails concernant le chantier d’un centre de vacances à [Localité 2] (pièces 25) il y a un appel d’offre qui viens de sortir avec FIB pour un centre de vacances à [Localité 2]. Il faut le retirer. Je vais répondre. Je récupérerai les pièces mardi. [J] [E] directeur de site Lumelec Océan’
> mails des 19 et 29 mars 2019 (pièces 27 à 29) relatifs à des ouvertures de compte auprès de fournisseurs/sous-traitants.
De même, les détournements de clientèle/fichiers pendant la période de préavis invoqués par la société ECCS sont établis:
– par les justificatifs de la transmission de diverses offres de prix, factures et synthèses financières ECCS (pièces 10 à 19, dossiers criée [Localité 7], Fournée Dorée, Podis, O’Tacos) à la société Lumelec permettant notamment à celle-ci de se positionner par rapport aux prix pratiqués par ECCS, peu important à cet égard que Lumelec ait ou non remporté les marchés correspondants,
– par les justificatifs de la ‘circularisation’ de ses nouvelles coordonnées professionnelles Lumelec à des clients/partenaires ECCS, avant même l’expiration de son préavis et à partir de sa messagerie ECCS (pièce 20).
II – Sur la qualification des faits :
La faute lourde, seule de nature à engager la responsabilité pécuniaire du salarié pour des faits commis dans le cadre de l’exécution du contrat de travail, se définit comme la faute commise par le salarié dans l’intention de nuire à l’employeur ou l’entreprise.
En l’espèce, il doit être considéré que le caractère planifié et délibéré des agissements de M. [E], pendant la durée même du préavis, qui ont eu pour objet et conséquences le démantèlement du service dont il avait la responsabilité et le détournement d’informations et de clientèle au profit d’une société concurrente manifeste, non seulement la conscience mais également la volonté de porter atteinte aux intérêts économiques de son employeur, de sorte que ces agissements doivent recevoir la qualification de faute grave.
III – Sur la demande indemnitaire :
Le préjudice indemnisable de la société ECCS imputable aux agissements de M. [E] ne peut être évalué à l’intégralité de la perte de marge subie sur le chiffre d’affaires du secteur EST dont il avait la responsabilité, d’autres facteurs, tels que la capacité organisationnelle et réactionnelle de la société entrant nécessairement en ligne de compte.
Par ailleurs, il y a lieu de constater que dans le cadre du litige commercial l’ayant opposée aux sociétés Lumelec EGI et Lumelec Océan (cf. jugement du tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon du 13 avril 2021, pièce 45) la société ECCS a perçu une indemnisation au titre du préjudices résultant des pertes de marge sur les chantiers non traités, de la désorganisation du service et du préjudice moral et commercial.
Au regard de ces éléments, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné M. [E] à payer à la société ECCS la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts, les premiers juges ayant fait une exacte évaluation des préjudices économiques et commerciaux personnellement imputables à M. [E].
IV – Sur les demandes accessoires :
L’équité commande, d’une part, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné M. [E] à payer à la société ECCS, en application de l’article 700 du C.P.C., la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles par elle exposés en première instance et, d’autre part, de débouter les parties de leurs demandes réciproques de ce chef au titre des frais exposés en cause d’appel.
M. [E] sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Vu le jugement du conseil de prud’hommes des Sables d’Olonne en date du 3février 2021,
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a :
– rejeté la demande de remboursement de salaires faite par la société ECCS,
– condamné M. [J] [E] à payer à la société ECCS la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts,
– rejeté les autres demandes de la société ECCS,
– condamné M. [E] à payer à la société ECCS, en application de l’article 700 du C.P.C., la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles par elle exposés en première instance,
– condamné M. [E] aux dépens de première instance,
Ajoutant au jugement déféré :
– Déboute les parties de leurs demandes réciproques en application de l’article 700 du C.P.C. au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,
– Condamne M. [E] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,