Fromage en serpentin : le groupe Bel débouté
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L’appréciation de la distinctivité de la marque tient compte de la nature du produit et s’effectue aussi au regard de la norme et des habitudes du secteur.

Affaire Bel

La demande d’enregistrement sur un modèle de fromage en serpentin (groupe Bel) a été rejetée. La demande portait sur une marque tridimensionnelle, déposée en couleur, caractérisée par sa forme de serpentin jaune enroulé sur lui-même pour former une spirale et par ses dimensions.

Plusieurs produits alimentaires se présentent sous la forme d’un serpentin enroulé sur lui-même, en particulier des rouleaux de réglisse ou de chewing-gum, mais aussi des préparations culinaires et pâtissières.

L’identification d’origine du produit

Or, le consommateur achète rapidement les fromages, sans y prêter attention. Confronté à une grande variété de formes de fromage, avec des présentations s’éloignant des formes conventionnelles, il considérera un fromage présenté en spirale enroulé sur lui-même comme une nouvelle modalité de commercialisation du produit. En présence d’une telle diversité, la forme de serpentin, même associée à la couleur jaune, ce modèle ne peut remplir la fonction essentielle de la marque, d’identification d’origine du produit.

L’appréciation de la distinctivité

Pour rappel, l’appréciation de la distinctivité au sens de l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, interprété à la lumière de l‘article 3, paragraphe 1, de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, désormais article 4, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015, s’effectue par rapport, d’une part, aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement de celle-ci est demandé, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par l’apparence du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques. Cependant, dans le cadre de l’application de ces critères, la perception du consommateur moyen n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une marque tridimensionnelle, constituée par l’apparence du produit lui-même, que dans le cas d’une marque verbale ou figurative, qui consiste en un signe indépendant de l’aspect des produits qu’elle désigne. En effet, les consommateurs moyens n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel, et il pourrait donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère distinctif d’une telle marque tridimensionnelle que celui d’une marque verbale ou figurative. Dans ces conditions, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’indication d’origine, n’est pas dépourvue de caractère distinctif (arrêts du 7 octobre 2004, Mag Instrument/OHMI, C-136/02, point 30, et du 13 septembre 2018, Birckenstock Sales GmbH/EUIPO, C-26/17, points 32 et 33 et, par analogie, arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C-456/01 et C-457/01, point 39).


COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 27 septembre 2023




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 620 F-D

Pourvoi n° J 22-13.827




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 SEPTEMBRE 2023

La société Bel, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Fromageries Bel, a formé le pourvoi n° J 22-13.827 contre l’arrêt rendu le 27 janvier 2022 par la cour d’appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l’opposant au directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Bel, après débats en l’audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Exposé du litige

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 27 janvier 2022), la société Fromageries Bel, devenue la société Bel, a déposé auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (l’INPI) une demande d’enregistrement n° 13/3 988 762 de marque tridimensionnelle déposée en couleurs, représentant un serpentin de couleur jaune, destinée à distinguer, en classe 29, les fromages.

2. Par décision du 10 décembre 2020, le directeur général de l’INPI a rejeté cette demande d’enregistrement pour défaut de caractère distinctif.

3. La société Bel a formé un recours contre cette décision.

Moyens

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société Bel fait grief à l’arrêt de rejeter son recours formé contre la décision rendue par le directeur général de l’INPI le 10 décembre 2020, alors :

« 1°/ que le caractère distinctif d’une marque tridimensionnelle doit être apprécié par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé ; que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par l’apparence du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques ; qu’une marque tridimensionnelle qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et de ce fait, est susceptible d’exercer la fonction essentielle d’indication d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif ; que le secteur ainsi visé correspond ainsi, en principe, au secteur des produits visés par la marque ; qu’en affirmant que l’appréciation de la distinctivité doit, au vu de la nature du produit, s’effectuer au regard de la norme et des habitudes du “secteur”, qu’elle a défini comme celui des produits alimentaires, et non au vu des seuls fromages, sans justifier en quoi la nature des fromages imposerait de prendre en considération le secteur aussi vaste que celui constitué des produits alimentaires en général, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 ;

2°/ qu’à supposer même que la cour d’appel ait implicitement adopté les motifs de la décision du directeur de l’INPI, la circonstance que les fromages relèvent de la catégorie, plus large, des produits alimentaires et que le public concerné par les produits alimentaires soit le même que celui concerné par les fromages ne constituent pas des éléments suffisants pour justifier la prise en considération d’un secteur aussi vaste que celui constitué des produits alimentaires en général ; qu’en se déterminant par de tels motifs inopérants, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 ;

3°/ qu’une marque tridimensionnelle qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et de ce fait, est susceptible d’exercer la fonction essentielle d’indication d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif ; que le “secteur” à prendre en considération ne saurait s’étendre à des produits qui ne sont pas de même nature ou ne sont pas similaires à ceux couverts par la marque ; qu’en prenant en considération des produits alimentaires tels que les rouleaux de réglisse ou des chewing-gums, sans justifier en quoi de tels produits seraient des produits alimentaires de même nature que les fromages ou seraient similaires à ceux-ci, et en quoi il serait donc pertinent de prendre en considération ces produits pour apprécier si la forme constituant la demande d’enregistrement litigieuse divergeait, de manière significative, de la norme et des habitudes du secteur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 ;

4°/ qu’une marque tridimensionnelle qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et de ce fait, est susceptible d’exercer la fonction essentielle d’indication d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif ; qu’en affirmant, au contraire, que la seule affirmation que la forme revendiquée serait inhabituelle ou remarquable n’est pas suffisante à établir que le consommateur pourra identifier les produits présentés sous cette marque, de ceux proposés par la concurrence, la cour d’appel a violé l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 ;

5°/ qu’une marque tridimensionnelle qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et de ce fait, est susceptible d’exercer la fonction essentielle d’indication d’origine n’est pas dépourvue de caractère distinctif ; qu’en affirmant que la diversité établie des formes de fromages proposée empêcherait cette forme de serpentin de remplir sa fonction essentielle de la marque d’identification d’origine du produit et que le public ne considérera pas la forme en cause comme relevant d’un fabricant spécifique mais plutôt comme relevant de la diversité caractérisant le marché concerné, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la marque en cause ne s’écartait pas, de manière significative, des autres formes utilisées pour les fromages et si elle n’était pas, de ce fait, susceptible d’exercer la fonction essentielle d’indication d’origine, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019. »

Motivation

Réponse de la Cour

5. L’appréciation de la distinctivité au sens de l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, interprété à la lumière de l‘article 3, paragraphe 1, de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, désormais article 4, paragraphe 1, de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015, s’effectue par rapport, d’une part, aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement de celle-ci est demandé, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent.

6. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles constituées par l’apparence du produit lui-même ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques. Cependant, dans le cadre de l’application de ces critères, la perception du consommateur moyen n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une marque tridimensionnelle, constituée par l’apparence du produit lui-même, que dans le cas d’une marque verbale ou figurative, qui consiste en un signe indépendant de l’aspect des produits qu’elle désigne. En effet, les consommateurs moyens n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel, et il pourrait donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère distinctif d’une telle marque tridimensionnelle que celui d’une marque verbale ou figurative. Dans ces conditions, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d’indication d’origine, n’est pas dépourvue de caractère distinctif (arrêts du 7 octobre 2004, Mag Instrument/OHMI, C-136/02, point 30, et du 13 septembre 2018, Birckenstock Sales GmbH/EUIPO, C-26/17, points 32 et 33 et, par analogie, arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C-456/01 et C-457/01, point 39).

7. En premier lieu, après avoir énoncé que l’appréciation de la distinctivité de la marque devait, au vu de la nature du produit, s’effectuer au regard de la norme et des habitudes du secteur, c’est à bon droit que l’arrêt retient que, la demande désignant des fromages, il convenait de prendre en considération le secteur des denrées alimentaires dont ils relèvent.

8. En second lieu, après avoir relevé que la demande d’enregistrement porte sur une marque tridimensionnelle, déposée en couleur, caractérisée par sa forme de serpentin jaune enroulé sur lui-même pour former une spirale et par ses dimensions, et constaté que plusieurs produits alimentaires se présentent sous la forme d’un serpentin enroulé sur lui-même, en particulier des rouleaux de réglisse ou de chewing-gum, mais aussi des préparations culinaires et pâtissières, l’arrêt retient, d’une part, que le consommateur achète rapidement les fromages, sans y prêter attention, d’autre part, que, confronté à une grande variété de formes de fromage, avec des présentations s’éloignant des formes conventionnelles, il considérera un fromage présenté en spirale enroulé sur lui-même comme une nouvelle modalité de commercialisation du produit. L’arrêt en déduit qu’en présence d’une telle diversité, la forme de serpentin, même associée à la couleur jaune, ne peut remplir la fonction essentielle de la marque, d’identification d’origine du produit.

9. En cet état, la cour d’appel a légalement justifié sa décision.

10. Inopérant en ses deuxième et quatrième branches, qui critiquent, la première, un motif de la décision du directeur général de l’INPI qui, ne venant pas au soutien d’une décision juridictionnelle du premier degré, ne peut être présumé avoir été adopté par la cour d’appel conformément à l’article 955 du code de procédure civile, la seconde, un motif surabondant, le moyen n’est pas fondé pour le surplus.

Dispositif

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Bel aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept septembre deux mille vingt-trois.


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