Galeriste : 21 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/05651

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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRET DU 21 JUIN 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/05651 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDLPW

Décision déférée à la Cour : Décision du 11 Février 2021 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 17/171521

APPELANTE

S.A.R.L. LA MAISON

agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège social:

[Adresse 2]

[Localité 5]

Immatriculée au RCS de Paris sous le n° 525 140 513

Représentée par Me Lucas DREYFUS de la SELARL DREYFUS FONTANA, avocat au barreau de PARIS, toque : K0139

INTIMEE

SOCIETE D’ECONOMIE MIXTE D’ANIMATION ECONOMIQUE AU SERVICE DES TERRITOIRES (SEMAEST)

prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège social:

[Adresse 1]

[Localité 4]

Immatriculée au RCS de Paris sous le n° 329 121 065

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée de Me Christophe AYELA de l’AARPI SZPINER TOBY AYELA SEMERDJIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : R049

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 6 juin 2023, en audience publique devant Mme RECOULES, présidente de chambre, et M.BERTHE, Conseiller, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Nathalie RECOULES, Présidente de chambre

Douglas BERTHE, Conseiller

Emmanuelle LEBEE, Magistrat honoraire, exercant des fonctions juridictionnelles,

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Laurène BLANCO

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Nathalie RECOULES, et par Madame Laurène BLANCO , Greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige 

Par acte sous seing privé en date du 30 juin 1994 et avenant en date du même jour, la Société d’économie mixte d’animation économique au service des territoires (la Semaest), titulaire d’un bail emphytéotique de la Ville de [Localité 7], en date du 6 janvier 2005, portant sur les voûtes du [Adresse 10], a donné en location pour une durée de 9 années à la société Galerie Claude Samuel, le preneur, un local commercial sis [Adresse 3], d’une surface d’environ 181 m².

Le bail prévoit que « les locaux loués ne pourront être utilisés qu’à usage d’atelier de création et de restauration d”uvres d’art contemporain, de commerce, d’exposition et d’entreposage liés à l’art contemporain ».

L’article 8.1.2 du bail commercial prévoit l’interdiction de la sous-location des locaux.

La charte d’interprétation du bail est ainsi rédigée :

« Dans le cadre de sa politique en faveur de l’artisanat et des métiers d’art initiée en novembre 1978, la Ville de [Localité 7] a décidé de créer un nouveau pôle de développement pour permettre à ces activités de mettre en ‘uvre des actions communes et de s’ouvrir plus largement au public. Les artisans d’art de la capitale, confrontés à la concurrence étrangère et au rétrécissement de leurs marchés traditionnels, souvent victimes de leur isolement, dans des locaux devenus vétustes ou précaires, tendent en effet à délocaliser, voir à cesser leur activité. Aussi, la Ville de [Localité 7] a-t-elle acquis, dans le XIIe arrondissement, l’emprise SNCF de l’ancien [Adresse 9], pour répondre aux attentes exprimées par les professionnels des métiers d’art. L’aménagement de la [Adresse 8], dans le secteur [Adresse 6] qui comprend le Viaduc a été approuvé par le Conseil de [Localité 7] et confié à la SEMAEST par traité de concession du 2 juin 1990 (‘). Le principe appliqué par la Ville de [Localité 7] et par la SEMAEST consiste à favoriser l’implantation des ces activités en leur proposant des locaux commerciaux de qualité à des conditions financières très préférentielles et sans droit d’entrée.(…) Le bailleur (ou son gestionnaire) se réserve le droit de contrôler, avant la conclusion du bail commercial, la sincérité de la déclaration d’affectation du locataire et en cours de bail, le maintien de cette affectation des locaux aux activités préalablement définies. À cet égard, la référence aux notions de connexité et de complémentarité, à l’évolution des usages commerciaux, à la conjoncture économique et aux nécessités de l’organisation rationnelle de la distribution ainsi qu’à la destination des caractères et de la situation de l’immeuble seront interprétées de la commune intention des parties par référence à la politique municipale de maintien et de soutien aux activités de l’artisanat et des métiers d’art. »

Par acte du 17 novembre 2010, le fonds de commerce de galerie d’art et encadrement a été cédé à la société La Maison.

Le bail a été tacitement renouvelé à compter du 1er janvier 2015.

Soutenant que, depuis 2012, le preneur violait les termes du bail en organisant des événements contraires à la destination des lieux et en sous-louant les locaux, le bailleur lui a adressé une mise en demeure le 27 mars 2012. Après avoir fait établir au cours des années suivantes divers procès-verbaux de constat, le bailleur a fait assigner, par acte du 6 décembre 2017, la société La Maison devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins, notamment, de voir prononcer la résiliation du bail aux torts du preneur, ordonner son expulsion et fixer une indemnité d’occupation.

Par jugement en date du 11 février 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

– rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription et déclaré la Semaest recevable en ses demandes ;

– prononcé, à compter de la décision, la résiliation du bail du 1er janvier 2015 aux torts du preneur ;

– débouté la société La Maison de sa demande de délais ;

– ordonné à la société La Maison de libérer de sa personne, de tous occupants de son chef et du mobilier se trouvant dans les lieux susvisés, dans le délai de quatre mois à compter de la signification de la décision ;

– dit qu’à défaut de départ volontaire à l’expiration de ce délai, la société La Maison pourra être expulsée des locaux susvisés à la requête de la société Semaest, ainsi que tous occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique et l’assistance d’un serrurier ;

– rejeté la demande d’astreinte formulée par la société Semaest ;

– condamné la société La Maison à payer à la société Semaest une indemnité mensuelle d’occupation d’un montant égal au montant du dernier loyer, outre toutes taxes et charges locatives précédemment exigibles, la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;

– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement et débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires.

La société La Maison a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 24 mars 2021. La Semaest a formé appel incident.

Moyens et prétentions en cause d’appel

Pour leur exposé complet, il est fait renvoi aux écritures visées ci-dessous :

Vu les conclusions récapitulatives de la société La Maison, en date du 17 avril 2023, tendant à voir la cour infirmer le jugement entrepris, statuer à nouveau, à titre principal, dire irrecevable, comme prescrite, l’action de la Semaest, à titre subsidiaire, la débouter de ses demandes, à titre très subsidiaire, accorder au preneur tout délai lui permettant de remédier ou mettre fin aux manquements que la cour estimerait établis, et constater qu’en tout état de cause il a été mis fin à ceux-ci depuis le 29 septembre 2018, en tout état de cause, condamner la Semaest à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

Vu les conclusions récapitulatives de la société Semaest, en date du 27 avril 2023, tendant à voir la cour confirmer le jugement sauf en ce qu’il a n’a pas « prononcé l’expulsion sous astreinte », statuer à nouveau de ce seul chef, ordonner l’expulsion de la société La Maison et celle de tous occupants de son chef, et ce, au plus tard dans le mois de la décision à intervenir, et sous astreinte de 300 euros par jour de retard, condamner société La Maison au paiement d’une indemnité d’occupation de 300 euros par jour, à compter de la date de la décision à intervenir, et jusqu’à la libération complète des lieux et la remise des clés, de la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens dont la distraction est demandée ;

Discussion

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :

à l’appui de cette prétention, le preneur soutient, en premier lieu, que s’agissant de faits de même nature, la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil commence à courir à la date du plus ancien de ces faits connus par le bailleur, que celui-ci a adressé sa première mise en demeure dès le 27 mars 2012, qu’elle visait la violation de la destination des lieux et de l’interdiction de sous-louer, que dès lors que le bailleur, dans son assignation du 6 décembre 2017, visait des faits de même nature, son action était atteinte par la prescription quinquennale.

Cependant, comme le relève à bon droit la Semaest, et comme il sera précisé ci-dessous, si les faits reprochés sont de même nature, ils ne sont pas continus et identiques de sorte que, d’une part, chacun d’entre eux ouvre pour le bailleur le droit d’exercer une action en résiliation, d’autre part, que leur succession et leur renouvellement dans le temps sont susceptibles de caractériser la gravité de l’infraction.

En l’espèce, outre les faits invoqués dans sa mise en demeure du 27 mars 2012, le bailleur a invoqué divers faits, de même nature, mais distincts, établis pour la première fois de façon certaine par procès-verbal en date des 28 janvier 2016, puis par la sommation interpellative du 30 juin 2016 et les procès-verbaux en date des 20 septembre 2016 et 19 juillet 2017, et a découvert en cours de procédure que le local avait été sous-loué le 20 novembre 2018 à un parti politique pour un meeting, de sorte qu’à la date de l’assignation, l’action en résiliation du bail n’était pas prescrite.

Sur la fin de non-recevoir tirée du renouvellement du bail :

Le preneur soutient, en second lieu, que le renouvellement de bail, tacitement accepté par la Semaest, ayant pris effet au 1er janvier 2015, rend irrecevable et en tout état de cause infondée la demande de résiliation du bail.

Cependant, les faits reprochés ayant été établis postérieurement au renouvellement tacite du bail, celui-ci ne fait pas obstacle à ce qu’ils soient invoqués par le bailleur à l’appui d’une demande de résiliation du contrat.

Sur la demande de résiliation :

Le preneur soutient que pour fonder une résiliation du bail les manquements doivent être établis, suffisamment graves et que le bailleur doit les invoquer de bonne foi.

Il expose qu’il exploite dans les lieux loués une galerie d’art contemporain particulièrement axée sur la photographie, qu’il organise de nombreuses expositions conformément à la destination du bail, que celui-ci doit être interprété à la lecture des 2e et 5e alinéas du paragraphe « Charte d’interprétation » du bail, que celui-ci a expressément exclu certains articles du bail pour l’adapter au métier de galeriste, contraint à évoluer, écartant notamment l’obligation d’exploiter personnellement et l’interdiction de concéder la jouissance. Il ajoute que, par lettre du 8 avril 2012, il a interrogé son bailleur en décrivant précisément la façon dont la galerie entendait développer ses activités dans les lieux loués, notamment par l’organisation d’événements privés, afin que la Semaest lui confirme son accord, ce que le bailleur a fait par lettre du 1er juin 2012. L’appelante précise que la mise à disposition de lieux et les prestations qui l’accompagnent ne sont pas des sous-locations, que le bailleur ayant donné son accord à l’évolution du bail, nécessaire à l’équilibre financier de la galerie, est de mauvaise foi à invoquer à l’appui de sa demande de résiliation l’organisation de tels événements, de nombreuses autres boutiques du viaduc ayant des activités étrangères à l’art ou l’artisanat.

Cependant, comme l’a relevé le premier juge et comme le soutient le bailleur, en premier lieu, il résulte des pièces versées aux débats que le preneur proposait sur Internet la mise à disposition des locaux loués, « en location pour vos événements (cocktails d’entreprise, présentation de vos produits ou marques, mariages, anniversaires, after-shave, soirées, expositions, etc.) » la prise en charge de l’animation et de la restauration, l’organisation de mariages, avec piste de danse et espace enfants, que le 30 juin 2016 s’est tenu dans les locaux un séminaire organisé, sur la journée, par les Fédérations ALLICE et FCEL (unions de coopératives d’élevage défendant les filières d’insémination bovine), le 20 septembre 2016, un événement concernant le chanteur [G] [X], le 20 septembre 2018, la journée de rentrée de l’organisation politique Le Rem [Localité 5].

Le premier juge en a déduit exactement que cette activité de mise à disposition à titre onéreux n’entrait pas dans l’activité prévue au bail initial ni dans celle de l’avenant permettant de « concéder la jouissance temporaire, précaire et gratuite des locaux aux artistes et à toute personne contribuant à développer l’activité de création, de restauration et d’exposition de la galerie. ”

En deuxième lieu, la lettre du 1er juin 2012 adressée par le bailleur, dès lors qu’elle rappelle au preneur, qui proposait de développer des activités autour de la photographie et de louer ses collections d’art pour l’événementiel culturel des entreprises, l’importance de donner aux manifestations qu’il organise un aspect qualitatif et qu’elles restent en cohérence à la vocation du site, n’établit pas qu’il a donné son accord à l’exercice d’une activité tendant à mettre la galerie, habituellement et moyennant une contrepartie financière, à disposition d’entreprises ou de particuliers pour qu’y soient organisés des événements dépourvus, comme il a été dit plus haut, de tout lien avec l’activité artistique de la société La Maison et avec la vocation du Viaduc, lequel doit accueillir, conformément à la charte précitée, des activités artisanales de fabrication, de restauration, ou de création contemporaine, dans la tradition de l’artisanat d’art parisien et dans ses développements futurs.

En troisième lieu, les activités exercées sous les autres voûtes n’exonèrent pas la société La Maison de l’obligation de respecter la clause de destination de son propre bail.

En quatrième lieu, la cour approuve le premier juge d’avoir retenu que la prétendue mauvaise foi de la Semaest ne pouvait se déduire du seul fait que le procès-verbal de constat en date des 27 février, 5 et 12 mars 2019 produit par le bailleur avait été dressé par l’huissier de justice pendant les jours de fermeture de la galerie, étant ajouté que la mauvaise foi ne se déduit ni de l’interprétation par le bailleur de sa lettre du 1er juin 2012, ni de celle des constats, ni des relations supposées de la Semaest avec les autres locataires des voûtes du [Adresse 10].

Le premier juge a exactement déduit des éléments ci-dessus rappelés que l’avantage financier octroyé au preneur en termes de loyer et de droit d’entrée, dont la société La Maison n’a pas contesté bénéficier, étant directement corrélé à la destination contractuelle des locaux, le manquement à celle-ci, qui s’analyse en un détournement de cette même destination, présentait une gravité qui justifiait la résiliation du bail à la date de sa décision en application de l’article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016.

Sur la demande de délais :

Le preneur, qui soutient se conformer de la manière la plus stricte depuis le 29 septembre 2018 aux stipulations du bail et produit un constat dressé le 7 février 2023 qui relève l’exploitation dans les lieux d’une galerie d’art spécialisée en photographie, avec encadrement à façon, et la présence sur place de l’ensemble du matériel nécessaire à cette activité, demande que lui soit accordé en tant que de besoin tout délai lui permettant de remédier ou mettre fin aux manquements que la cour estimerait établis, précisant par ailleurs être à jour de ses loyers.

Cependant, la réitération de l’infraction le 28 septembre 2018, au cours de la procédure, ne caractérise pas les circonstances qui pourraient conduire la cour à accorder les délais sollicités.

Sur le montant de l’indemnité d’occupation et la demande d’astreinte :

La cour adopte les motifs du premier juge qui a fixé le montant de l’indemnité d’occupation à celui des loyers augmenté des charges et a refusé de prononcer une astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le jugement entrepris sera confirmé sur l’indemnité de procédure allouée.

L’appelante qui succombe doit être condamnée aux dépens, déboutée de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à l’intimée, en application de ces dernières dispositions, la somme dont le montant est précisé au dispositif.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement ;

Condamne la société La Maison à payer à la Société d’économie mixte d’animation économique au service des territoires la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens qui pourront être recouvrés selon les modalités de l’article 699 du code de procédure civile ;

LE GREFFIER LA PRESIDENTE