Galeriste : 9 novembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/19623

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRET DU 09 NOVEMBRE 2023

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/19623 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEUU2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 octobre 2021 – Tribunal judiciaire de Paris (18ème chambre, 2ème section) RG n° 16/09519

APPELANTS

Mme [F] [P] épouse [L]

née le 15 Mars 1972 à [Localité 9] (92)

[Adresse 5]

[Localité 8]

M. [G] [P]

né le 19 Juin 1967 à [Localité 9] (92)

[Adresse 2]

[Localité 10]

Représentés par Me Jean-Philippe AUTIER, avocat au barreau de Paris, toque : L0053

Assistés de Me Michèle UZAN FALLOT, avocat au barreau de Paris, toque : C1095

INTIMES

M. [S] [M]

né le 18 Juin 1945 à [Localité 11]

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représenté par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de Paris, toque : D2090

S.E.L.A.R.L. ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES

Immatriculée au R.C.S. de Paris sous le n° 533 357 695

Agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL MULTIPLICATA

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Justine CAUSSAIN, avocat au barreau de Paris, toque : D0203

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Nathalie Recoules, présidente de chambre

Mme Sandra Leroy, conseillère

Mme Emmanuelle Lebée, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Sandrine Stassi-Buscqua

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Nathalie Recoules, présidente de chambre et par Mme Sandrine Stassi-Buscqua, greffière, présente lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 12 octobre 1989, la sarl Multiplicata, ayant pour gérant M. [S] [M], dit [M]-[W], a acquis un droit au bail commercial portant sur la totalité d’un immeuble de type industriel appartenant à Mme [N] [K], composé d’un R + 3 sur sous-sol, édifié [Adresse 3] à [Localité 10].

Après avoir réalisé des travaux dans les locaux, la société Multiplicata a exercé dans les lieux, à compter de 1991, une activité de galerie d’art animée par M. [S] [M] et son épouse, Mme [B] [W] (les époux [M]-[W]).

Le bail a été renouvelé par acte sous seing privé du 27 mai 1999 pour une durée de neuf années courant rétroactivement à compter du 1er juillet 1997. à cette occasion, il a été stipulé dans l’acte que les lieux étaient loués pour l’exercice exclusif de l’activité d’”Agence de publicité ou de relations publiques, éditions littéraires ou artistiques, galerie ou atelier de peinture ou de sculpture, décoration, design et Stylisme de mode et couture, maquettiste publicitaire, photocomposition et photogravure, traitement informatique”.

M. [G] [P] et sa soeur Mme [F] [P], épouse [L], (les consorts [P]) sont venus aux droits de Mme [K] par suite de la donation consentie à leur profit le 29 décembre 2005.

Par arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 avril 2011, infirmant un jugement du tribunal de grande instance de Paris qui avait accueilli la demande de déplafonnement du loyer formée par les bailleurs, le bail a été renouvelé pour neuf années à compter du 1er janvier 2007, le loyer étant fixé à la somme de 76 748 euros par an HT et HC. Aucun avenant de renouvellement n’a été formalisé par les parties.

Considérant que le preneur n’exploitait plus aucune activité dans les locaux sous-loués, selon eux, pour des défilés de mode, les bailleurs ont fait dresser dans les lieux un procès-verbal de constat d’huissier de justice le 26 mai 2015, après y avoir été autorisés par ordonnance sur requête.

Le 16 juin 2015, ils ont fait signifier au preneur une mise en demeure au visa de l’article L. 145-17 du code de commerce, comportant en annexe le procès-verbal de constat du 26 mai 2015, d’avoir à mettre un terme aux manquements suivants :

“- dégarnissement des lieux loués

– cessation de l’exploitation des locaux à usage de galerie d’art et dans tous les cas pour une activité autorisée par le bail

– défaut d’exploitation personnelle des lieux et sous-location des locaux à des sociétés tierces”.

Par ce même acte, il était fait sommation à la locataire de justifier :

“- de l’adaptation des locaux aux normes relatives aux établissements recevant du public de Type R5

– de [son] attestation d’assurance couvrant les risques inhérents à l’organisation de défilés et à l’usage des lieux en tant que showroom des années 2012 à 2015 inclus”.

Par lettre du 15 juillet 2015 adressé au conseil des bailleurs, le preneur a contesté les manquements qui lui étaient reprochés.

Par acte extrajudiciaire signifié aux bailleurs le 21 juillet 2015, il a demandé le renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2016.

Le 20 octobre 2015, les consorts [P] ont fait signifier à leur locataire un acte de refus de renouvellement pour motif grave et légitime avec effet au 31 décembre 2015, terme du bail.

Cet acte était motivé par la persistance alléguée des manquements suivants :

“- dégarnissement des lieux loués en tant que galerie d’art,

– cessation de l’exploitation des locaux à usage de galerie d’art et dans tous les cas pour une activité autorisée par le bail,

– défaut d’exploitation personnelle des lieux et sous-location des locaux à des sociétés tierces”.

Par acte des 30 mai et 15 juin 2016, les consorts [P] ont fait assigner la société Multiplicata et M. [M]-[W] devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins, notamment, de voir valider le congé du 20 octobre 2015, de voir le preneur et les occupants de son chef expulser des lieux loués, de voir le preneur condamner à leur payer la somme de 1 058 811,51 euros sur le fondement de l’article L. 145-31, alinéa 3, du code de commerce et de voir déclarer M. [M], en sa qualité de gérant, solidairement responsable avec la société Multiplicata de toutes sommes dues par cette dernière.

Par jugement du 4 juin 2019, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société Multiplicata.

Le 10 juillet 2019, les consorts [P] ont déclaré au passif de la procédure une créance de 25 528,24 euros correspondant au loyer du 1er trimestre 2019 et à la taxe de balayage.

Le 17 juillet 2019, ils ont fait assigner en intervention forcée la société Actis Mandataires Judicaires (la société Altis), ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Multiplicata. Cette instance a été jointe à l’instance principale.

Par lettre du 27 septembre 2019, le liquidateur a informé les bailleurs qu’en l’absence de trésorerie et d’acquéreur du fonds de commerce, il n’entendait pas poursuivre le bail en cours, qui devait donc être considéré comme résilié par application de l’article L. 641-12 du code de commerce.

Les lieux ont été restitués au cours de l’année 2019 selon les déclarations non contestées des bailleurs.

Aux termes de leurs dernières écritures, les bailleurs demandaient, en substance, au tribunal de :

– valider le congé sans indemnité d’éviction, à défaut résilier le bail, fixer leur créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Multiplicata à la somme, sauf à parfaire, de 1 058 811,51 euros, dans tous les cas, débouter le preneur de sa demande es qualités d’indemnité d’éviction, à défaut, désigner tel expert qu’il lui plaira avec pour mission d’évaluer cette indemnité, ordonner une expertise pour évaluer les réparations locatives ;

– déclarer M. [M]-[W] coupable de fautes de gestion au détriment des bailleurs et le condamner à les indemniser de l’intégralité de leur préjudice, pour le cas où à la clôture de la liquidation judiciaire, le boni de liquidation serait insuffisant à les indemniser de leur préjudice comme dans l’hypothèse où le tribunal considérerait que seule la somme de 25 009,24 euros peut être inscrite au passif de sa liquidation judiciaire, condamner M. [M]-[W] à leur payer à titre de dommages et intérêts toutes sommes qui ne pourraient leur être réglées par la liquidation judiciaire, au cas où le tribunal devait s’estimer insuffisamment éclairé tant sur la responsabilité de M. [M]-[W] que sur leur préjudice, ordonner une expertise sur ce point, condamner M. [M]-[W] au paiement d’une somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens en ceux compris les frais des procès-verbaux de constat, de la sommation du 16 juin 2015 et du congé du 20 octobre 2015, outre l’exécution provisoire.

Par jugement en date du 7 octobre 2021, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal judiciaire de Paris a dit que le bail commercial avait pris fin le 31 décembre 2015 à minuit, validé l’acte de refus de renouvellement du bail pour motif grave et légitime, en conséquence, débouté la société Actis ès-qualités de sa demande de désignation d’un expert judiciaire afin de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction due à la société Multiplicata, dit les bailleurs irrecevables en leur demande de fixation au passif de la procédure collective de la société Multiplicata de créances excédant la somme de 25 528,24 euros correspondant à la créance déclarée le 10 juillet 2019 entre les mains de la société Actis, les a déboutés de leur demande de désignation d’un expert judiciaire pour déterminer les réparations locatives à la charge de la société Multiplicata, de leur demande indemnitaire à l’encontre de M. [M]-[W], de leur demande d’expertise judiciaire portant sur les actes de gestion de M. [S] [M]-[W], de leur demande de condamnation de M. [M]-[W] au paiement des frais irrépétibles, a débouté le liquidateur judiciaire de la société Multiplicata de sa demande de fixation de l’indemnité d’occupation due en application de l’article L. 145-28 du code de commerce, de sa demande de condamnation des bailleurs au paiement des frais irrépétibles, débouté M. [M]-[W] de sa demande de condamnation des bailleurs au paiement des frais irrépétibles, débouté les parties de leurs autres demandes, condamné es qualités le liquidateur judiciaire aux dépens de l’instance, en ce compris les frais des procès-verbaux de constat des 26 mai, 29 juin, 2 et 31 octobre, 7 novembre et 5 décembre 2015 et 11 février 2016, ainsi que les frais de la sommation du 16 juin 2015 et du congé du 20 octobre 2015.

Les consorts [P] ont interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 10 novembre 2021. Le mandataire-liquidateur a formé appel incident.

MOYENS ET PRÉTENTIONS EN CAUSE D’APPEL

Pour leur exposé complet, il est fait renvoi aux écritures visées ci-dessous :

Vu les conclusions récapitulatives des consorts [P], en date du 26 juillet 2022, tendant à voir la cour,

– concernant la société Multiplicata prise en la personne de la société Actis, réformer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré irrecevable leur demande de fixation de leur créance au passif à hauteur de la somme de 1 058 811,59 euros, statuer à nouveau, fixer leur créance à hauteur de la somme de 1 058 811,59 euros, à titre subsidiaire, à celle de 25 528, 24 euros, confirmer le jugement pour le surplus et « débouté » la sté Actis en son appel incident ;

– concernant M. [M]-[W], réformer le jugement en ce qu’il a les a déboutés de leur demande indemnitaire à son encontre, statuer à nouveau, condamner M. [M]-[W] à leur payer à titre de dommages et intérêts la somme, sauf à parfaire, de 1 058 811,51 euros, à défaut, pour le cas où la cour s’estimerait insuffisamment éclairée sur la responsabilité (!) de M. [M]-[W] et/ou sur le préjudice que ses agissements ont causé, ordonner une expertise, dans tous le cas, le condamner au paiement d’une somme de 25 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens en ceux compris les frais des procès-verbaux de constat de des 6, 9, 13 mars 2015 et 22 janvier 2016 ainsi que ceux des 26 mai, 29 juin,2 et 31 octobre, 7 novembre et 5 décembre 2015 et 11 février 2016, la sommation du 16 juin 2015 et le congé du 20 octobre 2015.

Vu les conclusions récapitulatives de la société Actis, es qualités, en date du 5 mai 2022, tendant à voir la cour infirmer le jugement entrepris en l’ensemble de ses dispositions, sauf en ce qu’il a dit les consorts [P] irrecevables en leur demande de fixation au passif de la procédure collective de la société Multiplicata de créances excédant la somme de 25 528,24 euros et en conséquence, en ce qu’il a dit les requérants irrecevables en leur demande de fixation d’une créance de 1 058 811,51 euros au passif de la procédure collective, statuer à nouveau à titre principal, débouter « le demandeur » de ses demandes, fins et conclusions, fixer le montant de l’indemnité d’occupation au niveau du montant du loyer avant renouvellement, désigner un expert avec pour mission de déterminer l’exact montant des réparations locatives lors de la libération des lieux, à titre subsidiaire, désigner un expert avec la mission de déterminer la montant du réajustement des loyers, en tout état de cause, dire le bailleur irrecevable sur toute demande excédant la somme de 25 009,24 euros, à titre reconventionnel, désigner un expert avec la mission de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction, condamner les consorts [P] au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;

Vu les conclusions récapitulatives de M. [M]-[W], en date du 6 mai 2022, tendant à voir la cour déclarer les consorts [P] tant irrecevables que mal fondés en leurs demandes, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il les a déboutés de leur demande indemnitaire à son encontre de leur demande d’expertise judiciaire portant sur ses actes de gestion, de leur demande de condamnation de au paiement des frais irrépétibles, infirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de condamnation des consorts [P] au paiement des frais irrépétibles, statuer à nouveau, les condamner au paiement in solidum de la somme de 20 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

DISCUSSION

Sur la validité du congé sans offre de renouvellement :

à l’appui de sa demande d’infirmation du jugement en ce qu’il a validé le congé pour motifs graves, le liquidateur judiciaire, es qualités, soutient que le preneur avait poursuivi son activité de galeriste d’art, qu’il exerçait des activités autorisées par le bail, les défilés de mode et les showrooms étant compris dans l’activité de stylisme et design, que les locaux étaient suffisamment garnis, qu’il n’y a pas eu de sous-locations interdites mais de simples mises à disposition ponctuelles dans le cadre de cette activité, accompagnées de services.

Cependant, la cour adopte les motifs du premier juge, lequel pour valider le congé a relevé qu’à la date de la signification de la sommation du 16 juin 2015, les lieux loués étaient utilisés par le preneur pour l’organisation de défilés de mode ainsi qu’à usage de showroom, ce dernier pouvant être défini comme le local où un commerçant montre au public ses nouveaux produits, que l’organisation de défilés de mode et l’installation de showrooms de vêtements constituent des activités certes en lien avec celles de stylisme de mode et de couture mais néanmoins spécifiques et distinctes, en ce qu’elles impliquent la réception d’un public, potentiellement nombreux, auquel les vêtements créés par le styliste sont présentés et offerts à la vente dans une démarche non plus créative mais purement commerciale, qu’il ne peut donc être considéré que ces activités sont intrinsèquement incluses dans celles de stylisme de mode et de couture, que postérieurement à la délivrance de la sommation, il ressort des procès-verbaux de constat produits et des documents promotionnels versés aux débats que le preneur a, non seulement continué à confier les lieux à des tiers pour l’exercice des activités de défilés de mode et de showroom au-delà du délai d’un mois courant à compter de la sommation du 16 juin 2015, mais qu’il a de surcroît permis que les lieux loués soient mis à la disposition de tiers pour d’autres activités dont il ne pouvait ignorer qu’elles ne présentaient à l’évidence aucun lien avec la destination contractuelle, notamment, l’organisation d’événements destinés à la vente d’articles vestimentaires d’occasion ou à la promotion de la moto, des jeux-vidéos et de boissons alcoolisées.

Le fait pour un preneur de laisser des tiers exercer dans les lieux loués des activités commerciales non autorisées par la clause de destination du bail constituant une infraction audit bail, c’est à bon droit que le premier juge a retenu que ce manquement imputable au preneur, ancien et réitéré en toute connaissance de cause, présentait à lui seul une gravité qui justifiait le refus de renouvellement du bail pour motif grave et légitime opposé par les bailleurs, sans qu’il fût par conséquent nécessaire d’examiner les autres griefs invoqués dans l’acte du 20 octobre 2015.

Dès lors, il n’y a pas lieu d’examiner les demandes du liquidateur judiciaire relatives à la fixation d’une indemnité d’occupation statutaire et de désignation d’un expert avec pour mission d’évaluer le montant de l’indemnité d’éviction au niveau du montant du loyer avant renouvellement.

Sur la fixation de la créance des bailleurs au passif de la procédure collective du preneur :

à l’appui de leur demande tendant à voir déclarer recevable et fondée leur demande de fixation de leur créance indemnitaire au passif de la liquidation judiciaire du preneur à la somme de 1 058 811,51 euros, les bailleurs soutiennent qu’il s’agissait d’une créance éventuelle qui n’était encore ni liquide, ni certaine et encore moins par suite exigible, raison pour laquelle ils avaient limité leur déclaration de créance à celle qui remplissait ces conditions à savoir, les loyers impayés.

Cependant, selon l’article L. 622-24, alinéa 4, du code de commerce, la déclaration des créances doit être faite sur la base d’une évaluation alors même qu’elles ne sont pas établies par un titre.

Il en résulte, ainsi que l’a relevé le premier juge et que le rappelle, es qualités, le liquidateur judiciaire, la créance indemnitaire éventuelle des bailleurs, dont il n’est pas discuté qu’elle serait née antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective, devait être déclarée au passif. En l’absence de cette déclaration, la demande des bailleurs est irrecevable.

Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent ceux-ci, le premier juge n’avait pas à statuer sur la recevabilité de leur déclaration de créances concernant les derniers loyers impayés, celle-ci n’ayant pas fait l’objet de contestation devant le tribunal de commerce et dont il n’était pas saisi par le liquidateur judiciaire.

Sur la responsabilité de M. [M]-[W] :

Sur la recevabilité de la demande :

Pour s’y opposer, M. [M]-[W] soutient qu’elle est irrecevable comme s’apparentant à l’action attitrée en comblement de passif prévue à l’article L. 651-2 du code de commerce, alors que les bailleurs n’ont ni intérêt ni qualité pour l’exercer.

Cependant, comme le soutiennent les bailleurs, ceux-ci disposent, en vertu des articles 1382 ancien du code civil et L. 223-22 du code du commerce, d’un droit propre à engager la responsabilité personnelle d’un dirigeant. Ils ont exercé cette action, laquelle ne se confond pas avec l’action en comblement de passif, antérieurement à l’ouverture de la procédure collective. Leur demande est donc recevable.

Au fond :

Aux termes de l’article L. 223-22 du code de commerce relatif aux sociétés à responsabilité limitée, les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.

Il est de principe que le gérant, même agissant dans les limites de ses attributions, n’est responsable que des fautes intentionnelles d’une particulière gravité, incompatibles avec l’exercice normal de ses fonctions sociales.

Au cas présent, les bailleurs exposent qu’après la vente de la collection d”uvres d’art du couple en 2005 et la liquidation de sa retraite en 2011, M. [M]-[W] a préféré tirer parti des locaux en les mettant à disposition plutôt que de céder le fonds de commerce, que ces mises à disposition de locaux exceptionnels, par l’intermédiaire de la société Ucn Event, lui ont permis de poursuivre une activité déficitaire, servant ses intérêts personnels et non ceux de la société, et retardant une déclaration de cessation des paiements inévitable, l’activité autorisée étant déficitaire depuis 2010.

Plus précisément, ils soutiennent que, par un jeu d’écritures comptables, la société Multiplicata a masqué les revenus qu’elle tirait de la mise à disposition des locaux à des tiers et qui auraient dû être comptabilisés dès l’encaissement au compte du bilan n° 708200 « produits activités annexes », que le procédé consistait, dans un premier temps, à comptabiliser aux comptes courants d’associé des époux [M]-[W] tout ou du moins la plus grande partie des recettes provenant de ces mises à disposition, dans un second temps, à abandonner les sommes ainsi portées au crédit de leur compte courant en les faisant apparaître ainsi en « produits exceptionnels » d’un montant de 707 000 euros de 2010 à 2016, que les fautes ainsi commises par la société Multiplicata, et partant par son gérant, sont parfaitement détachables des fonctions de celui-ci, incompatibles avec les fonctions sociales exercées et allaient au-delà de simples erreurs de gestion.

Les bailleurs ajoutent que ces fautes les ont empêchés de se prévaloir des dispositions de l’article L. 145-31 du code du commerce, leur occasionnant par suite un manque à gagner de 687 760,51 euros sur la période de 2010 à 2014, et de 371 051 euros pour la période correspondant aux conventions de mise à disposition du 22 janvier 2015 au 22 mars 2016, soit un préjudice total d’un montant de 1 058 811,51 euros, montant reconstitué à partir des facturations de mise à disposition diminué du montant des loyers perçus par les bailleurs.

Ce seul constat établit, selon eux, leur préjudice, distinct de celui des autres créanciers de la procédure collective, dont le préjudice est limité, à la différence du leur, au défaut de paiement de leur créance.

Cependant, d’une part, ces faits ne sont pas de nature à caractériser à l’encontre de M. [M]-[W] des fautes intentionnelles d’une particulière gravité, incompatibles avec l’exercice normal de ses fonctions sociales, d’autre part, à supposer démontrée l’existence de telles fautes, s’il résulte de l’article L. 145-31 du code de commerce sur lequel les bailleurs fondent la démonstration de leur préjudice, qu’en cas de sous-location interdite, lorsque le loyer de la sous-location est supérieur au prix de la location principale, le propriétaire a la faculté d’exiger une augmentation correspondante du loyer de la location principale, les bailleurs invoquent uniquement, pour établir leur préjudice, la différence entre le montant des loyers perçus pour la période considérée, et le montant, non de celui d’une ou plusieurs sous-locations, mais de celui des conventions de mise à disposition des lieux. Celles-ci sont insusceptibles de fonder une demande au titre de l’article L. 145-31 précité, de sorte qu’ils ne démontrent pas l’existence du préjudice allégué.

Les bailleurs reprochent également au gérant les mêmes fautes que celles alléguées à l’appui de leur refus de renouvellement du bail, à savoir l’exercice d’activités non autorisées par le bail, outre la réception de plus de 100 personnes dans le bâtiment, le non-respect des normes de sécurité et une déclaration tardive de la cessation des paiements.

Ces fautes, à les supposer détachables de la fonction de gérant, sont sans lien avec le préjudice allégué, étant rappelé que la déclaration de créance des bailleurs s’est limitée au montant d’un seul terme de loyer.

En conséquence, il n’y a pas lieu de faire droit, serait-ce à titre subsidiaire, à la demande d’expertise formée par les bailleurs.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le jugement sera confirmé sur les dépens et le rejet des demandes formées au tire de l’article 700 du code de procédure civile.

Les bailleurs qui succombent principalement en leur appel en supporteront les dépens, seront déboutés de leur demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamnés à payer aux intimés, en application de ces dernières dispositions, les sommes dont le montant est précisé au dispositif.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort ;

Confirme le jugement ;

Condamne M. [G] [P] et Mme [F] [P] à payer, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, à la société Actis Mandataires Judiciaires la somme de 4 000 euros, à M. [M]-[W] celle de 10 000 euros ainsi qu’aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés au profit de l’avocat qui en aura fait la demande ;

Rejette toute autres demandes.

La greffière, La présidente,