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« L’homme au slip et à la pelle » a obtenu 10.000 € à titre de dommages et intérêts contre France Télévisions au titre de la violation de son droit à l’image. Le droit à l’image est un attribut de la personnalité et le droit au respect de la vie privée permet à toute personne de s’opposer à la diffusion, sans son autorisation expresse, de son image.
La captation de l’image d’une personne sur sa propriété et sans son consentement, puis sa diffusion dans un reportage de télévision, constituent une atteinte au droit au respect de sa vie privée qui peut être sanctionnée sur le fondement de l’article 9 du code civil. Le caractère dégradant de l’image diffusée, à le supposer établi, participe au préjudice de la victime, mais n’a pas pour effet de modifier le fondement de l’action en réparation.
France Télévisions a capté puis diffusé des images de l’intéressé qui était sorti de chez lui alors que des membres d’une association de défense animale étaient en train de dégrader son matériel de chasse (il était donc sorti précipitamment, sans prendre le temps de s’habiller, alors qu’il n’avait pas été informé de la présence des caméras). Il n’était ainsi pas établi qu’il s’était volontairement et spontanément présenté devant les journalistes dans cette tenue.
Les images tirées par les gendarmes du reportage de France 3, si elles étaient de mauvaise qualité, établissaient que l’intéressé était facilement identifiable sur les images, son visage n’étant pas flouté.
Le reportage diffusé par les journalistes avait pour objectif de dénoncer la chasse illégale d’oiseaux. Ce sujet d’intérêt général pouvait justifier les images des pièges, mais il n’était pas démontré par France Télévisions qu’il justifiait de montrer sans son autorisation un chasseur, chez lui, et sans flouter son visage. L’atteinte portée au droit de l’intéressé au respect de sa vie privée était disproportionnée.
De plus, en diffusant ces images dans des journaux télévisés, à une heure de grande écoute et sur des chaînes nationales, la société France Télévisions a donné une ampleur nationale à la diffusion des images de la victime qui a participé à l’étendue de son préjudice.
Les images de l’intéressé ont été jugées comme dégradantes et portant atteinte à sa dignité. Leur caractère humiliant était confirmé par les multiples parodies et détournements auxquelles elles ont donné lieu. S’il n’est pas contesté que France Télévisions n’est pas l’auteure de ces parodies, le caractère humiliant des images diffusées a pu faciliter la multiplication des détournements.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE DAX
JUGEMENT DU 15 Septembre 2021
N° RG 18/01539 – N° Portalis DBY L- W-B7C-CLSY
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe du Tribunal judiciaire de DAX le 15 Septembre 2021, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de Procédure Civile.
APRES DÉBATS à l’audience publique tenue le 26 Mai 2021, devant : Z A, Vice-Président du Tribunal judiciaire de DAX, chargé du rapport, assisté de Sandra SEGAS, Greffier présent à l’appel des causes.
Z A, en application de l’article 786 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition des parties a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries, et en a rendu compte au tribunal composé de :
Z A, Vice-Président, juge rapporteur, Claire GASCON, Vice-Présidente, juge rédacteur, Nadine REGEREAU, Vice-Présidente placée,
qui en ont délibéré conformément à la loi,
Dans l’affaire opposant :
DEMANDEUR :
Monsieur H-I X
[…]
[…]
Rep/assistant : Maître Frédéric DUTIN de la SELARL DUTIN FREDERIC, avocat au barreau de MONT-DE-MARSAN
DÉFENDEUR :
S.A. FRANCE TELE immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro […]
[…]
Rep/assistant : Maître Bénédicte AMBLARD, avocat au barreau de PARIS
Rep/assistant : Maître Lydie VILAIN-ELGART de la SELARL ASTREA, avocats au barreau de DAX
EXPOSE DU LITIGE :
Le 9 novembre 2015, des membres de la Ligue de Protection des oiseaux (LPO), accompagnés de plusieurs journalistes, se rendaient sur la propriété de Monsieur H-I X pour dénoncer une chasse aux pinsons à la matole qu’ils suspectaient être illégale. Ils dégradaient des matoles avant d’être chassés de la propriété par les membres de la famille X, dont Monsieur H-I X qui était habillé en slip et en T-shirt. Il était muni d’une pelle à l’aide de laquelle il frappait Monsieur B C et Monsieur F G. Les images de la scènes étaient captées par plusieurs journalistes, dont ceux de France Télévision qui diffusaient un reportage sur les chaînes de France 2 et France 3.
Par jugement du 13 avril 2017, le Tribunal correctionnel de Dax a notamment relaxé Monsieur H- I X des faits de chasse à l’aide d’un engin, instrument, mode ou moyen prohibé et l’a condamné pour violence avec usage ou menace d’une arme sans ITT à l’encontre de Monsieur B C et Monsieur F G. Par arrêt du 5 juillet 2018, la Cour d’appel de Pau a confirmé le jugement du Tribunal correctionnel sur ces chefs de préventions.
Par acte d’huissier du 25 octobre 2018, Monsieur X a fait assigner la société France Télévisions devant le Tribunal de Grande Instance de Dax, aux fins de voir, sur le fondement des dispositions des articles 9 et 1240 du code civil :
— le déclarer recevable et bien fondé,
— condamner la société France TV à lui payer la somme de 200.000,00 € en réparation de son préjudice moral,
— ordonner la publication dans trois journaux hebdomadaires nationaux, outre le journal Sud Ouest (toutes éditions) et dans les journaux télévisés du groupe France Telev1smns d’un communiqué faisant état de la présente condamnation à l’égard de France Télévisions pour avoir commis une atteinte au droit à l’image et à la réputation de Monsieur H I Y A,
— ordonner la suppression des images dégradantes de Monsieur Y A, ainsi que l’interdiction de toute diffusion postérieure au présent jugement,
— condamner la société France Télévisions à lui payer la somme de 15.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, dont distraction au profit de la SELARL DUTIN,
— ordonner l’exécution provisoire du jugement,
— débouter la société France Télévisions de ses demandes,
— condamner la société France Télévisions aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, signifiées le 15 novembre 2019, Monsieur X maintient l’intégralité de ses demandes.
Au soutien de ses demandes, Monsieur X explique :
— Au moment des faits, il était dans la salle de bain et il est sorti précipitamment en entendant des éclats de voix, dont ceux de sa mère, âgée de 86 ans. Il n’a jamais donné son accord pour être filmé, et encore moins pour la diffusion des images. Il a très mal vécu d’apparaître D à la télévision et de faire l’objet de moqueries.
— Monsieur Y A est parfaitement identifiable sur les images, France Télévisions n’ayant pas pris le soin de flouter son visage.
— L’image de Monsieur Y A D, prise sans son consentement, a été relayée ensuite par d’autres chaînes de télévision, d’autres organismes de presse, ainsi que sur internet et les réseaux sociaux. Il a fait l’objet de parodies grotesques. Les images sont dégradantes et contraires à la dignité humaine.
— La diffusion de l’image d’un homme parfaitement identifiable et à moitié dénudé, n’était pas nécessaire à la compréhension du reportage diffusé par France Télévisions, si bien que l’atteinte à sa dignité n’est pas proportionnée.
— La Cour de cassation a confirmé que la diffusion d’images dégradantes ou humiliantes portait atteinte au respect de la vie privée ou droit à l’image et pouvait donner lieu à indemnisation sur le fondement de l’article 9 du code civil.
— Monsieur X détaille le préjudice subi à la suite de la diffusion des reportages de France Télévisions.
Au terme de ses dernières conclusions, signifiées le 30 septembre 2019, la société France
2 Télévisions demande quant à elle au tribunal de :
— in limine litis, constater que l’action de Monsieur X relève de la diffamation, non de l’atteinte à l’image,
— en conséquence, requalifier l’action ainsi engagée,
— constater la nullité de l’assignation, contraire aux dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881,
— constater la prescription de l’action qui en découle, vu les dispositions de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881,
— surabondamment dire et juger Monsieur X irrecevable et mal fondé en ses demandes, tant dans leur principe, leur quantum et le nécessaire équilibre des sanctions, en les rejetant,
— condamner Monsieur Y A à payer à la société France Télévisions la somme de 6.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
A l’appui de ses demandes, la société France Télévisions fait valoir que :
— La poursuite de la diffusion d’images ou d’imputations de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération doit être requalifiée en action de diffamation pour empêcher les parties de contourner les dispositions d’ordre public de la loi du 29 juillet 1881 qui protège la liberté d’expression. Les dispositions impératives de cette loi doivent donc être respectées, et notamment celles de l’art 53, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La prescription des poursuites est également acquise sur le fondement de l’article 65.
— Monsieur X a déjà saisi le tribunal de l’atteinte à la vie privée causée par le reportage en question. Sa demande fondée sur la même cause, contre une même partie, en même qualité est donc irrecevable.
— Monsieur X n’établit pas la matérialité des atteintes dont il se prévaut. Sur l’extrait du procès-verbal qu’il produit. il n’apparaît pas de face et n’est pas identifiable par le public.
— La diffusion d’images sur internet n’est pas de la responsabilité de France Télévisions et d’autres médias étaient présents et ont filmé ou photographier la scène.
— La diffusion des images critiquées relève du droit à l’information et à la liberté d’expression, alors que le sujet traité s’inscrit dans un sujet d’intérêt général.
— Monsieur X ne justifie pas de son préjudice.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 5 mars 2020, et l’affaire fixée pour être plaidée à l’audience du 3 juin 2020, renvoyée au 2 décembre 2020, puis au 26 mai 2021. A cette audience, les parties ont été avisées que la date de délibéré, par mise à disposition au greffe, était fixée au 15 septembre 202 1.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la demande de requalification :
L’article 9 du code civil prévoit que chacun a droit au respect de sa vie privée.
L’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme toute imputation ou allégation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.
Le droit à l’image est un attribut de la personnalité et le droit au respect de la vie privée permet à toute personne de s’opposer à la diffusion, sans son autorisation expresse, de son image.
En l’espèce, Monsieur X reproche à la société France Télévisions d’avoir capté et diffusé son image sans son consentement, alors qu’il était D et sur sa propriété.
La captation de l’image d’une personne sur sa propriété et sans son consentement, puis sa diffusion dans un reportage de télévision, constituent une atteinte au droit au respect de sa vie privée qui peut être sanctionnée sur le fondement de l’article 9 du code civil. Le caractère dégradant de l’image diffusée, à le supposer établi, participe au préjudice de la victime, mais n’a pas pour effet de modifier le fondement de l’action en réparation.
L’action de Monsieur X sur le fondement de l’article 9 du code civil est donc recevable et la société France Télévisions doit être déboutée de sa demande de requalification.
Sur l’irrecevabilité de l’action pour atteinte à la vie privée :
L’article 1355 du Code civil prévoit que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité.
En l’espèce, la société France Télévisions ne produit aucun jugement rendu dans une affaire l’opposant à Monsieur X au terme duquel ce dernier aurait sollicité des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 9 du Code civil. L’action de Monsieur X est donc recevable.
Sur la demande de dommages et intérêts :
L’article 9 du code civil prévoit que chacun a droit au respect de sa vie privée.
L’article 1240 du Code civil énonce que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l’espèce, il n’est pas valablement contesté que France Télévisions a capté puis diffusé des images de Monsieur Y A sans son consentement, et alors qu’il se trouvait sur sa propriété et qu’il était D.
Il est établi par les déclarations des parties et les éléments de l’enquête pénale, que Monsieur X est sorti de chez lui alors que les membres de la LPO était en train de dégrader son matériel de chasse. Il est donc sorti précipitamment, sans prendre le temps de s’habiller, alors qu’il n’avait pas été informé de la présence des caméras. Il n’est ainsi pas établi qu’il s’est volontairement et spontanément présenté devant les journalistes dans cette tenue.
Les images tirées par les gendarmes du reportage de France 3 diffusé le 9 novembre 2015, si elles sont de mauvaise qualité, établissent que Monsieur X est facilement identifiable sur les images. Son visage n’est pas flouté.
Le reportage diffusé par les journalistes avait pour objectif de dénoncer la chasse illégale d’oiseaux. Ce sujet d’intérêt général pouvait justifier les images des pièges, mais il n’est pas démontré par France Télévisions qu’il justifiait de montrer sans son autorisation Monsieur X D, chez lui, et sans flouter son visage. L’atteinte portée au droit de Monsieur X au respect de sa vie privée est dès lors disproportionnée et constitue une atteinte à la liberté d’expression et d’information des journalistes.
Le fait que d’autres journalistes étaient présents au moment des faits n’est pas de nature à exonérer France Télévisions de sa responsabilité, dès lors que les images produites aux débats par Monsieur X sont tirées des reportages de France Télévisions. De plus, en diffusant ces images dans des journaux télévisés, à une heure de grande écoute et sur des chaînes nationales, la société France Télévisions a donné une ampleur nationale à la diffusion des images de Monsieur X qui participe à l’étendue de son préjudice.
Les images de Monsieur X D sont dégradantes et portent atteinte à sa dignité. Leur caractère humiliant est confirmé par les multiples parodies et détournements auxquelles elles ont donné lieu. S’il n’est pas contesté que France Télévisions n’est pas l’auteure de ces parodies, le caractère humiliant des images diffusées a pu faciliter la multiplication des détournements.
Il est en conséquence établi que la société France Télévision a commis une faute en captant et diffusant sans l’autorisation de Monsieur Y A, des images dégradantes de ce dernier, alors qu’il était sur sa propriété.
Monsieur Y A a pu légitimement mal vivre la diffusion de ces images humiliantes. Il a en effet été identifié comme étant « l’homme en slip et à la pelle », ce qui porte atteinte à son image. Il justifie ainsi d’un préjudice subi en lien direct avec la faute commise par France Télévisions.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, la société France Télévisions doit être condamnée à payer à Monsieur X la somme de 10.000,00 € à titre de dommages et intérêts.
Il n’y a pas lieu en revanche d’ordonner la publication du présent jugement dans des journaux hebdomadaires, le journal Sud Ouest et dans les journaux télévisés du groupe France Télévisions, dès lors que cette publication aurait pour effet de rappeler aux lecteurs et téléspectateurs « l’image de l’homme en slip et à la pelle » que Monsieur X voudrait faire oublier.
France Télévisions sera en outre condamnée à flouter l’ensemble du corps de Monsieur Y A, afin qu’il ne soit plus identifiable, sur l’ensemble des images qu’elle diffuse, à quelque titre que ce soit et il lui sera interdit de diffuser à nouveau la partie du reportage filmée le jour des faits sur la propriété de Monsieur Y A.
Sur le surplus des demandes :
Il est inéquitable de laisser à la charge de Monsieur X l’intégralité des frais irrépétibles. En conséquence, la société FRANCE TELEVISIONS doit être condamnée à lui verser la somme de 5.000,00 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société France Télévisions succombant, elle sera condamnée aux entiers dépens.
L’ancienneté et la nature du litige justifient que soit ordonnée l’exécution provisoire du présent jugement.
PAR CES MOTIFS :
Le Tribunal statuant par mise à disposition au greffe, après débats en audience publique, par jugement contradictoire et en premier ressort :
DEBOUTE la SA FRANCE TELEVISIONS de l’ensemble de ses demandes,
CONDAMNE la SA FRANCE TELEVISIONS à payer à Monsieur H-I X la somme de 10.000,00 € à titre de dommages et intérêts,
ORDONNE à la SA FRANCE TELEVISIONS de flouter l’ensemble du corps de Monsieur Y A, afin qu’il ne soit plus identifiable, sur l’ensemble des images qu’elle diffuse, à quelque titre que ce soit, et lui interdit toute nouvelle diffusion de la partie du reportage filmée le 9 novembre 2015 sur la propriété de Monsieur Y A,
DEBOUTE Monsieur X de sa demande de publication du jugement,
CONDAMNE la SA FRANCE TELEVISIONS à payer à Monsieur H-I X la somme de 5.000,00 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
ORDONNE l’exécution provisoire du présent jugement, CONDAMNE la SA FRANCE TELEVISIONS aux entiers dépens.
Le présent jugement a été signé par Z A, Vice-Président du Tribunal judiciaire de DAX et par Sandra SEGAS, Greffier.