Votre panier est actuellement vide !
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 2
ARRÊT SUR LA COMPETENCE
DU 20 AVRIL 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/09366 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGUTV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 septembre 2022 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’EVRY – RG n° 21/00916
APPELANTE
Madame [U] [N], [Z] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par M. [T] [G] (Délégué syndical ouvrier)
INTIMÉE
Association CENTRE DE FORMATION DE L’ESSONNE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Sarra JOUGLA, avocat au barreau de PARIS, toque : A0200
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 84 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Olivier FOURMY, Premier Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur FOURMY Olivier, Premier président de chambre
Madame ALZEARI Marie-Paule, Présidente
Madame LAGARDE Christine, conseillère
Greffière lors des débats : Mme CAILLIAU Alicia
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile
– signé par Olivier FOURMY, Premier président de chambre et par Alicia CAILLIAU, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [U] [Y] a été salariée de l’association Centre de formation de l’Essonne (ci-après, l”Association’ ou le ‘CFE’) de septembre 2008 à mars 2019, en qualité de formateur occasionnel, dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée.
Le 27 octobre 2018, Mme [Y] a été inscrite au répertoire des entreprises et des établissements (SIRENE), à la rubrique : ‘Enseignement secondaire technique ou professionnel’.
Depuis avril 2019, Mme [Y] adresse des factures au CFE pour ses prestations de formation au CFE.
Considérant avoir toujours été liée au CFE par un contrat de travail, elle a rompu celui-ci par une prise d’acte datée du 14 mars 2021.
Le 19 novembre 2021, Madame [Y] a saisi le conseil de prud’hommes d’Evry.
Elle a sollicité la requalification de la relation contractuelle, pour la période du 3 avril 2019 au 14 mars 2021, en contrat de travail à durée indéterminée et réclamé la requalification de sa prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec les conséquences que cela entraîne.
Par jugement en date du 22 septembre 2022, le conseil de prud’hommes a :
– constaté que Mme [Y] n’est pas salariée de l’association Centre de formation de l’Essonne ;
– déclaré le conseil de prud’hommes matériellement incompétent pour connaître du litige qui lui est soumis au profit du tribunal judiciaire d’Evry-Courcouronnes ;
– dit qu’à défaut de recours dans le délai légal, l’entier dossier de la procédure sera transmise par le greffe à la juridiction désignée compétente ;
– réservé les dépens.
Selon déclaration du 10 novembre 2022, Mme [Y] a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 8 décembre 2022, Mme [Y] a été autorisée à assigner l’Association à jour fixe pour l’audience du 3 mars 2023 de la cour d’appel de céans.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions déposées au greffe le 20 janvier 2023, Madame [Y] demande à la cour de :
« – Rejeter l’incident d’irrecevabilité de l’appel,
– Recevoir Madame [Y] en son appel, le dire fondé,
– Constater qu’il existait à la date de rupture un contrat de travail liant les parties,
– Dire et juger que le Conseil des Prud’hommes d’EVRY-COURCOURONNES est compétent pour en connaître,
– Renvoyer les partie devant ledit Conseil.
– Condamner l’association CENTRE DE FORMATION DE L’ESSONNE aux dépens de première instance et d’Appel ».
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 26 janvier 2023, l’association Centre de formation de l’Essonne sollicite de la cour :
« A titre principal,
– DECLARER l’appel n° 22/233350, enrôlé sous le numéro de RG 22/09366 irrecevable comme tardif ;
A titre subsidiaire,
– DIRE et JUGER qu’il n’existe pas de contrat de travail entre Madame [Y] et le CFE ;
– CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes d’EVRY le 22 septembre 2022 ;
En tout état de cause,
– CONDAMNER Madame [Y] à verser au CFE la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER Madame [Y] aux entiers dépens ».
EXPOSE DES MOTIFS
Sur l’irrecevabilité soulevé par le CFE
Le CFE conclut à l’irrecevabilité de l’appel au motif que celui-ci serait tardif. Plus précisément, le CFE soutient que Mme [Y] a reçu la notification de la décision le 14 octobre 2022 et qu’en conséquence, le délai de recours expirait le 31 octobre 2022, le 29 octobre étant un samedi.
Mme [Y] soutient que la décision ne lui a été notifiée que le 27 octobre 2022, date de retrait du courrier de notification auprès des services postaux.
Sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile, elle considère que la pièce n°2 produite par le CFE est inopérante en ce qu’elle ne comporte aucune date de distribution. De plus, elle précise que le suivi du courrier LRAR de notification sur le site dédié de La Poste indique sa distribution en date du 27 octobre 2022.
Dès lors, le délai d’appel expirait le 12 novembre 2022, le 11 novembre étant un jour férié.
Sur ce,
Il est constant que, à l’égard de la partie à laquelle la décision est notifiée, le délai court de la date de notification et non de la date d’expédition.
En l’occurrence, Mme [Y] a retiré le courrier recommandé de notification le 27 octobre 2022.
Elle a formé un appel le 10 novembre 2022.
L’appel est donc recevable.
Aucune contestation n’étant formée à l’encontre de l’assignation à jour fixe, laquelle a été faite dans les délais, la procédure est régulière et l’Association sera déboutée de sa demande d’irrecevabilité.
Sur l’existence d’un contrat de travail entre Madame [Y] et le CFE
Mme [Y] prétend, en premier lieu, qu’elle n’a jamais sollicité de changement de statut ni la novation de son contrat et qu’elle n’a jamais démissionné.
En deuxième lieu, la présomption de non-salariat ne peut lui être opposée. En effet, elle prétend ne pas relever du registre du commerce et des sociétés car, d’une part, elle n’est pas constituée en société et, d’autre part, elle n’est pas commerçante. Les honoraires qui ont été versés par le CFE, après le 3 avril 2019, l’ont été au titre d’une micro-entreprise et ont été fiscalisés sous le régime des bénéfices non commerciaux.
En tout état de cause, si une présomption de non-salariat avait existé, celle-ci n’aurait pas été irréfragable et aurait été susceptible d’être renversée par la preuve contraire. Cela est d’autant plus vrai qu’il est courant, dans le domaine de la formation, que le même individu intervienne en qualité de salarié dans un centre de formation et en qualité d’indépendant dans un autre.
Madame [Y] considère, surtout, que le courriel que M. F. lui a adressé en date du 19 juillet 2021, constitue une preuve, par l’aveu, de l’existence d’un contrat de travail entre les parties.
De plus, comme tous les formateurs de la CFE, elle était invitée par l’Association à lui faire part de ses disponibilités afin que soit établi l’emploi du temps des étudiants et les plannings de travail des intervenants. C’est dans ce cadre que le CFE établissait ses horaires de travail.
Enfin, le CFE lui donnait des directives et opérait un contrôle sur le contenu des cours. En particulier, le CFE lui donnait des injonctions de mettre en copie le responsable de formation pour toutes communications avec le groupe et de lui remettre le plan de ses cours.
En réponse, le CFE rappelle que Madame [Y] a été inscrite au registre du commerce et des sociétés à compter du 3 avril 2019 et que, depuis cette date, elle a le statut d’auto-entrepreneure.
Le CFE souligne que c’est à la demande de l’appelante qu’il a accepté sa démission et a continué à faire appel à ses services dans le cadre de contrats de prestations. En conséquence, sur le fondement de l’article L.8221-6 du code du travail, il appartient à Mme [Y] d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de subordination juridique entre le donneur d’ordres et le prestataires de services.
Or, Mme [Y] n’apporte pas la preuve qu’elle aurait été soumise à des instructions et à un contrôle du CFE à l’occasion de ses missions de formatrice. Les seules indications données par le CFE s’inscrivaient dans un objectif d’amélioration de l’enseignement en distanciel imposé par la crise sanitaire du covid-19 et ne constituaient pas des directives. Sur l’envoi des plans de cours, l’association répond qu’il ne s’agissait pas de contrôler le contenu des cours dispensés par l’appelante mais d’avancer dans la préparation d’une certification.
En outre, Mme [Y] a bénéficié d’une indépendance dans l’exercice de ses missions de formatrice et aucun horaire de travail ne lui a été imposé. Bien au contraire, l’Association s’est adaptée au planning de l’appelante au regard des ses disponibilités.
Dans ces conditions, le CFE conclut en l’absence de contrat de travail liant Madame [Y] à l’association.
Sur ce,
Le contrat de travail n’étant défini par aucun texte, il est communément admis qu’il est constitué par l’engagement d’une personne à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre moyennant rémunération, le lien de subordination juridique ainsi exigé se caractérisant par le pouvoir qu’a l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son salarié.
La qualification de contrat de travail étant d’ordre public et donc indisponible, il ne peut y être dérogé par convention. Ainsi, l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité, l’office du juge étant d’apprécier le faisceau d’indices qui lui est soumis pour dire si cette qualification peut être retenue.
Aux termes de l’article L. 8221-6 du code du travail :
I.- Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :
1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales ;
2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l’article L. 214-18 du code de l’éducation ou de transport à la demande conformément à l’article 29 de la loi n°82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs ;
3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ;
II.- L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci. (…).
Ces dispositions instituent donc une présomption simple de non-salariat, qui supporte la preuve contraire.
En l’espèce, il est constant que Mme [Y] a été inscrite au répertoire des entreprises le 27 octobre 2018, en qualité de profession libérale, au titre des ‘Activités non commerciales diverses’, sous le bénéfice du régime spéciale des bénéfices non commerciaux.
C’est donc à tort que Mme [Y] soutient que les dispositions précitées du code du travail ne lui sont pas applicables.
C’est donc à elle qu’il appartient d’apporter la preuve contraire de la présomption de non-salariat.
A cet égard, la circonstance qu’il lui était demandé de faire connaître ses disponibilités, qu’elle invoque, caractérise au contraire son indépendance puisqu’il ne saurait être reproché à l’Association de vouloir organiser les enseignements tandis que Mme [Y] était libre d’organiser son temps par ailleurs, étant ici souligné qu’elle n’enseignait pas à temps plein au CFE.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette pratique est antérieure à la date à partir de laquelle Mme [Y] a été rémunérée sur facture.
Il faut également souligner que les circonstances sanitaires ont renforcé la nécessité de s’organiser. A cet égard, la demande adressée par le CFE à Mme [Y], comme aux autres formateurs, est particulièrement souple, qui leur demande de lui notifier leurs « projections et (leurs) souhaits éventuels ».
Mme [Y] ne peut davantage sérieusement soutenir que c’est à la demande pressante, en 2019, de la personne assurant les fonctions de directeur administratif et financier du CFE, qu’elle changé de statut, alors qu’elle s’est inscrite en qualité de profession libérale dès le mois d’octobre 2018.
De plus, si des remarques ont pu être faites à Mme [Y] sur la qualité de son enseignement, elles traduisaient, selon l’auteur de ces remarques, des réactions négatives de certains élèves et n’ont, au demeurant, donné lieu à aucune sanction d’aucune sorte.
De même, la circonstance que le CFE n’ait pas voulu rémunérer une prestation (surveillance d’examen) de Mme [Y] comme celle-ci le souhaitait démontre bien davantage une relation non-salariée qu’une relation de salariat puisque, dans cette dernière hypothèse, la rémunération en dépend pas de la tâche effectuée, à moins qu’elle ne soit calculée, ce dont Mme [Y] n’apporte aucune démonstration, à la tâche.
De fait, Mme [Y] est parfois sollicitée au dernier moment, compte tenu des circonstances, pour assurer un enseignement, sans aucune obligation de répondre positivement, ce qui ne saurait être le cas dans le cas d’une relation salariée (courriel du 15 décembre 2020).
Par ailleurs, la circonstance que Mme [Y] ait été rendue destinataire de la lettre circulaire du 30 octobre 2020, destinée aux enseignants, quant aux modalités à respecter, outre qu’elles visent à s’inscrire dans le cadre des « annonces gouvernementales », elles constituent des recommandations destinées à harmoniser les pratiques dans le souci de formations qui resteraient « dispensées en distentiel » (sic) mais ne peuvent être assimilées à des ordres, notamment en ce que le contenu de l’enseignement proprement dit n’est pas affecté et que l’enseignant reste libre du mode d’évaluation de chaque cession.
Certes, Mme [Y] produit un courriel, daté 19 juillet 2021, de M. F., président du conseil d’administration du CFE, qui se lit :
« Le CA, le directoire, nommé dans la suite de certaines faillites dans la direction et moi-même sommes très attentifs aux droits des salariés et des étudiants.
Votre passage en ‘auto entrepreneure’ sous la direction de (M. J. B.) ne vous a pas libéré de votre soumission à l’organisation directe du CFE, il convient que vous soyez rétablie dans vos droits. Le calcul s’appuiera sur les horaires de travail que vous avez déclarés à partir de votre changement de statut pour vous rétablir en continuité avec votre statut précédent de salarié.
Le calcul est engagé et je pense qu’il devrait devenir effectif sous huitaine (…) ».
Mais, en fait, ce message ne remet aucunement en cause la circonstance que Mme [Y] n’est plus salariée de l’Association. D’ailleurs, Mme [Y] ne produit aucun document postérieur permettant de vérifier qu’elle serait redevenue salariée de l’Association.
Bien plus, ce message doit être lu en relation avec la prise d’acte de Mme [Y], qui date du 15 mars 2021, donc de plusieurs mois auparavant.
Il en résulte que, à supposer que ce message soit authentique, il tendrait uniquement à répondre à la contestation opposée par Mme [Y] aux montants qui lui ont été réglés dans son activité d’auto-entrepreneure, que ce soit en raison de retard ou au regard des sommes qu’elle aurait perçues selon elle en tant que salariée.
Enfin, les factures produites par le CFE font apparaître des montants très variables, d’un mois à l’autre, de 1 512 euros à 3 996 euros (avec une exception à 108 euros en juillet 2019), alors que les bulletins de salarie produits font apparaître des montants sensiblement moindres.
Enfin, Mme [Y] ne conteste pas que le CFE n’était pas son seul client.
De l’ensemble de ce qui précède, il résulte que Mme [Y] échoue à renverser la présomption de non-salariat.
La décision du premier juge sera confirmée.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Mme [Y], qui succombe à l’instance, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Elle sera condamnée à payer à l’Association une somme de 1 000 euros à titre d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
Déboute l’association centre de formation de l’Essonne de sa demande de voir déclarer l’appel de Mme [Z] [Y] irrecevable ;
Confirme le jugement du conseil de prud’hommes d’Evry-Courcouronnes (RG 21/00916) rendu le 22 septembre 2022 ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [Z] [Y] aux entiers dépens ;
Condamne Mme [Y] à payer à l’association centre de formation de l’Essonne la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière, Le président,