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27 janvier 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
21/00366
ARRÊT DU
27 Janvier 2023
N° 97/23
N° RG 21/00366 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TPV7
OB/VM
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Lille
en date du
05 Février 2021
(RG 18/00691 -section 4)
GROSSE :
aux avocats
le 27 Janvier 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANT :
M. [X] [R]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Maître Anne DURIEZ avocat au barreau de LILLE, substituée par Me Hélène DORANGEON avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
S.A.R.L. BUREAU INGÉNIERIE DES HAUTS DE FRANCE
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Maître Barbara FLORCZAK avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l’audience publique du 03 Janvier 2023
Tenue par Olivier BECUWE
magistrat chargé d’instruire l’affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie DOIZE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Olivier BECUWE
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
Isabelle FACON
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 13 Décembre 2022
EXPOSE DU LITIGE :
M. [R] a été engagé à durée indéterminée le 4 décembre 2017 en qualité d’économiste et chargé d’affaires par la société BI des Hauts-de-France (la société) qui emploie de 3 à 5 salariés.
Sa rémunération brute mensuelle s’élevait à la somme de 3 660 euros pour un temps de travail hebdomadaire de 35 heures et 30 minutes.
La convention collective nationale applicable était celle, en dernier lieu, des collaborateurs salariés des entreprises d’économistes de la construction et des métreurs-vérificateurs du 16 décembre 2015.
La société a mis à disposition du salarié un véhicule de service réservé exclusivement aux déplacements professionnels et aux trajets entre le domicile et l’entreprise.
Par lettre du 15 juin 2018, M. [R] a pris acte de la rupture du contrat de travail en reprochant à la société d’avoir, premièrement, procédé à des faits d’espionnage par géolocalisation du véhicule, deuxièmement, tenté de le géolocaliser par téléphone portable, troisièmement, commis des faits de harcèlement par des demandes incessantes sur ses déplacements et ses horaires, quatrièmement, contrôlé quotidiennement ses rendez-vous.
Il a ultérieurement précisé un dernier grief tenant aux difficultés rencontrées pour le remboursement de ses notes de frais, le contraignant ainsi à utiliser le véhicule de la société.
Voulant faire produire à la prise d’acte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [R] a saisi le conseil de prud’hommes de Lille de demandes de ce chef.
Par un jugement du 5 février 2021, la juridiction prud’homale l’en a débouté et l’a condamné à payer un préavis d’un mois, la prise d’acte produisant les effets d’une démission, ainsi que des dommages-intérêts pour rupture abusive.
Sur le grief de géolocalisation du véhicule, elle a retenu que la preuve d’une atteinte à la vie privée n’était pas rapportée, faute de mise en fonctionnement de la balise.
Sur le grief de géolocalisation par le téléphone, elle a constaté que les doléances du salarié portaient sur une seule journée, en l’occurrence celle du 8 mars 2018, et que les nombreux envois reçus s’expliquaient par une erreur de manipulation de l’expéditeur qui n’était d’ailleurs pas son employeur, mais le père de ce dernier.
Sur les griefs de harcèlements et de contrôles quotidiens, elle a estimé que le requérant échouait à démontrer un commencement de preuve.
Par déclaration du 8 mars 2021, le salarié a fait appel.
Il sollicite l’infirmation du jugement et réitère ses prétentions initiales.
Sur l’imputabilité de la rupture, il soutient, pour l’essentiel, que l’installation du dispositif de géolocalisation dans le véhicule s’est illégalement faite à son insu et qu’il est évident, au regard du manuel d’utilisation et de l’abonnement, qu’il a été activé.
Conjugué aux contrôles incessants dont il aurait fait l’objet de la part de la société, qui ne peut, selon lui, se retrancher derrière de supposés dysfonctionnements du téléphone portable par le biais duquel il a été joint à de très nombreuses reprises, il en déduit un manquement suffisamment grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail.
Sur les conséquences de cette rupture, il remet notamment en cause la conventionnalité de l’article L.1235-3 du code du travail en invoquant la décision rendue, sur le fondement de l’article 24 de la Charte sociale européenne, par le comité européen des droits sociaux le 23 mars 2022 et publiée le 26 septembre 2022.
Par ses dernières conclusions en réponse, la société réclame la confirmation du jugement, sauf à l’infirmer sur le montant des dommages-intérêts pour rupture abusive.
Elle concentre ses explications sur l’imputabilité de la rupture et prétend principalement, sur le grief tiré de la géolocalisation du véhicule, que sa mise en place n’est pas, en soi, illicite et qu’elle respecte, en l’espèce, tant le règlement européen pour la protection des données que les préconisations de la commission nationale de l’informatique et des libertés auprès de laquelle la déclaration préalable n’a plus à être faite.
Elle ajoute, pour l’essentiel, que le salarié avait le choix d’utiliser son véhicule personnel, que l’employeur avait, pour le protéger d’un vol, fait installer la balise sur le véhicule de la société qu’il avait un temps utilisé, qu’il a oublié de la retirer, que le traqueur ne fonctionnait pas, qu’il était parfaitement visible à l’oeil nu, que M. [R] aurait pu en solliciter le retrait ou le désactiver, ce qu’il n’a pas fait, que ses fonctions ne lui conféraient pas une autonomie de nature à l’exonérer de toute géolocalisation et que la poursuite du contrat de travail n’en a pas été compromise.
Elle adopte, pour le surplus, les motifs du jugement.
MOTIVATION :
1°/ Sur l’imputabilité de la rupture :
Les griefs tenant à la tentative de géolocalisation par téléphone portable ainsi que ceux relatifs à un harcèlement, au contrôle quotidien des rendez-vous et au remboursement des notes de frais doivent être écartés.
M. [R] n’apporte, en effet, aucun élément objectif à l’appui de ses allégations.
Il est justifié par l’intimée du dysfonctionnement du téléphone portable qui, le 8 mars 2018, a émis à intervalle réguliers des appels provenant du père du dirigeant de la société, et non de l’employeur lui-même.
Ces faits apparaissent d’ailleurs circonscrits au 8 mars 2018.
L’employeur était, en outre, en droit de contrôler l’activité régulière de M. [R] et aucune des pièces versées aux débats ne permet d’accréditer l’idée d’un contrôle trop fréquent ou de demandes insistantes à caractère harcelant.
Quant aux notes de frais, il n’est ni justifié ni même soutenu qu’elles n’ont pas été remboursées, M. [R] ne formulant aucune prétention de ce chef.
La véritable difficulté porte, en réalité, sur l’installation d’un système de géolocalisation sur le véhicule mis à disposition du salarié.
Compte tenu de sa taille, l’entreprise ne disposait pas d’un comité d’entreprise ou d’un comité social et économique lequel doit être informé et consulté avant toute installation d’un tel système de surveillance.
Mais il n’est ni contesté ni d’ailleurs contestable que ladite géolocalisation, peu important qu’elle ait pu être installée à l’époque où l’employeur se servait lui-même du véhicule, en a assorti l’utilisation sans que le salarié en ait été préalablement informé, ce qui apparaît illégal et caractérise, à son égard, une violation des articles L.1121-1 et L.1222-4 du code du travail ainsi que des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
La balise ou le traceur fonctionnait par signaux ainsi que par messages et l’abonnement souscrit, auprès d’un opérateur, par l’employeur permettait, en l’espèce, un usage illimité de ces derniers.
Le fait que la balise ou le traceur devait être régulièrement rechargé, toutes les 48 heures, n’a nullement constitué un obstacle à son utilisation régulière, le véhicule ayant, en effet, vocation à fréquemment revenir au sein de l’entreprise de sorte qu’il pouvait être ouvert par l’employeur.
M. [R] n’avait pas à mener lui-même une enquête sur l’existence d’un système de surveillance dont il importe peu qu’il ait pu en apercevoir l’existence.
Il a fait constater par voie d’huissier, le 16 avril 2018, l’existence du système de géolocalisation dont rien n’indique, la preuve en incombant d’ailleurs à l’employeur, qu’il n’a pas été mis en fonctionnement.
De même, il importe peu que le salarié ait eu, le cas échéant, la possibilité de bloquer la géolocalisation puisqu’il n’en avait pas été informé.
Le fait que ses fonctions auraient pu autoriser le recours à la géolocalisation pour contrôler son temps du travail est indifférent, s’agissant d’une condition relative, en aval, à l’usage de la géolocalisation et non, en amont, à son installation laquelle requiert impérativement, et en toute hypothèse, une information préalable, précise et détaillée du salarié.
Il s’ensuit que l’employeur a eu un comportement déloyal auquel il n’a pas mis un terme et qu’il a même tenté de justifier.
C’est donc à juste titre que le salarié a pris acte de la rupture.
2°/ Sur les conséquences :
A – Sur le préavis :
Il sera accordé à M. [R] la somme de 3 660 euros au titre d’un mois de salaire vu son ancienneté.
B – Sur l’indemnité légale :
C’est à juste titre que le salarié calcule l’indemnité légale, plus favorable que l’indemnité conventionnelle, sur la base de l’article R.1234-2 du code du travail et qu’il aboutit à la somme de 530,70 euros.
L’appelant demande que cette somme, issue d’un salaire brut, soit en net et non en brut.
L’indemnité de licenciement n’a pas le caractère d’un salaire et elle est susceptible d’exonération de cotisations sous diverses conditions.
La condamnation sera donc ordonnée, déduction à faire des éventuelles cotisations applicables.
C – Sur les dommages-intérêts au titre d’une rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse :
L’appelant remet en cause la conventionnalité de l’article L.1235-3 du code du travail.
Mais les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur, sont de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail, comme la Cour de cassation l’a d’ailleurs déjà dit (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-14.490).
Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée.
Et il est indifférent d’invoquer la décision postérieure du Comité européen des droits sociaux rendue en 2002 dès lors que les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, comme la Cour de cassation l’a d’ailleurs déjà jugé (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-15.247).
L’invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.
Il s’ensuit que, compte tenu de son ancienneté inférieure à une année, M. [R], qui réclame la somme de 15 000 euros, a droit à une indemnité d’un montant maximum d’un mois de salaire brut.
Compte tenu de son âge, comme étant né en 1985, de sa qualification, de sa rémunération, de la durée de la relation de travail, et en l’absence d’éléments circonstanciés sur sa situation personnelle et familiale, il lui sera accordé la somme de 1 500 euros au titre du préjudice de perte d’emploi.
L’appelant demande que cette somme, issue d’un salaire brut, soit en net et non en brut.
Mais il est fait la même remarque qu’au sujet de l’indemnité légale.
3°/ Sur les demandes reconventionnelles :
Il résulte des développements qui précèdent que la rupture étant imputable à l’employeur, elle ne saurait être analysée en une démission et revêtir un caractère abusif.
Il y aura donc lieu de rejeter les demandes de ces chefs.
4°/ Sur la sanction de l’article L.1235-4 du code du travail :
C’est à tort que M. [R] réclame l’application de cette sanction compte tenu de son ancienneté et de la taille de l’entreprise.
5°/ Sur les documents de fin de contrat :
L’appelant réclame ‘les documents de sortie’, sans les préciser.
L’employeur sera donc condamné à délivrer au salarié, en application des articles D.1234-6 du code du travail et suivants, le certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et l’attestation destinée à Pôle emploi, le tout rectifiés conformément au présent arrêt, et sans que le prononcé d’une astreinte apparaisse nécessaire.
6°/ Sur les frais irrépétibles :
Il sera équitable de condamner la société, qui sera déboutée de chef, à payer au salarié la somme de 1 800 euros.
7°/ Sur le droit de recouvrement direct au profit de l’avocate de M. [R] :
Ce droit, dont le bénéfice est sollicité, sera ordonné conformément à l’article 699 du code de procédure civile, mais seulement sur les dépens d’appel, la représentation n’étant pas obligatoire devant le conseil de prud’hommes.
PAR CES MOTIFS :
La cour d’appel, statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :
– infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 février 2021, entre les parties, par le conseil de prud’hommes de Lille ;
– statuant à nouveau, dit que la prise d’acte de M. [R] produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– condamne la société BI des Hauts-de-France à lui payer les sommes suivantes :
* 3 660 euros au titre du préavis ;
* 530,70 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
* 1 500 euros au titre des dommages-intérêts pour rupture imputable à l’employeur ;
– précise que ces condamnations s’entendent déduction à faire des éventuelles cotisations applicables ;
– condamne la société BI des Hauts-de-France à délivrer à M. [R] le certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et l’attestation destinée à Pôle emploi, le tout rectifiés conformément au présent arrêt ;
– la condamne également à payer à M. [R] la somme de 1 800 euros à titre de frais irrépétibles ;
– rejette le surplus des prétentions ;
– condamne la société BI des Hauts-de-France aux dépens de première instance et d’appel dont droit de recouvrement direct sur les dépens d’appel au profit de Mme Anne Duriez, avocate au barreau de Lille.
LE GREFFIER
Annie LESIEUR
LE PRÉSIDENT
Olivier BECUWE