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28 septembre 2023
Cour d’appel d’Amiens
RG n°
22/02942
ARRET
N°
[S]
C/
S.A.S. TRANSPORTS [C] ET FILS
S.A.S. TRANSPORTS [C] ET FILS – LES MARCHÉS DE L’OIS E
copie exécutoire
le 28 septembre 2023
à
Me Morin
Me Majean
CB/MR/BG
COUR D’APPEL D’AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE
ARRET DU 28 SEPTEMBRE 2023
*************************************************************
N° RG 22/02942 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IPGB
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 10 MAI 2022 (référence dossier N° RG 21/00226)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [I] [S]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté et concluant par Me Jean-Mary MORIN, avocat au barreau de COMPIEGNE
ET :
INTIMEES
S.A.S. TRANSPORTS [C] ET FILS agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :
[Adresse 3]
[Localité 5]
Me Jean-Michel LECLERCQ-LEROY de la SELARL LOUETTE-LECLERCQ ET ASSOCIES, avocat au barreau d’AMIENS, postulant
concluant par Me Martin MAJEAN, avocat au barreau de MULHOUSE
S.A.S. TRANSPORTS [C] ET FILS – LES MARCHÉS DE L’OISE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :
[Adresse 2]
[Localité 6]
Me Jean-Michel LECLERCQ-LEROY de la SELARL LOUETTE-LECLERCQ ET ASSOCIES, avocat au barreau d’AMIENS, postulant
concluant par Me Martin MAJEAN, avocat au barreau de MULHOUSE
DEBATS :
A l’audience publique du 06 juillet 2023, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.
Madame Corinne BOULOGNE indique que l’arrêt sera prononcé le 28 septembre 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 28 septembre 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.
*
* *
DECISION :
Le 29 octobre 2018 M. [I] [S] a été embauché par la SAS transports [C] et fils, à effet du 5 novembre 2018 ci-après dénommée la société ou l’employeur, en contrat de travail à durée indéterminée en qualité de conducteur routier de marchandises attaché au siège social situé sur la commune de [Localité 6].
M. [S] est délégué syndical du syndicat « sud-solidaires-route ».
Le contrat de travail est soumis à la convention collective des transports routiers (statut ouvrier groupe 7 coefficient 150H).
Le 28 août 2020, M. [S] a saisi le conseil des prud’hommes de Creil en référé sollicitant des rappels de salaires sur les mois de juin, juillet et aout 2020 outre des dommages et intérêts, une provision au titre du paiement des indemnités de déplacements pour la période du 6 mars au 31 juillet 2020.
Par ordonnance du 26 novembre 2020, le conseil des prud’hommes de Creil a condamné la société à verser à M. [S] diverses sommes au titre du rappel de salaire des mois de juin, juillet 2020 et sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 7 juin 2021 M. [S] a saisi le conseil des prud’hommes de Creil en résiliation de son contrat de travail en raison des manquements de l’employeur puis modifiait sa demande en prise d’acte du contrat de travail.
Par courrier du 26 juillet 2021 M. [S] a pris acte du contrat de travail.
Par jugement du 10 mai 2022 le conseil des prud’hommes de Creil a :
– Dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de M. [S] produit les effets d’une démission
– Condamné M. [S] à verser à la société transports [C] & fils, prise en la personne de son représentant légal, la somme de 357,35 euros à titre d’indemnité de préavis
– Débouté M. [S] de ses demandes
– Débouté la société transports [C] & fils du surplus de ses demandes
– Dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire
– Dit que chaque partie conserve la charge ses propres dépens.
M. [S] a relevé appel du jugement le 10 novembre 2022 dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées.
Par conclusions communiquées par voie électronique le 13 mars 2023 M. [S] demande à la cour de :
– Voir infirmer en toutes ses dispositions le Jugement du Conseil des Prud’hommes en date du 10 Mai 2022
Statuant à nouveau.
– Constater la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail le 26 Juillet 2021
– Voir prononcer la rupture dudit contrat aux torts de l’employeur
– Dire que la rupture équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse
Ce faisant,
– Condamner la SAS transports [C] et fils à lui payer :
* A titre de dommages et intérêts suite au licenciement, la somme de 37407, 20 euros net
* A titre de dommages et intérêts sur la base de l’article 1240 du Code Civil 7 000 euros et 260, 47 euros
* A titre d’indemnité de préavis 3 252, 80 euros et les congés payés y afférents 325, 28 euros
* A titre de rappel de salaire pour la période de Juin 2020 à Juillet 2021 déduction faite de la période accordée en référé, 7784, 76 euros et les congés payés y afférents
Subsidiairement condamner la SAS transports [C] et fils à lui payer au titre de rappel de salaire, la somme de 1.675, 94 euros et les congés payés y afférents soit 167,59 euros
* 3.282 euros au titre du remboursement des frais
* 325, 28 euros à titre de l’indemnité de licenciement
* 134, 56 euros à titre du remboursement de la visite médicale
Condamner la SAS transports [C] et fils à remettre sous astreinte de 50 euros par jour de retard :
Une lettre de rupture
Les bulletins de salaire correspondant aux condamnations.
Une attestation, ASSEDIC
– Dire que les condamnations portent intérêts au taux légal de la saisie du conseil de prud’hommes
– Débouter la SAS transports [C] et fils de son appel incident
– Condamner la SAS transports [C] et fils à lui payer la somme de 2 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile
– La condamner aux entiers dépens, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions communiquées le 20 décembre 2022 la SAS transports [C] et fils prie la cour de :
Sur l’appel principal:
‘ Débouter M. [S] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre
‘ Juger que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par M. [S] en date du 26 juillet 2021 devra produire les effets d’une démission
En conséquence :
‘ Débouter M. [S] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre
‘ Condamner M. [S] à lui verser la somme de 357,35 euros bruts au titre de l’indemnité de préavis
Sur l’appel incident:
‘ Condamner M. [S] à lui verser la somme de 5 804,61 euros bruts au titre du salaire trop versé
‘ Condamner M. [S] à lui verser la somme de 3000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
‘ Condamner M. [S] aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel dont distraction directe est requise au profit de Me Leclercq, Avocat aux offres de droit,
L’affaire a été clôturée le 7 juin 2023 et fixée à l’audience de plaidoirie le 22 juin 2023.
L’affaire a été examinée et mise en délibéré à la date du 21 septembre 2023 par mise à disposition au greffe.
MOTIFS
Sur l’exécution du contrat de travail
Sur le rappel de salaire
M. [S] sollicite la condamnation de l’employeur à lui verser la part des salaires qui ne lui ont pas été versés, que la société prétend qu’elle effectuait des avances sur salaires qui donnaient lieu ensuite à des retenues mais que les fiches de paie démontrent que ce n’est pas le cas car elles mentionnent des montants très inférieurs aux heures travaillées voire à 0 euros, que des heures de délégation ne sont pas comptabilisées et qu’il a été placé en congés sans l’avoir demandé.
Le salarié s’étonne de la réclamation de la société en arguant d’un trop payé alors que le disque chronotachygraphe ne correspond pas aux temps de conduite retenu par l’employeur, que le calcul de la société est erroné car la somme retenue par heure de travail est incorrecte.
La société s’oppose à cette demande répliquant qu’elle versait mensuellement une avance sur heures supplémentaires qui était régularisée en N+1 ou N+2, que le salarié a connu une longue période d’arrêt de travail entre juillet et décembre 2020, qu’il est encore redevable de la contre-valeur de 393 heures dont elle demande le remboursement.
Sur ce
L’étude des fiches de paie permet de retrouver des sommes sous l’intitulé de «déplacement de base» qui pourraient correspondre aux avances sur heures supplémentaires.
L’employeur produit un tableau en pièce 3 incompréhensible alors que les fiches de paie ne reprennent pas pour chaque mois le décompte entre les sommes avancées et celles réclamées. A cet effet dès le début de la relation de travail, le mois de novembre 2018 indique un déplacement de base de 800 euros puis en décembre un montant de 900 euros tout en déduisant une somme de 1900 euros de retenue en décembre, ce qui est supérieur à l’avance consentie ; pour janvier il est retenu une somme de 1500 euros alors que le salarié n’a perçu que 500 euros de déplacement de base ce même mois. Or le salarié avait travaillé normalement sans arrêt de travail.
Les fiches de paie, sont toutes rédigées sur le même schéma avec une « avance » et une retenue dont il n’est pas justifié l’avance correspondante.
Dans ces conditions faute pour l’employer d’expliquer clairement ses modalités de calcul des avances-retenues, la cour condamnera la société à verser à M. [S] une somme de 7784,76 euros outres les congés payés afférents.
Sur l’exécution du contrat de travail
Sur la prise du contrat de travail par le salarié
M. [S] soutient que l’employeur a manqué à ses obligations à son égard faisant valoir que malgré la condamnation au rappel de salaires des mois de juin et juillet 2020 il pensait que la société allait cesser de retenir chaque mois abusivement une somme intitulée « trop perçu » sans en justifier, que pendant les mois compris entre juin 2020 et juillet 2021 il a subi une retenue très importante si bien qu’il ne travaillait que pour presque rien le contraignant à emprunter.
Il conteste le calendrier des absences versé par l’employeur qu’entre le 20 et le 31 mars 2020 car il a été placé en congé solidaire alors qu’il n’avait pas formé de demande de congés payés, que le 29 avril 2020 le chômage partiel a cessé et qu’il n’était pas en congés payés les 21, 24 et 28 décembre 2020 mais en jours travaillés mais que l’employeur ne lui avait pas fourni de travail, qu’entre le 22 et le 25 janvier 2021 il était isolé car cas contact covid, de même le 16 mai 2021.
Il nie avoir perçu un salaire supérieur à celui qu’il aurait dû percevoir, qu’il n’y a pas d’indu, qu’il produit le disque chronotachygraphe de décembre 2018 à juillet 2021 qui prouve ses temps de conduite auxquels il faut ajouter les heures de délégation syndicale, que la société lui est donc redevable de salaires.
Il fonde aussi sa demande sur la modification unilatérale des conditions de travail par l’employeur qui lui a retiré le véhicule de fonction mis à sa disposition pour les trajets domicile-travail en prétendant qu’il l’utilisait pour assurer ses fonctions de délégation ce qu’il nie fermement, qu’il a donc réclamé le remboursement de frais kilométriques qui lui a été refusé au motif fallacieux, qu’il devait utiliser le véhicule de son épouse. Il argue que cette suppression d’un avantage constituait un élément de la rémunération peu important que le contrat de travail le mentionne car il en a bénéficié effectivement, que la suppression de cet usage nécessitait de suivre une procédure particulière que l’employeur a ignorée.
Il ajoute avoir vu son emploi modifié de conducteur longue distance en conducteur régional sans en avoir été averti au préalable perdant ainsi des indemnités de grands déplacements, qu’après un arrêt de travail en décembre 2020, il devait reprendre et en avait informé l’employeur qui ne lui a pas répondu et que le 8 décembre 2020, jour de reprise il s’est aperçu qu’aucune lingette désinfectante n’avait été mise à sa disposition, que le chauffage était en panne avec un problème de frein car le contrôle technique du véhicule n’était plus à jour.
Il invoque enfin une atteinte à la liberté syndicale, l’employeur refusant de lui communiquer les documents demandés et ce malgré l’intervention de l’inspection du travail, qu’il n’invoque pas le délit d’entrave, que les témoignages et la pétition ne justifient pas l’attitude de la société.
La société conteste l’existence de quelconque manquement répliquant que la durée contractuelle du travail était de 152 heures mensuelle auxquelles s’adjoignaient les heures supplémentaires effectuées, que chaque mois il lui était versé une avance sur ces heures supplémentaires régularisées le mois suivant après analyse de la carte conducteur, que lors du chômage partiel du 1er au 30 avril 2020 puis suite à l’arrêt maladie ininterrompu du 28 juillet au 5 décembre 2020, des arrêts de travail du 25 au 30 janvier 2021, du 6 au 29 avril 2021, du 16 au 25 juillet 2021 (date de la prise d’acte du contrat de travail) il s’est avéré que le salarié avait été payé au-delà de ce qui lui était dû, qu’il s’agit donc non d’une retenue mais d’une régularisation sur salaire.
Elle sollicite donc la condamnation du salarié à lui rembourser la contre-valeur d’avance d’heures supplémentaires non réalisées, qu’il bénéficiait en outre d’une anticipation sur salaires repris sur le fiches e paie, que la société n’est donc en rien responsable de difficultés financières du salarié et il est ainsi démontré que ce manquement est infondé.
L’employeur précise que le salarié n’a jamais bénéficié d’un véhicule de fonction ou de service non prévu au contrat de travail ou repris en avantage en nature sur la fiche de paie, qu’il ne s’agit pas plus d’un usage, que le salarié lui reproche de ne pas lui en avoir fait bénéficier mais qu’il ne le pouvait pas car ces véhicules sont dotés d’un système de géolocalisation de sorte qu’il aurait eu connaissance de ses déplacements, situation incompatible avec les fonctions syndicales du salarié susceptible de constituer un délit d’entrave.
La société nie toute entrave soutenant qu’il n’y a pas eu de dépôt de plainte, qu’elle a répondu au refus de transmission de documents mais que le salarié n’est pas allé chercher le recommandé à la poste, qu’en réalité M. [S] débordait les heures de délégation alors que le salarié a fait l’objet d’une pétition des autres salariés lui reprochant son manque d’investissement pour les représenter.
Sur ce
La prise d’acte est un mode de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié.
Il résulte de la combinaison des articles L 1231-1, L 1237-2 et L 1235-1 du code du travail que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.
Il appartient au salarié d’établir les manquements invoqués et leur gravité ayant empêché la poursuite de contrat qu’il allègue à l’encontre de l’employeur.
L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d’examiner les manquements de l’employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.
Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et cesse son travail à raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.
En l’espèce, il résulte de la lettre de rupture du salarié qu’il reproche à l’employeur les manquements suivants:
– Des retenues injustifiées sur salaires
– La suppression d’un avantage à savoir l’utilisation d’un véhicule
– Une entrave à ses fonctions de délégué syndical.
Sur le premier manquement
Les fiches de paie produites par les parties révèlent qu’entre juin 2020 et juillet 2021 les salaires perçus par M. [S] étaient minimes voire égaux à 0 euros.
Le salarié a été absent pendant la période comprise entre le 28 juillet et le 5 décembre 2020 ; le solde à 0 s’explique de ce fait. En revanche pour les autres périodes l’employeur explique que les salariés percevaient une avance sur salaires plus précisément sur les heures supplémentaires à venir, ce qui n’est pas démenti par le salarié.
La cour a jugé précédemment que le salarié n’avait pas été rempli de ses droits salariaux et a condamné la société à un rappel de salaires.
Le prêt consenti par l’employeur au salarié répond aux mêmes exigences de remboursement que l’avance : il ne peut donner lieu à compensation avec les salaires que dans la limite du 1/10 de chaque paie conformément à l’article L 3251-3 du code du travail. Ce texte s’applique aussi au trop-perçu par un salarié.
Or la société a retenu sur les mois litigieux des sommes sans pour autant respecter le seuil de 10% de l’article L 3251-3 du code du travail.
Le conseil de prud’hommes de Creil avait condamné l’employeur en référé à payer des salaires en visant non l’article L 3251-3 du code du travail mais en motivant sur l’impossibilité de retenir au-delà de la quotité saisissable. L’employeur ne pouvait ignorer que sa pratique était irrégulière.
Le manquement est donc constitué, ce d’autant que l’employeur ne justifie pas en avoir informé au préalable le salarié ainsi que l’a relevé le conseil de prud’hommes en référé.
Sur le second manquement
La suppression ou la réduction d’un avantage ou des frais professionnels constituent une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié. Il va ainsi pour le retrait de l’usage du véhicule de l’entreprise mis à la disposition du salarié, la suppression d’un avantage en nature, de pourboires ou encore d’une indemnité kilométrique par exemple.
Toutefois il faut justifier d’un tel avantage. En l’espèce, le contrat de travail ne mentionne pas l’existence de cet avantage et les fiches de paie ne le reprenne pas non plus.
Le statut de délégué syndical de M. [S] ne lui ouvre pas d’avantage lié à la mise à disposition d’un véhicule pour remplir ses fonctions.
Une pratique de l’employeur peut être qualifiée d’usage et ainsi acquérir une valeur contraignante que si les trois critères de constance, généralité et fixité sont réunis cumulativement.
La généralité suppose que cet avantage est octroyé au moins aux salariés d’une même catégorie professionnelle.
La constance implique que l’avantage soit attribué un certain nombre de fois aux salariés d’une manière continue.
La fixité requiert que l’avantage soit déterminé selon des critères précis.
Or en l’espèce le salarié ne justifie pas la réunion de ces éléments pour fonder un avantage en nature qui au surplus aurait été supprimé par l’employeur.
Le salarié prétend que l’employeur a modifié son contrat de travail en conducteur longue distance en conducteur régional. La cour observe toutefois que le contrat de travail ne spécifie pas qu’il aurait été cantonné à un poste de conducteur longue distance mais qu’au contraire l’article 2 stipule qu’il effectuera principalement ses missions afférentes aux transports routiers de marchandise, à effectuer tous types de transports nécessaires (régionaux, nationaux et internationaux).
Le manquement n’est pas constitué.
Sur le troisième manquement
Le salarié n’invoque pas une entrave pour laquelle la juridiction prud’homale est aussi compétente mais formule sa demande en arguant que la société a porté atteinte à son activité syndicale en refusant de lui communiquer différents documents.
Il verse aux débats les deux courriers de réclamations et la réponse de l’inspection du travail qu’il avait sollicité et qui lui indique le 2 décembre 2020 qu’elle a eu contact avec la société par rapport à sa réclamation.
La société ne justifie pas de l’envoi des documents demandés même si l’ancien délégué syndical Sud atteste que pendant ses 6 ans d’exercice il a obtenu à chaque fois les documents demandés, que si l’inspection du travail n’a pas donné suite il en avait déduit que le nécessaire avait été fait.
Ce dernier manquement est constitué.
M. [S] a protesté contre le fait qu’il estimait que l’employeur ne lui versait pas correctement les salaires dus. Il a saisi le conseil des prud’hommes en référé pour obtenir le paiement des salaires de juin à août 2020 et il a obtenu la condamnation de l’employeur.
Pour autant la société a persisté dans sa méthode de calcul faisant perdurer le manquement. M. [S] a alors saisi le conseil des prud’hommes en résiliation de contrat de travail en juin 2021 puis a pris acte de ce contrat par courrier du 27 juillet 2021 en modifiant sa demande judiciaire en prise d’acte aux torts exclusifs de l’employeur.
En l’état M. [S] a pu légitimement déduire de ces circonstances l’existence de manquements de son employeur à ses obligations contractuelles d’une gravité suffisante, le salaire ayant un caractère alimentaire, pour justifier une prise d’acte de la rupture des relations de travail devant produire tous les effets attachés à un licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le jugement sera donc infirmé et la cour jugera désormais que la prise d’acte du contrat de travail par M. [S] était justifiée et doit produire les effets d’un licenciement de licenciement nul car le salarié était désigné en qualité de délégué syndical.
Sur les demandes indemnitaires du salarié
M. [S] sollicite l’indemnisation de son préjudice par la condamnation de l’employeur à lui verser l’indemnité compensatrice de préavis incorrectement dénommée dans les conclusions indemnité de préavis, l’indemnité de licenciement, des dommages et intérêts calculés sur une période comprise entre le 27 juillet 2021 et le 31 décembre 2023 augmentée de 6 mois soit 23 mois d’ancienneté car il est titulaire d’un mandat de délégué syndical et des dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du code civil destiné à rembourser les emprunts qu’il a dû solliciter auprès de ses proches et de ses enfants en raison des difficultés financières consécutives au non-paiement des salaires outre des frais de transport et de visite médicale.
La société s’oppose à ces demandes rétorquant que M. [S] a démissionné, que les emprunts sont sans lien avec les salaires impayés et qu’il ne peut être réclamé un préavis en cas de démission ni des remboursements de frais de transport ou de visite médicale.
Sur ce
La cour rappelle que le salarié protégé dont le contrat de travail a été rompu illégalement a le droit d’obtenir :
‘les indemnités de rupture de son contrat de travail ;
‘une indemnité forfaitaire au titre de la violation de son statut protecteur ;
‘une indemnité liée au caractère illicite de son licenciement.
Indemnité compensatrice de préavis
Lorsque la prise d’acte de rupture du contrat de travail d’un salarié protégé est justifiée, elle produit les effets d’un licenciement nul. Il s’ensuit que le juge qui décide que les faits invoqués justifiaient la rupture doit accorder au salarié l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents.
L’article L1234-1 du code du travail édicte que « Lorsque le licenciement n’est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :
1° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l’accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession;
2° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d’un mois ;
3° S’il justifie chez le même employeur d’une ancienneté de services continus d’au moins deux ans, à un préavis de deux mois.
Le salarié avait 2 ans et 8 mois d’ancienneté au moment de la prise d’acte du contrat de travail aux torts de l’employeur.
Le préavis étant, eu égard à l’ancienneté du salarié, de deux mois, ce dernier peut prétendre à une indemnité compensatrice ramenée à 3252,80 euros outre les congés payés soit 325,28 euros somme non spécifiquement contestée.
Le jugement étant infirmé sur ce point.
Indemnité de licenciement
Il est constant qu’à la date de la prise d’acte du contrat de travail en juillet 2021 M. [S] avait 2 ans et 8 mois d’ancienneté.
La cour, par infirmation du jugement, condamnera la société à payer à M. [S] la somme de 325,28 euros, somme non spécifiquement contestée par l’employeur, à titre d’indemnité de licenciement.
Sur l’indemnité pour violation du statut protecteur
L’article L 2411-1 prévoit une protection contre le licenciement, y compris lors d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, du salarié investi du mandat de délégué syndical.
Le licenciement de M. [S] est donc nul, faute de respect de la procédure d’autorisation administrative. Il ne sollicite toutefois pas de la cour qu’elle juge son licenciement nul mais seulement sans cause réelle et sérieuse et une indemnisation du licenciement nul mais des dommages et intérêts suite à la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur alors qu’il était titulaire d’un mandat syndical.
En cas de prise d’acte produisant les effets d’un licenciement, celui-ci est nul, le salarié protégé a donc droit, comme pour tout licenciement nul faute d’autorisation administrative, à une indemnité forfaitaire pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu’il aurait dû percevoir depuis la date de la rupture jusqu’à l’expiration de la période de protection en cours, dans la limite de trente mois, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel augmentée de six mois..
En l’espèce il n’est pas contesté que le mandat de M. [S] a débuté en janvier 2020 pour 4 ans.
Il doit donc percevoir une indemnité égale au montant des rémunérations qu’il aurait dû percevoir entre son éviction (le 21 juillet 2021 date de la prise d’acte du contrat de travail) et l’expiration de la période de protection en cours dans la limite de 30 mois.
L’indemnité donc doit être calculée de la date de la prise d’acte du contrat de travail par le salarié soit le 27 juillet 2021 jusqu’au 31 décembre 2023 soit dans la limite de deux ans, durée minimale légale de son mandat, augmentée de 6 mois maximum.
La société transports [C], par infirmation du jugement, sera donc condamnée à verser à M. [S] la somme de 37 407,20 euros sur la base d’un salaire mensuel non contesté de 1 626,40 euros.
Sur la demande en dommages et intérêts en réparation du préjudice né des difficultés financières
M. [S] argue que ses salaires n’étant pas versé il a été contraint de recourir à l’aide financière de son fils et a dû souscrire un emprunt bancaire pour faire face à ses dépenses.
Le salarié ne produit pas de pièces sur les difficultés financières invoquées ni sur les prêts qui lui auraient été consentis auprès de son fils et de la banque.
La cour déboutera M. [S] de cette demande par confirmation du jugement.
Sur la demande de remboursement de frais
M. [S] réclame le remboursement de frais liés à une visite médicale du permis et des frais de déplacement.
Les frais médicaux en ce compris les frais de visite pour le permis de conduire sont pris en charge de façon globale par la Cpam et les frais de déplacements d’indemnisation pour assurer les trajets domicile – lieu de travail sont à la charge du salarié.
M. [S] sera débouté de la demande à ce titre par confirmation du jugement.
Sur les documents de fin de contrat de travail
La cour condamne la société à fournir au salarié les documents de fin de contrat conformes au présent arrêt sans qu’il soit nécessaire à ce stade de fixer une astreinte.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les dispositions du jugement entrepris sont infirmées.
Il apparait inéquitable de laisser à la charge M. [S] les sommes qu’il a exposées pour la procédure d’appel. La société Transports [C] et fils est condamnée à lui verser la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure.
Succombant la société est déboutée de la demande à ce titre.
Succombant elle supportera les dépens de l’ensemble de la procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement par arrêt mis à disposition du greffe et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Creil le 10 mai 2022 sauf en ce qu’il a débouté M. [S] de ses demandes relatives à :
– La réparation du préjudice financier consécutif au non-paiement de l’intégralité des salaires
– Au paiement des frais de visite médicale et des frais de déplacement domicile-travail
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant
Dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par M. [I] [S] est fondée,
Dit que la prise d’acte du contrat de travail par le salarié aux torts exclusifs de la société transports [C] et fils produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la société transports [C] et fils à verser à M. [I] [S] les sommes suivantes :
– 7 784,76 euros outres les congés payés afférents,
– 3 252,80 euros outre les congés payés soit 325,28 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
– 325,28 euros, à titre d’indemnité de licenciement,
– 37 407,20 euros au titre de l’indemnité pour violation du statut protecteur,
avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation (créances salariales, rappel de salaire, heures supplémentaires, congés payés, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité légale ou conventionnelle de licenciement…),
avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt – ou du jugement en cas de confirmation – (créances indemnitaires, indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité de requalification en contrat à durée indéterminée, préjudice moral, procédure abusive…),
Condamne la société transports [C] et fils à verser à M. [I] [S] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure,
Rejette les demandes plus amples ou contraires,
Condamne la société transports [C] et fils aux dépens de l’ensemble de la procédure.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.