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Il ressort de la fiche de la marque de l’Union européenne que le transfert des droits afférents à la marque « maison blanche » n’a été publié au registre de l’EUIPO qu’en date du 18 février 2020, soit postérieurement à l’action en contrefaçon intentée par la société Montaigne Invest (le 26 septembre 2018) ainsi qu’à la déclaration d’appel émise par la société LMB (le 27 août 2019). Or, l’intérêt à agir doit être établi au jour de l’assignation ou de la déclaration d’appel.
Ainsi, seule la publication au registre ayant pour effet de rendre opposable aux tiers, parmi lesquels se trouve la société LMB, la transmission des droits attachés à une marque, l’inscription tardive du transfert de titularité de la marque n° 5761648 ne saurait régulariser le défaut d’intérêt à agir de la société Montaigne Invest.
La société Montaigne Invest, qui reproche à la société LMB un usage antérieur au 18 février 2020, est donc irrecevable en sa demande formée au titre de la marque de l’Union européenne figurative maison blanche paris n° 5761648.
Par ailleurs, seule la publication au registre national des marques a pour effet de rendre opposable aux tiers une transmission ou modification sur les droits attachés à une marque. La transmission d’une marque par l’effet d’une fusion n’est opposable aux tiers qu’à compter de la modification de l’inscription au registre national des marques. La société absorbante ne peut, faute d’une telle publicité, agir en contrefaçon.
L’article L 717-6 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version en vigueur du 28 juillet 2001 au 15 décembre 2019 et applicable en l’espèce, prévoit que si une marque enregistrée en France n’a pas été renouvelée, le fait que son ancienneté ait été revendiquée au nom d’une marque de l’Union européenne ne fait pas obstacle à ce que la déchéance des droits de son titulaire soit prononcée :
Lorsqu’une marque antérieurement enregistrée en France n’a pas été renouvelée ou a fait l’objet d’une renonciation, le fait que l’ancienneté de cette marque a été revendiquée au nom d’une marque communautaire ne fait pas obstacle à ce que la nullité de cette marque ou la déchéance des droits de son titulaire soit prononcée.
Une telle déchéance ne peut cependant être prononcée en application du présent article que si celle-ci était encourue à la date de la renonciation ou à la date d’expiration de l’enregistrement.
___________________________________________________________________________________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 11 JANVIER 2022
3ème Chambre Commerciale
N° RG 19/05841 – N° Portalis DBVL-V-B7D-QCFJ
SARL LA MAISON BLANCHE
C/
SAS MONTAIGNE INVEST – MAISON BLANCHE PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère, rapporteur
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,
GREFFIER :
Mme X Y, lors des débats, et Mme Frédérique HABARE, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 23 Novembre 2021
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 11 Janvier 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
SARL LA MAISON BAYEUX anciennement dénommée LA MAISON BLANCHE, inscrite au
RCS de Caen sous le n° 809 024 946, agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité au siège.
[…]
[…]
Représentée par Me X GRINGORE de la SELARL DERBY AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de CAEN
Représentée par Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
SAS MONTAIGNE INVEST – MAISON BLANCHE PARIS , inscrite au RCS de PARIS sous le numéro 432 309 144, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège.
[…]
[…]
Représentée par Me Christophe DAVID de la SELARL QUADRIGE AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Alexandre ROTCAJG, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
FAITS ET PROCÉDURE :
La SAS Montaigne Invest (la société Montaigne Invest), venant aux droits de la SA Société d’exploitation du Restaurant 15 Montaigne Maison Blanche à la suite d’une fusion-absorption, exerce une activité dans le domaine des débits de boisson et de la restauration à Paris (Ile de France), sous l’enseigne ‘Maison Blanche’.
Elle est titulaire de la marque semi-figurative ‘maisonblanche paris’, enregistrée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), pour les services de la classe n°43 : services de restauration (alimentation).
La SARL La Maison Blanche exerce une activité dans le domaine des débits de boisson et de la restauration à Bayeux (Calvados), depuis le 15 janvier 2015.
Le 18 septembre 2017, par courrier recommandé avec accusé de réception, la société Montaigne Invest a mis la société La Maison Blanche en demeure de cesser d’utiliser tout ou partie de la marque française et communautaire ‘Maison Blanche Paris’ sous un mois à compter de la réception de cette lettre et, en conséquence, de retirer de façon immédiate la mention ‘Maison Blanche’ de son enseigne et des supports où elle était utilisée (supports de communication et publicitaires).
Le 26 septembre 2018, la société Montaigne Invest a assigné la société La Maison Blanche en contrefaçon. Cette dernière n’a pas comparu à l’audience et n’était pas représentée.
Par jugement réputé contradictoire du 5 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Rennes a :
– Dit que l’utilisation par la société La Maison Blanche de l’enseigne La Maison Blanche pour l’exploitation de son restaurant […] à Bayeux et l’utilisation de cette enseigne sont constitutives de contrefaçon de la marque Maison Blanche Paris,
– Ordonné à la société La Maison Blanche de cesser d’utiliser le signe Maison Blanche à titre d’enseigne, de dénomination sociale ou sous quelque forme que ce soit dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement et sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée, ou par semaine de non-faire, à l’issue de cette période,
– Condamné la société La Maison Blanche à verser à la société Montaigne Invest :
– la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts,
– la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Ordonné l’exécution provisoire du jugement,
– Condamné la société La Maison Blanche aux entiers dépens.
La société La Maison Blanche a interjeté appel le 27 août 2019.
En exécution provisoire de ce jugement, la société La Maison Blanche a modifié sa dénomination en La Maison Bayeux (la société LMB).
Par conclusions d’incident du 24 février 2020, estimant que la société LMB n’avait pas exécuté la décision déférée, la société Montaigne Invest a saisi le conseiller de la mise en état d’une demande de radiation de l’affaire du rôle de la cour d’appel de Rennes. La société Montaigne Invest a renouvelé ses conclusions le 30 juin 2020, faisant valoir que la société LMB continuait d’utiliser le signe ‘Maison Blanche’ sur ses réseaux sociaux. Par conclusions en réplique, la société LMB s’est opposée à cette demande. Par ordonnance du 10 septembre 2020, le conseiller de la mise en état a débouté la société Montaigne Invest de sa demande de radiation de l’affaire du rôle de la cour.
La société LMB a déposé ses dernières conclusions le 18 octobre 2021. La société Montaigne Invest a déposé ses dernières conclusions le 30 juillet 2021.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 octobre 2021.
PRÉTENTIONS ET MOYENS :
La société LMB demande à la cour de :
– Déclarer la société LMB recevable et fondée en son appel,
– Y faire droit,
– Réformer le jugement en ce qu’il a :
– Dit que l’utilisation par la société LMB de l’enseigne La Maison Blanche pour l’exploitation de son restaurant […] à Bayeux et l’utilisation de cette enseigne sont constitutives de contrefaçon de la marque Maison Blanche Paris,
– Ordonné à la société LMB de cesser d’utiliser le signe Maison Blanche, à titre d’enseigne, de dénomination sociale ou sous quelque forme que ce soit dans un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision et sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée, ou par semaine de non-faire, à l’issue de cette période,
– Condamné la société LMB à verser à la société Montaigne Invest :
– La somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts,
– La somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, – Condamné la société LMB aux entiers dépens,
Statuant à nouveau :
– A titre principal, déclarer la société Montaigne Invest irrecevable en ses demandes pour défaut d’intérêt et de qualité à agir,
– A titre subsidiaire, débouter la société Montaigne Invest de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont infondées en leur principe,
– A titre infiniment subsidiaire, débouter la société Montaigne Invest de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont infondées en leur quantum,
– En tout état de cause, débouter la société Montaigne Invest de toutes autres nouvelles demandes présentées devant la cour d’appel,
– A titre reconventionnel, condamner la société Montaigne Invest à régler à la société LMB la somme de 10. 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’instance et d’appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– Rejeter toutes demandes, fins et conclusions autres ou contraires aux présentes.
La société Montaigne Invest demande à la cour de :
Recevant l’intimée en ses conclusions au fond et y faisant droit :
– Sans préjudice des conclusions sur incident sur le fondement de l’article 526 du code de procédure civile, confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf sur le quantum alloué à la société Montaigne Invest à titre de dommages et intérêts,
Y ajoutant,
– Condamner la société LMB à verser à la société Montaigne Invest la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel,
Recevant l’appel incident de l’intimée, et statuant à nouveau du seul chef du quantum des dommages et intérêts :
– Condamner la société LMB à verser à la société Montaigne Invest la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts,
– Débouter la société LMB de toutes demandes, fins et conclusions contraires.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION : Sur la recevabilité de la Société Montaigne Invest au titre de ses demandes en contrefaçon:
La société LMB fait valoir que la société Montaigne Invest est dépourvue de qualité et d’intérêt à agir sur le fondement des marques qu’elle invoque et doit, de ce fait, être déclarée irrecevable en ses demandes.
L’intérêt au succès ou au rejet d’une prétention s’apprécie au jour de l’introduction de la demande en justice et l’intérêt d’une partie à interjeter appel, au jour de la déclaration d’appel.
L’article L 236-3 du code de commerce, dans sa version en vigueur du 21 septembre 2000 au 21 juillet 2019, applicable en l’espèce, prévoit que la fusion de deux sociétés entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société qui disparaît au profit de la société bénéficiaire :
I. – La fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l’état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l’opération. Elle entraîne simultanément l’acquisition, par les associés des sociétés qui disparaissent, de la qualité d’associés des sociétés bénéficiaires, dans les conditions déterminées par le contrat de fusion ou de scission.
II. – Toutefois, il n’est pas procédé à l’échange de parts ou d’actions de la société bénéficiaire contre des parts ou actions des sociétés qui disparaissent lorsque ces parts ou actions sont détenues :
1° Soit par la société bénéficiaire ou par une personne agissant en son propre nom mais pour le compte de cette société ;
2° Soit par la société qui disparaît ou par une personne agissant en son propre nom mais pour le compte de cette société.
L’article L 714-7 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version en vigueur du 13 décembre 2008 au 15 décembre 2019 et applicable en l’espèce, dispose :
Toute transmission ou modification des droits attachés à une marque doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au Registre national des marques.
Toutefois, avant son inscription, un acte est opposable aux tiers qui ont acquis des droits après la date de cet acte mais qui avaient connaissance de celui-ci lors de l’acquisition de ces droits.
Le licencié, partie à un contrat de licence non inscrit sur le Registre national ou international des marques, est également recevable à intervenir dans l’instance en contrefaçon engagée par le propriétaire de la marque afin d’obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre.
Seule la publication au registre national des marques a pour effet de rendre opposable aux tiers une transmission ou modification sur les droits attachés à une marque.
La transmission d’une marque par l’effet d’une fusion n’est opposable aux tiers qu’à compter de la modification de l’inscription au registre national des marques. La société absorbante ne peut, faute d’une telle publicité, agir en contrefaçon.
Enfin, l’article L 717-6 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version en vigueur du 28 juillet 2001 au 15 décembre 2019 et applicable en l’espèce, prévoit que si une marque enregistrée en France n’a pas été renouvelée, le fait que son ancienneté ait été revendiquée au nom d’une marque de l’Union européenne ne fait pas obstacle à ce que la déchéance des droits de son titulaire soit prononcée :
Lorsqu’une marque antérieurement enregistrée en France n’a pas été renouvelée ou a fait l’objet d’une renonciation, le fait que l’ancienneté de cette marque a été revendiquée au nom d’une marque communautaire ne fait pas obstacle à ce que la nullité de cette marque ou la déchéance des droits de son titulaire soit prononcée.
Une telle déchéance ne peut cependant être prononcée en application du présent article que si celle-ci était encourue à la date de la renonciation ou à la date d’expiration de l’enregistrement.
Concernant la marque internationale n° 1089653 :
La société LMB fait valoir que la marque internationale n°1089653 maison blanche paris ne désigne pas la France mais seulement l’Egypte. Partant, la société Montaigne Invest serait dénuée d’intérêt à agir.
La société Montaigne Invest ne conteste pas les allégations de la société LMB concernant la marque internationale n° 1089653 dont elle est titulaire.
Il ressort de l’extrait de la base de données Marques de l’INPI produit par la société LMB (pièce n°3a), ainsi que du certificat d’enregistrement du 22 septembre 2011 produit par la société Montaigne Invest (pièce n°3), que la marque internationale semi figurative n° 1089653 maisonblanche paris ne désigne pas la France mais seulement l’Egypte.
Les faits reprochés à la société LMB se sont produits sur le territoire français. Or, la marque internationale n° 1089653 ne désignant pas la France, la société Montaigne Invest ne saurait utilement s’en prévaloir au soutient de son action en contrefaçon.
Par conséquent, faute d’intérêt à agir, la société Montaigne Invest est irrecevable en ses demandes formées au titre de la marque internationale n° 1089653.
Concernant la marque de l’Union européenne n° 5761648 :
La société LMB soutient que la marque de l’Union européenne maison blanche paris dont se prévaut la société Montaigne Invest est enregistrée au nom de la société SER Montaigne Maison Blanche qui n’est pas partie à la présente instance. Elle ajoute que le transfert de titularité allégué par la société Montaigne Invest ne lui est opposable que depuis le 20 février 2020, date de publication au registre des marques de l’EUIPO, soit postérieurement à l’acte introductif d’instance du 26 septembre 2018.
La société Montaigne Invest soutient quant à elle venir aux droits de la SA Société d’exploitation du Restaurant (SER) […], par effet d’une fusion-absorption en date du 1er janvier 2008, qui était titulaire de la marque communautaire n° 5761648, renouvelée le 1er octobre 2016. Elle ajoute que la titularité de cette marque lui a été transférée le 20 février 2020 à la suite de démarches effectuées auprès de l’EUIPO.
Il ressort des pièces produites par la société Montaigne Invest, que :
– la marque communautaire n° 5761648 a été déposée auprès de l’EUIPO par la société SER Montaigne Maison Blanche SA le 5 mars 2007 (avec revendication d’ancienneté sur le territoire français au 2 mars 2006) et a été enregistrée le 23 janvier 2008 (pièces n° 24 et 25 : certificat de demande et certificat d’enregistrement de la marque n° 5761648),
– la Société d’exploitation du Restaurant 15 Montaigne Maison Blanche SA a fait l’objet d’une fusion-absorption par la société Montaigne Invest le 19 février 2009, avec effet rétroactif au 1er janvier 2008 (pièce n° 1 : extrait K-bis de la société Montaigne Invest à jour au 14 juillet 2016),
– la marque de l’Union européenne n° 5761648 a été renouvelée le 7 décembre 2016 (pièce n° 14 : fiche EUIPO de la marque n° 5761648),
– la marque de l’Union européenne n° 5761648 a fait l’objet d’un transfert de titulaire au profit de la société Montaigne Invest, qui a été inscrit au registre de l’EUIPO le 14 février 2020 (pièce n°15 : courrier de l’EUIPO en date du 14 février 2020).
Il ressort de ces éléments que la société Montaigne Invest, du fait de la transmission universelle de patrimoine opérée par la fusion-absorption de la société SER 15 Montaigne Maison Blanche, est devenue titulaire de la marque de l’Union européenne n° 5761648. Cette marque a été renouvelée, ledit renouvellement ayant fait l’objet d’une publication au registre des marques de l’EUIPO le 7 décembre 2016.
Néanmoins, il ressort de la fiche de la marque de l’Union européenne n° 5761648 (pièce n°14), comme des propres écrits de la société Montaigne Invest, que le transfert des droits afférents à cette marque à cette dernière n’a été publié au registre de l’EUIPO qu’en date du 18 février 2020, soit postérieurement à l’action en contrefaçon intentée par la société Montaigne Invest (le 26 septembre 2018) ainsi qu’à la déclaration d’appel émise par la société LMB (le 27 août 2019).
Or, l’intérêt à agir doit être établi au jour de l’assignation ou de la déclaration d’appel.
Ainsi, seule la publication au registre ayant pour effet de rendre opposable aux tiers, parmi lesquels se trouve la société LMB, la transmission des droits attachés à une marque, l’inscription tardive du transfert de titularité de la marque n° 5761648 ne saurait régulariser le défaut d’intérêt à agir de la société Montaigne Invest.
La société Montaigne Invest, qui reproche à la société LMB un usage antérieur au 18 février 2020, est donc irrecevable en sa demande formée au titre de la marque de l’Union européenne figurative maisonblanche paris n° 5761648.
Concernant la marque française n° 3414472 :
La société LMB fait valoir que la marque française maisonblanche paris n’est pas enregistrée au nom de la société Montaigne Invest et n’a pas été régulièrement renouvelée.
La société Montaigne Invest soutient que ladite marque a fait l’objet d’une transmission totale de propriété publiée au registre de l’INPI le 19 octobre 2009 et qu’elle a, en outre, bénéficié d’une revendication d’ancienneté lors du dépôt de la marque de l’Union européenne n° 5761648 qui a été renouvelée le 1er octobre 2016.
Il ressort de l’extrait de la base marques de l’INPI relative à la marque française semi-figurative maisonblanche paris n° 3414472, produit par la société Montaigne Invest, que celle-ci est expirée depuis le 2 mars 2016, faute de renouvellement.
La revendication d’ancienneté dont se prévaut la société Montaigne Invest n’a d’effet que sur la date d’opposabilité de la marque de l’Union européenne n° 5761648 et ne saurait régulariser une action en contrefaçon fondée sur une marque nationale n’étant plus en vigueur à la date de l’acte introductif d’instance. La société Montaigne Invest ne peut donc utilement se prévaloir de la revendication d’ancienneté annexée à l’enregistrement de sa marque de l’Union européenne afin de fonder son action contre la société LMB au titre de sa marque française expirée.
Néanmoins, la marque française n° 3414472 a fait l’objet d’une transmission totale de propriété au profit de la société Montaigne Invest en date du 19 octobre 2009, publiée au bulletin officiel de la propriété industrielle. Celle-ci était donc titulaire de droits sur cette marque entre le 19 octobre 2009 et le 2 mars 2016, date d’expiration de la marque.
Or, la société LMB a débuté l’exercice de son activité de restauration sous l’enseigne Maison Blanche le 15 janvier 2015.
Partant, la société Montaigne Invest est recevable à se prévaloir d’un préjudice tiré de l’atteinte portée à sa marque entre le 15 janvier 2015 et le 2 mars 2016.
Par conséquent, la société Montaigne Invest est recevable en ses demandes formées au titre de la marque française n° 3414472.
Elle est néanmoins irrecevable en ses demandes formées au titre de la marque internationale n° 1089653 et de la marque de l’Union européenne n° 5761648.
Le jugement sera infirmé partiellement en ce qu’il a accueilli toutes les demandes de la société Montaigne Invest.
Sur la contrefaçon de la marque française :
L’article L 713-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version en vigueur du 3 juillet 1992 au 15 décembre 2019 et applicable en l’espèce, dispose :
Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ;
b) L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.
La contrefaçon par imitation implique l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public, lequel s’apprécie globalement, en considération de l’impression d’ensemble produite par les signes.
Pour apprécier le risque de confusion, il convient de considérer les signes litigieux dans leur ensemble, tels qu’ils ressortent de leur enregistrement et sans tenir compte des conditions d’exploitation des marques.
La société Montaigne Invest soutient que la société LMB utilise pour enseigne le signe ‘Maison Blanche’, pour des produits et services similaires aux siens, notamment en persistant à utiliser les initiales ‘MB’ sur sa carte et son enseigne. Elle produit un procès-verbal de constat d’huissier en date du 19 décembre 2019 attestant qu’à cette date, la société LMB utilisait le signe ‘Maison Blanche’ sur son site internet et ses réseaux sociaux.
La société LMB fait valoir que la marque semi-figurative dont se prévaut la société Montaigne Invest présente une combinaison particulière qui n’a nullement été reprise par la société LMB, à savoir un logo constitué d’un carré blanc dans un cercle noir, suivi des termes ‘maisonblanche’ (sans espace) surmontant le terme ‘paris’. Elle ajoute qu’elle a effectué les modifications nécessaires afin de modifier sa dénomination sociale, ses noms de domaine, son site internet et ses réseaux sociaux, afin d’en retirer les termes litigieux.
La cour relève, tel qu’il l’a été exposé supra, que les actes de contrefaçon dont se prévaut la société Montaigne Invest ne peuvent être caractérisés qu’au titre de la marque française maisonblanche paris n° 3414472, pour la période allant du 15 janvier 2015 (date de commencement de son activité par la société LMB) et le 2 mars 2016 (date d’expiration de la marque).
Il ressort de l’extrait de la base de données de l’INPI que la marque semi-figurative maisonblanche paris est réprésentée par un logotype carré blanc situé dans un rond noir, placé au-dessus du terme ‘maisonblanche’ exposé sans espace, le terme ‘maison’ étant en caractère gras, contrastant avec le terme ‘blanche’. Le terme ‘paris’ qui suit le terme ‘maisonblanche’ est situé en-dessous du terme ‘blanche’, en police de taille réduite et dont la première lettre est en caractère gras.
Il ressort de ce signe, pris dans sa globalité, un effet de contraste entre les caractères noirs et blancs, qui se dégage aussi bien du logotype que des termes et de l’utilisation des caractères en gras.
Contrairement à ce que tente de faire valoir la société Montaigne Invest en citant les décisions de justice rendues à son égard, le terme ‘paris’, malgré l’utilisation d’une police de taille réduite, apparaît comme un complément nécessaire du signe ‘maisonblanche’, ayant pour effet de créer une impression d’ensemble, de telle sorte que le signe est compris par le public comme un tout indissociable.
A ce titre, il convient d’ajouter que la marque enregistré à l’INPI l’a été sous le nom verbal ‘MAISONBLANCHE PARIS’.
La société LMB, qui utilise l’enseigne ‘M-B La Maison Blanche’, n’a pas déposé ce signe à titre de marque.
Il ressort des photographies issues du constat d’huissier produit par la société Montaigne Invest que l’enseigne du restaurant ‘La Maison Blanche’ exploité par la société LMB est de couleur blanche et marron. Elle est composée du signe ‘M-B’, qui apparaît de manière prédominante, entouré d’un cercle fin blanc puis d’une couronne de laurier de couleur blanche. Le signe ‘La Maison Blanche’ apparait sur le plan inférieur, sous le signe ‘M-B’, dans une police de taille moindre. Ainsi, les initiales ‘M. B.’ sont comprises par le public comme les initiales du terme ‘Maison Blanche’.
Si les signes exploités par les deux sociétés présentent des similitudes sur le plan phonétique et auditive, du fait de la présence des mots ‘maison’ et ‘blanche’, le consommateur moyen ne peut raisonnablement opérer un rapprochement de ces signes sur le plan graphique. En effet, aucune similitude visuelle ne ressort de l’étude de ces signes dans leur globalité, qu’il s’agisse des couleurs et polices utilisées ou bien du fait que la marque dont se prévaut la société Montaigne Invest fait suivre l’appellation ‘maison blanche’ du terme ‘Paris’, qui apparaît alors comme un complément essentiel de cette marque.
Il apparaît ainsi qu’il n’est pas établi que l’impression d’ensemble produite par les signes en cause a pu générer un risque de confusion dans l’esprit du public. Il y a lieu de rejeter les demandes formées par la société Montaigne Invest au titre de la contrefaçon alléguée de sa marque française n° 3414472. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur la concurrence déloyale et le parasitisme :
La société Montaigne Invest fait valoir que la société LMB s’inscrit dant son sillage, caractérisant des faits de concurrence déloyale.
Le parasitisme économique, acte de concurrence déloyale, consiste en un ensemble de comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.
La cour relève, d’une part, que le terme ‘maison blanche’ renvoie communément à une maison de couleur blanche. D’autre part et plus spécifiquement, le terme ‘Maison Blanche’ renvoie à titre principal à la résidence officielle du président des Etats-Unis, située à […]
Il ressort de l’attestation de l’expert-comptable de la société Montaigne Invest et des ‘justificatifs de sa notoriété’, produits par celle-ci, que l’aménagement du restaurant qu’elle exploite à Paris ainsi que la communication qu’elle développe, visent à créer une image de marque liée au luxe. En effet, la communication mise en place par la société Montaigne Invest laisse apparaître que tant la carte de son restaurant que sa localisation, avenue Montaigne, avec une salle et des terrasses offrant une vue sur Paris et la Tour Eiffel, visent une clientèle de luxe. Le restaurant Maison Blanche Paris s’adresse donc à une clientèle très spécifique et ses prestations sont hors de portée du grand public.
Tel n’est pas le cas de la société LMB exploitant le restaurant La Maison Blanche à Bayeux, lequel affiche un univers lié à la Seconde guerre mondiale. En effet, il ressort des constats d’huissier produits par la société Montaigne Invest que la société LMB a aménagé la salle de son restaurant en arborant des références multiples à la Seconde guerre mondiale, tels qu’une affiche représentant Louis de Funès et Bourvil dans le film ‘La Grande Vadrouille’, qui se déroule à cette période, ou encore un drapeau des Etats-Unis. Situé à Bayeux, proche des plages du débarquement et des cimetières américains, le restaurant exploité par la société LMB vise une clientèle touristique, notamment américaine, le terme Maison Blanche renvoyant ainsi directement à l’édifice du même nom. Par ailleurs, la carte du restaurant présente une cuisine du terroir normand, destinée à une clientèle plus modeste que le restaurant parisien.
Les deux sociétés ne visent pas la même clientèle et les restaurants qu’elles exploitent ne présentent pas de point commun. Par conséquent, il n’y a pas lieu de considérer que la société LMB ait cherché à s’inscrire dans le sillage de la société Montaigne Invest afin de tirer profit de ses efforts et de ses dépenses en communication.
La société Montaigne Invest sera déboutée de sa demande sur ce point.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société Montaigne Invest aux dépens d’appel et à payer à la société LMB la somme de 8.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ailleurs, le jugement sera infirmé en ce qu’il a condamné la société LMB à payer à la société Montaigne Invest la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
– Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau :
– Déclare la société Montaigne Invest irrecevable en ses demandes formées au titre de la marque internationale n° 1089653 et de la marque de l’Union européenne n° 5761648,
– Déboute la société Montaigne Invest de ses demandes formées au titre d’une contrefaçon de la marque française n° 3414472,
– Déboute la société Montaigne Invest de ses demandes formées au titre d’une concurrence déloyale et d’un parasitisme,
– Rejette les autres demandes des parties,
Y ajoutant :
– Condamne la société Montaigne Invest à payer à la société La Maison Bayeux, anciennement La Maison Blanche, la somme de 8.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamne la société Montaigne Invest aux dépens de première instance et d’appel.
Le Greffier, Le Président