Galeriste : 15 décembre 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 20/06968

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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 15 DECEMBRE 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/06968 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCQXU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/09041

APPELANT

Monsieur [B] [F]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Jérôme POUGET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0381

INTIMÉE

SA CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Cyril GAILLARD, avocat au barreau de PARIS, toque : T12

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 03 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Nathalie FRENOY, Présidente de chambre

Mme Corinne JACQUEMIN LAGACHE, Conseillère

Mme Emmanuelle DEMAZIERE, Vice-Présidente placée

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Nathalie FRENOY, Présidente, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [B] [F] a été engagé par la société Crédit Industriel et Commercial par contrat à durée indéterminée à compter du 3 mai 1995 en qualité de spécialiste montages bancaires.

Le 1er mai 2001, il a été muté au sein d’une succursale du Crédit Industriel et Commercial à New-York.

Le 1er septembre 2014, il a été promu au sein de la succursale de Singapour, dont il était le responsable au dernier état de la relation contractuelle.

Le 28 mai 2018, la société Crédit Industriel et Commercial a convoqué M. [F] à un entretien préalable fixé au 12 juin suivant et l’a mis à pied à titre conservatoire (sans privation de rémunération).

Par courrier du 19 juin 2018, elle lui a notifié son licenciement.

M. [F] a saisi le 29 novembre 2018 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 8 juillet 2020, notifié aux parties le 8 octobre 2020, l’a débouté de l’ensemble de ses demandes, l’a condamné au paiement des entiers dépens et à verser à la SA Crédit Industriel et Commercial la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 16 octobre 2020, M. [F] a interjeté appel de ce jugement.

Par ses dernières conclusions notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 5 janvier 2021, M. [F] demande à la cour :

-d’infirmer dans sa totalité le jugement entrepris par le conseil de prud’hommes de Paris,

-de juger que son licenciement n’est pas fondé, et

en conséquence,

-de condamner la société Crédit Industriel et Commercial à verser à Monsieur [F] :

-1 281 911 euros nets à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-à afficher le jugement à intervenir dans les locaux du CIC Singapour et CIC [Localité 4] (rue de Provence) sur les panneaux réservés à la communication de l’employeur,

-à publier le jugement à intervenir dans le journal « Les Echos » aux frais du CIC,

en tout état de cause,

-de condamner la société Crédit Industriel et Commercial à verser à Monsieur [F] :

-56 000 euros bruts à titre de rappel de bonus différé 2016,

-5 600 euros bruts à titre de congés payés afférents (10%),

-105 000 euros brut à titre de rappel de bonus différé 2017,

-10 500 euros bruts à titre de congés payés afférents (10%),

-283 500 euros bruts à titre de rappel de bonus 2018,

-28 350 euros bruts à titre de congés payés afférents (10%),

-50 000 euros nets à titre d’indemnité pour préjudice moral,

-de condamner la société Crédit Industriel et Commercial aux dépens et à 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 29 juin 2021, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions de la société Crédit Industriel et Commercial datées du 23 avril 2021.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 4 octobre 2022 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 3 novembre 2022.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement adressée le 19 juin 2018 à M. [F] contient les motifs suivants, strictement reproduits :

« En date du 15 mai 2018, la direction du CIC a été destinataire d’un signalement portant sur des faits inappropriés à l’égard de plusieurs collaboratrices dont vous vous seriez rendu coupable en date du 7 juillet 2017 . Le signalement citait d’autres personnes qui auraient été victimes ou témoins de vos agissements.

Devant la gravité des faits allégués, le CIC a diligenté une enquête interne. Moi-même, le responsable de l’audit et un représentant du contrôle périodique métiers, nous sommes rendus sur place le 25 mai pour vous auditionner, ainsi que les personnes citées dans le signalement. Nous avons également entendu le Directeur des Ressources Humaines sur place ainsi que votre adjoint.

Ces agissements font par ailleurs l’objet d’une enquête par la police singapourienne et d’un suivi par l’autorité de tutelle de la succursale, la Monetary Authority of Singapore. Toutefois, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur les éventuelles qualifications pénales ou administratives susceptibles de se rattacher à ces agissements au sens du droit de Singapour, et ni nos investigations internes, ni la sanction décidée à votre encontre ne sont liées à, et/ou justifiées par ces éléments.

Il ressort de notre enquête interne que vous avez effectivement eu des gestes inappropriés envers plusieurs collaboratrices lors d’un événement festif du CIC à l’occasion du festival SIFA de Singapour.

Sans nier votre comportement, vous avez déclaré ne pas vous souvenir de vos gestes, compte tenu du fait que vous aviez beaucoup bu, après une période de travail intense. Vous avez déclaré, qu’alerté ultérieurement par votre entourage professionnel sur ces faits vous avez demandé à votre DRH d’organiser une réunion avec les personnes concernées, au cours de laquelle vous vous êtes excusé de ce qui était arrivé, et que de ce fait, vous avez considéré l’incident comme clos.

Un tel comportement est totalement contraire aux valeurs et à l’éthique du CIC et n’est pas acceptable de la part d’un salarié, et a fortiori du dirigeant d’une succursale du CIC à l’étranger. En effet, eu égard à votre niveau de responsabilité, vous êtes garant de l’image du CIC.

Votre état d’imprégnation alcoolique, dont vous êtes seul responsable, n’excuse en rien votre comportement.

En outre, même si vous avez pu avoir l’impression que le dossier était clos, de tels actes d’agression peuvent avoir des conséquences à long terme sur les victimes, en particulier sur des personnes sensibles ou fragiles.

Par ailleurs, alors que vous êtes le dirigeant de l’établissement de Singapour, vous n’avez à aucun moment informé le CIC de cet écart de conduite, alors que vous ne pouviez pas ignorer la sensibilité de ce sujet, en particulier à Singapour, et les répercussions possibles d’un tel comportement.

Le risque d’atteinte à l’image et à la réputation du CIC à Singapour n’est pas négligeable, et pourrait remettre en cause une partie de l’acquis construit ces dernières années par cette succursale.

Le caractère particulièrement sérieux et inadmissible des agissements ainsi établis est susceptible de caractériser une faute grave.

Toutefois, dans l’appréciation de la gravité de la faute commise, il a été tenu compte de votre importante ancienneté au sein du CIC, de vos qualités professionnelles, de votre situation personnelle et du caractère semble-t-il isolé de ces agissements.

Ainsi, je vous notifie par la présente votre licenciement pour faute simple. »

M. [F] soutient que les faits qui lui sont reprochés sont prescrits dans la mesure où la prescription court à compter de la connaissance des faits par l’employeur, qui n’est pas seulement le représentant légal mais la personne susceptible de contrôler ou surveiller l’activité du salarié. Il souligne que le directeur des ressources humaines du CIC Singapour, M.[D], salarié singapourien expérimenté agissant sous le contrôle des autorités bancaires singapouriennes (M.A.S.) qui avait les pouvoirs et les qualités pour contrôler son activité et sanctionner ses manquements, a été informé des faits litigieux le 25 juillet 2017 par un salarié, M.[T].; l’appelant, soulignant n’avoir entrepris aucune action pour dissimuler les faits reprochés, affirme que le conseil de prud’hommes s’est mépris sur le point de départ de la prescription.

M. [F] estime que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse puisque d’une part, son employeur avait pris la décision de rompre le contrat de travail avant même la tenue de l’entretien préalable, la nomination de Mme [U] pour le remplacer, officialisée le 22 juin 2018 mais résultant d’un processus commencé dès le 29 mai 2018 en étant la démonstration, et d’autre part, les faits reprochés ne sont pas établis – les auditions recueillies de façon contestable n’ayant aucune valeur probante- , n’ont pas atteint la réputation, ni l’image de l’établissement bancaire, et sont relatifs à sa vie privée. Il conclut à l’infirmation du jugement entrepris et à la condamnation du CIC à lui verser la somme de 1 281’911 € à titre de dommages- intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Selon l’article L 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait est donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.

Le délai de prescription commence à courir le jour où l’employeur a une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié.

L’« employeur » s’entend, dans ce contexte, comme étant le représentant légal – le cas échéant- de la personne morale, le titulaire naturel du pouvoir de direction et de sanction mais encore le représentant de ce dernier ayant qualité pour prendre l’initiative d’une action disciplinaire.

En l’espèce, il est établi par un courriel de M.K.S.C., en date du 26 juin 2018, que ce dernier, à son retour de vacances, entendant des rumeurs sur le comportement inapproprié de M. [F] avec certaines femmes de l’équipe de la banque lors de la soirée du 7 juillet ( ‘par exemple toucher les fesses ou les seins des femmes comme [Z][O]’) a décidé le (ou vers le) 28 juillet suivant d’appeler le directeur des ressources humaines de Singapour, M. [D]. ‘pour clarifier les rumeurs’.

Si M. [F] invoque d’une part, la ‘charte relative à la prévention et la lutte contre le harcèlement ‘ qui donne un rôle central au directeur des ressources humaines, lequel doit être informé par les personnes ayant connaissance d’un fait pouvant être du harcèlement, doit assurer un soutien à la victime et prévenir par écrit la Direction des Ressources Humaines du Groupe, et d’autre part, différents documents signés par [D], l’informant de l’attribution de bonus exceptionnels, ces éléments ne sauraient faire du directeur des ressources humaines de la succursale de Singapour le représentant local de l’employeur, ni le supérieur hiérarchique de M. [F], pas plus que le titulaire de l’autorité de sanction à son encontre.

Il est manifeste que M. [F] était le représentant légal de la société CIC au sein de l’agence de Singapour et le supérieur hiérarchique du personnel en place, dont le DRH, lequel avait pouvoir de sanction certes sur les effectifs de la succursale, mais non sur le directeur.

Il convient d’ailleurs de relever que dans les différentes notifications des bonus attribués à M. [F], M. [D] fait référence à ‘la direction’, comme décisionnaire de ces versements.

Par conséquent quelles que soient son ancienneté, son expérience et son intégration localement, ce cadre ne saurait être considéré comme le représentant de l’employeur à Singapour.

Il résulte par ailleurs du jugement de première instance qu’un courriel a été envoyé le 15 mai 2018 par Mme [Z][O][K], à la direction générale du CIC notamment relativement au comportement litigieux du directeur, décrit par cette dernière comme une ‘ agression sexuelle’ sur elle-même mais aussi sur trois autres collaboratrices. Dans ce message, la salariée indiquait qu’ ‘une semaine plus tard, [B] [F] a organisé une réunion avec K., L., K. et moi-même. Il a admis ses fautes et s’est excusé pour ses actes. Je n’ai pas accepté ses excuses’.

M.[D] n’ayant pas informé le Crédit Industriel et Commercial de la ‘rumeur’ relative à l’attitude litigieuse lors de la fête du 7 juillet 2017, pas plus que M. [F] lui-même, et la date d’information de l’employeur n’étant pas remise en cause par l’intéressé, il convient de dire que les faits fautifs ne sont pas atteints par la prescription.

En ce qui concerne le licenciement qui aurait été acté par l’employeur avant l’entretien préalable, il convient de relever qu’en l’état de la mise à pied conservatoire notifiée à M. [F], la succursale CIC de Singapour nécessitait d’être pourvue rapidement d’un responsable, que la concomitance de la procédure de nomination de Mme J. [K], officialisée le 22 juin 2018, avec la fin de l’enquête menée sur place et la convocation de l’appelant à un entretien préalable ne saurait constituer, dans ce contexte, la démonstration d’une décision de rupture d’ores et déjà prise par l’employeur, la preuve de ce que la nouvelle directrice générale de l’agence ait été désignée par intérim ou de façon permanente n’est pas faite au visa de pièces adverses (non produites aux débats). Surtout, cette décision ne saurait intrinsèquement induire le licenciement de l’appelant, dans la mesure où la société CIC, qui dispose d’autres agences dans le monde et d’autres postes, pouvait repositionner l’appelant dans ses effectifs, sans rompre le lien contractuel.

En ce qui concerne la réalité des faits reprochés, il résulte du jugement de première instance que les auditions de collaborateurs, menées dans le cadre de l’enquête effectuée par la société CIC sur place, ont permis de vérifier que M. [F] avait été l’auteur, le 7 juillet 2017, d’agissements à connotation sexuelle envers des collaboratrices, dans un contexte d’imprégnation alcoolique importante.

La décision de première instance s’est référée également à l’audition du salarié lui-même, qui a reconnu avoir eu la main ‘baladeuse’, ayant trop bu.

Il résulte d’ailleurs de la déclaration solennelle – produite aux débats par l’appelant et donc non sujette à caution quant aux conditions de son recueil -, document émanant de M. [J], assistant du vice- président du département informatique de la succursale de Singapour du CIC, qu’à l’occasion de la soirée organisée le 7 juillet 2017 pour fêter les très bons résultats des équipes, après un buffet dans un restaurant, puis la visite d’une galerie d’art, un petit groupe de salariés s’est retrouvé dans un bar japonais: ‘ Je me souviens qu'[B] était aussi là avec nous à O. et qu’il buvait verre de saké après verre de saké, comme beaucoup d’autres qui étaient là aussi’ […] ‘[B] aurait apparemment glissé sa main sous la robe d'[Z][O] pour toucher le haut de sa cuisse et la police a ouvert une enquête’. ‘Il m’a été demandé de me souvenir de cette soirée dans le cadre des accusations portées par [Z][O], et je me souviens qu’à un moment, à O., j’ai vu [B] mettre son bras autour de la taille de [Z][O] Je m’en souviens très bien parce que je me souviens avoir pensé que cela était professionnellement inapproprié vis-à-vis de collègues. En outre, [B] était notre supérieur hiérarchique, et était le plus haut cadre dirigeant du CIC Singapour. Cependant, même si je considère que cela est professionnellement inapproprié, je n’ai pas pensé qu’il y ait quoi que ce soit d’indécent ou de criminel dans le fait qu'[B] ait mis son bras autour de sa taille ‘ […] ‘J’ai noté qu'[B] devenait vraiment ivre et ne tenait plus debout. Il était clair qu’il fallait mettre fin à la soirée avant que personne d’autre ne soit trop enivré et ne s’attire des ennuis.[…] J’ai vu M.G. et [Z]W. qui se tenaient à droite de l’entrée.'[…] ‘Elles essayaient de contacter l’épouse d'[B] pour qu’elle vienne le chercher. [B] avait conduit jusqu’à Robertson Quay et il n’était évidemment pas en état de conduire pour rentrer’.[…] ‘A ce moment-là, devant O. [B] était tellement ivre qu’il ne pouvait pas tenir debout tout seul, sans être soutenu'[…] ‘[B] a vomi à l’entrée de Robertson Walk. Il a même vomi sur mes chaussures.'[…] ‘ [B] ne contrôlait plus ses mouvements et pouvait à peine rentrer dans le taxi ‘.

Bien que le résultat de l’enquête de police, porté à la connaissance de M. [F] par courriel du 4 septembre 2018 par son avocat à Singapour, ait conclu à l’absence de poursuites judiciaires à son encontre, ces faits, tenant à la fois au comportement pour le moins déplacé du responsable de l’agence envers plusieurs de ses subordonnées, à son intempérance l’ayant conduit à perdre toute dignité à l’occasion de vomissements en public, de perturbations dans son équilibre et dans la coordination de ses mouvements et à perdre conscience de ses actes, mais également le silence conservé par lui vis-à-vis de sa hiérarchie après des excuses envers les plaignantes qu’il a estimé suffisantes, sont de nature à justifier la rupture du lien contractuel, le statut de représentant de l’employeur – de son image et de sa crédibilité -, surtout dans un pays étranger tel que Singapour, ne pouvant s’accommoder d’un tel comportement, ni d’un tel manque de transparence.

Alors qu’il ne rapporte pas la preuve du climat de défiance existant à son encontre, M. [F], en sa qualité de directeur général de la succursale, se devant de faire preuve d’exemplarité de comportement et de maîtrise de soi, ayant en charge la protection de la santé et de la sécurité des salariés placés sous sa subordination, ne saurait valablement se retrancher derrière la consommation d’alcool importante usitée dans le milieu qu’il fréquentait ou l’alcool qui lui était offert continuellement le soir des faits, ni derrière l’attitude de salariées présentes, ni derrière les circonstances de l’incident survenu après les horaires de travail et hors du lieu de travail, dans la mesure où les faits litigieux ont eu lieu à l’encontre de salariées, en présence d’autres collaborateurs, dans un lieu ouvert au public, et non dans l’intimité de la vie privée de l’intéressé.

Au surplus, en ne reconnaissant qu’une main ‘baladeuse’, en minimisant les faits et leurs conséquences sur les plaignantes, en cherchant même à en étouffer la portée par des excuses, l’appelant n’a pas pris la mesure de ces faits graves qui ont notamment provoqué la réaction des autorités policières et bancaires singapouriennes, au risque d’entacher la réputation de son employeur.

Il convient de dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et de rejeter la demande d’indemnisation présentée ainsi que celle d’affichage de la présente décision, par confirmation du jugement entrepris.

Sur le préjudice moral :

Invoquant l’attitude déloyale de son employeur qui l’a mis à pied à titre conservatoire, exigeant la remise du matériel à sa disposition et lui interdisant de prendre contact avec les salariés du CIC, alors que cette exclusion n’était pas justifiée par les faits reprochés qui étaient anciens, isolés et relatifs à des salariées ne faisant plus partie des effectifs de l’agence de Singapour, M. [F] souligne que la société intimée a communiqué à tous les salariés les causes prétendues de son licenciement, à savoir ‘des gestes inappropriés vis-à-vis de collaboratrice du CIC ‘ alors que l’enquête pénale n’a pas donné lieu à poursuites à son encontre. Il sollicite 50’000 € en réparation du préjudice moral qu’il a subi.

Si une faute grave n’a pas été retenue en l’espèce, eu égard à l’ancienneté et aux qualités professionnelles de M. [F], la décision de mise à pied conservatoire, avec restitution du matériel notamment informatique de l’intéressé, s’avère avoir été justifiée par la qualité de dirigeant de l’agence de M. [F] et par le risque de concertation avec des membres de son équipe, ou de pression sur les plaignantes, susceptible au surplus de ruiner l’enquête en cours diligentée après dénonciation par Mme [Z][O][K] des faits litigieux.

Il convient de relever, en outre, que la mise à pied litigieuse a été spécifiée comme non privative de rémunération pour l’intéressé.

M.[F] verse aux débats un échange de SMS du 20 août 2018 dans lequel il lui est indiqué que des instructions ont été données au personnel de ne pas lui parler.

L’injonction faite au personnel de l’agence de ne pas communiquer avec le directeur général relève de la même précaution.

Il convient de relever que la réponse faite par l’intéressé à son interlocuteur a été ‘ Compris. Prends soin de toi. [B]’ .

Au surplus, la démonstration d’un préjudice moral, distinct de celui résultant de la perte de son emploi, n’est pas faite par M. [F] en l’espèce.

Sa demande d’indemnisation doit être rejetée, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les bonus :

M. [F] invoque la rémunération variable qui a été prévue contractuellement, pour réclamer, au titre des années 2016 et 2017, les sommes qui lui étaient acquises à ce titre et dont le versement devait intervenir selon un calendrier décalé, à savoir les sommes de 56’000 € et de 105’000 €, outre les congés payés y afférents.

En ce qui concerne l’année 2018, l’appelant réclame un rappel de bonus de 283’500 €, estimant avoir rempli ses objectifs et soulignant le rappel fait dans la lettre de licenciement à ses qualités professionnelles. Il invoque que cette rémunération est constitutive d’un usage, présentant les critères de généralité pour les hauts cadres du CIC, de constance (paiement effectif chaque année depuis son affectation à Singapour en septembre 2014) et de fixité, conformément à la politique du CIC en la matière.

En l’espèce, l’avenant au contrat de travail de M. [F], en date du 1er juillet 2014, stipule en son article 5 ‘ rémunération’ ‘l’intéressé perçoit un salaire annuel brut d’expatriation hors primes de SGD 550000 (cinq cent cinquante mille dollars singapouriens). Il sera versé, selon les usages de la succursale. Il pourra être revu annuellement par le CIC Singapour, toute nouvelle mesure devant faire l’objet d’une consultation préalable du CIC à [Localité 4].

Au titre de l’année 2014, il lui est garanti que son salaire fixe de New York pour 8 mois additionné de son salaire fixe de Singapour pour 4 mois additionné de son bonus sera d’un montant équivalent à son niveau de rémunération (fixe + bonus) de 2013.’

Si M. [F] se réfère aux pièces adverses en ce qui concerne la contractualisation des bonus, il ne produit pas les documents permettant de la vérifier.

Un courrier lui a été adressé le 15 février 2016, faisant état d’une ‘prime variable 2015’ de 400’000 SGD devant être ‘versée à la fin février 2016’ et il résulte du jugement de première instance que M. [F] a été informé en février 2017 et mars 2018 de son éligibilité au versement de bonus, à savoir respectivement 400’000 et 450’000 dollars singapouriens pour les années 2016 et 2017.

Les juges de première instance ont relevé, au vu de l’argumentaire de la société CIC, que la partie des bonus non immédiatement versée ( à savoir les deux tiers) devait être payée en trois fractions égales différées sur trois ans sous réserve de la présence toujours effective de l’intéressé dans l’entreprise et de l’inscription de sa performance dans le cadre pluriannuel fixé, mais force est de constater que le licenciement de M. [F] n’a pas permis qu’il soit payé des sommes restant dues.

En outre, aucun élément n’est produit permettant de vérifier la généralité du versement d’un bonus, au sein de la catégorie des cadres, comme indiqué par l’intéressé, au sein de l’agence de Singapour.

Au surplus, la lecture des bulletins de salaire de M. [F] permet de vérifier le versement de bonus de montants différents et à des périodes différentes, février et juillet 2017, février 2018, mars 2018.

Les critères de constance et de fixité ne sont donc pas réunis en l’espèce pour permettre de conclure à l’existence d’un usage pouvant bénéficier au salarié.

En ce qui concerne l’année 2018, si M. [F] produit un courrier du Crédit Industriel et Commercial le faisant bénéficier d’un bonus payé en mars 2018, récompensant ses efforts et son engagement dans le projet ‘Capella’, force est de constater que ce bonus est effectivement mentionné sur le bulletin de salaire de mars 2018, conformément à ce courrier, et que les autres documents qu’il verse aux débats ne permettent pas d’établir un quelconque usage dont il pourrait bénéficier, ni même une décision prise au vu de ses autres résultats par son employeur au titre de l’année 2018.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris et de rejeter les demandes de M.[F] au titre de sa rémunération variable.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le salarié, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d’appel.

L’équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles et de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement déféré,

Y ajoutant,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE M. [B] [F] aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE