Fraude récurrente au temps de travail : la preuve par adresses IP
Fraude récurrente au temps de travail : la preuve par adresses IP
Ce point juridique est utile ?

L’analyse des horaires de départ, de fermeture de sa session informatique et de clôture de ses activités porte atteinte au respect de la vie personnelle du salarié au temps et sur le lieu de travail, en ce qu’elle constitue une surveillance ou ingérence.

Dans la mesure où cette atteinte a pour but de vérifier la durée du temps de travail, la rémunération à verser ainsi que la loyauté du salarié dans la gestion de ses tâches et dans ses déclarations à l’employeur, elle apparaît strictement proportionnée au but poursuivi.

Il en résulte que la preuve fournie par l’employeur en l’espèce n’a pas porté une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble et doit être reçue au titre de la démonstration de fautes commises par le salarié.

Résumé de l’affaire

Monsieur [G] a été engagé par l’association de moyens D&O en 2009, qui a fusionné pour devenir l’association Klesia en 2012. Après un licenciement pour faute grave en 2017, contesté par Monsieur [G], le conseil de prud’hommes de Paris a requalifié le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse et a condamné Klesia à verser diverses sommes à Monsieur [G]. En appel, la cour d’appel de Paris a condamné Klesia à payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cependant, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en raison de l’illicéité des preuves utilisées. Les parties sont actuellement en appel devant la cour d’appel de Paris pour un nouveau jugement.

Les points essentiels

Sur le bien-fondé du licenciement :

La lettre de licenciement reproche à Monsieur [G] une fraude récurrente au temps de travail. L’employeur invoque la reconnaissance des faits par le salarié et la licéité du dispositif de badgeage. Monsieur [G] conteste avoir reconnu la fraude et souligne l’illicéité des modes de preuve utilisés. Le juge doit mettre en balance le droit à la preuve et le respect de la vie privée.

Sur le caractère vexatoire du licenciement :

Monsieur [G] affirme avoir été licencié de manière brutale et humiliante. Il demande réparation pour le préjudice subi. L’employeur conteste ces allégations. Le juge considère qu’il n’y a pas de circonstances particulières justifiant une réparation distincte du préjudice lié à la perte d’emploi.

Sur les intérêts :

Les intérêts au taux légal courent sur les créances de sommes d’argent à compter de différentes dates. Le juge précise les modalités de calcul des intérêts.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

L’employeur est condamné aux dépens de première instance et d’appel. Une somme est allouée à l’intimé au titre des frais irrépétibles.

Les montants alloués dans cette affaire: – Le GIE Klesia ADP est condamné à payer à Monsieur [R] [G] la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– Les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil, sont dus à compter de différentes dates selon les types de créances
– Le GIE Klesia ADP est condamné aux dépens d’appel

Réglementation applicable

– Code du travail
– Code civil
– Code de procédure civile

Article du Code du travail cité : R1452-5

Article du Code civil cité : 1153, 1153-1, 1231-6, 1231-7, 1343-2

Article du Code de procédure civile cité : 699, 700

Texte de l’article R1452-5 du Code du travail :
“Conformément aux dispositions des articles 1153, 1153-1 (anciens), 1231-6 et 1231-7 (nouveaux) du Code civil et R1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil, courent sur les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi ( rappels de salaire, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, indemnité de licenciement) à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement de première instance et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.”

Texte de l’article 1153 du Code civil :
“Il est dû des intérêts, sans qu’il soit besoin d’une mise en demeure, à raison de tout prêt d’argent, que ce prêt ait ou non un caractère civil.”

Texte de l’article 699 du Code de procédure civile :
“La partie succombante est condamnée aux dépens, sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’il n’en soit pas ainsi.”

Texte de l’article 700 du Code de procédure civile :
“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.”

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Kheir AFFANE, avocat au barreau de PARIS
– Me Sylvain LEGRAND, avocat au barreau de PARIS

Mots clefs associés & définitions

– Licenciement
– Fraude
– Preuve
– Vie privée
– Surveillance
– Contrôle
– Faute grave
– Rupture de la relation de travail
– Indemnités
– Dépens
– Licenciement: Action de mettre fin au contrat de travail d’un employé par l’employeur.
– Fraude: Action de tromper délibérément pour obtenir un avantage personnel ou financier.
– Preuve: Élément matériel ou témoignage permettant d’établir la véracité d’un fait.
– Vie privée: Droit à la protection de sa vie personnelle et de ses données personnelles.
– Surveillance: Action de surveiller et de contrôler les activités d’une personne.
– Contrôle: Action de vérifier et de superviser les actions d’une personne ou d’une organisation.
– Faute grave: Manquement très sérieux aux obligations professionnelles pouvant justifier un licenciement immédiat.
– Rupture de la relation de travail: Fin du lien contractuel entre un employé et un employeur.
– Indemnités: Somme d’argent versée à un employé en compensation d’un préjudice subi.
– Dépens: Frais engagés dans le cadre d’une procédure judiciaire.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

28 mars 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
23/03649
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 28 MARS 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/03649 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHWL3

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Janvier 2019 rendu par le Conseil de Prud’hommes de Paris, infirmé partiellement par un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 16 juin 2021, cassé en toutes ses dispositions par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 8 mars 2023.

DEMANDEUR À LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

G.I.E. KLESIA ADP venant aux droits et obligations de l’ASSOCIATION DE MOYENS KLESIA

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Kheir AFFANE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0253

DÉFENDEUR À LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

Monsieur [R] [G]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Sylvain LEGRAND, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente

Madame Sandrine MOISAN, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [R] [G] a été engagé le 1er octobre 2009 par l’association de moyens D&O, en qualité de chargé d’études techniques, par contrat à durée indéterminée.

L’association a fusionné le 2 juillet 2012 avec plusieurs groupes de protections sociales pour devenir l’association Klesia, organisme paritaire, chargé principalement de gérer les retraites complémentaires et d’offrir des services en matière de prévoyance complémentaire. Klesia est délégataire de gestion pour le compte des régimes AGIRC-ARRCO.

A la suite de la fusion, le contrat de travail de Monsieur [G] a été transféré à l’association de moyens Klesia le 4 juillet 2012, au sein de laquelle il exerçait en dernier lieu les fonctions d’analyste métier, nouvelle dénomination de son poste.

Par courrier remis en main propre le 22 août 2017, l’association de moyens Klesia a convoqué Monsieur [G] à un entretien préalable fixé au 1er septembre 2017 et l’a mis à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 5 septembre 2017, l’association de moyens Klesia a notifié à Monsieur [G] son licenciement pour faute grave au motif d’une fraude par fausses déclarations de son temps de travail, en connaissance de cause et de concert avec une autre salariée.

Contestant le bien-fondé de son licenciement, Monsieur [G] a saisi le 13 juin 2018 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 28 janvier 2019, a :

– requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

– condamné l’association de moyens Klesia à lui verser les sommes suivantes :

– 1 932,65 euros à titre de rappel de salaire sur période de mise à pied,

– 193,26 euros au titre des congés payés afférents,

– 11 596 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 1 159,60 euros au titre des congés payés afférents,

– 12 631,83 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception, par la partie défenderesse, de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation,

– rappelé qu’en application de l’article R.1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de 9 mois de salaires, calculés sur la moyenne des 3 derniers mois de salaire,

– fixé cette moyenne à la somme de 3 165,31 euros,

– condamné l’association de moyens Klesia à lui verser 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté Monsieur [G] du surplus de ses demandes,

– débouté l’association de moyens Klesia de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné l’association de moyens Klesia aux dépens.

Par déclaration du 28 février 2019, l’association de moyens Klesia a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt du 16 juin 2021, la cour d’appel de Paris a :

– infirmé le jugement entrepris sauf sur l’indemnité conventionnelle de licenciement, l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents,

statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

– condamné le GIE Klesia ADP à payer à Monsieur [G] les sommes de :

* 644,21 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied et 99,11 euros de congés payés y afférents,

* 38 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– dit que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2018 et les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé de l’arrêt,

– ordonné la capitalisation des intérêts échus sur une année entière,

– condamné le GIE Klesia ADP à payer à Monsieur [G] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné le GIE Klesia ADP aux dépens de l’appel.

Le 6 août 2021, le GIE Klesia ADP, venant aux droits de l’association de moyens Klesia, s’est pourvu en cassation.

Par arrêt du 8 mars 2023 (pourvoi n°21-20.798), la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu le 16 juin 2021 par la cour d’appel de Paris et a renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris autrement composée.

La Cour de cassation a motivé sa décision ainsi :

Vu les articles 6 et 22 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, le premier dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018 et le second dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, applicables au litige, l’article L. 1222-4 du code du travail et les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

5. D’une part, aux termes du premier de ces textes, un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions suivantes :

1°) les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite,

2°) elles sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités.

6. Il résulte du deuxième de ces textes que les traitements automatisés de données à caractère personnel font l’objet d’une déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ou, lorsque le responsable du traitement a désigné un correspondant à la protection des données à caractère personnel, sont inscrits sur la liste des traitements tenue par celui-ci.

7. Enfin, selon le troisième de ces textes, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance.

8. D’autre part, en application des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions précitées, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier, lorsque cela lui est demandé, si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle du salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

9. Ainsi, lorsqu’il retient qu’un moyen de preuve est illicite, le juge doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

10. Pour condamner l’employeur à payer au salarié des sommes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’arrêt relève, d’une part, que le système de badgeage situé à l’entrée des bâtiments de l’entreprise avait pour seule finalité, déclarée par l’employeur auprès de la Commission nationale informatique et libertés et présentée au comité d’entreprise, le contrôle des accès aux locaux et aux parkings et qu’aucune autre finalité de contrôle individuel de l’activité des salariés n’avait été déclarée concernant ce dispositif de collecte de données personnelles, d’autre part, que l’employeur avait utilisé ce système de badgeage afin de recueillir des informations concernant personnellement les salariés puis avait rapproché ces données personnelles de celles issues du logiciel de contrôle du temps de travail afin de contrôler l’activité et les horaires de travail des intéressés, sans avoir procédé à une déclaration auprès du correspondant informatique et liberté au sein de l’entreprise ni informé préalablement les salariés et les institutions représentatives du personnel que les horaires d’entrée et de sortie des bâtiments étaient susceptibles d’être contrôlés, de sorte que le résultat de ce rapprochement constituait un moyen de preuve illicite.

11. L’arrêt retient ensuite que l’employeur invoque vainement une atteinte à son droit à la preuve dans la mesure où il lui aurait suffi de déclarer de manière simplifiée au correspondant CNIL la finalité de contrôle du temps de travail du système de badgeage lors de l’accès aux locaux et d’en informer les salariés ainsi que les institutions représentatives du personnel habilitées pour préserver son droit à la preuve.

12. Il conclut qu’en l’absence d’autres preuves établissant la fraude reprochée, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

13. En statuant ainsi alors qu’il lui appartenait de vérifier si la preuve litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et si l’atteinte au respect de la vie personnelle de la salariée n’était pas strictement proportionnée au but poursuivi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Par déclaration de saisine du 2 mai 2023, le GIE Klesia ADP, venant aux droits de l’association de moyens Klesia, a saisi la cour d’appel de Paris.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 23 novembre 2023, le GIE Klesia ADP demande à la cour de :

– le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

– déclarer Monsieur [G] recevable et mal fondé en son appel incident,

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 28 janvier 2018 en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’association de moyens Klesia à la somme de 1 932,65 euros à titre de rappel de salaire sur la période de mise à pied et 193,26 euros de congés payés afférents,

– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’association de moyens Klesia à la somme de 11 596 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et de 1 159,60 euros de congés payés afférents,

– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’association de moyens Klesia à la somme de 12 631,83 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné l’association de moyens Klesia au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

– infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande reconventionnelle formulée par l’association de moyens Klesia au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 28 janvier 2018 dans toutes ses dispositions,

en tout état de cause,

– débouter Monsieur [G] de l’intégralité de ses demandes,

à titre reconventionnel,

– condamner Monsieur [G] à payer à l’association de moyens Klesia la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 22 octobre 2023, Monsieur [G] demande à la cour de :

– le déclarer recevable et bien fondé en son appel incident du jugement rendu le 28 janvier 2019 par le conseil de prud’hommes de Paris,

– infirmer le jugement susvisé en ce qu’il a :

– jugé que le licenciement de Monsieur [G] reposait sur une cause réelle et sérieuse,

– débouté Monsieur [G] de ses demandes tendant à voir :

* juger que les griefs articulés à l’encontre de Monsieur [G] étaient fondés sur des preuves obtenues de manière illicite, qui en conséquence ne sauraient fonder un licenciement,

* juger en tout état de cause que ce licenciement ne repose sur aucun motif réel ni sérieux,

* condamner le GIE Klesia ADP à verser à Monsieur [G] les sommes suivantes :

– 46 383,72 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 11 596 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des circonstances brutales et vexatoires de la rupture,

et statuant à nouveau sur les chefs de jugement reformés :

– juger que les moyens de preuve présentés par le GIE Klesia ADP pour justifier des griefs articulés à l’encontre de Monsieur [G] au soutien de son licenciement pour faute grave sont illicites et irrecevables, et qu’ils doivent par conséquent être écartés des débats,

– juger, à titre subsidiaire, que les griefs articulés à l’encontre de Monsieur [G] ne justifiaient pas son licenciement,

– juger, en toute hypothèse, que le licenciement de Monsieur [G] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse, et qu’il a été prononcé dans des conditions brutales et vexatoires,

– condamner le GIE Klesia ADP à verser à Monsieur [G] les sommes suivantes :

* 46 383,72 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

*11 596 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des circonstances brutales et vexatoires de la rupture,

– confirmer pour le surplus le jugement déféré en ses dispositions non contraires aux présentes,

y ajoutant :

– condamner le GIE Klesia ADP à verser à Monsieur [G] la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonner que l’ensemble des condamnations produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par Klesia de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes, avec capitalisation des intérêts sur le fondement de l’article 1343-2 du Code civil,

– condamner le GIE Klesia ADP aux entiers dépens, en ce compris les frais de signification et d’exécution éventuels de l’arrêt.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 19 décembre 2023 et l’audience de plaidoiries a eu lieu le 23 janvier 2024.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur le bien-fondé du licenciement :

La lettre de licenciement reproche à Monsieur [G] une faute grave, à savoir une fraude récurrente au temps de travail par déclarations d’horaires de fin de travail par badgeages effectués depuis l’ordinateur d’une collègue, Madame [T], et par utilisation des identifiant et mot de passe de cette salariée en vue de badger pour elle.

Le GIE Klesia ADP invoque la reconnaissance – libre et éclairée – des faits par le salarié non seulement lors de l’entretien préalable, alors qu’il avait été pleinement informé des griefs qui allaient lui être reprochés et qu’il était assisté d’un conseiller, mais encore par écrit dans ses conclusions où il admet avoir demandé à sa collègue de s’enregistrer pour lui à quelques reprises en juin 2017.

Il soutient que le dispositif de badgeage s’inscrit dans son obligation de décompter le temps de travail, soutient la licéité, après consultation du comité d’entreprise, de ce dispositif déclaré à la CNIL et du système de gestion d’accès aux locaux déclaré au correspondant informatique et libertés, souligne que la comparaison visuelle du contenu de ces deux fichiers a respecté la finalité de chacun d’eux et n’a pas porté atteinte à la vie privée, à l’intimité ou à la dignité du salarié. Il rappelle qu’une preuve illicite peut être recevable, la jurisprudence conciliant le droit de la preuve et la protection de la vie privée.

L’employeur fait valoir qu’il n’a mis en place aucun procédé clandestin de contrôle, que le salarié – qui a manqué à son obligation d’enregistrer son temps de travail personnellement – n’invoque pas d’atteinte à sa vie personnelle, ni ne sollicite d’indemnisation de ce chef. Il conclut que le mode de preuve utilisé était non seulement respectueux de la vie privée, mais aussi équitable et indispensable.

Il considère, invoquant le listing des badgeages litigieux (3 à son profit sur le mois de juin 2017 et 7 au profit de sa collègue sur la même période) qu’une telle fraude aux pointages justifiait un licenciement pour faute grave, eu égard au mépris de l’obligation de sécurité, au comportement déloyal de l’intéressé, préjudiciable à l’employeur, et ce, nonobstant l’absence d’antécédent disciplinaire. Il conteste tout traitement inégalitaire de l’appelant et toute considération d’ordre économique dans la décision de le licencier.

Monsieur [G] conteste avoir reconnu la prétendue fraude qui lui est reprochée, soulignant que l’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 16 juin 2021 a d’ores et déjà constaté l’inopposabilité de ses déclarations lors de l’entretien préalable et rejeté l’aveu judiciaire invoqué par l’employeur.

Il insiste sur l’illicéité et l’irrecevabilité des modes de preuve présentés par le GIE Klesia ADP, souligne que le badgeage à l’entrée des locaux a été présenté comme un dispositif de sécurité et non comme un dispositif de déclaration de présence dans les locaux ni de contrôle de l’activité des salariés, que la finalité donnée par l’employeur à ce dispositif est clandestine, d’autant que ce dernier a confronté les données de passage au portique d’entrée et de sortie et d’enregistrement informatique (ou ‘virtuel’) des horaires, analysé les identifiants IP des postes informatiques et recoupé les informations obtenues, opérant ainsi une surveillance aussi déloyale qu’illicite – en raison de l’absence de déclaration à la CNIL, d’information préalable des salariés et du comité d’entreprise-, modes de preuve ne pouvant justifier un licenciement.

Il invoque également l’irrecevabilité des preuves fournies, non indispensables à la démonstration des faits reprochés et provoquant une atteinte à ses droits disproportionnée à la finalité poursuivie.

Faisant état d’un détournement de pouvoir de la part de son employeur, Monsieur [G] conclut au caractère abusif de son licenciement.

À titre subsidiaire, il invoque le caractère infondé des griefs qui lui sont faits, rappelant avoir ‘ fait ses heures’, n’avoir obtenu aucune rémunération indue et n’avoir causé aucun préjudice à son employeur qui ne peut citer aucune tâche nécessaire au bon fonctionnement du service qui n’aurait pas été accomplie par lui sur la période considérée et qui n’explicite nullement les problèmes de sécurité évoqués. Il souligne avoir subi un traitement différent de celui de Madame [C], qui n’a pas été licenciée après avoir commis des faits similaires et être victime d’une politique fondamentalement économique, visant à alléger les effectifs.

Il est de principe, lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d’autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, que le juge mette en balance les différents droits et intérêts en présence.

Il en résulte que, dans un procès civil, le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une preuve obtenue ou produite de manière illicite ou déloyale, porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Il y a donc lieu de rechercher tout d’abord, en l’espèce, si le rapprochement des données résultant du système de badgeage situé à l’entrée des bâtiments de l’entreprise avec des données personnelles issues du logiciel de contrôle du temps et l’adresse IP de l’ordinateur utilisé pour le badgeage ‘virtuel’, que le salarié critique comme illicite, était indispensable au droit à la preuve.

Il résulte notamment de la lettre de licenciement mais également de différentes attestations produites à la procédure que l’analyse parallèle des dispositifs d’informations sur les entrées et sorties physiques d’une part, des adresses IP d’autre part et des connexions pour badgeages ‘virtuels’ enfin ne pouvait conduire à la découverte des anomalies à l’origine de la fraude reprochée au salarié, les données ainsi obtenues de chaque dispositif ne pouvant être signifiantes, d’autant que l’employeur ne pouvait présumer l’échange des identifiant et mot de passe strictement personnels des salariés. Seul le recoupement de ces données était de nature à montrer des connexions fréquentes sur des adresses IP différentes et à susciter diverses vérifications, et ce d’autant que les parties s’accordent sur l’absence de tout autre moyen de contrôle du temps de travail au sein de l’entreprise.

Si le salarié fait état de la surveillance opérée par le supérieur hiérarchique de deux de ses collègues, licenciés pour des faits similaires, force est de constater que ce ‘contrôle visuel inopiné’ – invoqué dans la lettre de licenciement qui leur avait été adressée-, est un moyen de preuve dont la fiabilité est incertaine, eu égard à la configuration des bureaux, ne pouvant au surplus intervenir qu’après suspicions.

De même, en l’absence de toute suspicion objective préalable, le recours à une enquête ou à des investigations informelles de la part de l’employeur ne pouvait être décidé, eu égard à l’impact d’une telle décision sur les relations de travail.

En l’absence de tout autre système d’enregistrement ou de vérification d’une part des sorties physiques du lieu de travail et d’autre part des badgeages informatiques, et en l’état de la violation par le salarié du règlement intérieur, de l’accord sur les modalités de l’horaire variable et de la charte d’utilisation des ressources informatiques interdisant la communication de ses ‘ paramètres spécifiques de connexion’, données personnelles, confidentielles et incessibles d’accès au serveur de l’entreprise, la preuve fournie par le GIE Klesia ADP – dont la précision permettait au salarié de présenter ses moyens de défense et à l’employeur d’avoir une vision exacte de l’ampleur des faits – était indispensable à l’exercice de son droit à la preuve .

Par ailleurs, comme l’affirme l’intéressé, l’analyse des horaires de départ, de fermeture de sa session informatique et de clôture de ses activités porte atteinte au respect de la vie personnelle de Monsieur [G] au temps et sur le lieu de travail, en ce qu’elle constitue une surveillance ou ingérence.

Dans la mesure où cette atteinte a pour but de vérifier la durée du temps de travail, la rémunération à verser ainsi que la loyauté du salarié dans la gestion de ses tâches et dans ses déclarations à l’employeur, elle apparaît strictement proportionnée au but poursuivi.

Il en résulte que la preuve fournie par le GIE en l’espèce n’a pas porté une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble et doit être reçue au titre de la démonstration de fautes commises par le salarié.

La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise; il appartient à l’employeur d’en rapporter la preuve.

En l’espèce, les fautes commises par Monsieur [G], de nature à tromper l’employeur notamment sur la durée du travail et manifestant un manque de loyauté contractuelle, légitimaient la rupture de la relation de travail.

Toutefois, alors que les badgeages frauduleux effectués à son profit et par lui au profit de sa collègue sont concentrés sur le mois de juin 2017, selon la liste fournie par le GIE Klesia ADP, alors que ce dernier ne présente aucun calcul de la rémunération versée à tort au salarié, ne formule aucun grief en termes de tâches accomplies, ni ne donne d’élément quant à la sanction prise ou non à l’encontre d’une autre salariée à qui des faits similaires avaient été reprochés, il y a lieu de relever, eu égard au passé disciplinaire vierge de l’intimé, que son impossible maintien au sein de l’entreprise n’est pas démontré.

Il convient donc de confirmer le jugement de première instance qui a condamné l’employeur à verser un rappel de salaire au titre de la mise à pied, une indemnité compensatrice de préavis, les congés payés y afférents, ainsi qu’une indemnité de licenciement à Monsieur [G].

Sur le caractère vexatoire du licenciement :

Affirmant avoir été sommé de quitter son poste sur-le-champ devant l’ensemble de ses collègues lors de la remise de sa convocation à entretien préalable, Monsieur [G] retrace les circonstances hautement condamnables, selon lui, du licenciement, la brutalité et les conditions humiliantes de cette rupture après presque huit années de bons et loyaux services. Il invoque également les griefs extrêmement vexatoires qui lui ont été opposés et l’accusation de fraude dont il a fait l’objet. Il sollicite la somme de 11 596 € correspondant à trois mois de salaire en réparation du préjudice qu’il a subi, distinct des conséquences matérielles de son licenciement.

Le GIE Klesia ADP conclut au rejet de cette demande.

Il n’est pas démontré de circonstances particulières à l’occasion de la remise à Monsieur [G] de sa convocation à entretien préalable et de la notification de sa mise à pied, lesquelles peuvent être librement décidées par l’employeur en cas de faute grave.

Par ailleurs, si le salarié invoque un préjudice distinct de celui résultant de sa perte d’emploi, il ne le démontre pas.

Sa demande doit donc être rejetée, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.

Sur les intérêts :

Conformément aux dispositions des articles 1153, 1153-1 (anciens), 1231-6 et 1231-7 (nouveaux) du Code civil et R1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil, courent sur les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi ( rappels de salaire, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, indemnité de licenciement) à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement de première instance et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles:

L’employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens – tels que définis par l’article 699 du code de procédure civile- de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d’appel.

L’équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile et d’allouer à ce titre la somme de 2500 € à l’intimé.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE le GIE Klesia ADP à payer à Monsieur [R] [G] la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT que les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil, sont dus à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation et d’orientation pour les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi, à compter du jugement de première instance pour les sommes indemnitaires confirmées et à compter du présent arrêt pour le surplus,

CONDAMNE le GIE Klesia ADP aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


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